Deux étés irlandais
Louise Gauthier
Mercredi 1er avril
Thomas arrive chez Cíaran à midi pile.
Attends dehors!
Thomas se fige à l’ordre péremptoire émis sur un ton irrité. Il passe dix minutes à faire le pied de grue face à la porte virtuellement cadenassée. Cíaran ouvre l’air contrit.
Je ne voulais pas que tu mettes les pattes dans mes préparatifs culinaires…
Qu’est-ce qu’on mange?
Tu pourrais m’embrasser au moins! … Des sandwichs club et du potage au poulet… J’ai disposé des restes encore comestibles question d’économiser.
Thomas se laisse choir sur ses genoux.
Belle scène conjugale. Je nous trouve très doués en tant qu’acteurs. Au moins on n’est pas rendus au « Pas ce soir mon chéri : j’ai mes vapeurs ».
Il ne lui laisse pas le temps de répliquer et s’empare de la bouche qui s’ouvrait justement. Ils s’étreignent avec passion et leurs mains s’égarent celles de Cíaran surtout. Thomas s’éloigne le souffle court et les joues en feu. Il se rajuste.
Excuse-moi Thomas. Je n’aurais pas dû te provoquer… Dans ma tête je deviens fou de désir pour toi.
Tu es venu à une épaisseur de cheveu de subir un viol mon amour… Je préfère attendre que ton corps suive tes élans : à sens unique cela ne constitue pas un véritable échange.
… Viens manger tout va refroidir.
Cíaran a servi le bouillon dans des verres munis de pailles. Ils dévorent les quartiers inégaux et froids à belles dents.
C’était délicieux!
Deux autres morceaux? Je n’ai plus faim.
Tu as l’appétit d’un oisillon!
Et toi d’un ogre… Tu es tout fait de démesure : carrure, stature, membrure, nature.
Et cela rime en prime! Parlant poésie…
Une autre fois. Tu dessers et on s’installe pour travailler : j’ai besoin de gagner des sous! Et laisse faire les frais afférents!
Trois heures plus tard, Thomas déclare forfait.
Je n’en peux plus. C’est deux fois pire qu’un cours de Perrier mon prof de critiques des théories anthropologiques. Tu es plus impitoyable mais aussi intéressant que lui.
Je me sens également fatigué Thomas. Quand tu t’y mets tu apprends à une vitesse de bolide. Tu me forces à approfondir mes connaissances pour satisfaire ta soif intellectuelle. C’est à la fois stimulant et épuisant. File puisque j’ai plusieurs appels à loger avant d’entamer une soirée de perfectionnement linguistique ceci avant de sombrer dans l’abime du rêve… érotique.
Référence à Nelligan… Rêves-tu que nous faisons l’amour?
Depuis que je t’ai rencontré : c’est récurrent et obsessionnel.
Moi, ce n’est pas onirique, seulement… plutot onanique et… mes visions sont pornographiques et toutes en plans rapprochés.
Un autre candide aveu du même genre et je t’étrangle!
Vendredi 10 avril
Tout ensommeillé Thomas décroche.
Es-tu libre?
La paix Cíaran! … Il n’est même pas huit heures! … Je n’entends rien!
… Au métro… … chez toi.
Qu’est-ce que tu fais là?
… Passais dans le coin… J’ai… … toi.
Quoi?
J’ai envie de toi Thomas!
L’interpellé éloigne le combiné de son oreille et le considère. Rapplique aussitôt.
Viens.
Comment?
Demande au préposé en cabine de t’expliquer le chemin puisque j’ai tendance à tout mélanger les indications. Cinq à dix minutes au plus et tu me sautes dessus. J’en bande déjà!
Dors-tu nu? … Alors reste en l’état. Dans les deux cas.
Thomas effectue tout de même une toilette sommaire. Après avoir déverrouillé la porte d’entrée il retourne au lit. Il s’y assied au centre un genou relevé le drap masquant pudiquement ses organes génitaux. Son souffle se calme un peu mais pas le reste à l’évidence.
Un quart d’heure plus tard Cíaran laisse choir ses cannes sur le sol et lui au bord puis ne bouge plus et ne le regarde pas non plus.
C’est moi qui suis censé réagir comme une vierge effarouchée…
Cíaran lève les yeux sur lui.
Tu en as l’air avec tes joues rosacées et ta pudique retenue… Thomas je…
Dévêts-toi.
Toujours assis, Cíaran se dénude entièrement. Toutefois il enlève son caleçon dissimulé sous le drap. Ils se font face la tête sur l’oreiller. Thomas s’empare de la bouche toute proche. Cíaran répond à son baiser puis le repousse.
Qu’est-ce que tu n’es pas capable de me dire?
… Que tout est redevenu à peu près fonctionnel… sauf que j’ai besoin d’une forte stimulation directe pour enclencher le processus… et que le terme en est incertain et lointain.
On va à ton rythme. J’ai dû te le répéter au moins cent fois!
Thomas prend l’initiative et commence par se défaire des entraves.
Tu es magnifique, mon amour.
Avec tout ce dont la nature l’a doté il caresse le corps de son amant. Puis il empoigne la verge à demi érigée. Son va-et-vient se fait régulier et rapide. Sa langue lèche le gland puis ses lèvres mordillent la couronne. Cíaran s’anime comme son sexe et émet de longues plaintes. Thomas met autant de patience, de constance, de tendresse qu’un sculpteur à parfaire sa statuette phallique.
Longtemps après la main de Cíaran s’appesantit sur l’échine de Thomas l’arrachant à sa concentration.
Je vais te prendre.
Sans hésiter celui-ci se prosterne en prenant appui sur ses avant-bras.
Sur la table de chevet…
Cíaran s’agenouille devant le postérieur offert, s’étire pour saisir le tube de lubrifiant déjà ouvert et en fait usage puis le laissant ensuite tomber sur le sol. Thomas hurle quand l’organe mâle de Cíaran s’enfonce à l’intérieur de lui. À chaque mouvement du bassin de son amant Thomas s’égosille. Il se met à pleurer. Cíaran s’immobilise mais ne se retire pas.
… Cela va aller continue.
Cesse de subir le martyr! Ouvre-toi. Accepte mon pénis dans ton cul.
J’essaye.
Pas vraiment… Déplace-toi doucement sur le ventre. Fais fourreau à ton phallus.
Manifestement Thomas tolère mieux l’intrusion du corps étranger.
J’aime que mon amant soit actif de toutes les manières…
L’autre hésite gémissant encore de la douleur ressentie.
Donne-toi à moi, Thomas!
Incertain d’abord il accorde son tempo à celui de Cíaran se masturbant du fait. Leur accouplement devient lente mouvance ondulante et les jérémiades douloureuses se transforment graduellement en gémissements de plaisir rythmant le temps qui passe. Ils transpirent légèrement.
Cíaran je me trouve à l’orée.
Retiens-toi encore : je veux que l’on jouisse ensemble.
Ses poussées se font violentes et les mouvements de Thomas s’ajustent en conséquence. Leurs mains s’étreignent. Leur corps exsude d’une abondante sueur. Leur rut bruyant dure longtemps et se ponctue d’un hurlement libérateur et conjoint.
Je t’aime Cíaran.
L’autre couvre sa nuque de baisers. Ils se réunissent dans les bras l’un de l’autre les yeux noyés dans ceux de l’opposé, graves. Leur embrassement est empreint d’une douceur contrastante à la violence de leur union. Ils tremblent de toutes leurs fibres. Les tremblements et leur souffle finissent par s’apaiser.
Cíaran prend appui sur Thomas pour se rendre à la salle de bain. Il s’accroche à son cou alors qu’ils frissonnent sous le jet tiède. L’anneau de ses bras descend avec le reste jusqu’au postérieur de l’autre. Ses mains s’y ancrent et pétrissent. À genoux il engobe la verge à nouveau durcie, la délaisse un moment pour tête renversée lécher le scrotum. Il dépose du lubrifiant sur le gland puis se relève maladroitement. Thomas lui évite la chute en le prenant par les aisselles. Il le soulève comme s’il avait été constitué de plumes et le plaque sur le mur. Cíaran s’accroche à Thomas par les jambes et s’empale sur le membre érigé.
Thomas le martèle sans ménagement.
J’aime que mon amant soit passif et s’abandonne.
Leurs regards convergent. Cíaran subjugué s’y engloutit. Thomas approfondit la pénétration; les pupilles de l’autre se dilatent.
Donne-toi à moi Cíaran!
Oui!
Alors que Thomas éjacule une giclée de sperme atteint son thorax.
C’est impossible!
On dirait que j’ai pincé une corde particulièrement sensible…
… Peut-être.
Ils s’étreignent puis se lavent mutuellement, rieurs, euphoriques.
Assèche-toi tout de suite : quelqu’un vient… Je peux arriver à terminer tout seul.
Thomas en est aux cheveux lorsque le timbre impatient heurte itérativement les oreilles.
J’arrive. Du calme!
Il ouvre.
Lori! Mais je devais te retrouver chez toi à onze heures!
Il est midi.
… Je suis désolé… Je n’ai pas vu le temps passer… Je pourrais te rejoindre dans une…
Je préfère attendre ici. J’ai emporté mes bagages et ils sont lourds… Réponds-tu toujours sans te soucier de te trouver dans le plus simple appareil?
Oups ! … Entre pour préserver ma pudeur.
Tu as oublié de refermer les robinets de la douche.
Avant qu’il ne réplique les arrivées d’eau sont fermées.
Tu n’es pas seul!
Le regard de Lori fait le tour de la pièce, tombe en arrêt sur un magazine placé de guingois sur la table basse. La photo en couverture montre deux jeunes hommes tendrement enlacés. Lori hoche la tête.
Cirian.
Cíaran.
Lori fixe l’intrus presque nu hormis la serviette qui lui sert de cache-sexe.
Ton amie Lori?
Thomas acquiesce. Lori précise.Ex.
J’aurais préféré t’en parler en d’autres circonstances disons.
« En parler »! Il n’y a pourtant rien à en dire : c’est très clair!
Lori je voudrais que nous…
Non. Pas « nous ». Toi et moi séparés.
Mais Lori…
Tu rêvais de deux-trois… avec de magnifiques yeux d’outremer… et des chevelures de jais… et la peau dorée… J’y ai presque cru.
Elle refoule ses larmes. La porte se referme doucement sur elle.
Thomas demeure planté là les bras ballants fixant le sillage de la Femme de sa vie. Cíaran se dirige vers la chambre. Thomas le rejoint au bout d’un long temps.
Pardonne-moi j’aurais dû rester dans la salle de bain, me rendre invisible, je ne sais pas… Je n’entendais rien et j’ai cru que l’indésirable visiteur… Je m’en veux d’avoir provoqué cette rupture.
Tu n’y es pour rien. Je voulais discuter avec elle. Nous devions partir toute la fin de semaine afin de parler de notre relation, de chacun de nous… Mon manque de sens organisationnel est impliqué dans cette révélation prématurée mais pas toi… J’ai mal!
Je me sens plutot mal placé pour faire office de consolateur!
Tu es un être humain et j’ai besoin de pleurer sur une épaule amie.
Thomas sanglote dans les bras de Cíaran lequel a l’intelligence de demeurer coi. Le sommeil les surprend ainsi. Cíaran se réveille le premier. Il se dégage doucement et caresse la joue de son amant léthargique. Il part finalement.
Le téléphone tire Thomas de son sommeil agité.
Lori?
Tu dors encore à trois heures de l’après-midi?
Ça te pose problème?
Bien sûr que non… Excuse-moi de te déranger.
Pourquoi?
Te rappeler que ce dimanche est pascal… Et que nous t’attendons pour souper. Avec ton amie évidemment.
… Je viendrai mais seul… Lori a formé d’autres projets.
Est-ce que ça va mon fils?
… À moitié. Excuse-moi papa… Juste que tu tombes mal.
… Tu n’as pas donné de nouvelles depuis près d’un mois. Nous nous inquiétions.
Des problèmes à régler. Je ne vous oublie pas.
Est-ce que je peux t’aider?
Non. Ne te fais pas de mouron. Je suis censé être devenu adulte tu te rappelles?
Difficilement quand je ressens aussi fortement la peine qui t’animes… Désolé… une rechute.
Je t’aime papa. À dimanche.
Thomas raccroche puis se met à sangloter.
Dimanche 12 avril
Cravaté de rose uni sur fond immaculé, vêtu de son unique complet très seyant piisqu’il a maigri ces dernières semaines Thomas est accueilli dans un silence consterné.
Qu’est-ce qui se passe? Suis-je le premier arrivé?
… Nous n’attendons personne d’autre. J’ai oublié de t’en avertir.
Mais d’habitude…
J’éprouve quelques problèmes reliés à l’hypertension artérielle. J’ai dû ralentir mes activités. Et organiser une réception familiale m’apparaissait une infranchissable montagne.
Est-ce que c’est grave?
Contrôlable mais pas aussi bénin qu’un simple rhume. À propos ta voix semble plus rauque.
Mal à la gorge depuis quelques jours.
Je te trouve changé, mon fils… On dirait que tu as vieilli de cinq ans en un mois… Tu m’intimides presque.
Thomas sourit aux propos de son père.
Cela te donne aussi un coup de vieux! Mais pas à maman : elle est Jouvence.
Ils rient de bon coeur.
Peut-être que c’est la barbe naissante… Aurais-tu…
Je n’ai pas oublié de me raser. Je le fais simplement moins souvent… Mon ami aime…
La caresse de la joue rêche sur sa peau… Michelle aussi.
Thomas rosit d’embarras. Michelle prend les deux hommes par le bras et les entraine vers la salle à manger.
