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Deux étés irlandais

Louise Gauthier

 Mercredi 1er juillet

Thomas sert le café et ajoute un peu de lait. Cíaran met ses deux mains autour de la tasse et la soulève. Il arrive à boire sans rien renverser. Thomas se sert abondamment du sucre et verse un nuage.

Est-ce que Lori vient ce soir?

Elle me l’a confirmé au téléphone tantot.

Est-ce que tu lui as dit?

Pas eu le temps : elle se trouvait en pleine affluence du diner au Café. En passant, ta mère a fait la conquête de tout le monde, clientèle comme personnel. Nuala à qui j’ai parlé ensuite brièvement est enchantée : « elle revit Thomas! Et avec le bouche à oreille quant à sa cuisine ça fourmille littéralement! »

Cíaran sourit.

L’effet Nuala.

Ma soeur est une maladie contagieuse… Ne dis pas un mot à ta dulcinée au sujet de ma rémission.

J’ai l’impression que tu te réjouis à l’avance du petit effet que tu vas créer!

Tu parles! … J’aime beaucoup Lori, Thomas, ne t’y trompe pas… Je suis heureux de l’évolution de notre union triangulaire… La vie joue de drôles de tours… Peu de temps auparavant tu te protégeais derrière elle pour affirmer haut et fort ton hétérosexualité. Et moi j’affichais mon homophilie comme un drapeau!

Tu es toujours homo à ce que je sache.

À jamais mais je commence à nuancer sur l’autre genre… Certes côté sexe elles manquent de certains attraits qui me font bander mais Lori et Nuala sont nanties de fort jolis culs ne trouves-tu pas?

Sans doute… Disons que d’autres « détails » m’allument… Qu’est-ce qu’il y a?

Elle arrive… Bizarre, je commence à reconnaitre les visiteurs… Quand c’est Lori ou Nuala les sensations psychiques sont tout à fait différentes que pour le facteur ou le livreur.

Et quand c’est moi?

Veux-tu vraiment une réponse?

Comme le facteur ou le livreur sans doute?

Vraiment Thomas! … Comme l’amour que tu me portes : puissant, certain… et d’une intensité à la fois rassurante et effrayante… Va ouvrir : elle adore quand tu l’accueilles.

Thomas se lève vivement et la reçoit avant qu’elle ne sonne. Il l’entoure et la serre contre lui.

Tu m’as manqué mon amour.

À moi aussi.

Il l’embrasse avec une passion qu’elle lui rend.

J’ai cuisiné une nouveauté… pour Cíaran… Des brochettes de… tofu au satay…

J’y gouterai quand même! Heureusement que Fiona a renouvelé les provisions! C’est notre unique incompatibilité!

Carnivore et fumeur…

Toi aussi tu fumes à l’occasion!

Je l’admets… As-tu faim?

J’avais…

Au moins Cíaran savoure la nourriture végétarienne. C’est une grande qualité!

Thomas baisse les bras en signe de reddition. Lori rejoint Cíaran et l’embrasse sur la joue.

J’ai apporté de quoi te régaler.

Cíaran approuve.

Au moins tu n’es pas dédaigneux comme l’autre mâle.

Lori fait griller ses brochettes pendant que Thomas apprête le reste du repas, des keftés pour eux et les reste des falafels sur pitas pour madame. Il mélange la vinaigrette avec la salade.

Ouvre le robinet s’il te plait.

Tu aurais pu y penser avant!

Thomas imite une main se plaquant sur son postérieur. Lori obtempère illico.

J’ai eu ma leçon l’autre fois : la tache n’est jamais partie!

Ils s’attablent. Lori fait gouter sa réussite certaine à Cíaran. Celui-ci avale de travers.

Beurk! Ça goute le beurre d’arachides!

Tu as recouvré la parole! Quel dommage! C’était pourtant l’idéal : un homme qui se tait! Finie la sainte paix!

Ils éclatent de rire, terminent leur repas.

Lori fait la vaisselle pendant que Thomas débarrasse. Cíaran réclame un verre d’eau, requête que Thomas s’empresse à satisfaire. Profitant du fait que Lori a le dos tourné, Cíaran le renverse sur lui et sur le plancher. Du regard il empêche Thomas d’intervenir. Celui-ci les sourcils froncés continue son rangement.

Lori peux-tu m’aider?

Bien sûr!

Agenouillée elle éponge d’abord le devant du pantalon puis entre les jambes qu’il écarte légèrement. Ses yeux rencontrent ceux indéfinissables de Cíaran sous des paupières à demi baissées. Elle se détourne et se penche appuyée sur ses coudes pour récupérer le verre. La main de Cíaran s’appesantit sur le postérieur involontairement (?) offert. Lori demeure immobile. Cíaran caresse sa croupe avec une lenteur délibérée.

Je rêvais de pouvoir te toucher ainsi.

Lori remonte sa robe jusqu’à la taille. Elle porte un slip de coton beige,très échancré.

Alors ne te gêne surtout pas!

Thomas les observe, se déplace silencieusement pour mieux apprécier. Cíaran élargit le champ de ses attouchements. De l’index et à travers la mince étoffe, il agace, longuement le clitoris, pénètre légèrement son vagin puis l’anus et sillonne entre ses fesses. Il s’extirpe de son fauteuil, se reçoit sur les genoux et se place derrière elle. Il descend la culotte le plus bas possible. Il répète ses attentions sur les attraits dénudés.

J’ai envie de te fourrer tout de suite.

Lori ne dit mot. Cíaran libère son sexe et l’insère aussitôt dans le nid féminin. Il fixe son regard sur le bas ventre de Thomas. Celui-ci se rapproche un peu. Il enlève son caleçon rose. Il exhibe son membre en érection et se masturbe très lentement. Prenant prise sur les hanches de sa partenaire Cíaran s’accouple à Lori. Celle-ci prend les commandes et le guide vers sa jouissance.

Encule-moi maintenant.

Son pénis ruisselle de ses sécrétions féminines. Il l’enfonce dans le rectum. Lori crie sa douleur.

Ouvre-toi… Donne-toi à moi… Je t’aime.

Il la sodomise très doucement et couvre sa nuque de baisers. Même son rut reste doux. Thomas s’agenouille à ses côtés. Cíaran s’écarte. Thomas la pénètre aussitôt.

Thomas…

Il se déchaine sur elle. Ils crient tous les deux jusqu’à l’achèvement de leur coït frénétique. Ils font la tendresse après avoir fait l’amour, affalés sur le carrelage de la cuisine.

 

 Vendredi 3 juillet

Dans la salle d’attente patiente une seule patiente, la jeune femme enceinte qui ne l’est plus puisqu’elle porte un poupon rosé entre ses bras. Elle accueille Thomas, sourire aux lèvres.

Est-ce que je peux le prendre?

La mère accepte et Thomas contemple de près tout émerveillé la petite figure fripée aux yeux grands ouverts et tétant goulument sa tétine rose bonbon.

Qu’il est beau!

Elle : Katéri.

Est-ce que l’accouchement s’est bien passé?

La naissance est un acte violent… J’ai senti que donner la vie c’était comme mourir soi-même… Je crois que je ne recommencerai pas de sitot : ce n’est pas vrai qu’on oublie la souffrance… Enfin elle est au monde et c’est le plus important… Douze jours, aujourd’hui : elle a été un beau cadeau de la Fête des pères pour mon Charles! Je l’attends : il est parti chercher la voiture… Justement le voilà.

Thomas remet le bébé à l’heureux papa. Le couple part. Thomas fixe leur sillage un long moment. Il frappe doucement à la porte du bureau.

Entrez ! … Ah Thomas je ne t’attendais plus!

J’ai été retardé par la circulation puis je me suis attardé auprès de madame Arletty.

De son nourrisson, surtout.

Euh oui. Comment as-tu deviné ?

Hugh désigne du doigt la tache qui macule son chandail.

Merde!

C’est le cas de le dire! Enlève-le je vais le nettoyer.

Hugh se rend au lavabo, frotte au savon puis rince la partie incriminée.

Merci papa… J’ai tellement hâte de contempler notre premier enfant.

Ne places-tu pas la charrue avant les boeufs?

Nous formons triangle maintenant.

Ah. Je te sens heureux fils.

Je le suis.

Hugh se lève vivement de la chaise où il s’était affalé.

Viens-tu diner?

Je meurs d’inanition. Pour quoi salives-tu?

Un bon cari indien?

La figure de Thomas s’allonge d’une aunée.

Pourvu que ce ne soit pas végétarien : je suis devenu allergique!

Hugh éclate de rire.

Compte tenu de ta mine le restaurant chinois conviendra tout à fait.

Ils sont servis, rapidement, copieusement et courtoisement. Ils savourent la nourriture qu’ils jugent délectable.

Qu’est-ce qui te tarabuste?

J’ai dû effectuer des dépenses importantes ces dernières semaines et mon compte frôle le zéro absolu. Peux-tu me dépanner?

Je n’aurai même pas à me ruiner puisque le versement de tes revenus d’intérêt est effectué automatiquement le premier du mois!

Ah oui? Je n’avais pas remarqué… Est-ce que ce sera constant?

Relativement stable quoique révisable annuellement.

Ce qui signifie que lorsqu’un surplus se présente à une période donnée je peux en disposer sans inquiétude pour le futur immédiat.

Je trouve que cela manque un peu de perspective. Tu pourrais au moins prévoir sur trois mensualités.

C’est vrai. D’autant plus que Cíaran va certainement avoir besoin d’un dépannage le mois dernier ayant été en grande partie chômé… Tu es un homme sage papa.

J’ai l’impression que tu rumines un projet bien précis…

Attends-tu des patientes cet après-midi?

J’ai le temps pour t’écouter.

Avec ferveur Thomas raconte le travail de Nuala, le Café des pôvres, le Border Zone.

Si j’ai bien compris tu voudrais soutenir la cause avec tes excédents.

J’aimerais savoir ce que tu en penses.

