Le lac du revenant (Spirit Lake)
Louise Gauthier
Chapitre 4 : L’amour, la vie
1921 L’appel de la nature – Laurier
Au volant de la voiture obligeamment prêtée par Laszlo pour l’occasion Laurier stationne devant la porte de l’humble maisonnette qui abrite sa dulcinée. Ladite revêtue de ses plus beaux atours en sort aussitôt. Laurier descend précipitamment pour tenir galamment la portière côté passager.
… Que vous êtes belle, mademoiselle Colette!
… Depuis près d’un an que vous me fréquentez assidument, de m’appeler simplement par mon prénom n’est plus… inconvenant. Ne trouvez-vous pas?
… Veuillez me pardonner, made… Colette.
Laurier démarre et ils prennent la route. À l’orée d’Amos, la jeune fille lui demande de s’arrêter. Laurier range l’automobile sur le bas côté du chemin de gravier.
Je voudrais que nous parlions.
… Mais la pièce de Racine, Phèdre… J’ai promis à vos parents…
Vous devez me ramener au bercail à dix heures du soir au plus tard, rien d’autre… Êtes-vous à ce point amoureux du théâtre?
… Je suis amoureux de vous, Colette.
La jeune femme reste coite à la déclaration, espérée mais inattendue, étant donnée la timidité maladive dont faisait preuve son soupirant transi. Il la regarde, incertain. Hardiment, elle lance.
Allons plutot chez Janine.
Mais je n’ai pas atteint l’âge requis! … Et cet endroit…
Vous dégèlera peut-être! … Personne n’y prêtera attention.
Sans mot dire, il obtempère et, rendu à destination en retrait des rues fréquentés, gare son véhicule non loin de l’unique réverbère.
Après s’être frayés un chemin à travers la bruyante cohue, les jeunes gens s’attablent au fond de la salle de grande dimension, nauséabonde, mal éclairée et enfumée. La clientèle se compose d’hommes en grande majorité, de passage ou locaux pour la plupart de ceux-là. Plusieurs « dames », également, faisaient la fête et ne se gênaient pas non plus pour fumer des cigarettes. Médusé, Laurier contemple la cohorte féminine colorée, du moins jusqu’à ce que sa compagne, d’une légère pression au bras et d’un battement de cils mécontent, attire à nouveau son attention contrite. Ils sont servis avec une amabilité familière par l’accorte tenancière de ce lieu de perdition.
Demandez des whiskies.
Aussitôt apportées, Laurier acquitte les consommations, chères.
… Euh… C’est d’usage de laisser un pourboire… Le double.
Leur intimité nouvelle, l’atmosphère libertine ainsi que l’alcool, pourtant fourni et bu avec parcimonie, leur amène le rose aux joues.
Donnez-moi votre main.
Visiblement surpris mais spontanément, il lui offre sa paume ouverte. Elle y glisse les doigts, qu’il serre. Elle attend mais en vain. Il baisse les yeux et devient cramoisi.
Lorsque nous nous retrouvons seuls, vous ne parvenez à aligner des phrases complètes que pour parler de théâtre ou de tout autre sujet non compromettant, tel que l’air du temps! Comment pourrons-nous jamais nous connaitre si vous vous laissez mener ainsi par votre timidité?
… Vous avez raison, Colette… C’est pitoyable… Je souhaite vous épouser.
Oh! … Mais je…
Avec vous, j’ai envie de construire le monde!
J’éprouve du mal à m’ajuster à votre hardiesse, maintenant! … Vous ne savez pratiquement rien de moi et j’ignore à peu près tout de vous…
… Depuis deux années, je rêve du moment où je vous déclarerai mon amour. Et là, tout à coup, je me sens benêt… Pardonnez-moi, je n’ai pas de diapason.
Je le vois bien ! … À mon sens, l’amour véritable se batit au fil du temps… Ce qui émane de vous! … Votre sincérité… Vous me déroutez.
Laurier l’envisage et reprend son souffle avant de poursuivre son déballage émotif.
… Mon château est bien modeste, je ne possède d’avoir que la terre et ne dispose que de mes bras. Je ne peux vous offrir qu’une vie de labeur, teintée uniquement par mon amour pour vous… Je suis conscient que ceci ne représente pas nécessairement ce qu’une jeune fille moderne souhaite pour son avenir.
Et que pensez-vous « qu’une jeune fille moderne souhaite pour son avenir »?
… Euh… Je ne sais pas… L’aisance financière ainsi qu’une existence animée, sans doute… enfin, des choses comme ça…
J’ai vingt et un ans, donc je me trouve plus vieille que vous de trois.
Vous êtes une princesse.
… Personne n’est parfait.
Vous, vous l’êtes!
Mais non! J’ai très mauvais caractère! Je suis autoritaire, paresseuse, rêveuse, désordonnée. Je cuisine de façon déplorable, je ne sais pas coudre et tricoter me fait horreur. Et j’en passe!
C’est ce que je disais. Et moi, je suis parfois tyrannique, nonchalant dans la maison, lunatique à mes heures, négligent avec mes affaires… Euh… J’ignore comment cuire un oeuf; quant à la couture et au tricot… Nous pourrions réunir nos imperfections.
… Laurier… Je dois vous avouer que… j’ai perdu ma virginité.
Ouf!
Quoi?
Cela me rassure puisque, moi, je suis puceau.
Le jeune homme vire à l’écarlate. L’autre également.
… Allons dehors… Je me sens toute bouleversée…
Ils se promenent main dans la main, silencieux, graves, aussi. L’atmosphère quiète de l’endroit prédisposait à la rêverie réflexive. Au terme de celle-ci, Colette murmure.
Même lorsque nous nous retrouvons sans surveillance, vous n’avez jamais osé m’embrasser…
Aussitôt, il s’arrête et la prend dans ses bras. Elle lève la tête vers lui et il corrige la situation. Après une éternité, essoufflés et émus, ils s’écartent l’un de l’autre et reprennent leur promenade.
… Je crois être atteinte de folie! … J’accepte de t’épouser, Laurier.