Qu’est-ce qu’on mange?
Et voici l’homme!
Potage au fenouil et lapin chasseur.
Wow! Je meurs de faim : on passe à table tout de suite?
Michelle et Hugh se tordent de rire. Thomas prend une mine ahurie.
Mais qu’est-ce à dire?
Juste qu’on te reconnait enfin… Michelle?
Tout est prêt mais vous assurez le service.
= À vos ordres Chef!
Ils s’attablent, finissent en silence ce qui tient lieu d’entrée et entament dans la même ambiance le plat principal.
Jusqu’à ton adolescence nos repas ont été l’occasion par excellence pour nous communiquer nos préoccupations joyeuses ou tristes.
J’ai besoin de vous parler, mais je ne sais pas comment aborder le sujet… Et je sais que je vais vous attrister.
Et si tu ne dis rien, nous tous pour des raisons diverses en serons malheureux.
J’ai un ami très cher…
Les ustensiles demeurent suspendus dans les airs. Hugh avale de travers, prend une gorgée de vin, repose sa coupe, ouvre la bouche et la laisse en l’état. Michelle dépose calmement sa fourchette.
Aveu surprenant venant de toi… Es-tu certain d’être… homosexuel?
Non et oui… Je suis bisexuel. J’aime Lori et tout autant Cíaran mais différemment bien qu’aussi complètement. C’est difficile à expliquer. Je me sens complet avec l’un et l’autre dans ma vie.
Comment réagit Lori à cet état de fait?
Elle a pris cela très mal disons.
Elle t’a quitté?
Oui mais pas moi. L’amour qui nous lie est toujours présent je l’ai lu dans ses yeux. Nous sommes faits l’un pour l’autre même si elle le dénie pour le moment.
Tu sembles bien sûr de toi et d’elle.
Je ne le suis pas mais je vais tout faire pour que cela soit. Probablement que nous pourrions vivre l’un sans l’autre mais ce serait comme exister avec un membre amputé.
Ils terminent le souper sans autre commentaire. Hugh apporte le café. Depuis la déclaration fracassante de son fils il n’a pas prononcé une parole.
Papa?
Que veux-tu que je te dise? Tu pourrais bien être devenu trisexuel que tu n’en resterais pas moins mon fils… Ça donne un coup quand même…
Et cela vous implique aussi beaucoup.
Cíaran sera accueilli dans la famille en tant que ton ami très cher.
Thomas a envie de pleurer visiblement. Il refoule.
Est-ce que vous existez réellement? Pourquoi est-ce que vous comprenez?
Là tu touches au fondament de ta révolte Thomas…
… Mais oui! Je me suis révolté parce que je vous en voulais de ne pas me fournir la moindre raison de le faire!
C’est passé on dirait.
Ne reste que l’amour que j’éprouve pour vous…
Le moment magique s’estompe dans un soupir.
On passe au dessert? Qu’est-ce que c’est?
Une tarte aux fraises mais ce n’est pas moi qui l’ai apprêtée…
La figure de Thomas s’allonge d’une aune.
… C’est ton père.
Hein?
… Sous la direction de Michelle : ne t’en fais pas. En vingt-trois ans de vie commune j’ai quand même appris à cuisiner un peu!
Ah oui?
Ces dernières années disons.
Le régal est apporté avec grande fierté par le nouveau Chef. Les premières bouchées sont dégustées en silence.
Alors?
… C’est presque parfait.
Ouf! Qu’est-ce que j’aurais enduré ce soir si tu avais conclu que j’avais atteint la perfection?
Vraiment, Hugh! … Mais tu as raison… Je crois que c’est incurable…
Le couple échange des regards d’amoureux indulgents. Thomas sourit. Hugh reprend le fil de la conversation.
À propos de boustifaille qu’est-ce qu’il aime ton ami?
C’est un peu compliqué… Il est omnivore comme moi mais il a un faible pour les fruits de mer… Toutefois c’est préférable d’éviter les aliments qui nécessitent plus d’un ustensile pour être assimilables. Par exemple un boeuf bourguignon serait mieux accueilli qu’un filet mignon. Et un consommé lui serait plus facile à absorber qu’un minestrone. En fait il éprouve des problèmes de coordination. Ceux-là sont probablement irréversibles.
« Ceux-là »?
Cíaran doit composer avec la sclérose en plaques.
… La SP…
Je commence à très bien connaitre cette maladie, sous sa forme récurrente/rémittente. D’un point de vue intime disons. Et ce que je ne sais pas encore je peux fort bien l’anticiper. Papa je suis tout à fait conscient de la galère dans laquelle je me suis embarqué… Je l’aime comprends-tu?
Oui… Est-ce qu’il est traité à…
L’interféron bêta? Je ne sais pas. Je n’ai pas osé l’interroger à ce sujet. Il est hypersensible…
Thomas baisse le nez sur son assiette vide.
J’aurais tellement voulu être le fils idéal pour vous… Je ne sais pas si vous aurez un jour des petits-enfants je l’espère seulement… Si Lori veut bien de moi avec lui même si je ne suis pas l’homme de ses rêves.
Thomas tu es maitre de ta vie. Ta mère et moi n’éprouvons aucun désir d’y intervenir. Tu n’as rien à nous prouver et nous n’avons jamais défini ce que serait un « fils idéal ». Et si nous en faisions l’exercice en ce moment le résultat correspondrait en tous points à toi… moins ton horrible cravate rose une véritable offense à mes yeux.
Moi je l’aime beaucoup.
Il l’enlève, quand même.
Je ferai tout pour que mes enfants soient entourés d’autant d’amour que je le suis.
Bonne chance pour y parvenir!
Hugh se lève vivement après avoir aperçu la figure décomposée de Michelle.
Viens m’aider Thomas : on débarrasse le site de ses scories. Va te reposer mon coeur les mâles s’occupent de tout.
Excuse-moi Thomas.
Est-ce que je peux faire quelque chose pour toi?
Ne pas t’inquiéter. Bonne nuit mon chéri.
Elle semble encore plus fragile entre les bras de Thomas. Elle caresse la joue rêche. Il la contemple pendant qu’elle monte. Hugh aussi. Ils nettoient la table puis répartissent la vaisselle dans l’électroménager. En silence. Hugh le rompt.
Les problèmes de santé deviennent plus fréquents au fur et à mesure que nous avançons en âge…
… Toi aussi?
J’ai des ennuis avec ma prostate… C’est cancéreux… Michelle l’ignore encore. C’est bien la première fois que je lui dissimule quelque chose. Enfin, c’est une mesure transitoire le temps qu’elle aille mieux.
J’ai mal choisi mon moment. Je suis désolé. Surtout de vous trouver malades tous les deux. Ainsi va la vie. Ne mets jamais de gants avec nous. Et nous n’en sommes pas encore à l’article de la mort non plus. File maintenant fils.
Ils s’étreignent avec effusion.
Au volant Thomas consulte sa montre : vingt et une heures quarante-cinq. Arrivé à bon port il se plante devant la porte. Attend, longtemps. Au moment où il se décide à partir Cíaran ouvre. Il est en robe de chambre.
J’étais dans mon bain.
Cíaran s’efface pour le laisser entrer.
Veux-tu coucher avec moi ce soir?
La réponse de son hôte est éloquente : fébrilement il défait la braguette de Thomas, écarte le caleçon et se saisit du pénis qu’il accole au sien en et presque même état. Sans pratiquement modifier leur contact pénien et buccal Thomas se dénude puis fait tomber le vêtement de Cíaran. Ils s’unissent plus étroitement. Sans effort Thomas le soulève et le porte jusqu’au lit. Sa voix rauque fait frissonner son amant.
Je te veux!
Cíaran se sert du lubrifiant pour exciter le gland décalotté. Il se place de flanc en attente. Thomas le pénètre et forme fourreau à la hampe durcie. Halètements du plaisir commun qui s’épanouit.
Ta verge puissante bat à la source de la mienne en prolongement érotique. De ton acmé jaillit la sève d’homme qui ensemence de liesse mon cul stérile écartelé par ta monstrueuse saillie.
Thomas jouit au dernier mot déclamé sourdement.
J’adore enculer un poète.
Cíaran se libère et renverse son amant sur le dos.
Le comble est de fouiller un anthropologue. Écarte les jambes et soulève ton bassin.
Cíaran cale ses cuisses sous les fesses. Il souscrit au rituel d’ointement puis enfonce son dard dans le rectum de Thomas. Celui-ci se saisit de son propre sexe à nouveau en état d’érection. Cíaran coordonne ses poussées aux attouchements onaniques. Thomas stoppe.
Colle-toi plus étroitement à moi.
Cíaran obéit. Leurs yeux s’accouplent, aussi.
Prends ce que je te donne mon amour.
Les corps se mettent à suinter lors que le martèlement impitoyable s’accentue.
D’estoc et de taille mon épée te pourfend au centre des entrailles mises à mal. Et tu en redemandes de douleur. Et t’en réjouis jusqu’à la lie lors qu’exsude aux confins mon lait d’opale dans un rale catharsis et partagé tout emmêlés de sueur et du jus de l’amour.
Lundi 13 avril
Thomas émerge en sursaut. Cíaran se tord de douleur enserrant sa jambe repliée. Aussitôt Thomas entreprend un massage.
Draine le mal hors toi et transfère-le à mes doigts.
Thomas crie et enlève vivement ses mains mais les replace aussitôt.
Plus doucement : prends les commandes.
Les gémissements de Cíaran s’apaisent petit à petit.
Qu’est-ce qui se passe Thomas? Je n’y comprends rien!
Je n’en sais guère plus si ce n’est que j’ai ressenti tout à coup une forte empathie avec toi et que j’ai compris comment je pourrais soulager ta douleur.
Le réveil interrompt leur échange.
… Huit heures seulement!
Je reprends le travail ce matin.
Un déjeuner avec des oeufs et du bacon?
Tentant. Pour refaire mes réserves d’énergie trop gravement compromises… Mais on manque de…
Je m’occupe de tout pendant que tu soignes ton plumage. Et évite de la protestation le ramage.
Cíaran s’enferme dans la salle de bain. Une demi-heure plus tard il en ressort tout rosé et bien fringué, et rejoint son ami dans la cuisine.
Ça sent bon!
Je n’ai pas trouvé de lard alors je l’ai remplacé par du feta. J’ai ajouté à l’omelette triple et au fromage un demi-poivron et une tomate en dés préalablement revenus dans un peu d’huile d’olive ainsi que du sel et du poivre et je l’ai fait cuire en remuant constamment. Une vieille recette de maman. Et servie avec du pain baguette beurré au préalable et grillé au four c’est fabuleux.
Ils dégustent. Thomas termine toutefois la portion de Cíaran.
Tu as raison : j’ai rarement mangé un déjeuner aussi bon! Et assez reconstituant pour sauter le diner…
Attends de voir ce que peut concocter ma mère! … Mes parents souhaitent rencontrer mon ami très cher.
Je rêve! Tu leur as dit que tu es homosexuel?
Bisexuel pour préciser.
Et ils ne t’ont pas foutu à la porte à coups de pied?
Hein? Mais pourquoi l’auraient-ils fait?
Cíaran ne répond pas.
Est-ce que tu acceptes?
De t’épouser : non!
On reparlera de ces deux questions quand tu te montreras plus accessible.
Thomas consulte sa montre.
Est-ce que mon fier destrier pourrait t’emmener sur les lieux de toutes les débauches?
… Henry relève à peine d’une intervention chirurgicale à la prostate… Et il est âgé de quatre-vingts ans en plus.
Est-ce que l’opération peut affecter la puissance sexuelle?
Souvent. Henry en est terrifié encore plus que par l’inéluctable vieillissement… Va compléter de t’habiller palefrenier pendant que je débarrasse.
Thomas s’éloigne tête basse et grommelant fort peu content de sa nouvelle affectation.
Et plus vite que ça sinon je te congédie!
Alors je fais la grève!
Alors je prendrai un taxi! Bien que je serais ravi du prolongement de ta compagnie.
Thomas fait le beau la langue pendante. Ils éclatent de rire puis s’enlacent. Thomas lèche le bout du nez de Cíaran.
Attention que je n’y prenne gout : qui sait ce que je pourrais te demander…
Je fais tout mais ça coute cher…
Tarif d’ami? Je suis pauvre!
Alors va gagner ta croute : je verrai à ce que tu rapportes.
Alors comment ça se fait que tu ne sois pas encore prêt?
Cinq minutes plus tard Thomas revient tout garni.
Tu parais froissé… Il ne te manquerait qu’une cravate rose portée relâchée pour avoir l’air d’un homo qui sort d’une nouba particulièrement olé olé!
Thomas tire le bout d’étoffe en piètre état de sa poche et se l’accroche autour du cou.
… Inoubliable!
À sa mine ulcérée Cíaran croule par terre hilare. Thomas le geste digne lui tend la main.
Je ne voulais pas t’offenser! Je te trouve beau… même habillé.
Il passe sa paume sur la joue rêche.
Et je… t’aime beaucoup Thomas… On part? Je suis presque en retard.
Le nuage est passé. Ils se tiennent par le bras jusqu’à la voiture. Avant de se quitter ils s’embrassent longuement.
Mardi 14 avril
Thomas patiente à la sortie du cours de Chevrier.
Lori je voudrais te parler.
Non. Pour les notes trouve quelqu’un d’autre.
Elle le plante là.
Mercredi 15 avril
Thomas patiente à la sortie du cours de Perrier.
Je t’en prie!
Non. Cesse de me harceler!
Elle le plante là.