Je suis heureux que tu prennes conscience que le monde existe!

Ce qui veut dire que toi aussi…

Pour d’autres soutiens mais c’est la même chose! Certes Michelle et moi vivons dans un confort bourgeois et notre préoccupation majeure a toujours été de faire en sorte que notre fils soit choyé mais en dehors de cela nous n’avons jamais été portés vers le lucre… Tellement de besoins sont à combler dans cette société impitoyable pour les plus démunis… Les enfants, surtout, victimes de la misère de leurs parents ici et ailleurs sur la planète…

Pourquoi est-ce que tu ne m’en as jamais parlé?

Je ne sais pas… par pudeur sans doute… Probablement aussi parce que nous avons fait en sorte que tu grandisses dans un univers protégé, trop peut-être… C’est facile de juger a posteriori de ce qu’on aurait dû faire ou ne pas faire. Ta mère et moi avons agi au mieux de nos connaissances et de nos capacités.

Je ne te fais aucun reproche! … Je prendrai exemple sur toi avec mes enfants.

... C’est un très grand bonheur que d’entendre ces paroles sortir de ta bouche.

Subitement gênés ils baissent les yeux.

De retour dans le bureau paternel Thomas s’incruste. Ouvrant un tiroir Hugh lui lance un flacon que l’autre rattrape de justesse.

J’ai l’impression que ceci fait partie intégrante de la dynamique de l’usine à petits-enfants désormais… Ne sois jamais embarrassé pour de telles considérations Thomas! La sexualité constitue à la fois le moteur et l’exutoire de toute relation entre deux êtres… ou plus. Parfois grâce à cela nous mettons au monde des humains sexués et c’est la moindre des choses que de l’accepter peu importe l’orientation.

Ton acceptation est tellement importante pour moi!

Je sais. Et je t’aime tel que tu es.

Alors qu’il s’apprête à partir Thomas se ravise.

Allez-vous au chalet ce week-end?

Accouchement au programme, pour samedi soir. Nous irons pour le prochain si tout va bien… C’est assez grand pour recevoir au moins trois personnes de plus sans se marcher sur les pieds… Je t’avais justement apporté un double des clefs et j’ai failli l’oublier.

 

Juste avant qu’elle ne termine son travail Thomas demande à parler à Melissa.

Le temps restera au beau fixe toute la fin de semaine.

Je croyais que tu étais anthropologue…

Un cadre enchanteur : une forêt aux verts délicats, un lac au miroitement de cristal et à l’onde pure, un astre incandescent sertissant l’azur estival, le chant des petits oiseaux, le bourdonnement murmuré des insectes…

Description édénique! Le béton aux franches nuances grisâtres, un soleil de plomb surchauffant l’asphalte, le pépiement des moineaux annihilé par le battement des marteaux-piqueurs, la baignoire à l’émail décati pour se rafraichir…

Si vous êtes libre je vous emmène au chalet de mes parents, inoccupé en la circonstance. Je resterais jusqu’à samedi matin mais je reviendrais vous chercher dimanche après-midi… Cela me ferait vraiment plaisir et plairait encore plus à Ludovic.

Oh! Je dois d’abord en parler avec Olivier. Attends…

Celui-ci prend le relais.

Qu’est-ce qu’on doit emporter?

Vous deux, le raton et vos bagages destination vacances. Je klaxonnerai devant votre demeure à dix-neuf heures. Ah oui, j’apporterai le souper en glacière.

Nous nous chargeons du vin.

 

Thomas sort de voiture pour les aider. Ludovic est surexcité et tape des mains. Il chantonne, en leitmotiv : « Les p’tits oiseaux dans la forêt du lac. »

C’est gentil d’avoir pensé au siège de bébé.

Je ne suis pas un bébé!

Viens je vais t’installer sur ton nouveau trône enfant-roi.

… Ludo aime pas.

Les courroies c’est pour ta sécurité afin que tu arrives en un seul morceau au lac pour voir les petits oiseaux dans la forêt.

Il consent du bout des lèvres en moue.

Olivier j’ai besoin d’un copilote pour sortir de la ville !

L’autre exhibe une carte.

Paré commandant!

Thomas allonge la machoire. Olivier peine à garder son sérieux.

Je n’y avais pas pensé… En fait, je pourrais presque y aller les yeux bandés.

C’est le « presque » qui m’effraie un peu… Quant à bander… je préfère que ce soit autre chose que tes yeux…

C’est quoi, « bander »?

Papa te l’expliquera quand tu seras un peu plus vieux Ludo.

Truc de grand…

Son petit air méprisant fait éclater de rire Melissa.

On décolle! 

Pipi maman : le robinet va couler!

Thomas arrête le moteur. Melissa remonte avec son rejeton. Pendant ce temps Thomas donne ses instructions.

On doit se rendre jusqu’à Morin Heights, prendre la route de Montfort, bifurquer au premier feu qu’on rencontre, poursuivre jusqu’au terrain de tennis et tourner au lac Notre-Dame, dans un sens ou un autre jusqu’au chemin de gravier à l’enseigne des Desmond.

« Dans un sens ou un autre? » 

Le chalet est situé approximativement au milieu : on y arrive de toutes les façons.

Idéal pour toi.

Essaierais-tu de me dire que je n’ai pas le sens de l’orientation? … Peut-être as-tu raison  après tout…

Ils emploient le reste de l’attente à se bécoter. Melissa réinstalle le raton récalcitrant. Ludovic enfin calmé, ils partent.

Tout droit pour prendre l’autoroute?

… C’est exact mais tu dois faire un demi-tour au préalable…

Après juste une erreur du conducteur en désaccord sur ce point avec son copilote et qui leur a fait perdre une demi-heure, plusieurs arrêts pipi et maintes récriminations de la créature gigotante tronant à l’arrière ils arrivent à bon port au soleil couchant. Libéré de ses sangles Ludovic se précipite au-dehors. Melissa, vive, l’empoigne au collet.

Consigne : tu restes toujours proche de papa ou maman tout le temps!

Ludovic se calme instantanément. Apparemment la « consigne » constitue un impératif puissant et fort bien compris. Ils s’arrêtent un long moment devant le lac d’une majestueuse sérénité. Même Ludovic ressent l’atmosphère quiète et se tait. Sa bouche forme un O. Ils montent un très long escalier de ciment à la rampe de bois et se retrouvent à l’étage sur une vaste terrasse large de trois double portes-fenêtres.

Attendez-moi je vais débrancher le dispositif d’alarme.

Il redescend puis surgit par l’intérieur et leur ouvre. Ludovic crie de terreur.

C’est Thomas mon amour, il est entré par un autre endroit.

Ils pénètrent dans la salle de séjour et à diner large de toute la résidence et longue des deux tiers approximativement. Aucune cloison ne démarque le vaste espace. Au centre trone une gigantesque cheminée de pierre qui s’élève jusqu’au toit et cache une partie de la mezzanine. Le sol est recouvert d’un parquet de bois blond tout comme les murs.

Nous logerons là-haut. Il y a deux pièces, dont une toute petite pour Ludovic. Habituellement le rez-de-chaussée est occupé par mes parents. Cette maison a été entièrement construite par mon grand-père aidé de mon père.

De quoi en être fier! C’est magnifique!

Ludovic tire la manche d’Olivier.

Je veux mon toutou!

Olivier repêche l’objet visiblement fort usité. Le petit le saisit vivement et le colle sur sa joue puis suce son pouce.

Veux-tu voir ta chambre?

Ludovic hoche la tête. Il tend les bras. Thomas le juche sur ses épaules. Melissa le suit dans le raide escalier.

Non! Pipi du soir!

Ils redescendent. Pendant que Melissa et son fils s’affairent Olivier et Thomas remontent les bagages.

Pour la sécurité du raton la porte doit rester verrouillée.

Il va paniquer…

Thomas revient avec une corde.

Pour la laisser entrebaillée seulement.

Olivier s’occupe du bambin. Thomas informe Melissa de sa trouvaille.

Sage : nous serons certains de l’entendre en cas de besoin…

Allez préparer le souper les hommes : je m’occupe du petit roi.

Le roi, c’est moi!

Olivier et Thomas entament plutot leurs activités domestiques en buissonnant à l’intérieur du bermuda de l’autre. Visiblement très excités, ils se masturbent mutuellement. Ils mêlent leur sperme et s’embrassent pleine bouche. Melissa les rejoint alors qu’ils assurent, leurs vêtements dignement rajustés et bien que légèrement essoufflés les services de sommelier et serveur pour madame.

C’est succulent! Mais qu’est-ce que c’est?

De l’irish stew concocté par la mère de Cíaran en quantité industrielle. Cíaran en raffole et ne s’en lasse pas mais en ce qui me concerne cela commence à passer un peu moins bien… Je vais plutôt m’attaquer au fromage.

Je me sacrifierais bien pour terminer ton assiette…

En veux-tu d’autre, Melissa ?

Je ne peux plus avaler une bouchée.

Thomas s’active dans la cuisine mitoyenne durant une dizaine de minutes.

Pour la sortie, du chèvre sur croutons, le tout parfaitement grillé, et non pas carbonisé comme c’est arrivé la première fois que j’ai essayé d’en préparer : vous ne pourrez y résister!

… Un véritable délice en effet!

Olivier ne dit rien mais y fait honneur. Après leur repas ils rangent les couverts au lave-vaisselle.

Ils s’affalent sur le large canapé face à la cheminée. Le silence  sur fond de vent soufflant dans les feuilles porte à la paix de l’âme. Thomas fait circuler un joint. Ils somnolent, béats. À un moment donné Olivier s’installe en tailleur sur le tapis. Peu après Thomas le rejoint et adopte la même posture. Melissa se lève et se dirige vers l’étage.