Laurier hurle sa joie démesurée et le prénom de sa bien-aimée. Il enserre sa fiancée à l’étouffer, la soulève à bout de bras et la fait tournoyer. Brièvement, il enfouit sa tête entre les seins. Il la repose sur le sol, puis s’agenouille. Il pleure. Visiblement, elle aussi en a envie mais se contient.
Calme-toi! Je me sens gênée : des gens nous regardent par la fenêtre… J’aime bien que tu n’aies pas de diapason.
Je te vénère, Colette et il en sera ainsi toute ma vie. Je ferai tout pour mériter ton amour.
… J’ai besoin d’un pilier, Laurier… Je ne suis pas très stable, ni très assurée… Je ne suis pas capable de te promettre la lune… L’avenir m’effraie, aussi.
Alors, je t’aimerai un jour à la fois, princesse.
Roulons dans la nuit, veux-tu?
Ils regagnent le véhicule et s’installent.
J’ai bien peur de manquer d’essence avant d’atteindre le bout du monde…
Colette rit. Elle reprend vite son sérieux, toutefois. Ses prunelles brillent dans la pénombre ambrée. Laurier n’y résiste pas. Ils s’embrassent avec une passion croissante. Le souffle court et les lèvres gonflées, Colette se dégage et se recule un peu.
Laurier… … Si nous anticipions sur la nuit de noces?
Ici, dans la voiture?
… Janine loue des chambres sans poser de questions… Ce n’est pas très dispendieux… Il existe une entrée discrète à l’arrière du batiment.
Laurier prend son courage à deux mains pour aborder la tenancière du lieu de débauche pendant que Colette patiente dans l’automobile.
Colette doit ouvrir la porte puisque Laurier s’en trouve incapable tant il tremble d’émoi. À l’intérieur, elle allume, puis verrouille leur nid. Il se plante devant sa fiancée, l’air de songer, et se demandant, sans doute : « Et maintenant, qu’est-ce que je fais? »
Tu me prends dans tes bras.
Il le fait. Et l’enserre à l’étouffer. Puis reste en l’état. La bouche tout près de l’oreille de son fiancé, Colette murmure son aveu.
… Il y a longtemps que je rêve que tu me manques de respect, Laurier.
Il fait cela, aussi. Il touche ses seins, ses fesses, de plus en plus fébrile. Elle lui offre également ses lèvres. Laurier en prend possession, littéralement.
Tout à leur passion dévorante, ils se retrouvent sur le plancher et l’un par dessus l’autre. Le regard de Laurier, possessif. Colette en frémit. Elle place ses mains sur les épaules et le repousse légèrement. Les yeux dans les siens, elle défait son corsage. Se redressant un peu, elle retire chemisier et corset. Il l’aide. Aussitôt après, la poitrine à la forme sculpturale est prise d’assaut. Colette geint. Ses joues se colorent bellement et sa respiration se précipite.
Ôte ton veston et ta chemise. Je veux que ta peau épouse la mienne.
Le contact de leur épiderme les fait crier. Laurier relève la jupe ainsi que le jupon et la caresse, fébrilement et partout.
Enlève-les… Ton pantalon, aussi.
Avec le peu de vêtements qui restent, leur contact se fait plus intime. La verge durcie palpite sur le ventre de l’aimée. Il crie sa jouissance. Elle rit de contentement
Tu me désires tellement! … Caresse-moi… intimement.
En un tournemain, Colette est quasiment nue. L’ombilic et le ventre légèrement bombé le retiennent longtemps. Extatique, il découvre ensuite sa vulve, chaude, humide et odoriférante. Il lape goulument la sève aphrodisiaque, de plus en plus abondante.
Débarrasse-toi de ton caleçon… Je veux… embrasser ton pénis.
Ce qu’elle lui fait ressemble moins à un embrassement qu’à une fellation effectuée dans les règles de l’art. Bientôt, Laurier n’arrive plus à se contenir. Elle s’étouffe. Laurier reprend avec plus d’ardeur ce qu’il avait entrepris sur elle. Elle précise.
Fais-moi… une succion… Oh, oui!
Elle plaque la tête de son amant sur son sexe, l’empêchant de respirer. Le raz de marée de l’orgasme la laisse pantelante et alanguie.
Tourne-toi.
À contresens et après un périple sensuel sur l’avers du corps de son amante, il écarte les globes fessiers, un peu potelés. Deux doigts de sa main gauche trouvent gite dans l’intérieur féminin. Son majeur droit, mouillé de salive, pénètre l’issue anale et s’agite au même rythme.
Oh ! … … C’est bon!
Je voudrais que tu me fasses… un doigt d’honneur, aussi.
Bien que surprise, elle s’exécute, tout en touchant doucement les organes génitaux exposés. Brusquement, les ralements de Laurier et les siens cessent. Il s’agenouille à mi-hauteur des jambes gainées par des bas de coton noir, qu’il effleure à la racine.
Viens vers moi, mon amour.
Il caresse la chute des reins, s’accole à son dos pour atteindre les mamelles, puis le ventre. Il se redresse et s’enfonce dans l’intimité offerte. Ils feulent. Laurier reste immobile.
Prends-moi.
Colette amorce de timides mouvements, du moins au début. Laurier insiste.
Je t’appartiens, mon amour.
Elle imprime à leur coït un rythme lent mais ferme.
Tiens-moi par la taille.
La cadence brisée qu’elle adopte les amène tout près de l’accomplissement. Ce n’est qu’à ce moment qu’il prend la maitrise de leur pariade. Les parois vaginales épousent étroitement le membre viril. Elle hurle alors que ses contractions incontrôlables resserrent leur étreinte intime.
Souhaites-tu que nous ayons un enfant tout de suite?
Je préférerais attendre un peu.
Il se retire d’elle et force la rosace. Elle hoquète de douleur. Il se répand aussitôt. Ses spasmes ouvrent davantage l’étroit conduit rectal. Tous les deux tremblaient d’émoi. Colette se libère et se retourne. Sa voix, hésitante, tremblote aussi.
… Ne trouverais-tu pas le lit plus confortable?
Il se lève et l’y emporte.
Laurier se blottit contre sa fiancée et pose la tête sur son sein.
… Tu t’es donné à moi et je me suis donnée à toi. Nous avons fait l’amour… Bien plus, même, d’une certaine façon.