Jeudi 16 avril
Le soir venu c’est à sa porte que Thomas cogne. Elle demeure close. En larmes il s’y adosse. Il sort une feuille de son cartable puis écrit fébrilement : « Tu as rompu unilatéralement sans me laisser une seule chance de m’expliquer. Tu t’es constituée à la fois juge et partie. Tu as prononcé la sentence capitale sans même entendre mon plaidoyer. Et tu en demeures la maitresse d’exécution. Je ne te harcèle pas Lori. Je veux juste qu’on se parle pour vrai. Maintenant. La mise en attente nous a menés vers cette situation sans issue. Lori je t’en prie ». Il glisse la lettre sous le seuil. Il attend toute l’éternité.
Thomas tombe à la renverse dans le vide créé par l’ouverture. Il se relève maladroitement une jambe ankylosée. Son visage porte les stigmates de sa peine. L’autre aussi.
J’accepte de te rencontrer. Je te donne quinze minutes. Après tu t’en vas.
À tes conditions.
Elle prend place sur le canapé. Il s’assoit non loin; il demeure silencieux toutefois.
Lori s’impatiente.
Le quart d’heure tourne.
Thomas semble s’éveiller.
J’aime Cíaran aussi et je me suis donné à lui pour la première fois ce jour-là. Ce sont des faits que je ne cherche pas à nier…
Tu m’as menti.
Faux. Au début je me suis conté des mensonges à moi-même et non à toi. Je ne comprenais pas ce qui m’arrivait. J’ai essayé de la dénier cette attirance puissante qui me portait vers lui sans que je ne puisse ni ne veuille y mettre un frein mais j’ai dû accepter qu’un homme puisse exercer sur moi un tel attrait y compris sexuel. J’ai voulu en parler avec toi mais…
Tu m’as trompé.
Je ne comprends pas ce que cela veut dire.
Mais nous entretenions des relations suivies depuis plus de deux ans! Il me semblait que l’exclusivité de nos rapports allait de soi d’autant plus que tu parlais d’avenir commun! C’est cela qui me fait le plus mal! Je suis tellement stupide de t’avoir cru!
Lori je ne suis pas un coureur et je ne collectionne pas les femmes comme des trophées. Les hommes non plus d’ailleurs. Tu as été la première et es devenue celle que j’aime. Tout comme Cíaran a été le premier et est devenu celui que j’aime.
Arrête de me faire souffrir. Va-t’en Thomas.
Thomas poursuit sa plaidoirie, ignorant l’ordre péremptoire.
Je suis bisexuel. C’est dans ma nature. Je ne peux pas lutter contre cela. Sans lui je serais amputé d’une moitié. Sans toi je suis incomplet de l’autre. Ce n’est pas une question de fidélité!
C’est sans issue en ce qui me concerne Thomas : je ne peux pas accepter cette partie de toi. C’est comme exister à demi. Je ne peux pas envisager de mettre au monde des enfants dans une situation génératrice d’instabilité. Cela vaut donc mieux d’en rester là. Admettons que je comprends mais c’est pire.
Lori je ne suis pas comme ton père!
Je veux vivre ma vie avec quelqu’un qui m’aime et avec qui je bâtirai une famille stable et équilibrée.
Et pourquoi ne serait-ce pas avec moi?
Ce ne serait pas uniquement avec toi!
Et alors?
Est-ce que ma double nature fait de moi automatiquement un être irresponsable?
Non mais cela n’augure rien de constructif pour des assises solides. Ton… ami est en plus gravement handicapé et pour le reste de ses jours. Les choix à faire peuvent devenir déchirants.
Je l’admets. Personne ne peut présumer de l’avenir. Mais l’amour ne compte-t-il que pour valeur zéro dans toutes tes équations?
Ma mère a aimé mon père! Où est-ce que cela l’a menée? À une vie misérable! Monoparentale de trois enfants en bas âge. Suant sang et eau pour élever du mieux qu’elle le pouvait sa trop nombreuse progéniture!
Et toi m’aimes-tu?
Oui! Et je veux tuer cet amour parce que c’est un non sens! Va te faire enculer Thomas je n’en peux plus!
Thomas baisse les yeux avant de continuer.
Seulement samedi et s’il est en forme. Et la sodomie fait partie du rituel amoureux entre hommes forcément. Lori, pourquoi tes paroles résonnent-elles comme une insulte?
Parce que j’éprouve une immense rancune envers toi.
Sors-la.
Depuis plus de deux ans nous renforcions notre lien au fil des jours de petits pas en minuscules découvertes. Nous évoluions en trotte-menu et je préférais que cela soit ainsi. Ce n’était pas très romantique mais m’apportait l’ancrage qui m’a toujours manqué. Le sentiment de bonheur était tellement fort parfois que j’étouffais… Même si…
Elle pleure. Ramène ses jambes contre sa poitrine.
Continue Lori.
Je savais qu’un long chemin nous restait à parcourir avant de se rejoindre vraiment. Tu as rencontré Cíaran le 18 mars. Trois semaines plus tard, tu t’es « donné à lui » comme tu dis. Et il est devenu « l’homme de ta vie » comme tu dis. Est-ce que tu t’es déjà donné à moi Thomas? Prendre tu fais cela très bien mais donner corps et âme?
Je n’avais pas compris. Il m’a fallu ce coup de poing à l’être pour en saisir le bout. Toi tu caresses l’âme lui l’agresse… J’ai besoin des deux je crois. J’apprends vite depuis un mois.
Thomas, je ne peux pas. C’est non.
Les larmes roulent sur les joues de Thomas.
Je suis de nature double. C’est un état de fait. Je n’y peux rien changer sans me détruire. Aux yeux de la femme que j’aime cela constitue un grave préjudice. Elle me rejette. Le sentiment d’être infirme on le découvre dans les yeux de l’autre. C’est une condamnation à vivre! La dernière phrase comme un cri de souffrance assourdissant. L’instant d’après il est dehors.
Thomas s’assoit sur le bord du trottoir. Il pleure en longs sanglots. Les passants font un large détour pour l’éviter. Il marche comme un somnambule; il s’arrête devant une cabine téléphonique. Il sanglote trop pour parler.
Viens.
Elle l’attend à la porte, ne pose aucune question, ouvre ses bras. Il monte avec elle. Elle l’aide à s’étendre, enlève les souliers. Elle s’assoit au bord du lit puis s’allonge. Il pose la tête sur sa poitrine, se love tout contre elle. Elle caresse la tête bouclée tout doucement. Il s’endort. Le handicap d’un enfant n’est jamais inscrit dans le regard de sa mère. Il part au matin. Elle dort encore. Derrière lui il laisse un message : « Merci. Je suis incapable d’en parler pour le moment. Ne t’inquiète pas. Je t’aime maman ».
Samedi 18 avril
À la neuvième sonnerie Thomas décroche et échappe le combiné puis le reprend.
Nous avions rendez-vous…
… Toutes mes excuses Cíaran. J’arrive dans une demi-heure.
Thomas raccroche, se lève, prend une douche, se vêt, sort et hèle un taxi en maraude. Il attend à la porte que Cíaran ouvre.
Celui-ci fige net.
Euh… Salut.
… Qu’est-ce que tu as pris?
… Quelques verres de Jameson Irish Whiskey… Et un joint je crois…
Viens on va se shooter à la caféine.
Cíaran l’entraine vers la cuisine. L’oeil vague Thomas se laisse faire. Il s’assoit.
Je t’aime.
… Je sais… Moi aussi je crois… L’amour c’est comme la peste.
D’accord!
Cíaran prépare le café très corsé.
Thomas se brule.
Bois doucement!
C’est bon. J’ai besoin de chaleur humaine.
Par le plus grand des hasards je mes sens radiateur.
Thomas se met à pleurer. Cíaran s’assied auprès de lui. Thomas s’épanche sur son épaule. À intervalles réguliers Cíaran lui fait boire du café. Il se dégage pour en préparer d’autre. Le cycle recommence. Petit à petit Thomas émerge et son regard s’éclaircit.
Viens on va s’étendre côte à côte.
L’autre acquiesce. Ils se dénudent.
Je veux que tu me prennes mon amour… Je t’en prie.
Pendant qu’il l’embrasse itérativement, Cíaran se stimule. Longtemps après il murmure.
Offre-moi ton cul comme la première fois.
Thomas obéit. Écartant les globes fessus Cíaran le lèche au méat et au pourtour. Il le pénètre avec sa langue.
C’est si bon. Fourre-moi maintenant… Utilise ta salive.
Cíaran obtempère. Thomas hurle. Son amant cesse tout mouvement.
Continue. J’ai besoin de te ressentir très fort.
Se maintenant aux hanches Cíaran le martèle comme un marteau-piqueur. Puis il le monte à califourchon. Il se met à crier lui aussi. Ils jouissent ensemble dans un rale commun et ultime. Cíaran se presse sur son dos. Ils emmêlent sueurs et tremblements. Ils prennent un bain de tendresse ensuite. Ils sommeillent quelques heures.
Les yeux grands ouverts et apparemment entièrement remis de sa cuite Thomas peut aborder ce qui le hante.
As-tu déjà pensé à te suicider?
… J’ai fait bien plus que d’y songer… Pourquoi me poses-tu cette question Thomas?
… Veux-tu me raconter?
… Tu peux deviner une bonne partie de l’histoire…
… Et j’ai aussi compris que le poète a menti par omission…
… Effectivement il n’y a eu aucun procès pour meurtre puisque ce n’en était pas un. Loïc et moi avions conclu un pacte létal…
Cíaran s’interrompt. Thomas l’enjoint à poursuivre. Comme une urgence dans sa voix.
Loïc se trouvait en phase terminale du SIDA. L’homme de ma vie dépérissait de jour en jour aussi inéluctablement attiré vers la mort qu’un lemming vers la mer. On venait de diagnostiquer ma maladie. J’étais diminué physiquement, j’avais perdu l’usage de mes jambes et je voyais par intermittence et double en plus des joyeusetés connexes. Je prenais soin de Loïc du mieux que je le pouvais compte tenu de mes limites. Il m’a demandé de l’aider à en finir. Je l’ai convaincu que je souhaitais le suivre jusque-là puisque de tous les points de vue ressortait la même conclusion inexorable. Et elle est toujours valable… Comme convenu avant de m’ouvrir les veines j’ai attendu qu’il agonise. Même quand on ne voit pas bien on peut faire ça. Nous avions laissé une lettre explicative destinée à la police et portant nos deux signatures… Nous n’avions pas d’attache ni l’un ni l’autre enfin presque aucune. Il ne restait rien… Je me suis étendu en attente de la fin souhaitée serré tout contre mon amour sans vie. Nous avions tout prévu sauf la sonnerie récurrente du téléphone et mon tempérament un peu vif en réaction. J’ai décroché et j’ai crié : « Un gars a le droit de mourir en paix! » puis j’ai lancé l’objet de malheur au loin. Ce qui s’est passé ensuite Henry me l’a raconté à l’hôpital. Il savait que le terme de Loïc approchait et que moi je ne resplendissais pas de santé non plus. Ce soir-là très inquiet il téléphonait pour s’enquérir de nous. Il a eu la mauvaise idée de prévenir les urgences… J’ai été contraint de me soumettre à une « cure fermée » psychiatrisée et médicamentée censée me guérir de ma profonde dépression… La maladie viole le corps et les remèdes l’être.
Sa confession terminée Cíaran se tourne sur le flanc et scrute le regard de son ami.
Comment se fait-il que tu n’as pas tenté de recommencer?
Une promesse réitérée à Henry… Je lui en veux encore pour cela! Ai-je éclairé suffisamment la lanterne du saint Thomas?
Là-dessus, du moins… Quoique…
Assez!
Cíaran s’adoucit.
Déballe ton sac maintenant.
J’ai obtenu que Lori m’entende. Nous avons tout mis à nu. Elle saisit très bien la situation mais refuse de s’engager avec quelqu’un qui ne peut que lui donner la moitié de lui-même même si elle m’aime. Je peux comprendre son point de vue disons…
Et son corollaire…
J’ai mal. Je l’aime! Brusquement j’ai pris conscience que… que…
Tu es infirme en quelque sorte. Il y a longtemps que j’ai apprivoisé ce mot Thomas; il ne me fait plus peur. Continue.
… J’ai voulu mourir Cíaran. Puisque c’était l’unique solution au désespoir et à l’opacité qui m’envahissaient… Je ne me souviens pas de ce qui s’est passé ma décision prise. J’ai repris conscience alors que j’étais dans ma chambre de jeune ado en posture foetale et à l’écoute rapprochée du coeur de ma mère assoupie. Je suis rentré encore complètement sonné…
Thomas refoule ses larmes.
Ensuite?
J’ai un black-out pour la suite. Si ce n’est que ce matin j’ai été saisi d’une soif irrépressible d’oubli dans l’alcool. Je n’ai pas l’habitude de m’enivrer. Ni de fumer du cannabis.
Ça parait! Trois heures ainsi qu’une fornication brutale pour te dessouler et te faire émerger! Tu serais extrêmement obligeant de ne pas recommencer!
La « fornication » aussi?
J’aime faire l’amour avec toi.
C’est parce que je t’aime que je ne veux pas mourir.
On peut sans doute accommoder nos deux handicaps… Tu illumines mes ténèbres… Je t’aime Thomas.
Je me dédie à toiCíaran.
Je n’exige rien de toi!
Je sais. C’est moi qui le veux. Parce que j’en ai besoin sans doute… J’ai une faim de loup…Thomas se met à le mordiller, partout. Cíaran protège ses organes génitaux.
Morceaux de choix…
Des sandwichs au saucisson italien… Si tu manges l’irlandais tu n’en restera plus pour la prochaine fois…
Argument massue… Mais bouffe le mien d’abord : une oeuvre de simple humanité.