Rapporte le lubrifiant et les condoms…

Avec lenteur les deux hommes explorent le thorax prestement dénudé de l’autre, échangent de profonds baisers. Ils se départissent des entraves restantes et accolent leur membre en érection. Melissa s’étale sur le canapé et sur le côté. Thomas détourne son regard vers la femme. Son index effleure très lentement le chandail, longitudinalement de la poitrine à la taille. Le vêtement disparait comme par magie. Il agit à l’instar pour le dernier rempart du nombril au pubis et obtient un résultat identique, et féerique d’après son regard. Elle frémit. Thomas passe le bout de la langue entre ses lèvres et l’agite brièvement. Elle met sa vulve à portée de bouche, les cuisses largement ouvertes. Au temple de la féminité Thomas regarde, hume, touche et lèche. Mellissa feule. Son désir d’union charnelle devient de plus en plus flagrant.

Mets en place un préservatif Olivier.

Je prends des contraceptifs.

Olivier libère Thomas de sa poigne gratifiante. Agenouillé devant Melissa celui-ci prend aussitot ce qui lui est offert. Elle place les jambes sur les épaules de son partenaire. Il se penche légèrement.

Olivier viens… Ah! … Plus profondément… Oh oui … C’est complet ainsi.

= Thomas!

Il s’arc-boute à Melissa et Olivier à lui.

Papa!

Olivier adopte une cadence vive, bientot irrépressible entrainant par ricochet les deux autres. Olivier essoufflé se délie d’eux et s’éloigne le pas incertain, vers l’appel itératif et de plus en plus impératif. Thomas demeure amalgamé à Melissa vibrant au rythme des contractions vaginales. Ils fusionnent de nouveau très doucement à l’unisson de leurs yeux puis de leurs lèvres.

Olivier s’affaisse au sol.

Qu’est-ce qu’il voulait?

Savoir pourquoi on le retenait enfermé… J’ai dû m’expliquer en long et en large sur ce crime de lèse-majesté… Il a fini par accepter magnanimement cette nécessaire consigne de sécurité en échange de l’histoire d’un enfant-roi retenu prisonnier par son oncle un félon atteint de fourberie mais heureusement délivré au matin et au péril de leur vie  par la reine et le prince amoureux ci-devant. J’ai précisé que le traitre serait transporté à l’hopital pour qu’un chirurgien lui extirpe la méchanceté du coeur…

L’as-tu emmené aux toilettes?

Il aurait aperçu maman et l’ami Thomas en train de forniquer allègrement : j’ai rebroussé chemin. Maintenant il dort à poings fermés.

En espérant que ce sera sans fuite…

Je suis frustré! J’aimerais bien arrêter son moteur parfois juste le temps de baiser en paix et en douceur avec mon chum et ma femme!

Melissa entoure les épaules de son homme.

Tout doux mon amour.

Thomas glisse sa paume au long du dos de son ami et plante son majeur à l’intérieur de lui. Le pénis d’Olivier se dresse en réflexe. Son propriétaire geint. Melisssa se place sur le ventre, dos arqué, son pubis en contact avec sa main et l’extrême bord du canapé. Ses cuisses le longent aussi. Thomas utilise du lubrifiant pour les deux sexes masculins. Olivier lèche le derrière de Melissa avec un enthousiasme indéniable avant de l’enculer avec une frénésie audiblement douloureuse pour l’autre. Thomas accalmit son « chum » en lui opposant une sodomie au rythme lent. Ils laissent libre cours à leurs instincts emportés par le plaisir de la chair ainsi que son aboutissement paroxystique.

 

Samedi 4 juillet

Thomas laisse une note sur la table de la salle à manger : « Reviens à dix avec de quoi déjeuner et autre boustifaille. J’avais commandé un temps superbe mais le grand météorologue ne m’a pas écouté : il pleut! » À son retour à trois minutes après l’heure et chargé de nombreuses emplettes, Ludovic l’attend de pied ferme les bras croisés et le regard faché.

Tu es en retard! L’enfant-roi a faim! C’est léser la majesté!

Thomas s’écrase à hauteur d’yeux.

Mais quand tu vas voir ce que je t’ai rapporté tu vas me pardonner mon crime… Des croissants avec du beurre et de la confiture de fraises sauvages cuisinée par ma mère.

Thomas en réchauffe un au four à micro-ondes.

Goute, ceux-là sont les meilleurs au monde!

C’est bon! … Tu avais dit avec de la confiture sauvage…

Les bouchées suivantes sont savourées avec une mine extatique.

Un autre!

Ludovic se précipite vers ses parents avec à la main la nouvelle gaterie tartinée puis retourne à l’ami Thomas pour le faire aussi communier à sa joie gustative. La douzaine ainsi que deux litres de jus d’orange disparaissent dans les panses. Alors qu’ils s’attardent autour d’un café, Ludovic s’absorbe dans la contemplation d’une mangeoire pour oiseaux bricolée avec une noix de coco coupée en deux et des chainettes suspendue non loin d’une fenêtre.

Thomas fait faire à ses amis une visite guidée des lieux en leur indiquant où se trouvait ce dont ils pourraient avoir besoin. En cours de tournée Ludovic s’approprie quelques effets.

Mon chapeau, mes lunettes et ma serviette. Au lac maintenant!

Dans dix minutes raton : on va saluer l’ami Thomas auparavant.

Je reviendrai dimanche en fin d’après-midi. Téléphonez-moi en cas de pépin.

C’est généreux Thomas de nous offrir ce bonheur Et ici on adore la pluie.

Je vous aime… Je vous y emmènerai chaque fois que je le pourrai et vous aussi… Mais c’est pour Ludovic surtout afin qu’il communique avec la nature… Les moments que j’ai passés ici sont parmi les plus merveilleux que j’aie vécus… Souvent je me couchais ventre contre terre les bras étendus et je l’embrassais… Plus grand j’ai eu ma cabane dans les arbres, ma cachette secrète… C’est là que, pour la première fois, je me suis masturbé jusqu’à éjaculation… Mais trêve de souvenirs : bye!

 

Thomas trouve Cíaran en grande conversation téléphonique avec Georges Quesnel. Ce n’est qu’une heure plus tard qu’il raccroche.

Mes oreilles chauffent mais je suis tellement heureux Thomas! … Je ne sais plus à quel moment je me suis aperçu qu’ils m’étaient davantage nécessaires que moi je le suis pour eux. J’ai envie de donner tout ce que je peux, d’être comme un médicament de bonheur en capsule, leur procurer une joie de vivre et une raison d’être joyeux. Et, comme le plus grand égoïste de l’univers, de me repaitre de la récolte de mes semailles.

Je t’aime pour ça et pour tout le reste.

J’ai renoué avec la solitude, hier soir. Cela m’a fait du bien. Mais j’avais hâte que tu me reviennes.

Moi aussi j’avais besoin de me ressourcer, de vivre autre chose, auprès de mes amis, que j’aime mais différemment de toi.

C’est comme moi avec mes vieux en quelque sorte.

Thomas se mord les lèvres puis regarde Cíaran pour sonder le mercure de ses humeurs. Il se racle la gorge, prend une grande respiration et se lance.

Un détail me revient… Est-ce que tu as payé ton loyer?

… Veux-tu vraiment une réponse? … J’ai demandé un délai d’une semaine…

… Pour les autres paiements aussi?

Je suis à sec, forcément! … Au fur et à mesure que l’argent rentrera, je réglerai les comptes.

Comme je vis avec toi la moitié du temps c’est normal que je prenne en charge la demie des dépenses…

Alors que tu paies la totalité de l’épicerie et autres « frais afférents » à la vie quotidienne ceci en plus des accessoires de luxe : drôles de mathématiques!

… D’autant plus que je n’ai pas renouvelé le bail de l’appartement : cela libère un montant appréciable… J’ai transporté mes effets chez mes parents.

… Pour que je n’aie pas l’impression que tu me forces la main…

Tu n’as pas encore accepté de m’épouser…

… Je ne souhaite pas aborder ce sujet pour le moment; l’autre non plus par ailleurs : ne te mêle pas de mes affaires Thomas! Je m’en suis toujours sorti tout seul et je n’ai déjà que trop accepté de toi!

Comme tu voudras mais je trouve que tu manques de sens pratique!

Le visage fermé de Thomas incite Cíaran à temporiser.

Ne te fâche pas… Je demanderai ton aide lorsque je serai vraiment mal pris d’accord?

Non ça ne va pas! Car je dois prévoir pour au moins trois mois le gros de mes dépenses parce que je veux disposer autrement des excédents escomptés! Mais je ne veux pas non plus me retrouver le bec dans l’eau à cause d’imprévus trop importants!

Mais qu’est-ce que c’est que ce charabia?

Où je veux en venir c’est que ce serait préférable que je dépose une certaine somme, disons le montant de mon ancien loyer dans ton compte, ceci en prévision de probables aléas financiers!

Pourquoi ne pas simplement en ouvrir un autre? Cela ménagerait tes susceptibilités et les miennes, surtout…

Ah je n’y avais pas pensé! Je vais faire cela.

… Thomas… Même si on ne cohabite pas officiellement… Ici c’est chez toi…

… Lorsque tu ne voudras pas de moi je pourrai dormir sur le canapé…

Stupide! Viens là que je te serre fort.

 

Dimanche 5 juillet

Rendu sans encombre au terrain de tennis Thomas téléphone à ses amis.

J’arrive dans dix-quinze minutes. Est-ce que tout va bien?

C’est merveilleux : des moments de bonheur pur! Quel ressourcement familial! Ça prendra au moins une heure pour t’énumérer succinctement la liste des découvertes de Ludovic !

J’imagine! À tantot.

C’est le raton lui-même qui fait part à Thomasen le trainant, Melissa à la remorque, d’un endroit à l’autre de ses trouvailles aux alentours. Un nid de fourmis, la chorégraphie des valseuses troublant la surface limpide du lac, la cohorte familiale de huards huppés, non loin, l’emplacement d’un feu de cuisine, un gros rocher couvert de mousse, des nénuphars blancs, et caetera. Puis, il se plante devant le sous-bois et se tait. Du regard Thomas consulte Melissa. Elle lève des sourcils perplexes.