Il scrute les claires prunelles mais sans comprendre davantage le sens réel et la portée de son commentaire. Elle explicite.
Je veux dire que nous n’avons pas simplement accompli un acte sexuel.
Il hoche la tête. Leur baiser, presque chaste, a quelque chose de solennel. Après une toilette sommaire, ils s’endorment dans les bras l’un de l’autre.
Laurier se réveille comme suite aux attouchements très ciblés. Il enlace Colette. Les amants s’embrassent passionnément.
Je veux que tu me prennes tout de suite.
Tel que demandé, il la couvre de son corps et dedans. Elle s’ouvre et s’abandonne, gémissante, aux irrépressibles assauts amoureux. Elle se noie dans son regard conquérant lorsqu’elle atteint le faîte du plaisir extrême. Elle murmure.
Prends aussi mon cul, mon amour.
Laurier, à la limite de se libérer, ne se fait pas prier davantage. Elle hurle.
Mon homme!
L’aube pointe lorsque Laurier gare la voiture devant la maison de sa bien-aimée. Main dans la main, ils franchissent le seuil. Ils font front commun à l’accueil glacial.
Madame et monsieur Beaupré, les bans publiés et dans les délais prescrits, Colette et moi allons nous lier par le sacrement du mariage.
La mère doit retenir son bouillant époux, fort marri du fait accompli et qui s’apprêtait à donner une autre leçon de vie au freluquet ci-devant.
Le mois d’après, l’union de Colette Beaupré et de Laurier Gaboriau est célébrée par le nouveau curé de la paroisse. Contrairement à ce qu’elle appréhendait vivement, Colette ne fait face à aucune difficulté d’harmonisation en prenant le train en marche des Gaboriau. Au contraire, son tempérament généreux et ouvert ainsi que sa belle nature joyeuse, font rapidement oublier que, parfois, elle tourne les coins ronds. Sa compagnie féminine plait à Eugénie, d’autant plus que celle-ci peut, enfin et au grand bonheur de ceux-là, se consacrer davantage aux plus jeunes.
1922 Le Grand déménagement à Montréal
La jeune fille frappe à la trappe du sanctuaire. Au bout d’un long moment d’hésitation, Eugénie ouvre. Ses prunelles s’agrandissent.
Ève-Lyne!
J’ai besoin que tu m’entendes.
Eugénie l’invite à entrer. Ève-Lyne fait lentement le tour des lieux.
C’est donc ici, le saint des saints! Cet endroit m’a toujours paru chargé de mystère… Eugénie!
Je t’écoute, Ève-Lyne, viens t’asseoir.
Eugénie l’entraina sur un tabouret et en rapproche un autre où elle prit place.
Nous n’avons jamais éprouvé d’affinités, toi et moi…
Certes, nos tempéraments divergent, mais il n’en reste pas moins que tu es ma soeur, même d’adoption, et que je t’aime.
Moi aussi, Eugénie. Je t’admire, aussi; tu es tellement forte! … Je viens solliciter ton appui, ton assistance, même… Je…
Eugénie prend en étau les mains d’Ève-Lyne, laquelle ne parvenait pas à formuler ce qui la préoccupait.
Dis comme ça sort, mon coeur.
… Plus tard, je ne souhaite pas fonder de famille. Et je ressens, très fortement, l’appel de Dieu… Peut-être que cela semble étrange mais je voudrais me retirer du monde et consacrer ma vie à la prière. Seule cette perspective me remplit de joie : prier pour que les hommes cessent de s’entre-déchirer… J’ai l’intention de devenir moniale… Et je crains que Laurier ne s’y oppose…
… Tu n’as que seize ans…
Ma décision est irrévocable.
… Alors, je t’appuierai dans tes démarches. Et je parlerai à notre frère.
Dépeigné, en combinaison rapidement enfilée et encore aux deux tiers déboutonnée, Karol prend le combiné des mains d’une Eugénie toute fripée de sommeil et en robe de chambre mal ajustée. Il la retient près de lui. Laszlo, surexcité, parle haut et fort.
Contrairement à ce que tu croyais, mes recherches à distance ont porté fruit : je l’ai rejoint, Karol! Je lui ai parlé de vive voix!
Elle va bien et Irina aussi! Tant d’années!
Laszlo éclate en sanglots. Des larmes coulent sur les joues de Karol.
Je n’ai pas osé le lui apprendre, mais mes placements ont suffisamment rapporté pour qu’elles puissent venir, du moins si on leur en laisse la possibilité… Un ultime recours à l’homme qui ne porte pas de nom, peut-être? Elle attend ton appel.
À la hâte, Karol griffonna les coordonnées sur le bout de papier que Eugénie était allée quérir aussitot demande muette faite.
Malgré l’assistance sans faille des opératrices, la liaison outremer se fait difficilement. La conversation en ukrainien semble chargée d’intenses émotions. Karol se met à pleurer. Son interlocutrice à la voix grave aussi. Celle-ci raccroche.
… Était-ce ta mère?
… La nôtre : Laszlo est mon demi-frère et Irina, notre demi-soeur.
Eugénie absorbe l’aveu d’inceste sans broncher. Un long moment après, elle prend la main de son époux, puis dit, tout bas.
… Aussi bien retourner dormir.
Karol acquiesce, visiblement reconnaissant.
Karol prend le lourd fer à repasser des mains d’Eugénie, le repose sur son socle et entoure les épaules de sa femme, manifestement lasse.
Je ferai le reste tout à l’heure. Viens-tu jusqu’au lac avec moi?
Eugénie accepte d’emblée ce changement à la routine et le service ultérieur. Le temps s’était mis au redoux et un simple châle suffisait à se protéger. Entre chien et loup, la luminosité parait l’onde d’une étole diaprée et diaphane. Ils s’assoient sur un gros rocher à fleur d’eau, serrés l’un contre l’autre.
Tu n’as jamais voulu parler de ta vie, là-bas…
… Mes racines étaient trop profondément enfouies. Pour commencer à vivre, ici, j’ai bu un filtre d’oubli.
Mais avec ta mère reviendra le passé…
… C’est ce qui me hante… Je me trouve incapable de te raconter, Eugénie… Du moins, pas encore…
Chaque chose vient en son temps… Quand Laszlo nous visitera-t-il ?