Cíaran s’exécute obligeamment à la fois maladroitement et habilement.
Les nudités intégrales dévorent ensuite attablées.
Si on travaillait un peu sur le manuscrit ?
Seulement si tu acceptes quelques changements dans la façon de procéder…
Tu oses vouloir modifier tes conditions de travail! Sans syndicat nenni monsieur!
Dommage… cela aurait pu constituer un grand défi pour toi… et une sinécure pour moi…
Quel « défi »?
Don Quichotte! Je me croise les bras, tu traduis, je corrige en te tapant mentalement sur les doigts… Tu commences à faire d’indéniables progrès hormis l’accent épouvantable. C’est pédagogique de te faire suer un peu afin de consolider les assises.
Présenté ainsi…
Le sourire de Cíaran manque de modestie. Thomas le laisse savourer sa victoire quelques minutes.
Quoique j’y mets une condition.
Encore du chantage!
Cela fonctionne très bien avec toi… Rencontrer mes parents.
Je t’ai déjà mentionné peut-être pas en ces termes que je trouvais cette idée absurde, farfelue, loufoque, inepte, ridicule et aberrante!
Ce sont des personnes fantastiques dont je n’ai nulle intention de faire le panégyrique. D’ailleurs, tu répondrais que c’est partial. Mais il va de soi que je souhaite leur présenter celui que j’aime et avec qui je partage… un bout de vie… Et j’ai déjà donné quelques conseils aux Chefs quant à tes préférences gastronomiques particulières… Et puis… euh… c’est un défi que je te lance.
… On dirait que c’est vraiment important pour toi… Je me soumets mais j’appréhende fort une telle rencontre…
Mon père et ma mère sont des extra-terrestres. Ils jettent sur l’humanité des yeux curieux et ouverts qui accueillent mais jamais ne jugent.
Tu délires mais soit. Je monterai dignement sur l’échafaud, l’oeil clair et l’âme en paix de t’avoir rendu heureux!
Excellentes dispositions.
Cet air de contentement béat sur ta figure de faux ange me rend fou!
Thomas se dessine une auréole autour de la tête.
Ouais… Au boulot saint Thomas!
J’ai un coup de fil à passer avant.
Lorsqu’il revient Thomas affiche une mine réjouie. L’autre le considère l’oeil torve.
Nous sommes attendus demain soir à dix-neuf heures.
Si rapidement?
On doit battre le fer quand il est chaud!
Thomas je vais t’étrangler!
On peut baiser à la place.
Non! Tu ne te défiles pas. Au travail!
C’était juste une suggestion… D’accord, après…
Thomas s’escrime sur le « satané manuscrit » durant trois heures. À maintes reprises Cíaran grince des dents. Il trace deux auréoles autour de sa tête. Thomas le contemple tout étonné. Cíaran pointe un doigt rageur vers l’ordinateur. Il finit par se calmer.
Je déclare forfait!
Mais tu n’as rien fait!
Je t’ai écouté et corrigé! C’est le travail le plus difficile que j’aie jamais accompli!
Désolé, je n’ai pas vraiment la bosse des langues… mais j’en ai une autre…
Non. C’était bon. Vers la fin, surtout… C’est fascinant de te voir évoluer dans ce domaine.
Et si nous évoluions vers le lit?
Je suis épuisé Thomas; c’est mieux que tu partes.
C’est bien dommage… Tu aurais pu connaitre les félicités que procure un massage prodigué par un expert en la matière… Possèdes-tu une huile douce ou une crème pour la peau? … Alors installe-toi confortablement : je reviens dans cinq minutes.Thomas se vêt à la hâte.
Lorsqu’il est de retour Cíaran l’attend étalé au long en fumant une cigarette. Thomas revêt une tenue d’Adam. Il l’enjoint à se retourner.
C’est froid!
Détends-toi, laisse-toi faire. J’aime tellement te toucher.
Longtemps après Cíaran murmure le prénom de son ami puis s’endort profondément. Thomas se couche à ses côtés. Ses ardeurs finissent par se calmer.
Avant de partir, il épingle un message sur l’oreiller : « Fourbis ton armure pour dimanche dix-huit heures trente. Délaisse tes plus beaux atours pour des habits de tous les jours. Je t’aime ». De retour chez lui Thomas contemple sidéré l’état indescriptible des lieux. Méticuleusement il s’adonne aux activités ménagères en fredonnant en litanies « Laver laver on doit savonner. Ranger ranger au lieu de baiser ». Tout en procédant il alterne rire et pleurs.
Dimanche 19 avril
Thomas est accueilli par un amant colérique.
Tu aurais pu arriver plus tôt!
Mais je suis juste à l’heure!
Et moi j’ai des sueurs froides depuis deux! C’est cruel Thomas, que de m’avoir acculé au pied du mur!
Là n’est pas le problème! Tu ne découvriras pas dans leurs yeux les reflets qui te hantent et t’isolent. Fais-moi confiance ils veulent simplement connaitre l’homme que j’aime. Pas pour juger et condamner.
Était-ce nécessaire que ce soit lors d’un souper? Ce n’est pas précisément une activité que j’aime accomplir en public!
Je n’y ai tout simplement pas pensé! C’est tout naturel chez nous : nos moments de félicité ou de chicanes familiales se passent autour d’un bon repas. Cela en a été ainsi quand je leur ai annoncé ton existence toute masculine dans ma vie à moitié homosexuelle juste à la fin du plat principal. Cela tient aussi au fait que mon père et moi sommes les rats de laboratoire pour les expériences culinaires de ma mère quoique ceci commence à changer. Tout cela pour te dire que sachant ta maladie, et les connaissant même toi finiras par oublier tes maladresses comme lorsqu’on mange ensemble. Allez accélère : la seule chose que ma maman adorée pardonne difficilement c’est le retard!
Thomas prend les lèvres de son ami qui s’apprêtait à récidiver dans la panique. Il triture une mèche de cheveux.
Tu es très beau avec cette nouveauté colorée.
Une fantaisie pour me calmer les nerfs. Ma coiffeuse du dimanche et voisine a suggéré ce vert irlandais parce qu’il se mariait à la fois à mes yeux et à ma teinte de chevelure.
C’est effectivement le cas… Crois-tu que le rose m’irait au teint?
… On demandera à Claude.
En route! Enfin appelle un taxi.
Qu’as-tu fait de ta voiture?
Je l’ai perdue.
Il faut le faire!
Au seuil de l’impressionnante demeure Cíaran s’arrête et consulte sa montre.
Tu as le temps de me serrer fort pour me donner du courage.
AussitôtThomas l’enlace. Les cannes choient alors que les bras de Cíaran ansent son cou. Leur profond baiser se prolonge. Il est interrompu par un toussotement léger.
Désolé… Ta mère va pousser de hauts cris si tu lui fais rater son soufflé aux épinards.
Oups! Deux minutes de trop au septième ciel!
Thomas ramasse les soutiens à la marche et les tend à Cíaran. Michelle pointe le bout du nez. Dessous, un sourire resplendissant.
Wow maman t’es belle !
Depuis hier ma santé va nettement vers le mieux et je reprends le travail demain.
Tout doucement quand même!
Quelles heureuses nouvelles!
Cíaran soyez le bienvenu.
Madame, monsieur…
Michelle et Hugh.
Les hommes, vous avez précisément dix minutes à consacrer à l’apéro. Vous m’excuserez.
Elle s’éclipse, vive.
Quel changement spectaculaire!
Ne te leurre pas Thomas : Michelle devra probablement se soumettre à une médication pour le reste de ses jours. En tout cas son sourire est revenu… Nous avons passé de mauvais moments disons.
Et toi?
Rien n’est changé…
Au salon Hugh interroge ses invités.
Cíaran : kir, pineau ou n’importe quoi?
Cíaran opte pour de l’eau et Thomas pour un martini sec avec trois olives. Hugh prépare les apéritifs alors que les deux autres s’installent côte à côte sur le canapé. Ils partagent le « mélange fabuleux une spécialité de mon père ».
Votre maison est magnifique!
C’est celle de Thomas aussi. Cette demeure appartient à la famille depuis le début du siècle. Ma mère Deborah Beaulieu y a vu le jour.
Possédez-vous une généalogie de votre famille jusqu’à Riain Lynch?
Drôle de façon de prononcer son prénom, gaélique, sans doute. Rien de formel en tout cas. Tout ce dont je me souviens c’est que ma grand-mère Grace O’Donnell Lynch était la fille du fils de Regina O’Donnell et de Ryan Lynch. Tiens Thomas tu pourrais entreprendre des recherches.
J’y ai déjà pensé d’autant plus que…
À table!
Père et fils se meuvent comme des ressorts. Ils expliquent, rieurs.
L’ordre ultime : une désobéissance et nous sommes morts!
J’ai dit : « À table! »
Thomas rapproche chaise et couvert de ceux de Cíaran. Silencieux les convives dégustent le soufflé. Thomas observe son ami du coin de l’oeil puis regarde sa mère en souriant; « merci » forment ses lèvres.
… Euh… Michelle c’est sublime!
Les autres font chorus. Elle rougit de plaisir.
En attendant la suite ne vous gênez pas pour fumer Cíaran.
Lui as-tu révélé tous mes défauts?
Hum… Les moins pires…
Les deux amoureux partagent une cigarette.
C’est quand même très néfaste à votre santé… Les…
Glissons sur la pipe que tu t’accordes de temps en temps et hors les statistiques…
En bon fils tu n’es pas censé pointer mes contradictions!
Cher papa.
Michelle réclame de l’aide. Hugh s’empresse. Thomas en profite pour embrasser Cíaran.
Je t’aime.
Moi aussi. Cesse de me tripoter c’est indécent!
Thomas s’esclaffe. Cíaran aussi finalement. Ils récidivent d’un baiser. Michelle apporte le repas principal immédiatement suivie de son époux. Thomas hume.
Super, des frites!
Et un océan de fruits de mer : calmars, moules, langoustines et pétoncles.
Excuse-moi maman mais tes pommes de terre sont vraiment les meilleures au monde! Goute, Cíaran.
… C’est vrai! Mais j’avoue que les bestioles marines me font flancher. Goute, Thomas.
… Conclusion unanime : c’est… euh… un must!
Autant Thomas que Cíaran se laissent aller à la gourmandise sous l’oeil indulgent de Michelle et Hugh lesquels ne peuvent toutefois s’empêcher de suspendre leurs mouvements maxillaires durant un bon moment. Apparemment les deux tourtereaux occupés à leurs dégustations ne s’en rendent pas compte. À touches presque imperceptibles Thomas aplanit les arêtes pour Cíaran à un point tel que ses maladresses habituelles s’oublient sans même que l’intéressé ne semble en avoir conscience.
Les assiettes repoussées Thomas et Cíaran récidivent d’une autre cigarette.
Et ce manuscrit?
Oserais-je en parler Thomas?
Seulement si tu glisses quelques commentaires uniquement flatteurs sur les progrès de ton élève.
Bien obligé si je ne veux pas perdre une source de revenus… Enfin la syndicalisation m’apparait de…
Non!
Voilà pour le « commentaire flatteur » : Thomas possède une intelligence exceptionnelle et maintenant qu’il a compris les principes de base, il avance à pas comptés mais assurés…
Comment réussis-tu à conserver son attention plus de cinq minutes?
La technique de la carotte et du baton.
Cíaran!
Désolé c’est sorti tout seul.
Excellente méthode pédagogique… que nous avons dû employer parfois.
Papa! … C’est vrai que je suis curieux de tout : il me surnomme saint Thomas.
On ne sait lequel prédestine : le prénom ou le rejeton.
Michelle redresse le fil qui traine en relançant Cíaran.
Pour en revenir au manuscrit de Riain Lynch nous en sommes au tiers environ. C’est un récit prenant, surprenant aussi. Connaitre aussi intimement la manière d’être d’un individu opposé à une telle tragédie et qui forcément vit avec une intensité peu commune et qu’il ne parvient pas lui-même à mesurer est déjà extraordinaire en soi. Ici, je ne parle pas d’héroïsme mais d’humanité faite des événements, personnels surtout, de son quotidien. La vie, l’amour, la haine et la mort dans toutes leurs dimensions démesurées… Pardonnez-moi je deviens prolixe.
Et passionnant à écouter!
Mon aède favori est un Artiste. Je vous ferai entendre/lire/voir In the purple of your eyes.
Voyons Thomas je ne crois pas…
Une seule contre-indication : ce qu’il crée secoue très fort l’âme… J’appelle cela « l’effet Cíaran »; ça étend raide pour un bout.
Vraiment Thomas… …
Soudainement les traits de Cíaran s’altèrent fortement. Il jette un regard désespéré à son ami.
Je crois qu’on va y aller… Il se fait tard… Suite la prochaine fois.
Je suis également fatiguée…
Je vous reconduis à ta voiture.
Appelle plutot un taxi, papa.
As-tu eu un accident?
Non… Je l’ai perdue…
« Perdue »?
C’est ça.
Ah… Tout de suite bien sûr.
Il s’éloigne en hâte. Sans se soucier de la présence maternelle, Thomas interroge Cíaran.
La droite? Celui-ci acquiesce. Thomas relève la jambe et la pose sur sa cuisse. Il masse doucement.
Rappelle-toi : canalise le mal vers mes doigts… Oublie tout… Concentre-toi mon amour.
Ils ferment les yeux au monde. Petit à petit le visage de Cíaran se détend et le rictus de douleur s’estompe. La figure de Thomas se crispe d’abord puis se rassérène. Cíaran pose la tête sur l’épaule de son ami. Michelle visiblement bouleversée s’éloigne discrètement. Thomas la rejoint dans la cuisine.