Qu’essaies-tu de me montrer raton?

Aucune réponse. À l’emplacement initial du garçonnet, une fraction de seconde auparavant, Thomas et Melissa ne trouvent que le vide.

Ludo? Ce n’est pas drôle! Où te caches-tu?

Mais comment? Il doit pourtant se trouver tout proche!

Melissa hurle.

Olivier viens vite!

Alarmés, ils ratissent quelques mètres de la zone touffue : rien.

Ludovic! … Consigne : on ne joue pas à cache-cache dans la forêt!

Un petit rire se fait entendre… au-dessus de la tête de Melissa.

Cabane à grand oiseau!

 

Ludovic, ne bouge pas d’un poil!

L’enfant se trouve à plusieurs mètres au-dessus d’eux à l’entrée d’une construction de bois en ruine calée entre trois érables.

Mon ancien refuge! … Personne n’a retiré les échelons et ils vont se briser sous mon poids!

Mais probablement pas le mien : j’y vais.

Olivier escalade précautionneusement le tronc et atteint le précaire échafaudage.

Mon chéri papa va venir te chercher… Ne…

Non!

Ludovic déploie ses bras comme des ailes et telle une créature aviaire prend son essor. Aussitôt Melissa se jette par terre, formant coussin improbable. L’enfant atterrit sur l’avant-bras de sa mère et retombe sur le sol rocailleux. Il se met à pleurer. Thomas se précipite. Rapidement, il évalue la situation.

Rien de cassé je crois.

Il prend le petit tout contre lui. Ludovic sanglote.

Il saigne à la tête!

Olivier court me chercher la trousse de premiers soins dans le placard du vestibule ainsi que le pichet d’eau!

Thomas rassure Melissa, proche de l’état de panique.

Cela semble mineur… Le cuir chevelu est très innervé et les saignements en cas de blessure sont abondants et surtout trompeurs…

Levant les yeux sur son amie toujours étendue Thomas remarque la figure pâle et crispée.

J’ai le bras fracturé.

Melissa tente de se redresser et grimace de douleur.

Ne bouge surtout pas… Je m’occupe de toi après. Ludovic serre mon doigt très fort.

Maman!

Thomas se rapproche et le bras valide de Melissa se pose sur la cuisse de son fils.

Donne le bobo à l’ami Thomas, raton… Ferme les yeux et pense fort à l’ami Thomas.

Le bambin, confiant, obéit et se concentre.

Olivier les rejoint, essoufflé.

Prépare une compresse imbibée.

Thomas nettoie en surface et très délicatement la plaie tout en répétant en un doux leitmotiv.

Donne le bobo à l’ami Thomas, raton…

Il s’interrompt brièvement.

Une autre, sèche celle-là… Coupe un mètre de gaze pour la maintenir.

Thomas applique le pansement en appuyant légèrement.

Aide-moi : entoure son crâne mais ne serre pas trop… C’est ça… Prends-le dans tes bras mais la tête surélevée.

Ludovic est calme. Aussitot qu’il se retrouve dans le giron paternel, il met son pouce dans sa bouche et observe. Thomas se penche sur Melissa, blême de douleur.

Où est-ce que ça fait mal?

Partout jusqu’au coude.

Je vais devoir chercher de quoi faire une attelle. Peux-tu tenir le coup?

Elle acquiesce mais serre les dents. Thomas revient promptement muni d’un gros coussin, d’un chiffon à vaisselle et d’épingles de nourrice. Il taille plusieurs pieds d’un large bandage, qu’il insinue sous la taille de Melissa. En glissant ses doigts sous elle, il attrape l’extrémité de l’autre côté.

Je dois déplacer ton bras… Mets la main sur moi : quand ça fera trop mal, projette la douleur hors toi et vers moi… Olivier j’ai besoin d’être libre de mes mouvements… Pose Ludo par terre tout près de Melissa…Quand j’aurai soulevé l’avant-bras insère le coussin, linge par dessus…

Calme-toi, raton, pour aider ta maman…

Ludovic contemple sa mère, caresse sa joue. Elle lui sourit faiblement pour le rassurer.

L’ami Thomas aide maman!

Quand Thomas déplace le bras blessé, les yeux de Melissa se révulsent.

La douleur hors toi, vers moi Melissa…

L’attelle et l’écharpe sont rapidement mises en place. Thomas noue également le lien afin de coller le membre au corps.

Tu dois conduire vers Saint-Jérôme, environ cinquante kilomètres. Prend Ludovic, je me charge de Melissa.

Olivier enlève le siège d’appoint et le place à l’avant côté passager pendant que Thomas installe précautionneusement son amie à l’arrière, dossier abaissé.

Thomas, vaudrait mieux prendre les bagages : ils sont prêts. Et fermer le chalet.

Tu as raison : cela ne demandera que quelques minutes.

Thomas s’élance au pas de course.

Tu es maintenant mon copilote Ludo. Et le copilote porte une ceinture…

La mine grave, le petit accepte la sangle.

Olivier démarre sitot Thomas revenu..

Doucement : les heurts avivent la douleur…

As-tu mal, Ludovic?

Non… Maman souffre. Pourquoi?

Son bras est cassé.

À cause de moi.

Mais non mon amour : c’est un accident… Mais ce n’est pas une très bonne idée de grimper dans les arbres. Les humains ne peuvent pas voler comme les oiseaux.

Raton, je vais t’emmener voler comme les hommes volent, pas dimanche prochain mais l’autre après. C’est une promesse.
Melissa gémit.

Ferme les yeux. Tire la douleur hors toi vers ta main, puis hors d’elle vers la mienne.

Heureusement l’urgence est peu encombrée. Ils en sortent deux heures plus tard, Ludovic avec un gros pansement « ma couronne » et Melissa avec un platre maintenu en bandoulière pour six semaines. Thomas prend le volant, Melissa à ses côtés. Ludovic, trop fatigué pour protester de ce déclassement, s’endort à poings fermés aussitot sanglé.

C’est de ma faute, tout ça!

Thomas c’est un accident.

J’aurais dû démolir cette satanée cabane depuis longtemps!

Et moi à l’appartement, j’aurais pu oublier de cadenasser la porte menant à la terrasse, et Olivier omettre de retourner la table face au sol, et Ludovic aurait pu se prendre pour un oiseau, là aussi… et s’écraser trente mètres plus bas et moi me tuer en tentant de le rejoindre…

Thomas se tait. Olivier se penche vers lui.

Nous avons passé une fin de semaine merveilleuse grâce à toi, et je t’en remercie. Mais encore plus, tu as réussi à dédramatiser la situation, ce qui est essentiel pour Ludo surtout et à agir en secouriste. J’ai ressenti une telle confiance en toi… Je n’oublierai jamais cette leçon de sang-froid… Comment as tu appris quoi faire en cas d’urgence?

Mon père est médecin; il m’a fait connaitre l’ABC des premiers soins dès que j’ai été en mesure de comprendre… et au fil des blessures que je m’infligeais puisque j’étais plutot casse-cou…

Je veux apprendre.

Moi aussi.

La Croix-Rouge dispense de tels cours. Vous pourrez commencer par là, puis je compléterai… Je crois que tout le monde devrait suivre des séances de formation : des milliers de vies seraient ainsi épargnées, par exemple lors d’un accident cardiaque, si les proches savaient quoi faire. Une fois j’ai entendu une dame raconter à une autre l’agonie de son mari qui s’était étouffé en mangeant : « Il s’est écroulé, il manquait d’air, on a appelé le 9-1-1 mais il était mort quand ils sont arrivés et ils n’ont pas pu le réanimer ». J’ai raconté cela à mon père. Il a dit : « Viens je vais te montrer comment on peut agir ». Par derrière il m’a pris par les hanches à l’endroit où les os saillent et plaçant sa jambe sous moi. Au centre dans la même ligne et par devant il a refermé son poing, les doigts vers le haut. Puis, avec l’autre main, il a appliqué des pressions fermes en forme de J. J’ai régurgité mon déjeuner. Disons que mon paternel est friand de démonstrations spectaculaires censément pédagogiques… Et j’ai dû nettoyer en sus! Je n’ai jamais oublié la leçon d’autant plus que j’ai encore dégueulé, dégouté par le salmigondis!

Olivier s’esclaffe. Melissa sourit mais son expression reste grave.

Tu dois tenir ta promesse à Ludovic afin qu’il comprenne et ne recommence plus. Mais encore plus important pour qu’il ne se sente pas trahi : pour lui « promesse » c’est aussi important que « consigne ».

Ne t’en fais pas : pour moi aussi. Et je n’oublierai pas non plus l’engagement que j’ai pris envers vous : lorsque le chalet sera libre d’occupants, je vous y conduirai.

Le sourire de Melissa effleure comme une caresse.

 

Lundi 6 juillet

Cíaran se trouve dans la cuisine en contemplation devant le congélateur ouvert.

Salut hombre veux-tu de l’irish stew pour souper?

Thomas dépose ses emplettes.

Prépares-en pour toi seulement à moins que tu veuilles gouter à un de mes achats : des repas surgelés tous différents.

… Cela n’a pas l’air très appétissant. Je préfère m’en tenir à la cuisine de ma mère… ou à la tienne surtout quand c’est la tienne justement qui te donne des leçons.

Au moins, tu le reconnais! Mais je n’en peux plus de ragout irlandais, Cíaran, ni de tofu au gingembre, ni de cari aux légumes, d’ailleurs! Ce que je ne peux pas endurer c’est la trop grande répétition!

Ne t’énerve pas! Case tes variétés et ferme la porte!

Tant bien que mal Thomas réussit à rentrer le tout dans l’espace restant fort exigu. Ils font réchauffer leur plat respectif, un cannelloni aux quatre fromages pour l’adepte des variations incessantes et le mets national pour l’inconditionnel de la tradition familiale. Ils terminent par une salade d’épinards et de mandarines.