… Je ne sais pas.
Pourquoi ne lui téléphones-tu pas, simplement?
Des séquelles de culpabilité, on dirait… Il me manque.
Je le ressens… Au lit, aussi.
Je dormais à moitié. Pardonne-moi.
Cesse! Ai-je déjà mentionné que je déteste être traitée en garçon ?
Non, mais quand même! Je vais porter davantage attention.
Je souhaite bien que non! … Faire l’amour avec vous deux… Enfin, je veux dire… J’espère que cela se produira encore.
… J’ai cru que, pour toi, ceci s’était avéré un mal nécessaire.
Loin de là. Lorsque tu le possèdes, je ressens de l’empathie… J’ai envie que… vous… me fassiez l’acte ensemble… Oh, viens, Karol!
… Quand il me sodomise en même temps que je te pénètre, je me sens… entier… Eugénie!
Dans mon cul, mon amour.
Oui!
Laurier s’arrête net à l’entrée du salon. Tous deux avachis en travers du lit-divan, Laszlo serre Karol de très près. Ils s’embrassent, vraiment, et avec une passion indéniable. La main du premier presse l’entre-jambes du second, lequel gémit. Bouche bée, Laurier recule précipitamment afin de se rendre invisible. Karol se dégage. Il murmure, tendrement.
Pas ici, Laszlo : quelqu’un pourrait nous surprendre… Ah! … Cesse, mon homme… Je t’en prie.
J’ai envie de toi, frère demi et amour de ma vie.
Plus tard. Viens nous rejoindre, tantôt. Et ne tarde pas, surtout.
Sur la pointe des pieds, Laurier s’éloigne.
En fin de soirée et profitant de l’absence de Colette, requise auprès de sa mère gravement malade depuis plusieurs jours, Laurier faillit à la promesse faite à sa soeur, plusieurs années auparavant, et déplace précautionneusement le lit. Attentivement, il observe l’union triangulaire, manifestement appréciée des protagonistes, lesquels se permettent toutes les audaces et en redemandent, tous genres confondus. Bien que profondément choqué par ces turpitudes, il y assiste jusqu’au bout.
Le lendemain matin, le jeune homme prend Eugénie à part. La figure fermée, les dents serrées, il lâche sèchement sa décision.
Avant le terme de la semaine, toi, ton époux incestueux et… votre amant devrez avoir quitté ma maison pour le plus loin possible d’ici.
Eugénie blêmit. Elle dit, faiblement.
Aurélien…
Mon frère s’adaptera, d’autant plus que Colette s’en occupera. C’est définitif.
À l’instigation d’Eugénie, Karol tente d’établir un pont. Laurier crache par terre et s’éloigne Eugénie essaie de préparer l’enfant à son éventuel départ.
Je veux m’en aller avec toi!
… C’est impossible, mon amour.
Parce que tu es méchante! MÉCHANTE!
Eugénie se boucheles oreilles. Aurélien s’enfuit en pleurant.
Au moment du départ, le garçonnet reste introuvable, tout comme il avait évité, plusieurs jours durant et sciemment, celle qui l’avait trahi. Andrée-Anne embrasse Eugénie.
Prends soin de toi, ma soeur.
Et toi de ton jeune frère, mon coeur. Je t’enverrai mon adresse pour que tu m’écrives, et mon numéro de téléphone, aussi… Où se trouve Laurier?
… Il s’est perdu dans les bois, depuis une heure.
Laszlo vient s’enquérir. Il entoure les épaules tressautantes. Eugénie s’appuie sur lui. Karol empile leurs derniers bagages sur le toit de l’automobile et les arrime solidement.
À Montréal, Karol déniche un petit appartement de trois pièces sous les combles d’un immeuble décrépi et le temps de voir venir. Eugénie écrit « à la maison ». N’obtient aucune réponse. Karol trouve un emploien tant que démolisseur. Le soir, il rentre encrassé, et tellement harassé. Le coeur serré, Eugénie le lavet des pieds à la tête. Il se laisse faire, comateux, puis s’endort. Ensuite, elle nettoie ses vêtements et ses bottes de travail. Il soupait le matin venu. Lorsqu’il se trouvait libre, Laszlo venait dormir. Eugénie et lui entouraient Karol de leur amour, immense. Le dimanche, ils paressaient au lit, s’aimant de toutes les manières. Puis, la semaine recommençait.
Après un mois, Eugénie, sans qualification particulière, n’avait réussi à s’employer nulle part, Karol s’opposant fermement, « il n’en sera pas question, madame! », à ce que son épouse bien-aimée s’échine dans une manufacture ou, pire, fasse le ménage chez les riches. Pour se donner de meilleurs atouts, Eugénie s’inscrit à un programme d’études en secrétariat afin de s’initier aux rudiments de la dactylographie, de la sténographie et de l’anglais. À sa grande frustration, elle ne réussit pas à apprendre le doigté, ses doigts s’emmêlant inextricablement sur et entre les touches de la machine à écrire. Rien n’y fait, ni la pratique ad nauseam des leçons, ni l’usage d’un tablier masquant le périmètre. En raison de sa lenteur tranquille, naturelle, elle échoue lamentablement aux tests de sténo. Quant au cours de langue seconde, elle réussit une performance plutôt sous la moyenne qu’au-dessus, principalement à cause de son accent déplorable. Son estime de soi, déjà précaire, en prend un coup. Karol et Laszlo s’efforcent de la ramasser à la petite cuillère.
Le téléphone sonne en pleine nuit. Laszlo passe le combiné à Eugénie.
Laurier? … Aurélien?
… Il ne va pas bien, Eugénie… Cela fait quatre jours qu’il refuse de boire et de manger, sans parler d’aller à l’école… Absolument rien ni fait… Colette m’a demandé de t’appeler pour que tu lui parles… Il dort, actuellement… Ce matin?
Eugénie accepte, bien entendu. Ils raccrochent.
Aurélien, au bout du fil.
Maman! J’ai essayé, très fort, mais reviens : loin de toi, c’est comme mourir!