Parfois c’est difficile… Je…
Rien Thomas. Je comprends. Je t’aime.
Moi aussi maman. Merci…Pour l’autre fois…
J’ai compris l’effet et j’en devine la cause… Moi aussi parfois je me sens vulnérable…
Elle l’enserre tout contre elle. Ils se sourient, complices. Hugh s’encadre.
Le taxi…
Les deux jeunes hommes prennent congé.
… Je suis désolé Hugh.
Cíaran que le corps fasse défaut et Dieu sait que la mécanique est fragile n’est pas honteux en soi; c’est juste humain et nous le sommes tous… Le chauffeur s’impatiente.
Avant de partir, Thomas étreint son père. Il soutient son amour jusqu’au véhicule piaffant, l’aide à s’installer et fournit l’adresse. Cíaran s’endort immédiatement la tête sur l’épaule de son amant. À destination Thomas règle la course.
Pouvez-vous m’attendre une dizaine de minutes?
Aucun problème. À cette heure de la soirée c’est plutôt calme.
Cíaran est toujours profondément endormi. Thomas le transporte, les cannes accrochées aux bras. Il ne se réveille pas non plus quand Thomas le dépose à demi sur le sol afin de pouvoir ouvrir. Ni davantage quand il l’installe au lit et le déshabille. Thomas effleure ses lèvres puis sort.
Le taxi redémarre.
Votre ami semble malade…
Trop fatigué… mais il l’est pour la vie… Sclérose en plaques.
Ciel c’est l’enfer! Quand il l’a appris, après être devenu irrémédiablement biplégique, incontinent et impuissant mon cousin s’est tiré une balle dans la tête… Pardonnez-moi monsieur cela m’a tout remué otre déclaration!
Ne vous en faites pas… Quant au suicide j’ai l’intention de passer le reste de mes jours à le convaincre que la vie en vaut la peine malgré cela.
Excusez-moi à l’avance mais ce sera difficile.
Cela, je n’en doute aucunement.
Ils arrivent à la fin de la course.
Vous avez oublié de remettre en fonction votre compteur… Combien vous dois-je?
Rien si ce n’est un pardon pour mon indiscrétion et mon indélicatesse… Je vous en prie cela me fait plaisir.
Thomas le remercie et rentre.
Il est accueilli par le téléphone. Il décroche. Le silence répond.
Cíaran?
… C’est Lori… J’ai essayé de te joindre à maintes reprises… Je m’inquiétais…
… Je n’en vois vraiment aucun motif.
… Ta voiture… Elle traine devant l’entrée de l’immeuble depuis trois jours en infraction perpétuelle.
Je l’avais égarée.
J’ai récolté cinq contraventions sous l’essuie-glace… Viens les chercher en passant.
Merci Lori… C’est très gentil de ta part… J’arrive dans dix-quinze minutes.
Il attend au seuil. Elle entrebaille, lui remet les procès-verbaux auxquels il ajoute un sixième avant de les fourrer dans sa poche. La tête toujours baissée il ne s’aperçoit pas qu’elle pleure. Elle lui tend une liasse de feuillets.
… Les photocopies de mes notes de cours.
Il lève les yeux vers elle. Des larmes coulent en rigoles sur ses joues rasées de l’après-midi.
Thomas… Je ne peux pas…
J’ai compris… Merci pour tes comptes-rendus… Je… Bonsoir Lori.
Il s’éloigne. La porte se referme mais elle s’ouvre à nouveau immédiatement après.
… Veux-tu prendre un café?
Thomas hésite.
Je t’en prie.
Il acquiesce et la suit jusque dans la cuisine. Machinalement il l’aide dans ses préparatifs.
Pas comme tu le souhaites en tout cas.
Je ne comprends pas.
… Quand un homme et une femme se fréquentent ce n’est pas toujours dans la perspective de vouloir fonder une famille. C’est parce qu’ils éprouvent un attrait l’un envers l’autre, se découvrent des affinités, veulent simplement partager un bout de chemin puisqu’ils se trouvent bien ensemble.
Ils s’attablent l’un en face de l’autre.
Je suis différent Lori… Je ne sais pas baliser les sentiments… Je t’ai aperçu et j’ai été ébloui. Pour moi l’amour c’est viscéral. Sans toi, une partie de moi vit dans les ténèbres. C’est comme si je subsistais avec juste la moitié de l’eau qui permet de survivre… Et pour Cíaran j’éprouve la même chose.
Heureusement qu’il n’existe pas de troisième sexe!
Voire! Mais ce n’est pas drôle! Ce n’est aucunement se partager en deux en fait. Quand je suis avec lui je me sens entier. Quand j’étais avec toi je me sentais complet aussi.
Le mystère des mathématiques thomasiennes…
Pourquoi utilises-tu le sarcasme?
Parce que la démonstration se termine par CQFD et que j’ai tout compris! Et que je ne sais pas comment te dire autrement que tu dramatises inutilement!
Alors élabore pour mon intellect nain ce que je n’arrive pas à saisir par la rhétorique.
Sers-moi encore du café s’il te plait.
Il la rejoint au salon avec les tasses remplies.
Quand je pense à l’avenir la peur que j’en ai me rend incohérente et illogique. J’éprouve un énorme besoin de stabilité pour la contrer. Ce que je veux réellement faire de ma vie je n’en sais rien encore. Pour le moment je préfère vivre une journée à la fois. C’est l’unique intervalle de temps que je peux appréhender sans un sentiment de panique qui existait déjà mais que j’ai tenté de masquer avec tes propres rêves. Une décision comme celle de fonder une famille je ne suis pas en mesure de la prendre actuellement. Et je ne le serai peut-être jamais. C’est indépendant de toute relation amoureuse avec un homme toi ou un autre. Si un jour je me sens assez forte pour devenir mère c’est alors seulement que je songerai au père potentiel. Et l’amour que je peux ressentir ne sera probablement pas le critère en tête de liste. Je ne suis pas comme toi Thomas. Trop cartésienne sous cet aspect du moins… As-tu demandé à ton ami de t’épouser?
Il ne veut même pas en entendre parler.
C’est ça moi non plus. Est-ce qu’il t’aime?
Il dit que j’illumine ses ténèbres… Oui à sa façon… Il croit que l’amour est une catastrophe.
Moi aussi, à ma manière… Et il a tout à fait raison pour le fléau.
… Sois encore plus lumineuse Lori.
J’ai évalué sur des apparences et c’est là mon tort. La jalousie est un sentiment incongru entre deux personnes qui tentent d’établir une relation basée sur la confiance mutuelle. Et j’ai provoqué la situation en voulant museler tes confidences alors que tu avais plutot besoin d’une oreille pour épancher tes profonds bouleversements intérieurs. Je ne sais pas si je pourrai devenir ton amie et je ne peux m’empêcher d’être jalouse de lui… Veux-tu de moi même ainsi?
Il subsiste beaucoup de rancune n’est-ce pas?
Oui mais tu peux agir là-dessus… Thomas?
… Je me sens paralysé devant toi; je suis incapable de réagir… Je t’aime.
Je t’aime Thomas… Dénude-toi.
Il obtempère, les joues rosées. Elle examine chaque détail de son architecture masculine et virile alors qu’il se tient immobile devant elle. Mis en désir son souffle s’accélère. Elle se lève brusquement.
Étends-toi sur le dos.
Il s’exécute. Elle dénoue son ceinturon et s’échappe de son vêtement.
Tu es une déesse.
Conservant une jambe au sol elle enjambe la tête de Thomas, colle sa vulve aux lèvres accueillantes. Il lèche le clitoris, enfonce sa langue dans son vagin. Suivant ses réactions, il alterne les stimulations clitoridiennes et vaginales. Quand elle jouit, il se déplace afin de pouvoir atteindre son orifice anal. Elle fige. Se laisse faire. Gémit de plaisir alors qu’il s’active. Elle feule. D’un mouvement vif, elle se meut et le chevauche. Il l’enserre aux hanches. Elle déplace les mains vers ses seins. Son va-et-vient rapide se transforme graduellement en lancinantes ondulations lesquelles cessent. Ils se regardent intensément. Les yeux de Thomas s’écarquillent soudain et il cesse de respirer. Les eaux exsudent abondamment de leurs corps. Seul le ventre de Lori animé d’une légère mouvance témoigne de sa prise de possession. Cela et les prunelles de Thomas totalement captivées par la Femme. La tête rejetée vers l’arrière, elle émet une longue plainte lors qu’il explose en râlant sourdement. Saisis de tremblements ils se resserrent l’un contre l’autre. Thomas offre ses lèvres. Elle les parcourt de sa langue laquelle pénètre la bouche cherchant l’autre et s’y enroulant. Ils demeurent enlacés jusqu’à l’inévitable inconfort.
Ils prennent une douche. Ils se stimulent mutuellement d’attouchements directs sur leurs organes génitaux. Elle accroche ses bras autour du cou de Thomas. Il la soulève et enfouit sa verge à l’intérieur de la vulve offerte. Devenu mâle en rut, il possède sa femelle et de plus en plus rapidement. Modifiant sa position il approfondit la pénétration. Fortement secouée, Lori se lamente, puis se tait. Les yeux de Thomas la transpercent et la fouillent. Elle s’abandonne à lui. Leur jouissance est assourdissante.
Vendredi 24 avril
À la dixième sonnerie Cíaran répond.
Salut.
Qu’est-ce qui se passe?
… Rien.
J’ai tenté de te joindre tous les soirs depuis lundi. Tu aurais pu au moins décrocher et m’engueuler de ne pas te ficher la paix! Je suis aussi allé chez toi mardi histoire de vérifier si tout allait bien. J’ai fait le pied de grue une bonne partie de la soirée faute d’invite. N’importe quel signe de vie aurait suffi à calmer mon angoisse!
… Désolé Thomas… Je ne suis pas rentré de la semaine… Et je n’étais pas en état de communiquer avec qui que ce soit… Même avec quelqu’un que j’aime… Peux-tu accepter cela comme réponse et que l’on s’occupe à autre chose? Baiser par exemple?
Pour la bagatelle je suis comme un boy-scout : toujours prêt. Mais sois certain que je vais prendre tous les moyens même malhonnêtes pour te tirer les vers du nez.
Je t’attends de pieds, et de verge, presque fermes…
Avant de partir Thomas téléphone chez Lori.
C’est fantastique Thomas! Comment te remercier? C’est vraiment impeccable. Je n’aurais jamais pu faire aussi bien en un si court délai… Je me sens coupable d’accoler mon nom au tien alors que…
Cesse! J’avais tout mon temps et c’est la moindre des choses… Euh… Lori je… enfin je…
Passes-tu la fin de semaine avec… ton ami?
… Au moins jusqu’à demain…
… Je m’y attendais… C’était implicite dans mon acceptation de l’état de fait.
Elle raccroche.
Thomas s’occupe ensuite d’acquitter la demi-douzaine de constats délictueux. Il fait le plein. Arrivé à bon port il gare le véhicule dans l’espace de stationnement réservé, vérifie que ses phares sont bien éteints et verrouille les portières. Au lieu de monter les escaliers quatre à quatre comme il en a pris l’habitude, il attend patiemment l’ascenseur poussif. Cíaran piétine sur le seuil.
Tu en a mis, du temps!
Une peccadille sans commune mesure avec mon attente!
Cíaran ouvre la bouche puis renonce à commenter. Il laisse entrer Thomas.
Cela ne te concerne en rien!
Belle façon d’établir un climat de confiance!
Je n’emploie pas mes loisirs à scruter ta vie!
Moi non plus Cíaran. Mais n’est-ce pas légitime de m’inquiéter alors que l’homme que j’aime disparait pendant cinq jours sans laisser de traces?
Cíaran ne répond pas. Il place un disque compact sur la chaine. Il s’assoit à un bout du canapé Thomas à l’autre. Ils écoutent, aussi muets que des carpes laissant passer l’orage de l’affrontement.
Qu’est-ce que c’était?
Concertos nos 2 et 3 de Sergei Rachmaninov.
Magnifique!
Oui… Henry aimait particulièrement ce compositeur.
Les larmes sillonnent en ruisseaux sur ses joues.
C’était mon ami, mon amant, mon mentor et mon père tout à la fois.
Les sanglots redoublent puis se calment.
Il m’a permis de vivre et m’en a redonné le gout. C’est lui qui m’a sorti de l’enfer avant. Parfois il aimait m’enculer alors que je lui lisais Hombres de Paul Verlaine et il corrigeait mes délires poétiques lors que je le sodomisais. Je lui dois tout ce que je suis devenu. Il m’a donné la vie et il est mort!
Thomas se rapproche. Cíaran se réfugie entre ses bras.
Nous dinions à la cafétéria de la résidence comme nous le faisions chaque lundi invariablement, depuis plusieurs années. Henry est… était un homme d’habitudes… Il s’est effondré brusquement, la tête sur la table et dans la soupe. Des gens m’ont aidé à l’étendre sur le sol. Le médecin en service s’est précipité. Sous la pression de ses doigts magiques le coeur d’Henry s’est remis à battre. Il a été, immédiatement, transporté à l’urgence de l’hôpital du Sacré-Coeur puis aux soins intensifs. Il n’a pas repris conscience. Il a fait un second arrêt cardiaque. Les tentatives de réanimation sont restées vaines cette fois. J’aurais voulu lui donner le mien!
Thomas resserre son étreinte. Les pleurs de Cíaran se tarissent.
Ensuite?