As-tu rencontré le professeur ce matin?

… Je suis arrivé une demi-heure à l’avance. Il m’a ouvert l’air d’un hibou, dépeigné et en robe de chambre. Il n’a pas dit un mot, puis m’a laissé entrer. Disons que les lieux d’habitude relativement propres ressemblaient à mon appartement dans une phase d’extrême capharnaüm. Il s’est excusé du désordre indescriptible. Je l’ai senti très désemparé. Je ne savais pas sur quel pied danser alors je me suis mis à faire du ménage. Lui, il a gagné son fauteuil. Il tremblait. J’ai tout récuré : bibliothèque, chambre, salle de bain et cuisine en dernier. Il m’y a suivi, s’est assis à la table, toujours muet. J’ai fait la vaisselle, des ustensiles et des tasses, essentiellement, lavé le plancher et les surfaces, ramassé les ordures. Puis je me suis affalé dégoulinant de sueur et épuisé de trois heures d’intense labeur. Laps de temps qu’il lui a fallu pour se ressaisir. « Je me sens tellement embarrassé Thomas… Comment vous remercier? » « En me donnant à bouffer n’importe quoi : je suis affamé! » Il a ouvert le congélateur m’enjoignant à choisir parmi la vingtaine de repas qui le garnissaient. Il a pris le même plat que j’ai dégusté tout à l’heure et moi deux pâtés chinois. Vingt minutes plus tard nous nous sommes régalés bien que je me sois brulé la langue parce que j’avais trop faim pour attendre que tiédissent mes commodités surgelées. Puis il a fait bouillir deux tasses d’eau au micro-ondes. Nous avons donc pris le thé. « Je me suis toujours vu comme menant une vie érémitique, autosuffisant, amoureux de quiétude, heureux d’une riche solitude… J’ai commencé par relire vos notes plusieurs fois, corriger ici et là; cela a pris cinq jours… Tout d’un coup je me suis retrouvé devant le vide… Je ne sais pas ce qui s’est passé dans mon crane… Je ne me souviens plus de ce que j’ai fait depuis à part boire et manger, et dormir, en complet désarroi… Je me rends compte que je dois réviser beaucoup d’idées préconçues… » « Vous mettez beaucoup de distance entre vous et les autres et je me sens mal à l’aise d’exprimer ce que je ressens… J’éprouve du respect et de l’admiration pour vous… On se sent très vulnérable à certains moments de notre vie, peu importe l’âge… » « Vous avez raison… Cela m’est très difficile de communiquer au plan personnel… » « Cíaran et moi avons presque terminé la traduction du récit de Riain Lynch… Mes parents et Lori veulent en faire la lecture. Nous nous réunissons au chalet la fin de semaine prochaine… Je serais honoré que vous vous joigniez à nous. La maison est assez vaste pour que vous vous ne sentiez pas gêné de notre promiscuité… ». Il a observé un long silence. « Je viendrai, Thomas… Je vous remercie. » « De rien. Montrez-moi ces corrections ». Misère! En volume elles tenaient de la moitié du texte, toutes justifiées par ailleurs : une semaine de travail au bas mot!

Thomas se lève pour débarrasser et laver la vaisselle. Cíaran attend qu’il finisse.

Tu ne m’avais pas mis au courant de ton projet!

Parce qu’il se trouvait encore à l’état embryonnaire! … Cela te dit?

Oui, sans doute… Quoique la campagne…

Je t’ai acheté un accessoire indispensable à ton séjour au chalet…

… Fais voir.

Thomas exhibe un minuscule maillot.

Le plus près possible de la couleur de tes yeux mon amour… J’en ai aussi choisi un.

Thomas place devant lui son acquisition rose bonbon.

Est-ce que tu le trouves joli?

Superbe. Je t’aime Thomas… J’ai envie de me retrouver seul pour quelques heures.

Super! Alors je vais pouvoir terminer la mise en page, ajouter les annotations et imprimer le tout… en six exemplaires.

Fort en calcul… Ne te sens pas obligé de me tenir compagnie quand tu ne le souhaites pas.

Ah! … Tu me taquines!

 

Mardi 7 juillet

Thomas pointe le nez à la porte de la cuisine.

Est-ce qu’il manque quelque chose?

Laitue, vinaigrette, papier cul et cigarettes.

Un poète du quotidien! Quel heureux sort que le mien! De suite, je reviens!

De retour dix minutes plus tard Thomas s’agenouille en laissant choir tous les paquets.

Et pour faire complet, j’ai acheté du lait.

Cíaran l’embrasse, profondément.

J’ai envie de me donner à toi.

Aussitôt le prenant dans ses bras, Thomas l’emporte jusqu’à leur chambre et le dépose sur le lit. Comme autant de caresses les regards se fixent sur les gestes de l’autre. Dénudé, Cíaran se déplace au centre de leur couche et relève les jambes. Thomas exhale l’air de ses poumons. Timidement il prend ce qui lui est totalement offert. La communion de leur être se complète. Ils crient le prénom de l’être aimé et s’enserrent éperdument pleurant et riant à la fois. Les gargouillements simultanés de leur estomac les ramènent au quotidien.

Un paté chinois pour moi.

Du poulet en sauce barbecue et miel  en ce qui me concerne.

Tu as raison en ce qui a trait à la variété. Mais c’est comme si j’avais eu besoin de cette répétition excessive pour compenser.

Thomas revient à la case départ et assoit son léger fardeau sur une chaise. Il met les repas à chauffer et apprête la salade.

Raconte-moi : hier et aujourd’hui.

Pour Georges, tout était au beau fixe, c’est-à-dire que nous avons passé de bien agréables moments d’autant plus que je revenais de loin, selon son expression propre. L’enthousiasme communicatif. Je l’admire beaucoup, Georges est tellement simple et compliqué à la fois… C’est prêt?

Thomas apporte le tout sur la table. Ils broutent la verdure le temps de laisser la trop grande chaleur s’atténuer. Cíaran goute du bout de la langue puis franchement.

C’est meilleur que je m’y attendais! … Tiens, je vais en parler à Philip… Mieux, je vais apporter notre prochain repas… si tout va bien.

On dirait que cela te fait davantage peur.

On parle de terreur plutot… Je n’ai pas connu beaucoup d’accalmies depuis plusieurs années… Mais je sais bien au fond que celle-ci n’est pas éternelle, que je ne guérirai jamais, même pour toi.

Ta maladie ne m’empêchera jamais de t’aimer, Cíaran, quels qu’en soient les aléas. Et je ne suis aucunement animé par le fol espoir de ta guérison… Vaut mieux ne pas continuer là-dessus pour ce soir en tout cas.

Cíaran débarrasse la table et Thomas lave promptement la vaisselle, la laissant sécher dans l’égouttoir.

Un whiskey, puis un joint ?

Rituel du soir auparavant.

Rabat-joie. Mais Mais c’est bien trop de bonne heure! … Et où s’insère mon histoire teintée d’érotisme?

Après les exercices et durant le bain odoriférant mais pas trop…

… Sans massage?

Je te taquine… Séance de rasage au préalable?

Cela pourrait attendre demain.

Je resterai chez Lori mercredi et jeudi.

Ah… Alors, soit.

Agenouillé devant lui Thomas procède, minutieusement. Cíaran désigne les quelques poils follets sur son torse, lesquels disparaissent aussitôt. Thomas pointe le rasoir électrique sur sa propre toison pectorale.

Non! Ils sont autant de caresses sur ma peau.

Je sais que tu aimes aussi les barbes naissantes mais parfois cela démange.

La joue glabre n’enlève rien à ton charme ravageur.

Préparatifs terminés, ils s’enfoncent dans un bain moussant au lait de coco. Thomas grimace.

J’ai cogné à la porte de Philip à la minute pile. Pas de réponse. J’ai récidivé cent vingt secondes plus tard. Les reins ceints d’un drap de bain, des perles d’eau sur sa poitrine velue : je me suis rincé l’oeil, si l’on peut dire. J’ai laissé tomber mi-figue mi-raisin : « Vous m’avez fait sécher un temps considérable! ». Il s’est excusé platement, imperméable à l’humour. Puis sa figure s’est éclairée et il a souri : « Vous m’avez manqué, Cíaran. Je suis fort heureux de vous voir sur pieds… enfin  je veux dire valide. » J’ai été pris de fou rire. « L’art de se mettre les pieds dans les plats! » Il a fait chorus. « Et dire que j’ai omis le déjeuner pour ne pas me trouver en retard! » Il nous a préparé des roties avec de la confiture ainsi que du café, devisant sur sa santé, et moi sur la mienne. Alors qu’il débarrassait la table de ses reliefs il a senti que j’observais ses allées et venues d’un oeil plutôt concupiscent. Car il était beau ainsi dans son immense semi nudité tellement virile. Je bandais ferme. Toutes affaires cessantes, il s’est agenouillé et m’a embrassé. « J’ai envie de me donner à vous, Cíaran ». J’ai cru que mes oreilles me jouaient des tours et je l’ai considéré, incrédule. Prestement, je me suis retrouvé au lit et complètement nu. Il a envoyé valdinguer son cache-sexe de ratine au loin. Puis je me suis trouvé pris dans un tourbillon de caresses sensuelles, partout sauf sur ma queue. Lorsqu’il a senti que j’étais à point, il y a placé un condom. Il s’est couché sur le dos jambes relevées. Invite irrésistible. Au bord de l’orgasme j’ai pénétré son antre. Il a crié, fort. Le désir m’avait fait oublier combien douloureux peut être l’accouplement mâle, le premier surtout, alors qu’on ne s’attend pas vraiment à une douleur tellement intime et prégnante. Je me suis redressé toujours ancré à l’intérieur de lui mais immobile. Soumis à mes attouchements son pénis s’est ranimé. Sa figure a commencé à refléter davantage le plaisir que son contraire… comme toi maintenant… Il a mis ses bras autour de mon cou et m’a attiré contre lui. « Prenez-moi ». Je l’ai fait le plus doucement possible du moins jusqu’à ce que je perde la maitrise de mes sens… … Ah! … … Il a joui, aussi, tout comme toi à l’instant. Je t’aime.