Aurélien… Tu dois te nourrir bien pour qu’on puisse se retrouver et… Mon amour…
Les sanglots d’Eugénie s’emmêlent à ceux de l’enfant. Laurier prend l’appareil mais les pleurs de sa soeur s’écoulent, irrépressibles. Laszlo coupe la communication caduque.
Le lendemain, Laurier rappelle.
Colette m’a forcé à réfléchir, Eugénie… Je me suis rendu compte que mon rejet était cruel et inadmissible. Ce que vous connaissez dans l’intimité de votre couche ne regarde que vous trois. Avant, j’estimais Karol comme un frère, Laszlo comme un ami et, toi, comme ma soeur. Ce que vous êtes importe, et non ce que vous faites. Je te demande pardon, Eugénie. Et à Karol, ainsi qu’à Laszlo.
Aurélien est mon fils, même s’il n’est pas issu de mes entrailles.
J’ai compris cela, aussi… Veux-tu le prendre avec toi?
Quelle question!
… Je voudrais que vous veniez nous voir, de temps en temps. Andrée-Anne se trouve très proche d’Aurélien et elle s’ennuie de toi, même si elle ne l’exprime pas par des mots… Et moi avec, à vrai dire.
Nous irons, Laurier.
Au matin suivant, Eugénie répond.
Maman?
Aurélien, mon amour.
Madame… une minute… Granger doit se rendre à Montréal dans… une minute… deux jours. Elle va m’amener vers toi. Es-tu contente?
Jamais je n’ai été aussi heureuse, mon amour.
Sur le quai de la gare, Eugénie s’agenouille et ouvre les bras. Aurélien s’y précipite.
Maman!
Mon fils!
Une pure extase se peint sur la figure de l’enfant et se communique à sa mère choisie.
– Maman.
– Mon fils.
Après un souper dominical particulièrement morose, Aurélien bordé et profondément endormi, Laszlo laisse éclater sa colère.
Je vous trouve méprisants et vous avez l’orgueil mal placé! Vous vous obstinez à vivre comme des larves! Ce que j’ai mis de côté, à l’instar de la plus économe des fourmis, pourrait servir à nous offrir une maison décente et à placer Aurélien dans une école digne de ce nom! Au lieu de travailler à ce qui te tient à coeur, Karol, tu es devenu un automate. Et toi, Eugénie, tu te perds en quêtes infructueuses et en cours sans objets. Ne sommes-nous pas unis et censés former une famille? Mon apport ne compte-t-il pas parce que je me prostitue? À mon sens, cet argent est aussi honnêtement gagné que ton salaire de crève-la-faim!
Son ire s’échoue en sanglots. Karol et Eugénie s’agenouillent devant lui et l’enserrent.
Pardonne-moi, Laszlo. Je te jure que jamais plus cela ne se reproduira. Je crois que j’ai compris, finalement, ce qui t’anime.
Et moi aussi, je pense. Je te demande pardon, Laszlo… Karol, qu’est-ce qui te tient à coeur?
À Odesa durant quelques années j’ai travaillé avec un libraire… De ma vie d’homme, là-bas, ce sont sur ce plan es seuls moments heureux dont je me souvienne.
Avant le début de l’hiver, ils emménagent dans une demeure de douze pièces sise à Outremont, acquise pour une bouchée de pain en raison de son délabrement mais possédant un noble cachet vétuste. Ils la remettent en état petit à petit et à grand renfort de travail minutieux. Un collège réputé accueille Aurélien pas si content que cela de s’éloigner de ses copains à vrai dire bien que de nouveaux ne tardent pas à prendre la relève. Et la modeste librairie a bientôt pignon sur la rue Notre-Dame ouest.
Eugénie s’insinue entre les bras de son époux.
La folle acquisition de Laszlo… Je n’ai pas envie d’attendre que nous disposions de l’onde chaude, car jamais je n’ai pris un véritable bain civilisé… Crois-tu qu’on trouverait place tous les deux dans cette baignoire?
N’est-ce pas immoral et indécent, cette promiscuité aquatique?
Mais nous sommes mariés! … Tu blagues!
Penses-tu? … Mais tu devrais grandement te méfier des intentions probables du mâle de l’espèce dans une telle situation…
Mais, que pourrait-il donc m’arriver, occupés que nous serons à des activités hygiéniques?
À tes risques et périls, ma dame.
Dans la salle de bain nouvellement rénovée, ludiques, ils se dévêtent prestement. Eugénie fait couler l’eau et y ajoute des sels odoriférants, de ceux employés par Laszlo sans parcimonie aucune. Karol proteste véhémentement.
Avec ça, je vais sentir féminin!
Ah. Tant pis, alors : je savourerai cette baignade toute seule…
Eugénie s’immerge et, après un hoquet provoqué par la fraicheur glaciale, s’étire voluptueusement et soupire de bien-être.
Presque aussi agréable que dans le lac, et je peux prendre ainsi toutes mes aises…
Karol fronce les sourcils puis, l’oeil licencieux, détaille sa femme des pieds à la tête.
Approche-toi.
Eugénie prend dans sa bouche le pénis éloquent de désir et mène son propriétaire gémissant jusqu’au bord du gouffre.
Est-ce que je poursuis?
Fais-moi une place, plutot.
Un Karol frissonnant s’étend à demi. Dos tourné Eugénie s’empale sur le membre en mal d’aimer. À gestes amples, elle prend son plaisir. Il observe, hypnotisé, son va-et-vient obsessionnel.
Eugénie…
Retiens-toi encore un peu… Karol! … Dure encore dans mon cul.
Ensemble, ils atteignent le septième ciel. Ils s’assoient, jambes emmêlées.
Ayant terminé sa sieste d’après-midi, Laszlo flambant nu, les cheveux ébouriffés et la figure encore fripée, les rejoint.
On dirait que tu viens tout juste de baiser, ma femme. Tu es belle.
Il hume les vapeurs délectables.
Tu vas sentir féminin, mon homme. Dans la rue, tu attirerais tous les matous des alentours.
Karol lui lance un regard noir.
Sais-tu ce que j’ai envie de faire à celui qui ose me narguer?