Je ne sais pas Thomas. J’ignore complètement ce que j’ai fait. Je me suis réveillé ce matin… en piètre état… mais en un seul morceau disons. J’ai probablement erré. J’ai dû perdre mon portefeuille ou encore on me l’a volé avec au moins cent dollars dedans. Et j’ai perdu mes cannes.
… Et ta médication?
Quoi? … Quand j’éprouve des douleurs excessives je prends du Tylenol Thomas… Tu es beaucoup plus efficace par ailleurs… Quant à l’artillerie lourde, cela ne m’apparait pas approprié compte tenu du résultat escompté.
Est-ce aussi l’avis de ton médecin?
Cesse de me pousser dans mes retranchements! J’ai pris mes distances avec l’engrenage médical. La sclérose en plaques ne se guérit pas saint Thomas! Maintenant si tu poses une autre question je te mets à la porte!
Et si on baisait?
Cíaran le retient alors qu’il s’apprête à se lever.
Ne pars pas! On ne doit pas toujours prendre au pied de la lettre mes déclarations impatientes! Embrasse-moi en signe de paix.
Baiser de passion, mutuelle. À la montée du désir leurs mains s’égarent sur l’autre.
Et si nous nous installions plus confortablement?
Lorsqu’il tend à son amant ce qu’il a sorti d’un sachet de plastique les joues de Thomas virent au rosé délicat. Cíaran siffle.
Sain(t) Thomas qui apporte du matériel pornographique!
Il a servi à mon éducation homosexuelle… J’ai voulu voir comment cela se passait côté mécanique du moins.
Cíaran feuillette le magazine en même temps que Thomas.
… J’aime bien la manière dont tu fais tes apprentissages… Tu pourrais me faire partager ton expérience pendant l’action même…
Tu pourrais commencer par un effeuillage.
Thomas s’étend de flanc sur le lit. Le souffle en suspension il détaille l’anatomie filiforme au fur et à mesure de l’effeuillement lascif.
À toi ô mon amant.
Empreints de timidité les gestes de Thomas s’accordent à l’incarnat du teint. Les paupières mi-closes Cíaran suit attentivement la progression du dénuement. Fréquemment il humecte ses lèvres.
Appuie sur Play.
Thomas se glisse derrière son ami en position assise. Il caresse le thorax glabre couvre la nuque et les épaules de baisers. Cíaran s’étire pour saisir le tube de lubrifiant et le tend à Thomas.
Étends-toi sur le dos. Cale ta tête sur plusieurs oreillers.
Cíaran le chevauche dos tourné puis il se couche sur lui.
Fourre-moi lentement, pour que ça dure toute l’éternité.
Thomas prend aussi possession de l’axe rigide de son amant. Longtemps après Cíaran murmure.
Piano aussi et pour la même raison… Remonte tes genoux en accents circonflexes pour approfondir… Raconte.
J’imaginais que c’était toi qui posais ces gestes sur moi… qui me suçais et me fouillais de tes doigts. Je te faisais la même chose ensuite.
Pendant ce temps est-ce que tu te masturbais?
J’étais très excité… J’ai éjaculé très vite mais je suis resté bandé… En pensée, je t’ai sodomisé puis tu m’as enculé… Alors que tu jouissais au tréfonds de moi j’ai…
Thomas crie longuement.
… Fait comme maintenant.
Cíaran libère son amant en se glissant sur le côté. Sa voix est rauque.
Tes paroles me stimulent davantage que la vidéo… Prosterne-toi… Enserre ton phallus entre tes cuisses.
Thomas sursaute à la sensation froide à l’orée de son orifice anal. Cíaran le couvre de tout son corps et le comble au dedans. Son lancinant va-et-vient se ponctue de gémissements étouffés et doubles.
Une chose dont le film ne pouvait pas te donner la moindre idée?
Le bonheur et la douleur de t’appartenir Cíaran… Oui!
Secoués de violents spasmes ils crient fort. Les yeux dans les yeux ensuite encore essoufflés. Cíaran caresse la joue rêche, Thomas triture la mèche verte. Leurs lèvres se joignent en baiser tendre.
Tu deviens accro à moi : je t’avais prévenu que l’habitude croit avec l’usage… Et même la mécanique fonctionne à l’unisson du moteur.
On dirait… Avec toi aux alentours je deviens presque heureux. Tu cicatrises les plaies ouvertes.
Remède pour ton coeur et garde de ton corps : ces fonctions me plaisent… Cíaran?
Mais il s’est endormi. Thomas se lève, fait sa toilette intime, se cultive ensuite en lisant la poésie leste de Paul Verlaine, Femmes, d’abord, puis Hombres. Après un examen sommaire du contenu du frigo, Thomas se vêt puis sort. Les courses lui prennent une demi-heure. Au retour il trouve Cíaran en contemplation méditative devant le réfrigérateur vide.
Ça ne produit pas encore de nourriture…
Où étais-tu?
Devine. As-tu faim?
Devine! … Déjà dix-huit heures!
Tu manquais de sommeil sans doute… Je vais cuisiner des keftés. Tu vas trouver que c’est délicieux! J’ai observé ma mère en préparer. Dommage que Lori soit végétarienne.
Tu as renoué avec elle! … D’une certaine façon c’est tant mieux…
Pourquoi dis-tu cela et avec cette tête d’enterrement?
Tu m’as fait comprendre qu’elle est nécessaire à ton bonheur… Je n’aurais jamais imaginé qu’un jour je devienne jaloux à cause d’une femme! C’est mon problème… Le seul avantage que j’y vois c’est que je vais pouvoir respirer un peu : parfois, tu pompes l’air et occupes tout l’espace… Ce n’est aucunement un reproche Thomas. Et c’est davantage lié au fait que je suis incapable de suivre ton rythme… tout en le souhaitant de tout mon être… Et cette bouffe mon amour?
Thomas place devant lui tout ce dont il a besoin.
Et voilà. Dans un grand bol on mélange quatre biscottes écrasées en miette… Où caches-tu le rouleau à pâtisserie?
Je n’en possède pas.
… Dans un sachet en plastique donc on place le pain sec, on referme hermétiquement puis on lance contre le mur… plusieurs fois… pour qu’il s’émiette; après on triture histoire de raffiner la chapelure… À celle-ci on ajoute… une demi-cuillère à thé de sel… et le quart de poivre… quatre de farine… et une de marjolaine… Qu’est-ce qui manque? Ah oui : un oignon haché finement… Je déteste ce triste épisode : je finis toujours par pleurer! … J’ajoute à ma préparation une demi-livre de boeuf haché émacié et je mélange…
C’est dégoutant!
N’est-ce pas? … J’ai omis un ingrédient important! Casse un oeuf s’il te plait.
… Beurk!
J’admets que l’aspect actuel est peu ragoutant… Fais-moi confiance : je suis un Chef! Je mêle le tout avec les mains préalablement récurées tout de même… Ensuite on doit confectionner de toutes petites galettes…
As-tu besoin d’une assiette pour les y déposer?
… Merci… Et que tu ouvres les valves… J’ai horreur d’avoir les mains souillées!
Ça ne parait pas… Est-ce que cela se mange à la tartare? J’ai vraiment faim!
Un peu de patience. On doit les saisir puis griller dans l’huile d’olive.
Pendant que la préparation cuit « en un clin d’oeil » Cíaran met la table.
Pas besoin d’ustensiles… J’ai acheté du vin rouge.
Je ne possède pas de tire-bouchon.
La bouteille n’est pas munie d’un bouchon de liège… Où se trouvent les coupes?
À gauche mais il faudrait les laver.
Je m’en occupe… As-tu un ouvre-boite?
Tiroir à droite… Qu’est-ce que c’est?
Des dolmas : feuilles de vigne farcies de riz et d’épices… D’origine méditerranéenne… On n’a qu’à les égoutter sur un papier absorbant… Fais-le s’il te plait. Les palets sont fin prêts.Thomas enferme chacune d’eux dans un pain pita miniature. Cíaran garnit les assiettes des rouleaux. Ils s’attablent affamés.
Chapeau bas au grand Chef!
Sous ton regard et avec ton assistance ce n’était pas une corvée.
De te voir réussir ces délices avec des gestes si maladroits s’avère plutôt réjouissant…
Franchement Thomas je vais finir par me trouver contraint à te demander en mariage…
La meilleure façon de conquérir un homme, c’est en flattant son estomac donc! … Tu dévores!
J’ai l’impression de ne pas avoir mangé depuis plusieurs jours. C’est tellement bon!
Pour compléter j’ai acheté un camembert et de la tomme de Savoie.
Quel festin! … Tu me fais vivre de merveilleux moments Thomas… Avec toi le quotidien se colore d’un prisme étendu… Tu me fais savourer la vie.
Une tartine de fromage?
Cíaran en saisit la moitié entre ses dents Thomas l’autre. Leurs regards pétillent du bonheur d’être et de l’être ensemble.
Repu Thomas se lève de table.
Je m’occupe de débarrasser.
Et moi de la vaisselle.
Ils vaquent à leurs occupations respectives. Un cri fait se retourner Thomas.
Ce n’est rien… Je me suis coupé… Apporte-moi un pansement… deux plutôt.
En voyant la blessure Thomas palit. Il ferme l’arrivée d’eau chaude, augmente l’intensité de la froide. Sous le jet il examine la plaie d’un peu plus près.
C’est trop profond. On va à l’hôpital.
Ça ne va pas, la tête! C’est juste une toute petite blessure de rien du tout!
Je suis fils de médecin et ex-gamin le plus casse-cou de la planète : je sais reconnaitre une urgence!
Thomas se saisit d’un linge à vaisselle et enveloppe la main de Cíaran. La serviette s’imbibe instantanément… S’emparant d’une autre Thomas comprime la plaie.
Je ne peux pas sortir : je suis en pantoufles!
Pas grave.
Mais Thomas!
Pas le choix.
Thomas lui tend une des deux cannes accrochées à la poignée de la porte.
Cadeau de ton amoureux. Viens vite. Je parie pour six points de suture… peut être deux ou plutôt trois de plus. Si j’ai raison je gagne une confidence.
Exsangue Cíaran n’émet plus aucune protestation et se laisse emmener.
Les formalités d’admission s’avèrent couteuses puisque Cíaran a égaré sa carte d’assurance-maladie lors de son périple amnésique. « Ces frais vous seront remboursés sur réclamation » assure l’aimable préposé à Thomas. Ils s’assoient au milieu de la foule d’éclopés plus ou moins graves.
Je pourrais passer à la clinique demain matin…
Et risquer l’infection? On reste. Cíaran c’est important de soigner cela le plus tôt possible. C’est mineur quand même! Pourquoi réagis-tu ainsi?
Cíaran pose la tête sur l’épaule de Thomas lequel l’entoure de son bras.
… J’éprouve un sentiment de panique très violent devant tout acte médical même une simple prise de sang… Je ne sais pas pourquoi. C’est une véritable phobie. Thomas je veux rentrer!
Du calme mon amour!
Thomas resserre son étreinte et s’empare des lèvres tremblantes. Ensuite il chuchote à son oreille.
Je suis là avec toi. Et quand je suis là la douleur s’en va d’accord?
Cíaran acquiesce. Thomas colle sa joue contre la tête aimée. Cíaran ferme les paupières. Sa figure crispée se détend petit à petit et il s’endort. Thomas émet un soupir de soulagement. En levant les yeux il se rend compte que leur couple est l’objet d’une attention curieuse. Des sourires indulgents ou attendris se forment sur des figures inconnues. Vaguement gêné Thomas baisse les yeux. Le temps s’étire dans l’impuissance de l’attente.
Plusieurs heures plus tard lorsque l’appel de son nom écorché retentit Cíaran fait un bond sur sa chaise. Son teint devient blafard et Thomas doit le soutenir jusqu’à la salle d’examen où il l’aide à s’asseoir sur le bord d’une civière trop haute.
Mon ami s’est infligé une profonde coupure à la paume.
Mais…
Ça c’est la peur et je m’en charge.
La jeune femme se concentre sur la plaie. Thomas se hisse tout contre Cíaran entoure ses épaules et accapare sa bouche. Pendant ce temps, la doctoresse nettoie soigneusement la blessure après l’avoir insensibilisé. Elle en fait la couture puis panse.
Voilà c’est fini!
Les deux tourtereaux se désunissent. Cíaran l’air ahuri contemple le bandage.
Vous ne devez pas mouiller votre main durant une semaine. Les neuf points de suture pourront être enlevés en consultation externe; le médecin examinera également l’état de la blessure… Je constate que les méthodes… originales de votre ami font aussi merveille au teint… Bonne fin de soirée, messieurs.
Elle s’éloigne d’un pas pressé.
Yes! J’ai gagné mon pari! Cíaran le dévisage la mine furibonde. Il s’adoucit presque aussitôt.
… Tu connais maintenant toutes mes faiblesses… Je suis désolé, Thomas.
N’aie pas honte de tes peurs. J’en ai aussi mais autres c’est tout. Rentrons mon amour.
Durant le trajet de retour et visiblement à bout de force Cíaran peine à garder les paupières levées. Aussitôt à l’intérieur il se jette sur le lit et sombre. Thomas le dévêt entièrement. Ses gestes sont tendres. Il le borde puis termine de ranger la cuisine avant de se coucher à son tour.
Au milieu de la nuit un gémissement réveille Thomas. D’un oeil il apprécie la situation. Il ouvre l’autre et se rapproche du champ d’intérêt éclairé par la lueur de la télévision muette mais théatre d’ébats au masculin très pornographiques. Cíaran se masturbe fébrilement de sa main valide.
Un doigt d’honneur?