De retour au lit, cheveux lavés, en sus, Cíaran continue.

Philip est un homme entier et il va jusqu’au bout de ses principes et idées. Il déteste les faux-semblants : « Je n’ai pas fait l’amour avec un ersatz de femme mais avec un homme. L’union de la chair implique un don de soi à l’autre et vice versa. Que ce soit entre un homme et une femme ou entre deux hommes c’est la même chose. Ce n’est même pas une question de préférence sexuelle : deux êtres qui veulent s’aimer se donnent l’un à l’autre et en jouissent ». C’est ce que je ressens aussi, avec Nuala et Lori. En moi, il y a toujours l’appel de la nature profonde mais celle-ci n’exclut plus la moitié féminine… Et pour le reste du programme?

Est-ce que j’apporte le tout ici?

Aussi bien, on risque de ne plus tellement avoir envie de se mouvoir.

Beaucoup plus tard, Thomas murmure mollement.

Je me sens nostalgique tout d’un coup… J’aimerais que tu me caresses comme la toute première fois…

 

Vendredi 10 juillet

Thomas trépigne d’impatience.

Qu’est-ce que tu brettes enfin? Cela ne prend pas une heure pour remplir un sac! Veux-tu que je t’aide?

La paix Thomas!

Mais j’ai promis aux autres que je les prendrais vers dix-huit heures et on les dépasse de quinze minutes!

En présumant que je suis aussi rapide que toi! Va les chercher et laisse-moi respirer! D’ici à ce que tu reviennes, je serai fin prêt!

Désolé mon amour. Je crois que j’ai vraiment besoin de changer d’air.

File. Je t’aime.

En premier, Thomas récupère Lori, laquelle l’attend sagement, à l’entrée de l’immeuble avec un énorme fourre-tout à ses pieds.

Mais on ne part que pour la fin de semaine! 

C’est ce que j’avais compris…

Heureusement, la malle arrière est assez large pour que la demie reste libre. Le professeur aussi se trouve dehors, impatient de s’évader de la routine, même. Thomas contemple, consterné, les deux valises.

J’ai apporté quelques livres de référence…

De retour à l’appartement Thomas monte chercher ami et bagage. Le sac s’est multiplié par trois, petits quand même. Thomas gémit.

Qu’est-ce que tu as?

Rien. Où se trouve la corde?

Pour te pendre?

Pas encore. Celle pour attacher ta chaise au toit. Le coffre est rempli! C’est ce que ces monsieur et dame appellent « voyager léger »!

Mais on n’a pas de lien.

Et je ne peux même pas m’envoyer ad patres!

J’imagine qu’on en vend au dépanneur.

Meilleure idée. Je descends le tout.

Tu oublies le cartable.

Une chance que tu es nanti d’une tête!

Et le véhicule roulant?

Tu es assis dessus!

Si tu me donnais mes béquilles, je l’évacuerais !

Enfin ils partent, le fourbi casé tant bien que mal et le reste solidement arrimé.

Le plein est fait et je dispose d’une carte. Tu me sers de copilote Cíaran, direction Morin Heights et tutti quanti : je t’expliquerai en cours de route. On arrive à destination dans deux heures, au maximum.

Trois sont nécessaires puisque Cíaran s’étant endormi à mi-chemin, Thomas a emprunté la mauvaise sortie de l’autoroute. Lori retrouve le droit chemin. À bon port, Cíaran se réveille.

Déjà!

Le fou rire en exutoire. Lori réussit, quand même, à expliquer. Elle réitère ses explications en les complétant des autres péripéties pour Michelle et Hugh, lesquels font chorus. Pince sans rire et dignement outragé, Thomas fait fi de l’hilarité générale. Il agit comme porteur pendant qu’ils jasent. Thomas s’affale ensuite sur une chaise et s’enferme dans un silence fatigué. Un quart d’heure plus tard trois grandes pizzas occupent le centre de la table. Thomas se ranime à l’odeur. Au deuxième morceau, il recouvre son état normal.

Papa, ai-je les moyens de m’acheter un autobus?

Une fourgonnette suffirait… Probablement et dans les deux cas.

Ah. Ah. L’humour paternel… Contesterais-tu le fait que j’ai le coeur vaste?

Aucunement… Mais on devra apprendre à voyager léger…

Le repas terminé, ils prennent du café. Le calme des lieux, le grand air qui entre à flot par toutes les issues munies de moustiquaires, le bruissement de la nature, les ténèbres opaques, les imprègnent petit à petit. Le professeur dodeline de la tête. Michelle le conduit jusqu’à sa chambre, à l’étage même, et Hugh s’occupe des deux lourdes valises. Les trois autres s’organisent.

J’ai prévu les hauteurs pour nous, question d’intimité. Est-ce que ça va quand même Cíaran?

… L’escalier semble un peu raide; pour monter c’est sans problème; pour descendre : j’ai un derrière assez bien rembourré et je saurai me débrouiller… Quand je suis en terrain de connaissance, cela ne me gêne pas d’utiliser des moyens de fortune… Je t’assure, Thomas.

Lori monte les bagages du trio vers les cimes. Thomas remet un exemplaire du récit de Riain Lynch au professeur, puis deux autres à ses parents.

Cíaran utilise les commodités, puis entreprend l’ascension suivi de près par Thomas avec le reste des documents qu’il dispose à gauche, à droite et au pied du lit. Lori se défait de sa robe indienne, Cíaran de tous ses vêtements. Ils se couchent, occupant chacun une moitié du lit. Thomas entièrement dévêtu s’affale au centre après avoir baissé l’intensité de la lampe. Les deux autres grognent d’être ainsi dérangés et lui tournent le dos. Thomas se love tout contre Lori.

La paix Thomas : j’ai mes règles.

Il tente sa chance auprès de Cíaran.

La paix Thomas : j’ai mes vapeurs.

Thomas se résigne mais son organe mâle pointe vers le plafond. Se détournant, Lori rit. Les deux convergent vers l’obélisque. Thomas gémit puis crie sous leurs caresses buccales conjuguées. Ils lèchent chaque goutte du produit de sa jouissance. Lori et Cíaran posent la tête sur chacune de ses épaules. Ils entrelacent leurs mains sur sa poitrine.

 

Samedi 11 juillet

Cíaran se réveille en premier. La nuit a légèrement modifié leurs postures et Thomas présente son postérieur charnu à son regard. Il le palpe. Thomas va à la rencontre de ses mains. Cíaran fourrage dans les sacs non loin. Thomas s’étire sur le ventre, en attente impatiente de l’emprise sodomite, qu’il accueille d’un cri de plaisir. Lori se retourne. Elle les regarde faire l’amour. Ses doigts s’agitent sur sa vulve par dessus le slip. Thomas focalise sur la masturbation féminine. L’orgasme de Lori ainsi que la pénétration irrépressible de Cíaran, déclenche le sien puis celui de son amant.

Vous m’aimez, je le ressens très fort. Sans vous, ça ne vaudrait pas la peine de vivre!

Ils s’enserrent en étroite enclave de bonheur d’être.

Ils prennent un déjeuner gargantuesque : oeufs en miroir, bacon ou terrine de légumes, roties, confitures de fraises et de framboises sauvages ainsi que jus d’orange et café. Par la fenêtre de la salle à manger, ils aperçoivent une famille de harles huppés se promenant à la queue-leu-leu sur le lac frémissant sous la caresse du vent léger. Michelle et Hugh par l’odeur alléchée, se joignent au trio. Thomas prépare ce qu’ils souhaitent. Le professeur Perrier flanche aussi, pour l’arome.

Merci, Thomas. Je meurs de faim. Plutot étonnant, à vrai dire.

L’air pur creuse l’appétit.

Sans doute, madame Desmond. Et approfondit le sommeil.

Michelle et Hugh.

Oh! Bien sûr. Je me prénomme Gérard.

Ce matin, je vais démolir la cabane dans les arbres et tout ce qui va avec. J’aurais dû le faire il y a longtemps : c’est dangereux et bien trop attrayant pour un jeune enfant.

… Tu as raison fils… As-tu besoin d’aide?

Mais non, une heure et c’est fini!

Deux lui sont nécessaires. Pendant ce temps, Hugh s’installe pour lire dans son hamac suspendu entre deux arbres et devant la maison; Michelle s’étend sur une chaise longue, non loin, le document sur ses genoux. Lori préfère la terrasse et ses chaises confortables en sirotant une deuxième dose de caféine. Cíaran poursuit sa lecture des oeuvres de Cioran affalé sur le canapé devant la cheminée centrale. Le professeur, en caleçon de boxeur bordeaux, le dos couvert d’un drap de ratine marine et le chef dument chapeauté d’une chose informe en coton de même couleur, échoit au bord de l’eau sur un banc de bois. Il allume sa pipe et commence à lire. Un peu plus tard, semblant inconfortable, il entre carrément dans l’eau jusqu’aux genoux, et s’y assoit, prenant garde à tenir le cartable hors de l’onde.

Thomas revient en sueur de son labeur et se plante devant son ami.

Sais-tu nager?

… Jadis oui… J’étais un vrai poisson.

Crawl et back-crawl seraient possibles.

On doit quand même pointer les pieds… Quant à la coordination…

Personne ne te demande de devenir champion olympique de nage synchronisée.

C’était donc pour cela, ton incongru cadeau!

On ne peut rien te cacher! Viens, on va se changer.

Bas les pattes! Je refuse d’être transporté par un mâle puant et dégoulinant de suée, même aussi beau que toi! Je monterai par mes propres moyens!

Tu trouves que je pue !

Thomas sent son aisselle et grimace. Pendant que Cíaran se prépare, il prend une douche rapide. Il le rejoint dans la chambre. Appuyé sur ses béquilles, celui-ci contemple son reflet dans la psyché.