Laszlo le regarde, l’air innocent et interrogateur. Karol sort vivement de la baignoire et, du même mouvement, se saisit à bras-le-corps de son époux et le met à l’eau. Eugénie se recule pour lui faire de la place. Le rire de Laszlo, les autres en écho : le bonheur de se trouver ensemble et liés.
Rends-toi accessible.
Aussitôt, Laszlo se lève et se penche, spontanément offert. Masturbé par Eugénie, il s’abandonne, gémissant aux durs assauts masculins et en jouit. Lorsque l’autre le démonte, il s’assoit, jambes flageolantes. Karol s’agenouille. Ils s’enserrent dans une chaude étreinte triangulaire.
1923 Les racines du passé
Les deux hommes fort élégamment vêtus de leurs nouveaux atours trépignent comme des adolescents trop impatients.
Presse-toi, Eugénie!
Dépêche-toi, Eugénie!
L’interpellée doublement se regarde une dernière fois dans la glace, redresse son chignon et ajuste quelques épingles à cheveux.
Ah, les femmes! Toutes les mêmes quand il s’agit de se pomponner!
Eugénie s’abstient de répliquer au commentaire exaspéré de Laszlo, même si celui-ci s’était éternisé dans la salle de bain, à « se pomponner», justement, durant deux longues heures.
Enfin! Plus lente que ça et tu te transformes en limace!
Eugénie omet également de pointer le fait que Karol avait mobilisé sans vergogne ses énergies, ceci durant plus de soixante minutes afin d’effectuer les dernières retouches à son complet, neuf de l’avant-veille.
Étant données leurs émotions à fleur de peau et sans mot dire, l’exutoire de leur nervosité, s’installe sur la banquette arrière de l’automobile. Toutefois, avant que Laszlo démarre, Eugénie touche l’épaule de Karol. Celui-ci se retourne vivement, les sourcils froncés, puis sourit, contrit.
N’aurait-il pas mieux valu que vos retrouvailles soient uniquement familiales?
Tu fais partie de la famille.
Pas de la même façon.
Ta présence facilitera le raccord avec le présent, aussi.
Et pour communiquer?
Notre mère s’exprime couramment en quatre langues, dont le français… Mais qu’attends-tu donc pour y aller, Laszlo?! On va manquer le bateau!
Ils prennent la route sans plus tarder.
Les deux heures qui suivent sur le quai fourmillant d’activités, avec le soleil encore au zénith à leur arrivée, sont éprouvantes pour les nerfs de tous et chacun ainsi que pour les beaux oripeaux masculins, inadéquats en cette saison estivale. Avant de succomber à l’effet de serre, ils ôtent vestons et garnitures de col.
Vous êtes baux ainsi défaits… Pourquoi refusez-vous obstinément de me parler d’elle?
Parce que nous voulons que vous fassiez connaissance sur des bases neuves!
Cela n’aide pas! Est-ce qu’elle sait que je serai là?
Je lui ai dit que je suis marié à une Canadienne-française d’origine britannique… Je ne voulais pas entrer dans les détails…
… Laszlo?
Rien à ajouter.
Je ne vous comprends pas!
Ils la regardent, impuissants, mais aimants.
Un paquebot se pointe à l’horizon et signale sa présence d’un puissant mugissement, galvanisant les regards impatients.
Est-ce que ceci vous rappelle votre propre arrivée?
Laszlo répond, finalement.
… En contraste, seulement… Nous avons voyagé, clandestinement et sous des conditions précaires à fond de cale d’un cargo censé se diriger vers la côte est des États-Unis, à New-York, plus précisément… Nous avons été découverts un peu avant le débarquement, lors d’une inspection de la cargaison à l’escale impromptue au port de Montréal, probablement en raison de l’odeur, prégnante dans cette atmosphère confinée… Les membres de l’équipage nous ont jetés par-dessus tribord, sans doute de peur d’être pénalisés pour leur absence de vigilance, si celle-ci eut été connue.
Malgré son état de faiblesse, Laszlo m’a sauvé de la noyade puisque je n’ai jamais su nager.
« Conditions précaires »?
… La traversée s’était rallongée en raison d’une tempête… L’air que nous respirions devenait de plus en plus vicié, nous souffrions des affres du mal de mer, il ne restait plus d’eau depuis deux jours et la nourriture manquait depuis quatre.
… Pourquoi…
La question meurt sur ses lèvres. Ils se figent dans l’attente, rendue encore plus pénible par l’imminence de sa fin. Karol s’exclame.
Regarde, Eugénie : c’est Elle!
Mais…
Celle qui n’est pas comme tout le monde!
Ayant en tête les indications sibyllines de Laszlo, le regard plissé, Eugénie balaye la foule compacte des passagers. Elle remarque une femme, isolée par un cercle imaginaire : personne n’aurait osé envahir impoliment l’espace autour d’un tel être et Eugénie le ressent, même d’aussi loin. Une dame de fer, au port royal, pourtant modestement et sobrement vêtue. Ses cheveux d’argent semblaient tressés en couronne. Par la stature, elle dominait d’une tête de nombreux hommes. Son visage, de type slave et d’un esthétisme épuré, se trouvait exempt de rides et les lèvres minces. Eugénie remarque une autre personne, plus petite, aux traits évanescents, placée dans l’ombre protectrice de l’autre.
Le débarquement a lieu dans une cohue indescriptible. Les voyageuses mettent pied à terre en dernier. Mère et fils s’enserrent dans une étroite étreinte. Les larmes coulent, mais retenues, se tarissent. Elle s’écarte légèrement pour inclure son autre enfant. Celle-ci, dans la jeune vingtaine, à la beauté d’une icone et toute de blanc vêtue, garde les paupières baissées, apparemment indifférente.
Irina a été affectée par le voyage… Elle supporte mal le changement et la promiscuité…
La voix grave d’Ivana était adoucie d’un accent prononcé et musical.
Mère, voici mon épouse, Eugénie.
Eugénie, voilà notre mère, Ivana Levytsky.
Le regard sombre, profond, se fixe sur la première. Eugénie s’avance auréolée de sa discrète simplicité. Trop intimidée, bien que nullement effrayée par l’imposante personnalité, elle ne dit rien mais ses yeux clairs accueillent avec respect.
Je suis émue de rencontrer l’élue de Karol…
Eugénie coupe court aux retrouvailles.