L’autre acquiesce en écartant les cuisses. Le majeur de Thomas s’active tandis que lui-même se caresse avec vigueur. Leurs regards font la navette entre l’écran et les organes génitaux de l’autre. Au paroxysme imminent ils se déplacent afin de recueillir la sève jaillissante. Ils mélangent ensuite leur salive et emmêlent leurs corps.
Samedi 25 avril
Réveillé en sursaut par un bruit sourd Thomas se lève d’une traite mais fige au seuil. Il attend. Les bruits habituels reprennent. Thomas retourne se coucher. Trente secondes plus tard un fracas se fait entendre. Il s’assoit au bord du lit. À la troisième alerte tout son corps se tend vers le lieu du désastre. Au lieu de s’y diriger il se rend à la salle de bain. Il prend une douche, s’essuie soigneusement, ceint ses reins d’un drap de ratine. Cíaran le hèle.
Le déjeuner est servi!
Qu’est-ce qu’on mange?
Des oeufs à la coque et du bacon.
Miam!
Thomas se penche pour déposer un baiser au creux du cou de son ami. Cíaran caresse la joue rêche. Thomas réussit à retenir ses larmes.
Où sont les rôties?
J’allais justement m’en occuper.
Il roule jusqu’au grille-pain, fait rotir quatre tranches qu’il place dans une assiette celle-ci sur ses genoux. La chaise fait une embardée quand elle heurte un poêlon renversé. Thomas rattrape de justesse le pain et le tartine de beurre.
Viens manger mon amour : on nettoiera plus tard.
C’est tout froid, maintenant!
Mais pas les tartines et c’est là l’essentiel.
Ils mangent en silence. Petit à petit Cíaran recouvre son calme. Pendant que le café est filtré Thomas répare les dégats. Ils partagent une cigarette en sirotant leur boisson.
Merci de ne pas être venu tout à l’heure.
Je tire les leçons de l’expérience.
Et moi non. Je gère mes revenus comme une cigale et maintenant je me retrouve endetté jusqu’au cou ainsi qu’au chômage pour je ne sais pas combien de temps.
On reprend le travail sur le manuscrit, c’est tout : cela remboursera tes dettes. Et puis Cíaran…
Celui-ci devient livide. La tasse se renverse sur la table.
Où as-tu mal?
Au coeur Thomas, au coeur… Va ouvrir… Mais donne-moi trente secondes de répit.
Au même moment le timbre vrille dans leurs oreilles puis bisse. Thomas s’encadre dans l’embrasure. La frêle jeune femme ouvre grand les yeux alors qu’elle lève lentement la tête. Petite de taille donc, au moins un pied de moins que Thomas. Entièrement vêtue de noir : bottillons, jean et chandail court à manches longues ajustés sur une silhouette séduisante. Sa chevelure violette mi-longue et raide encadre un visage triangulaire. Violets aussi les sourcils et les lèvres. Les yeux et leur pourtour ainsi que le nez ressemblent en plus délicat à ceux de son frère. Sa voix sèche tire Thomas de sa contemplation.
Un autre beau mâle perdu pour la perpétuation de l’espèce.
Thomas rosit puis palit.
Charmantes ces nuances au teint.
Fais entrer Nuala Thomas.
Tu perds le pouvoir Cíaran?
Qu’est-ce que tu veux?
Un entretien avec toi et seule à seul.
… Non reste Thomas. J’ai besoin de ton présent pour affronter mon passé.
Thomas prend place à côté de Cíaran sur le canapé apparemment inconscient de sa semi-nudité. Nuala déplace le fauteuil pour se trouver face à face avec son frère.
Plutot que de nager dans l’interprétation j’attends des explications.
Relatives à quoi au juste?
À ton comportement des derniers jours évidemment!
… Je n’ai conservé aucun souvenir de ce que j’ai dit ou fait depuis lundi soir jusqu’à hier après-midi.
… La raison de cette étrange amnésie?
Je ne sais pas. J’ai été fortement perturbé par la mort… d’un ami. J’ai erré je crois.
Maman aussi a été secouée!
… Raconte-moi.
Thomas se saisit de la main animée de secousses et l’enserre entre les siennes.
Jeudi à la tombée du jour j’ai remarqué un homme qui se promenait de long en large en gesticulant sur le trottoir opposé à notre maison. Il titubait, tombait, se relevait et recommençait son va-et-vient secoué par des tremblements fréquents. J’ai pensé qu’il devait être sous l’influence de la drogue ou plutot en manque. Le manège m’a intriguée et je suis sortie… Tu as levé le regard vers moi… Neuf ans c’est long mais tes yeux ne changeront jamais. Je t’ai hélé… Tu t’es enfui et je n’ai pas eu la présence d’esprit de me mettre immédiatement à ta poursuite. Je suis rentrée. Maman est arrivée un quart d’heure plus tard. Je ne lui ai rien dit de ta bizarre réapparition…
Elle s’interrompt lorsque Cíaran se tourne vers Thomas, lequel semble comprendre. Il revient avec un cendrier et des cigarettes. Avant de se rasseoir il aère. Thomas allume une cigarette puis la tend à Cíaran. Nuala reprend son récit.
Vendredi matin j’ai entendu un grand cri en provenance de la chambre de notre mère. Puis elle a hurlé itérativement ton prénom la fenêtre grande ouverte. Je l’ai ramassée sur le plancher. Cette nouvelle disparition après tant d’années de recherches infructueuses… Je lui ai raconté que je t’avais aperçu hier soir et que probablement tu reviendrais, que tu aurais, sans doute besoin d’aide, enfin tout ce que tu peux imaginer pour lui éviter un malaise cardiaque… Il m’a fallu toute une journée d’errance pour te retrouver… Tu dormais sur un banc. Tu étais sale à faire peur, secoué de soubresauts intermittents. Je ne me suis pas approchée parce que j’avais décidé de t’épier un bout de temps afin de tenter de comprendre et surtout de trouver ton gite si tu en possédais un ce dont je commençais à douter fortement. Passe-m’en une aussi… Merci… euh… Thomas. Il t’a fallu trois heures de marche saccadée pour que tu aboutisses ici. J’ai parcouru tout l’immeuble pour trouver quel était ton numéro de porte. J’ai senti ta présence mais apparemment pas toi. Je suis rentrée pour voir comment allait maman… Elle a une crise de mutisme…
Le silence s’appesantit longuement.
Ne me fait pas croire que nul avis de recherche, qu’aucun message à la radio, ni même un entrefilet dans les journaux, ne t’ont rejoint!
Je lis la rubrique nécrologique et je savais que vous me recherchiez intensément depuis quatre ans…
À cause de cela nous n’avons pas déménagé… Pourquoi?
… Parce que je ne voulais pas renouer avec le passé… J’ai vécu des moments difficiles disons.
Toujours aussi égoïste et fier!
Cíaran ne réplique pas. Thomas s’interpose.
Je crois qu’elle a le droit de savoir pour comprendre.
Non! … Tu as raison… J’ai déjà été dépendant aux stupéfiants mais c’est chose du passé; je ne bois pas non plus et je ne suis pas atteint du SIDA… quoique j’aurais préféré puisqu’on en meurt plus rapidement…
Cíaran!
Désolé Thomas… Mais jusqu’à ce que je te rencontre c’était ma manière de voir les choses… Je « vis » avec la sclérose en plaques.
… Euh… Qu’est-ce que c’est?
Une maladie auto-immune qui même si elle n’est pas mortelle mène inéluctablement et à plus ou moins longue échéance vers l’état virtuel de légume. Par la grâce de Dieu Thomas explique-lui pendant que je vais aux toilettes!
Thomas se lève pour avancer la chaise roulante inaccessible depuis qu’il l’avait dissimulé subrepticement aux regards. Il soutient Cíaran lors du transit. Sans mot dire la jeune femme observe. Cíaran s’éloigne vers son but. Posément Thomas expose à Nuala le résultat de ses propres recherches et expériences.
… Tu l’aimes?
Je me suis dédié à lui.
Lorsque Cíaran revient le regard de Nuala s’est considérablement adouci.
Seulement quand je pourrai marcher… Dans quelques jours… ou quelques mois.
Je la préviens et elle décidera. Peu importe les roues.
Ne me force pas à disparaitre définitivement cette fois.
Tu es cruel.
Non. Juste égoïste et fier… Et j’ai besoin de déverrouiller quelques serrures dans mon esprit… Je ne refuse pas Nuala… Je devais le souhaiter inconsciemment puisque j’ai erré jusqu’au bercail… Pars maintenant je t’en prie… Ce n’est pas un rejet.
Nuala hoche la tête mais conserve les yeux baissés. S’emparant du paquet de cigarettes et d’un crayon elle écrit son prénom, en lettres détachées suivies d’un numéro de téléphone. Elle remet les objets sur la table et s’en va en refermant doucement. Cíaran demeure immobile l’air hébété.
Je décrète une sieste d’après déjeuner.
Il ne répond pas, se laisse pousser jusqu’à sa chambre puis installer au lit.
Thomas et Cíaran regardent le plafond durant une bonne heure. La crise de larmes du second dans les bras du premier en dure autant. Puis tout d’une traite Cíaran narre.
J’adorais mon père. C’était un homme dur, vindicatif, violent même quand il buvait. Tout le monde prenait son trou dans ces moments-là. Mais j’admirais sa force de caractère, sa fierté, son sens du devoir, sa droiture. La discipline à laquelle j’étais contraint de me soumettre, je ne m’en plaignais pas; elle me sécurisait plutot. Toute mon enfance et mon adolescence je me suis efforcé de grimper à la hauteur de ses aspirations. Je me suis même forcé à jouer au soccer. Cela me désespérait d’avoir l’air d’un gringalet. Aussi je me suis exercé vainement avec des poids et des haltères. À l’école j’accumulais les performances juste pour voir son sourire de satisfaction à la vue de mes notes. À l’âge où les garçons s’intéressent aux filles je me suis trouvé différent. En fait le problème de m’accepter comme homophile ne m’a jamais troublé outre mesure. S’il existe une chose que l’être humain ne peut que difficilement voire impossiblement controler ce sont ses pulsions sexuelles et affectives. Bref mon souci était plutôt de dissimuler l’état de fait à mon paternel puisque le connaissant je redoutais ses réactions. Oliver mon ami depuis toujours dormait souvent chez nous puisque nous étudiions ensemble. De coucher à ses côtés sans pouvoir le toucher est devenu petit à petit une torture. Une nuit toutes lumières éteintes j’ai posé la main sur son caleçon et l’y ai laissé. Son sexe s’est déployé. Je me suis enhardi et je l’ai masturbé. J’ai gouté un homme, pour la première fois. Durant la journée il n’a fait aucune allusion à ce qui s’était passé et n’a pas modifié son comportement. Sans rechercher les occasions où nous partagions notre couche il ne les évitait pas non plus. La masturbation est graduellement devenue mutuelle puis la fellation aussi. De la noirceur clandestine nous avons évolué vers la lumière de la lampe de voir ajoutant à notre plaisir défendu. Malgré son hétérosexualité avouée Oliver me désirais mais davantage comme si j’avais été une femme. En même temps il regrettait de se trouver incapable de se donner à moi. Je lui ai demandé de me prendre, cette nuit-là. Il y a consenti. Son pénis à l’intérieur de mon antre vierge me sodomisant enfin. J’étais exalté. La douleur et le plaisir m’ont fait jouir. Ce moment de pure extase charnelle m’a empêché de percevoir mon signal d’alarme… L’auteur de mes jours a envoyé Oliver valdinguer sur le mur. Encore sonné celui-ci a repris ses affaires et s’est sauvé à toutes jambes. Ensuite mon père s’est tourné vers moi. Il ne disait rien, me regardait dégouté. Il s’est ébranlé, m’a pris par la peau du cou et m’a poussé vers la porte. J’ai déboulé l’escalier jusqu’en bas. Il a jeté vers moi mes vêtements de la veille ainsi que mes chaussures. Il est descendu et a ouvert en grand l’entrée. Nu encore avec mes effets sous le bras je suis sorti. Il a refermé derrière moi. Depuis ce bruit sec de serrure verrouillée me hante… Pour lui rien ne comptait plus que cela tout le reste réduit au néant. Je me souviens, me sentant un rat d’égout, m’être mis à courir comme un dératé toujours dans le plus simple appareil…Cíaran pleure de longs sanglots hoquetant jusqu’à ce que le sommeil agité prenne la relève.
Durant les trois heures et demie que dure la sieste de son ami, Thomas range la cuisine, nettoie le salon et travaille sur le manuscrit. Il rejoint Cíaran ensuite, sommeille affalé à plat ventre. Des baisers dans son cou le réveille. Cíaran appuyé sur ses genoux le surplombe son phallus niché à l’orée de l’anus. D’un coup de rein Thomas le prend à l’intérieur de lui. Cíaran modifie légèrement l’angle de sa pénétration.
… Je ne peux pas bouger ainsi… mais c’est tellement bon!
Laisse-toi approfondir alors.
Thomas s’abandonne en gémissant. En parfaite symbiose ils atteignent ensemble leur sommet. Longtemps après ils se détendent au bain.
Tu noteras que j’ai fait trois heures de traduction cet après-midi et tu incluras le temps nécessaire pour corriger. C’est non négociable.
… D’accord patron.
Je te défie de trouver une seule faute.
Je te jure de disséquer ton travail et de m’efforcer de dénicher la bibitte si minuscule soit-elle juste pour te rabattre un peu le caquet!
Je veux te le faire. Comme toi tout à l’heure mais tout de suite.
… Je vois que tu as planifié le forfait que tu t’apprêtes à commettre avec enthousiasme!