Hum, séduisant…

Thomas enhardit une paume sur le mince derrière olivine sans qu’aucune protestation ne s’élève. Il récidive. Se plaquant contre lui, il s’attaque au côté antérieur. Il s’agenouille ensuite et descend le maillot. Écartant les globes il le lèche à l’entre-fesses et au méat. En proie au désir charnel, Thomas se relève et laisse tomber sa nouveauté rose. Utilisant la salive en guise d’ointement, Thomas pénètre en son amant. Ses mains s’ancrent au pénis de Cíaran. Ils s’accouplent, haletants puis ralants. La jouissance de Cíaran éclabousse le miroir, celle de Thomas se répand en son amour. Ils s’écroulent sur le tapis, le temps de récupérer.

Aisément Thomas transporte Cíaran quelques niveaux plus bas, avec escale aux toilettes entre les deux. Ils contournent le professeur. Lorsque le niveau d’eau atteint ses épaules, Thomas le laisse choir.

Fais quelques essais.

Cíaran refait surface, toussant, les traits encolérés.

As-tu l’intention de me noyer?

Je n’y avais pas pensé. C’est une idée!

Fais pointer mes pieds et viens au lieu de rester planté là!

Thomas obtempère. Cíaran s’éloigne.

Attends-moi!

Jusqu’à l’autre rive.

Tu es fou!

Thomas se met à nager pour le rejoindre. Cíaran le distance aisément : sa nage syncopée est néanmoins efficace et Thomas peine à le suivre. À force de bras Cíaran se hisse hors de l’onde et s’affale sur l’herbe. Thomas, essoufflé, le rejoint cinq minutes plus tard.

Je vais t’étrangler!

Il enlace son ami.

J’ai eu peur!

C’était risqué, je l’admets… mais les exercices quotidiens que tu m’obliges à faire quoi qu’il advienne ont porté fruit : je tiens meilleure forme que toi!

J’aimerais que tu ne me devances pas trop : un accident arrive si vite! Je ne veux pas te perdre!

… Calme-toi Thomas. Je suis désolé mon amour.

Cíaran lèche les larmes qui perlent. Ils s’embrassent avec passion.

Au retour, ils nagent de concert. Ils s’arrêtent non loin du vieil homme.

Avez-vous faim professeur?

Quoi?

Thomas répète sa question.

Maintenant que vous m’y faites penser : on dirait.

Le gargouillement audible les fait rire. Thomas rallie Lori pour des sandwichs aux tomates et mayonnaise mais sans viande. Après le repas express, il en confectionne deux autres et les apporte à Michelle et Hugh.

Comme c’est gentil!

Si tu rapportais deux Cocas, en plus, ce serait parfait.

Thomas s’exécute et reprend les assiettes vides.

Tu nous traites comme des nababs!

Je découvre que j’adore faire la cuisine… Je sais que c’est frugal…

Mais délicieux, et bienvenu. N’est-ce pas le plus important 

C’est vrai. Je vous adore.

La vaisselle mise à laver, Thomas et Cíaran remontent se changer.

Lequel de vous deux s’est fait enculer? … Ne me le dites pas : à la hauteur du jaillissement je dirais que c’est Cíaran. Alors nettoie Thomas puisque c’est toi le responsable!

Celui-ci prend le gant de toilette mouillé que Lori lui tend et affiche son air ilote.

Oui, maitresse Holmes.

Lori enlace Cíaran et prend ses lèvres. Dans le miroir tout propre, Thomas les observe. Cíaran plaque ses paumes sur les globes parfaits, puis remonte la robe. Lori s’en débarrasse puis fait tomber le maillot. Elle s’agenouille et mets le membre viril dans sa bouche. Elle le suce tout en pétrissant les fesses minces. D’une main, elle empaume les testicules. Bien plus tard, elle cesse ses manoeuvres et, après avoir déposé du lubrifiant sur le gland, remonte vers sa figure en se frottant contre lui. Les aisselles soutenues par les béquilles, il la prend aux hanches et lui fait faire demi-tour. Elle se penche. Lori se masturbe pendant que Cíaran la sodomise. Elle cesse, brusquement. Son partenaire s’immobilise. Elle se donne à lui. Bientôt, son corps exsude de sueur. Cíaran feule et reprend en accéléré son va-et-vient, en même temps qu’elle continue le sien à un rythme identique. Tous les trois crient, lors qu’ils sont secoués par un orgasme libérateur et simultané. Une seconde fois, Thomas doit nettoyer la psyché. Cíaran s’écroule sur le lit. Lori se love entre ses bras. Ils se sourient et s’embrassent tendrement. Thomas les enlace tous les deux, couché pour moitié sur l’un et l’autre.

Thomas part faire des courses à Morin Heights. Cíaran épuisé s’est endormi. Lori se baigne, regagne la terrasse et se remet à sa lecture. Le professeur fait une sieste. Hugh et Michelle aussi, après un intermède érotique. Ils s’offrent ensuite un apéro prématuré et se concentrent à nouveau sur le récit. L’après-midi s’écoule, paisible. Thomas revient, les bras chargés de victuailles. Lori et Michelle déballent le tout. Thomas se joint à elles et Hugh est chargé de faire le feu au bord du lac. Au menu, brochettes de crevettes et légumes marinés à l’orientale, biftecks d’aloyau, pommes de terre en tranches, entrecoupées d’oignons et de beurre, salées, poivrées et persillées, chaque portion enrobée d’une feuille métallique et cuite sous la cendre. Lori s’occupe de la laitue et de la préparation de la vinaigrette.

Le professeur rejoint Hugh. Il contemple le lac où se reflète, en mosaïque, les arbres illuminés par le soleil couchant.

Le paradis doit ressembler à cet endroit.

Il se concentre ensuite sur les flammes. Soudaine, une lueur de souffrance traverse son regard.

Vous sentez-vous bien, Gérard?

En l’absence de réponse, Hugh répète sa question.

Oui, bien sûr… Juste une petite attaque de nostalgie envers une jeunesse qui se trouve bien loin derrière moi…

Est-ce que c’est prêt, papa? Je meurs de faim!

À la minute près.

À trois, ils remontent le tout et s’attablent avec les autres sur la terrasse. Ils soupent joyeusement, parlent de tout et de rien, sauf du manuscrit de Riain Lynch. Même les appétits d’oiseaux dévorent gloutonnement. En commun, ils débarrassent la table de ses reliefs. La nuit est tombée depuis peu. Ils prennent le café autour de la table de la salle à manger. Le professeur se retire tôt, visiblement fatigué.

Le trio d’amoureux s’affale à une extrémité du canapé, le duo à l’autre. Ils écoutent du Rachmaninov à la suggestion de Cíaran, puis Callas, à celle de Thomas. Cíaran, le plus près du couple, leur demande nonchalamment.

Verriez-vous un inconvénient à ce que nous fumions un joint ?

Bien sûr que non, pourvu que vous le partagiez avec nous.

Thomas, qui tentait vainement d’attirer l’attention de Cíaran depuis que l’autre avait sorti l’objet incriminé de sa poche, envisage ses parents, bouche bée. Il choisit de ne pas commenter et la referme. Ils font circuler le batonnet incandescent, puis un deuxième. Thomas éclate de rire.

Je n’en reviens pas!

Sommes-nous obligés de révéler tous nos petits travers occasionnels?

C’est fantastique de comprendre que vous en avez!

Le silence se réinstalle. Cíaran dodeline de la tête, puis la pose sur l’épaule de Thomas. Lori aussi, se rapproche. Avant de regagner ses quartiers, en compagnie de son époux, Michelle place une assiette sur la table basse. Thomas l’interroge du regard.

À ne consommer qu’une fois au lit. Hugh les appelle mes biscuits « velcro » : vous comprendrez pourquoi bien assez vite. Comme une cerise sur le parfait de cette délicieuse journée… Euh… avec ce que vous avez absorbé déjà, c’est préférable en guise de digestif, plutôt qu’en apéritif…

Ciel! Ma mère s’inquiète des effets du cannabis sur ma libido! C’est le monde à l’envers!

Devant sa mine déconfite, Michelle éclate de rire, puis rejoint Hugh, lequel tâche de réprimer son fou rire.

Pincez-moi mes amours j’ai l’impression que je rêve! … Hé! Vous m’avez fait mal!

On a juste accédé à ton souhait! De quoi te plains-tu?

Thomas décide de ne pas répondre. Il propose plutot, pince sans rire.

Toilette et dodo chaste?

Les deux autres se dessinent des auréoles au-dessus de leur tête. Cíaran et Thomas s’isolent dans la salle de bain. Lori remonte deux biscuits enveloppés dans une serviette de table. Elle redescend presque aussitôt et stationne devant la porte.

Au bout de dix minutes, elle frappe.

Je vous laisse trente secondes pour sortir de là sinon j’entre!

Ils restent muets. Après le délai imparti, elle ouvre.

Aucun problème à ce que tu partages notre intimité masculine si toi cela ne te dérange pas évidemment.

Vous auriez pu le dire avant au lieu de me laisser poireauter!

Ils terminent avant elle et libèrent les lieux. Lori rejoint les deux hommes en état de nudité intégrale. Encore debout, Thomas reluque sans vergogne les charmes féminins. Couché sur le dos, Cíaran focalise sur les effets des attraits de Lori sur ceux de Thomas. Ostensiblement, il applique l’ointement sur le sien propre. Lori l’enjambe et, lentement, s’empale. Elle bascule vers l’arrière et colle son dos au torse de Cíaran. Thomas pénètre en sa chaude intimité. Ils étirent le plaisir, s’attendent et recommencent, jusqu’à ce que le raz de marée orgasmique les submerge. Alanguis, ils se caressent, partout. Cíaran s’assoit en tailleur.

Pourquoi n’en as-tu rapporté que deux?

Je mordrai dans chacune des pommes.