Pardonnez-moi, madame mais votre fille semble se trouver mal.
Ivana se retourne vivement. Irina, qui s’était éloignée un peu, tournait sur elle-même, visiblement effrayée par la foule qui les entourait. Aussitot à l’intérieur de l’aura maternelle, la jeune femme s’apaise et reprend son attitude absente.
Les hommes s’occupent à lier les deux grandes malles au toit. Ils s’entassent dans l’automobile, Irina entre Eugénie et Karol, sur le siège arrière. En cours de route, voyant Irina nerveuse, Eugénie lui prend la main. L’autre la lui abandonne, spontanément confiante. Le trajet est silencieux.
Nous devons d’abord nous reposer… Irina a peu dormi durant la traversée.
La lassitude marquée sur son visage fait supposer, à juste titre, que ceci l’avait grandement éprouvée. Karol et Eugénie les conduisent à leurs chambres, contiguës. Eugénie s’enquit de leurs besoins, lesquels se limitent à une carafe d’eau et des verres.
En fin d’après-midi, Karol, Laszlo et Eugénie s’activent aux préparatifs du souper, avec « l’aide » d’Aurélien, rentré de l’école depuis plusieurs heures. Ce dernier abandonne bien vite le nettoyage des légumes et s’exclame d’un ton dramatique.
J’ai faim, mamie! Je meurs d’animition!
Eugénie lui tend une carotte. L’enfant affiche une mine franchement dégoutée.
Pourtant, c’est ce que les lapins mangent pour ne pas mourir d’i-na-ni-tion et ils s’en portent très bien! … Quand tu étais plus petit, tu en déterrais en cachette, cela et des petits pois, puis, après les avoir grignotés, tu masquais les dégats au potager, ni vu ni connu, pas vu pas pris. Nous avons longtemps cru que le grand coupable de ces larcins était un petit rongeur!
Aurélien s’esclaffe mais reste sur ses positions.
Une pomme, alors, et c’est mon dernier mot!
Il fait la moue, mais mord dans le fruit à belles dents.
En se retournant, Aurélien s’aperçoit alors de la présence silencieuse et ouvre des yeux ronds. Cranement, il se plante devant la femme et lève la tête.
Vous êtes presque aussi belle que ma maman mais bien plus âgée! Et tellement géante!
Ivana sourit au compliment mitigé. Tout fier, le gamin, d’une dizaine d’années tout au plus, se présente.
Je me nomme Aurélien Gaboriau!
Et moi, Ivana Levytsky, la mère de Karol et de Laszlo, ainsi que celle d’Irina, que vous ne tarderez pas à rencontrer.
Après ces politesses sommaires, le gamin s’esquive pour « jouer dehors seulement de ce côté-ci de la rue, je sais, maman ».
Aurélien est, en fait, mon frère adoptif, madame, mais il est devenu mon fils de coeur.
Et nous, ses oncles dévoués.
Il semble heureux et sain, votre enfant, voilà le plus important… Irina dort encore. Il vaut mieux ne pas l’éveiller… Donne-moi ce couteau, Karol : trancher ne signifie pas charcuter!
Simplement, elle se transforme, tout comme les deux autres d’ailleurs, en humble marmiton sous les ordres du Chef pointilleux.
Avec un plaisir évident, ils dégustent le rôti de veau accompagné d’une jardinière de légumes et de pommes de terre cuites à la française. Seul Aurélien fait la fine bouche, sauf évidemme pour les frites. De mauvaise grâce, il accepte le sacrifice d’avaler quelques morceaux de viande, tout en négociant un dessert, délice d’habitude réservé à la fin de semaine. Après souper, il monte sagement dans sa chambre finir ses devoirs.
Ivana rompt le silence soudain qui s’était installé.
J’ignore ce qui a atteint l’esprit d’Irina lorsqu’elle a eu douze ans. Je l’ai pourtant protégée autant que j’ai pu de nos épreuves… Son comportement varie d’un extrême à l’autre, et sur toutes les gammes. C’est dire que c’est impossible à décrire, et à prévoir. J’ai dénoté une constante, toutefois : elle se montre d’une sincérité absolue dans tout ce qu’elle fait ou dit et exige la même chose de son entourage. Jamais, non plus, la méchanceté ne l’a guidée… La fréquentation d’Irina étire l’âme et déchire, bien souvent…
Notre famille est de nouveau réunie, mère.
Ivana élégamment revêtue du dernier en date des cadeaux de son fils cadet interpelle celui-ci alors qu’il s’apprêtait à partir.
Oui, mère?
Disposes-tu de quelques minutes?
Il acquiesce. Elle l’entraine vers la causeuse. Il l’interroge du regard.
Comme suite à quelques déductions, c’est plutôt étonnant qu’un emploi dans un hôtel même prestigieux rapporte assez d’arrhes pour soutenir notre train de vie… Sans mentionner ces heures de travail souvent indues… Et un libraire ne roule certainement pas sur l’or…
… J’ai fait des économies, que j’ai placées en Bourse.
Laszlo!
… De temps à autre j’assure également un service de nuit ce qui me permet de gagner agréablement et en bonne compagnie un… pourboire… important. D’autant plus que cette portion-là de mon… salaire se trouve exempte d’imposition.
… Ce « service de nuit » comporte-t-il des… échanges… euh… de nature charnelle?
… C’est le cas.
Mais quelle sorte d’hommes vit au Canada, qu’il faille que leurs femmes soient obligées de recourir à de tels expédients?
… … Ce ne sont pas des hotesses qui m’accueillent mais des hotes et bien que la plupart soient mariés…
Laszlo n’ose pas affronter le regard maternel et considère attentivement les motifs tarabiscotés du tapis de Turquie. Ivana reste silencieuse un bon moment.
Il existe maintes sortes d’amour, toutes légitimes lorsque les partenaires les vivent en toute liberté.
… Peu de gens pensent comme toi, malheureusement… Il me reste un peu de temps devant moi, viens-tu te promener?
Avec grand plaisir, mon fils… Aimes-tu quelqu’un?
… Oui, mère, j’aime.
Alors, il faudra que tu me présentes ton élu.