Thomas repose le tube sur le rebord de la baignoire. Maladroitement Cíaran se déplace puis se soumet au joug de son amant son propre organe calé entre ses cuisses. Commencé en douceur, leur acte d’amour se transforme en violente et interminable passion à l’apogée d’une intensité insoutenable. Thomas sort de l’eau en premier et s’assèche. Il aide ensuite Cíaran assis sur le banc utilitaire à faire de même.
Veux-tu que je te laisse seul?
J’ai beaucoup de choses à assimiler disons… Et l’amour que je ressens pour toi n’en est pas la moindre…
Je réitère ma demande.
… Ça me fait peur Thomas… En plus ce serait handicaper ta vie.
Tu n’as pas encore compris que c’est le contraire!
Franchement non.
Dimanche 26 avril
Thomas décroche immédiatement.
Allô…
Tu deviens prudent!
Je tire les leçons de l’expérience. Salut, mon amour.
Cela aurait pu constituer aussi une entrée en matière au sens double et moins banale.
Tu as tout à fait raison : j’essaierai la prochaine fois… Comment survis-tu?
Raidement mais tout est prêt pour le point de cette semaine. Et toi? Non ne réponds pas : je devine. J’avais prévu le cas : j’ai photocopié mes notes et mes synopsis.
Tu es bonne.
Extrêmement lasse surtout : j’ai travaillé toute la nuit histoire de terminer au plus sacrant. J’en ai marre!
Besoin d’un exutoire
On dirait… Et d’un massage. Ça se fait le jour du seigneur et à dix heures du matin?
Sur chaque pore de ta peau fine… Apporte l’huile sainte, ton magnifique corps et tout ce qui va avec l’esprit malsain.
Chez toi! … C’est vrai que j’ai autant de misère à regarder mes murs qu’à dormir… J’accours avec le tout. Je t’aime.
Et moi encore plus. Viens vite… Dois-je me vêtir décemment?
Tenue du premier homme sur terre exigée.
Avant son arrivée Thomas effectue quelques préparatifs et dérangements. Il sort de la douche quand elle surgit.
Seul cette fois.
Je te suis reconnaissant de m’avoir prévenu… Les explications auraient été moins difficiles autrement.
Peut-être… Pour un primitif tu es beau… Et tout à fait indécent.
Thomas rosit. Lori sourit. Ils s’étreignent puis s’embrassent passionnément. Alors qu’elle pose son oreille sur la poitrine musclée son oeil accroche la table basse.
L’autre fois c’était d’un genre différent.
C’était ma manière de faire mon éducation homosexuelle… Comprendre la mécanique de la chose avant d’en connaitre la dynamique en quelque sorte.
Et ceci c’est ta manière de faire ton éducation lesbienne?
Je n’y avais pas pensé… mais maintenant que tu le suggères je veux bien tenter l’expérience!
… Quelques impossibilités physiologiques subsistent…
J’imagine! … Mais je pourrais te montrer comment y pallier sans rien couper surtout…
Après les manipulations corporelles sur ma divine personne?
En regardant le film avant…
… Oh! … Tu as déménagé la télé et le magnétoscope dans la chambre à coucher!
Très commode ne trouves-tu pas?
Peut-être… Et ce massage?
Sous vos ordres déesse.
Lori feuillette le magazine pendant qu’il masse jambes et pieds.
C’est très suggestif…
Retourne-toi.
Tes mains m’excitent davantage… L’as-tu déjà visionné?
J’attendais de pouvoir le faire avec toi.
Appuie sur Play.
Ils s’accotent sur les oreillers rassemblés en montagne. Thomas observe surtout Lori. Vers le milieu du film, elle porte la main à son sexe. Elle hésite toutefois.
J’ai envie de te regarder faire… Tu es très sensuelle.
Ses gestes alternent en lenteur et en vitesse. Lorsqu’elle atteint le plateau elle s’immobilise la respiration courte. De deux doigts elle dégage complètement le clitoris. Des autres elle le frotte de plus en plus rapidement. La sueur perle sur son front. Elle gémit quand l’orgasme la saisit toute entière. Son bassin porte vers l’avant et elle presse sa vulve. Elle reprend son souffle une trentaine de secondes. Elle recommence la stimulation clitoridienne rapide. Sa jouissance vient encore plus profonde. D’un mouvement vif elle se plaque contre le flanc de Thomas.
Fourre-moi!
La renversant, c’est avec le majeur et l’index qu’il pénètre son vagin; les mêmes de l’autre main son rectum. Elle remonte les jambes. Il dépose son pouce droit sur le bouton d’amour.
Plus rudement et rapidement… Recourbe un peu les jointures.
Thomas obtempère. Le maelström se déclenche mais différent. Son long cri aussi. Ses orifices et muscles se resserrent spasmodiquement.
Tu es tellement belle quand ton être exulte à ce point! À l’avenir je veux que tu guides davantage mes caresses du moins au début parce que je veux apprendre ton corps autant que toi-même.
Elle me fait jouir aussi ta grosse queue me fouillant jusqu’au tréfonds. C’est un autre plaisir comprends-tu?
Que les hommes soient des ignares mais que peu de femmes osent leur faire connaitre leur complexe sexualité mais c’est humain aussi la peur de se mettre à nu devant autrui… Celle de l’homme est plus complexe qu’il n’y parait.
La tienne, bisexuelle?
Pas seulement… Je crois que c’est davantage une question d’abandon à l’autre, de devenir pour paraphraser Verlaine un homme féminin, et de s’accepter ainsi… Fais-moi l’amour comme tu le ferais à une femme.
Lori s’empare de la bouche de Thomas, stationne longtemps dans son cou qu’elle couvre de baisers. Les mamelons se dressent sous sa langue. Le souffle de Thomas s’accélère quand elle les mordille. Petit à petit elle atteint le ventre, effleure de ses lèvres le pénis en érection. Du revers de la main elle écarte les cuisses pour qu’elle puisse toucher les fesses. Thomas relève jambes et bassin. Elle pétrit les globes charnus puis les embrasse. Elle laisse errer un doigt au long de la rainure. Thomas gémit quand la langue de Lori lèche l’orifice anal puis s’y insinue.
Pénètre-moi, mon amour.
Elle le fait de son majeur et de son annulaire enduits de salive.
Place le pouce et l’index à peu près au centre du périnée… Fais comme une pince avec ceux à l’intérieur. Masse en conjonction assez fortement.
Les gémissements de Thomas augmentent en intensité puis s’apaisent un temps. Lori accélère ses pressions. Thomas crie. Le long jet de sperme s’écoule sur son torse.
Lori secoue son ami sans qu’il ne réagisse.
Mmm… La paix, mon amour…
Tu deviens prudent même dans tes rêves!
Traumatisme profond causé par la violence conjugale : je tiens à ma peau.
Essaies-tu de me culpabiliser? En tout cas tu as réussi!
Et pour ta pénitence tu nous apprêtes un délicieux en-cas avec les restes encore potables du frigo.
Une claque sur son postérieur découvert retentit sonore.
Tu oses récidiver!
Chaque fois que tu tenteras d’abuser de la situation macho man!
Ils pouffent et se resserrent.
D’accord ma déesse. Je vais me transformer en maitre-queux pour satisfaire ton palais gourmand.
À la douche d’abord marmiton!
Tu m’insultes!
Après tu te serviras de ta queue maitre.
C’est mieux.
Gare à tes fesses belle esclave!
Lori se sauve en courant. Thomas la poursuit et la rattrape. Il retourne au lit et l’y jette. Il reste dressé devant elle. Son membre aussi. Elle ramène la torsade de ses cheveux vers l’avant; elle se courbe, offrant sa croupe. Thomas pousse un cri étranglé. Il s’agenouille derrière elle prêt à la pourfendre.
Je veux que tu me sodomises.
Je vais te faire souffrir mon amour.
Je veux connaitre cela aussi. Pour comprendre… Et ça m’excite.
Alors,place-toi sur le ventre une main collée à ta vulve.
Lori sursaute.
C’est froid!
Elle hurle quand il investit son antre vierge. Il reste immobile jusqu’à ce qu’elle accepte la violente intrusion. Il la recouvre de tout son corps.
Lori…
Tais-toi et encule-moi.
Il obtempère avec ménagement du moins jusqu’à ce qu’il perde la maitrise de ses sens. Lori creuse les reins pour l’accueillir malgré la douleur qui la fait crier puis geindre. En rut Thomas l’oblige à un tempo infernal. Lori se fait silencieuse brusquement. Thomas crie très fort et éjacule dans un ultime soubresaut. La plainte de Lori se prolonge et elle est prise de tremblements. Thomas aussi. Il retombe sur le côté, la prend dans ses bras.
Mon amour pardonne-moi, je…
Elle pose un doigt sur ses lèvres.
Je ne croyais pas possible d’avoir autant mal et de jouir en même temps. Est-ce ce que tu ressens avec ton ami?
Oui. Quoique plus il m’approfondit et plus le plaisir domine.
Éprouves-tu des conséquences physiologiques?
Pas pour le moment… Éventuellement toutefois un relâchement au niveau du sphincter peut survenir… C’est le prix à payer d’une certaine façon mais c’est somme toute mineur eu égard au bonheur de lui appartenir.
Je comprends, je crois… Mais c’est difficile pour moi de l’accepter.
Je ne peux rien te dire d’autre si ce n’est que je t’aime!
Moi aussi Thomas… Viens on va prendre une douche : on dégouline de sueur!
Lori hésite toutefois.
J’ai faim!
Je commande de la pizza : une partie végétarienne, l’autre aux fruits de mer et la dernière au saucisson italien?
Si c’en est une très large. C’est un compromis aux deux tiers acceptable disons; pour le mets en tout cas.
Tu en manges rarement plus d’un et j’y ai pris gout.
J’ai compris!
… Je parlais des bêtes océaniques!
Seulement?
Peut-être je ne sais pas… D’habitude tu aimes gouter à tout…
Mettons que c’est un morceau de taille à avaler… Je crois que tu veux concilier l’inconciliable. Et franchement je ne le souhaite pas. Alors ça vient?
Thomas obéit. Ils prennent une douche. Thomas l’enserre contre lui.
Pardonne-moi je suis trop égoïste.
Je crois que c’est le contraire d’une certaine manière : tu ne mets pas de limites entre toi et les autres. Je ne suis pas ainsi faite; lui non plus probablement. Qu’il soit partie importante de ta vie soit : je tente d’apprendre à composer avec mais ne m’en demande pas davantage. Deux duos harmonieux m’apparaissent préférables à un trio bancal.
Je t’aime déesse.
Moi aussi demi-portion à part entière! J’ai besoin que tu me fasses une promesse toutefois…
Je m’engage à te rendre heureuse jusqu’à ce que la mort nous sépare et au-delà.
… Pour le moment tu promets que nous étudions sans coup férir jusqu’à minuit!
… Je le jure, aussi.
Et après j’exige un repos de huit heures de sommeil réparateur… Et ne prend pas ton air martyr je t’en prie!
Thomas tient son engagement non sans difficultés.
Mercredi 29 avril
Installé confortablement sur le canapé Thomas décroche et signale le numéro familial et familier.
Salut ô mère vénérée. J’ai une grande nouvelle à t’annoncer…
Points de suspension de rigueur pour faire durer le suspens et m’inciter à deviner… Allons-y de trois possibilités : la première étant la plus probable considérant la date est que tu as enfin obtenu ton baccalauréat. La deuxième c’est que tu as terminé de traduire le manuscrit. La dernière… je préfère la garder pour moi.
Je n’ai pas découvert qu’un troisième sexe existe!
Ouf! Mais ce n’était pas ce que j’allais avancer… J’ai immédiatement pensé à Lori… Je ne voulais pas faire preuve d’indiscrétion. Alors?
Pardonne-moi, maman. Lori m’a aidé à finir mon bac. Comment ça va?
Félicitations Thomas. Et je suis très heureuse que la joie aviaire soit revenue dans ta voix. Ma santé par ailleurs s’améliore au sens où le dosage des médicaments que je suis condamnée à prendre s’avère adéquat. Et avant que tu poses la question ton père se relève relativement bien des suites de son opération. Mais il t’en a parlé, je crois…
Oui… Le malheur rapproche les êtres.
Oh oui! Et l’amour est l’unique douceur de la vie. Je parle de toutes les sortes.
J’avais compris…
Le silence se prolonge; ils le laissent trainer.
J’ai besoin d’un avis éclairé puisque je me trouve devant une impasse.
Tu retiens toute mon acuité Thomas.
Lori travaille très fort à accepter… disons plutot à tolérer qu’un homme vive dans mon décor. Quant à Cíaran il se réjouit entre guillemets de la présence de quelqu’un d’autre même une femme dans le sens où cela lui évite de se sentir trop accaparé…
J’oserais avancer que ce sont des sentiments forts légitimes… Mais continue.
Je ne sais pas où je veux en venir! J’ai l’intuition qu’ils doivent se rencontrer et le souhait qu’ils apprennent que l’existence de l’autre n’est pas juste le prix à payer pour que nous puissions nous aimer en couples…
Tu veux établir une certaine forme de respect mutuel entre eux.
Qu’ils découvrent l’être humain derrière le handicap; pour Lori la maladie et pour Cíaran la nature féminine.
Ne cherches-tu pas à concilier l’inconciliable?
Peut-être… Je me sens déchiré par cette situation où choisir équivaudrait à mourir à moitié faussant du coup les rapports avec l’autre et où le statu quo risque de faire souffrir autant l’une que l’autre… C’est à tous les deux que je me suis dédié maman… Je me sens impuissant…
Les relations humaines s’avèrent déjà tellement ardues et incertaines en duo! Ce que tu espères relève du miracle! Enfin… donne-moi quelques heures pour ruminer. Je te rappelle.