 

Dimanche 12 juillet

Légèrement vagues et éteints au grand matin. Tout comme Michelle et Hugh…

 Viens fils, allons chercher le déjeuner de la tribu.

Thomas emboite le pas à son père. Les deux autres se regardent, perplexes.

Pourrais-tu dresser la table Lori?

Certainement, Cíaran disposera les couverts…

Celui-ci s’assoit en position stratégique et attend la venue des ustensiles et autres équipements. Les chasseurs reviennent avec deux pots de fer, apparemment chauds, à leurs grimaces.

Cuites sous le feu et les braises durant deux jours, des fèves au lard pour les vrais hommes… oups… incluant ma mère, et d’autres au gras végétal pour la végétarienne du clan… Au secours chef! Elles vont me soumettre à la torture, je le sens!

Tu es majeur et vacciné, donc apte à subir les conséquences de tes paroles inconsidérées : je m’en lave les mains!

Thomas se jette à genoux devant Lori et Michelle.

Ô femmes de ma vie, veuillez me pardonner ce manque flagrant de savoir-vivre!

Elles s’enferment dans un silence de mauvais augure.

Ne me faites pas languir davantage sur le terrible supplice qui m’attend : pitié!

Tu déjeunes en véritable végétarien ce matin, Thomas.

Je te ferai connaitre ton sort un peu plus tard mon « vrai homme »… Sache seulement que ton chatiment sera pire que celui imposé par ta mère!

Impossible! J’adore les fèves au lard!

Cíaran et Hugh, amusés par la scène théatrale, s’esclaffent et applaudissent à la dernière réplique.

Bonjour Gérard! Venez vous joindre à nos agapes! Avez-vous bien dormi?

Quelle nuit! Aucune douleur rhumatismale et un sommeil de plomb, la plupart du temps… Quelques rêves aussi, vraiment délicieux. Une fois, je me suis même réveillé en riant de bonheur… sans que je ne me souvienne nettement pourquoi, à vrai dire. J’avoue que cela m’a fait un bien immense.

Fèves au lard, ou au gras végétal?

Le second choix : mon vieil estomac ne supporte plus la nourriture trop riche.

Pendant ce temps, Michelle regarde Thomas, lequel se concentre sur son assiette.

Pendant que c’est fort à propos, Michelle, vous cuisinez de merveilleux desserts : ce biscuit était vraiment délectable!

Lori se glisse vers la partie salle de séjour et montre à Michelle l’assiette vide. Celle-ci en échappe la louche et Hugh s’étouffe.

Le professeur, heureusement, ne fait pas attention.

Ce petit déjeuner également!

Ils accompagnent leur assiettée de pain de ménage et de mélasse.

Lori et Michelle débarrassent.

Je n’aurais pas dû…

Ne vous sentez pas coupable Michelle, c’est ma gaffe : je n’ai pas pensé à ranger le biscuit restant… Et vous savez pourquoi vous l’avez fait, et que c’est très bien ainsi. Et les conséquences de mon erreur ont été bénignes.

… Vous avez raison… Mon fils est le plus chanceux des hommes de vous avoir pour compagne.

J’aime Thomas tel qu’il est. Et j’éprouve beaucoup de tendresse envers Cíaran.

… Mais vos sentiments vous font peur, en même temps.

Cela ne vous ferait-il pas cet effet-là?

Pardonnez-moi cette indélicatesse… Thomas a souffert du fait de ma profession indéracinable.

Franchement, on peut trouver pire traumatisme! Thomas est l’être le plus sain et pur qui existe sur cette planète!

Spontanément, Lori saisit la main de Michelle et la presse brièvement. L’objet de la conversation pointe le nez à la cuisine, la mine ostensiblement suppliante.

Est-ce qu’il reste des fèves au lard? Je voudrais juste y gouter…

Les deux femmes éclatent de rire, se consultent des yeux et accordent magnanimement les restes, un petit bol, en fait, « au pauvre pitou », lequel avale le tout en deux cuillerées et exprime sa satisfaction en imitant ce qu’il pense être le cri du gorille et en se frappant la poitrine.

Puis-je connaiître ta recette, vénérée sorcière ?

De l’eau, des oignons, de la moutarde sèche, en plus des fèves et du corps gras… Ah, tu parlais de l’autre! Il n’y a qu’à suivre le mode d’emploi inscrit sur l’emballage des pépites de chocolat…

… Et d’ajouter de la bave de serpent à sonnettes et du crottin de grenouille recueilli un soir de pleine lune?

Rien d’aussi compliqué : il n’y a qu’à remplacer l’élément graisseux par du saindoux, lequel a été légèrement altéré au préalable… Oui, j’y viens Thomas… Ce que l’on fume du plant femelle, ce sont les fleurs. Je trouvais dommage de gaspiller les feuilles. J’ai eu l’idée d’en faire bouillir une certaine quantité dans un gras végétal puis, après avoir chauffé de nouveau à feu lent, de retirer ce qui restait des rebuts après avoir pilonné. Le résultat a pris une teinte verdâtre en figeant.

… Original… Cela signifie que vous entretenez des plants de marijuana ici même… non, plutôt, quelque part dans la forêt, étant donnée votre prudence.

Devine!

Sans broncher, Thomas absorbe le choc. Thomas enlace sa mère.

D’autres sombres secrets à me révéler aujourd’hui?

Michelle l’envisage, les prunelles limpides et la mine placide.

Lori, si tu te réorientes vers la psychanalyse, je demanderai le divorce : il y en a assez d’une dans la famille! Le pire, avec toi maman, c’est que tes intentions sont toujours louables et que tes interventions surviennent pile et à bon escient! Comment pourrais-je t’en vouloir encore? Je t’aime telle que tu es, même avec ton gros défaut professionnel.

Après l’avoir embrassé sur la joue, il se détache d’elle et enserre Lori.

Un tour de galère royale en trio d’amoureux?

Plutôt tentant.

Alors crème solaire, maillot et, je sais maman, gilet de sauvetage. Départ de l’excursion dans dix minutes.

Les trois arrivent au bord de l’eau en même temps. Lori examine attentivement la chaloupe et les deux rames.

Où se trouvent les galériens?

Mais toi et moi : Cíaran ne peut pas…

Lori ricane.

J’étais presque décidée à passer outre à ton offense matinale puisque toute punition à laquelle je songeais m’aurait affectée tout autant mais je viens tout juste de trouver la solution du problème : grand, fort et bien musclé de tous les membres…

Lori ne remarque pas la lueur malicieuse dans le regard de Thomas, Cíaran oui. Il détourne la tête pour qu’elle ne voie pas son sourire. Thomas prend un air résigné et un ton lugubre.

Hélas, une fois de plus, le roi du monde déchoit de son rang : je ramerai donc…

Thomas vérifie les attaches de leur gilet de sauvetage. Lori se place en poupe et Cíaran au milieu, face à Thomas. Ahanant, Thomas pousse la chaloupe vers le large. Tel que prévu, manifestement, et après une demi-heure de courageux et constants efforts du pauvre espalier, Lori culpabilise et se mord les lèvres. Toutefois, elle perçoit aussi le vif clin d’oeil que Thomas lance à Cíaran. Elle tait l’offre qu’elle s’apprêtait généreusement à faire.

Que c’est agréable de voguer ainsi sur les flots bleus de l’été, sans rien faire d’autre que laisser trainer ses mains dans l’eau… et d’éclabousser les prétendus mâles de l’espèce, lesquels se croient fins stratèges mais ne sont que vulgaires tacticiens!
La chaloupe tangue un peu. Ils s’assagissent instantanément. Lori daigne tout de même prendre une rame. La tête tournée, elle ne peut pas voir le demi-sourire que Cíaran dédie à Thomas, ni le battement de cil en réponse. Ils se taisent, admiratifs à la beauté grandiose des lieux, certes peuplés mais aux atteintes peu agressives. Et l’on ne remarquait aucun bateau à moteur, ni moto marine arrimés aux quais, juste des chaloupes, des canots et des voiliers en nombre restreint. Il prennent deux heures pour faire le tour du lac sans se presser. L’embarcation ramenée sur la plage par les efforts conjugués de Lori et Thomas, les gilets de sauvetage ôtés avec soulagement, en sueur de l’effort fourni, Lori et Thomas proposent simultanément une baignade. Cíaran se rallie. Nageant comme des dauphins, ils en adoptent le tempérament ludique. Les éclats de rire fusent sans parcimonie. Moments de bonheur pur, totale liberté d’être, sans entraves d’aucune sorte.

Le couple les observe longtemps.

Cíaran aux pieds d’argile, Lori, peureuse de vivre, Thomas à la nature compliquée…

Mon seul regret, Michelle, c’est que nous n’ayons pu en avoir une demi-douzaine, juste pour le bonheur de les regarder s’épanouir.

J’ai l’impression que nous allons nous rattraper avec un trio de petits enfants…

Tu prends les rêves de Thomas pour des réalités!

Peut-être… Je t’aime Hugh.

Et moi plus que tout au monde… Viens-tu diner, ma chère ?

Michelle éclate d’un rire juvénile. Ils apprêtent un buffet composé de marinades maison, truite fumée, paté de foie de canard, terrine végétarienne et pain baguette. Le tout est prêt quand les jeunes rappliquent, affamés, suivis de près par le vieil homme. Celui-ci part ensuite pour une courte promenade. Ils commencent réellement à s’inquiéter vers dix-sept heures. Thomas et Hugh décident de partir à sa recherche et ratissent les bois environnants. Le professeur reste introuvable. Pour cause, « l’observateur de la nature » est rentré depuis un bon moment. Hugh soulagé, achève la lecture du récit de Riain Lynch en deux heures. Tacitement, ils choisissent de ne par en parler immédiatement. Les derniers bagages empilés dans le coffre arrière, la chaise roulante inutilisée, et les béquilles solidement ficelées sur le toit, ils repartent vers la ville, suivis de près par Michelle et Hugh.