… Pour le moment, sortons, je t’en prie : je trouve qu’il fait très chaud.
Ils s’en vont bras dessus bras dessous. Irina se fait toute petite dans son coin. Ils passent à côté d’elle sans l’apercevoir.
Tout à sa rêverie contemplative, Karol n’entend pas les portes du petit salon s’ouvrir, puis se refermer. Sans faire le moindre bruit, Laszlo se rapproche de lui et l’enserre dans un étau à la hauteur de la taille couvrant sa nuque de baisers brulants. Karol se dégage et se retourne. Ils s’enferment dans une étroite étreinte et s’embrassent avec passion.
J’ai envie de toi, mon amour.
Je suis crevé…
La main de Karol se fait caressante, juste là où l’homme perd la tête.
J’ai très envie de toi, Laszlo.
… Après tout, je ne suis peut être pas aussi fatigué que je le pensais. Je t’aime… Cesse ou je te viole sur-le-champ!
Tu n’oserais pas!
Crois-tu?
Karol gémit sous les pressions du bassin de son homme qu’il accentue en appuyant sur les fesses de celui-ci. Tout en poursuivant leur enlacement torride, ils franchissent le seuil de la chambre. Karol referme la porte d’un coup de talon. Le témoin involontaire de l’échange sans équivoque savait maintenant qui était l’homme que Laszlo aimait. Un quart d’heure plus tard, sa mère aussi.
Elles eurent réponse à la question qui en découlait quand Irina surprend Laszlo et Karol en train de lutiner Eugénie. Les trois se séparent vitement. Eugénie, la figure aussi rouge qu’un coquelicot, rajuste son corsage à la hâte. La rieuse jeune femme s’esquive.
Maintenant que notre soeur a compris, mère saura tout d’ici quinze minutes.
Ils se regardent, penauds. En fait, le raccord se fait sans heurts et, bien vite, ils ne se gênent plus de se démontrer leur affection, dans les limites de la décence, quand même.
Eugénie frappe quelques coups discrets à la porte. Irina ouvre aussitôt et sourit. Semblant un peu gênée, Eugénie explique son intrusion.
Tu as chipoté dans ton assiette, au souper, alors je me suis dit que tu avais peut-être un petit creux. C’est de la tarte aux framboises tout à fait réussie, celle-là. Elle sort du four.
Quelle bonne idée! Entre et installe-toi.
Eugénie la regarde manger avec gourmandise la gaterie. Elle rit.
Tu es très belle, Irina!
Eugénie remet l’assiette ainsi que le verre de lait vide sur le plateau et s’apprête à partir. La main sur la poignée, elle se retourne.
Bonne nuit.
Reste encore un peu. Est-ce qu’ils te baisent ensemble?
Décontenancée par la question très crue, Eugénie faillit lâcher ce qu’elle tenait. Irina évite les dégats en le lui enlevant prestement. Impavide, celle-ci se croit obligée d’expliciter.
Enfin, je veux dire, l’un par le vagin et l’autre par le rectum.
Écarlate, Eugénie balbutie.
… Parfois.
Je t’embarrasse, on dirait…
… Tu es très directe.
Lorsqu’ils s’accouplent entre eux, lequel devient la femme?
… À tour de rôle.
Est-ce que ça fait mal de se faire enculer?
Pourpre, Eugénie répond quand même.
… Oui, les premières fois, surtout.
Est-ce que tu aimes ça?
Eugénie hoche la tête. Elle tente de détourner la conversation hautement embarrassante et cherche un dérivatif interrogatif.
Est-ce que tu brosses longtemps et à chaque soir tes longs cheveux pour qu’ils luisent autant?
Irina s’assoit devant sa coiffeuse.
Coiffe-les.
Eugénie défait soigneusement les tresses et lustre l’interminable écharpe soyeuse. Une fois la brosse reposée, elle ne peut s’empêcher d’y plonger les doigts. Par miroir interposé, Irina examine le visage aux paupières abaissées, aux joues rosées et aux lèvres pleines. Elle constate.
Tu me désires.
Un long moment, l’autre reste immobile et silencieuse. Puis, elle pose les mains sur les épaules, frêles et délicates.
Pardonne-moi, Irina. J’ai perdu la tête.
Celle-ci saisit les poignets d’Eugénie et les ramène jusqu’à sa poitrine. Irrésistiblement, les paumes enlacent les menus globes offerts. Irina échancre son corsage. Voluptueusement, Eugénie fait rouler les perles entre ses phalanges.
As-tu déjà fait l’amour avec une femme?
Eugénie secoue la tête en signe de dénégation.
Moi non plus, sauf à moi-même. Agenouille-toi derrière moi.
Irina remonte son jupon jusqu’à la taille et écarte largement les cuisses. Le nez au creux du cou de cygne de son amante, Eugénie appuie d’abord sur les hanches, puis aventure des attouchements timides. Irina s’alanguit entre les bras de l’autre, pesant, du fait, sur les seins généreux. Eugénie dégage délicatement le bouton en fleur en séparant les pétales de deux doigts placés en parallèle. Sous ses très légères pressions, le minuscule organe s’engorge. Se guidant aux frémissements et aux tremblements, elle alterne frottements doux et caresses amples. Irina émet de petits cris de plaisir, excitants. Eugénie étend ses attentions digitales jusqu’à l’orée du vagin et en accélère la cadence. Le corps d’Irina se tend comme un arc. Elle plaque la main d’Eugénie tout contre sa vulve. Emportée par un raz-de-marée, elle crie longuement. Peu après, se libérant, elle se retourne. Les deux femmes s’enlacent et s’embrassent.
Viens au lit. Allonge-toi sur le dos.
Irina remonte la chemise de nuit jusqu’à la taille et détache les boutons du haut pour dégager l’ample giron. Elle enlève ses propres vêtements.
Je veux voir comment tu te fais jouir.
Eugénie hésite. L’autre rapproche sa figure du centre d’intérêt. Le souffle court, Eugénie obtempère, gênée d’abord, puis excitée par le regard attentif. De gestes lents à rapides, elle se trouve au bord de l’orgasme.
Pénètre-moi.
Faute d’instructions plus précises, Irina le fait aux deux issues. Aussitôt, le conduit vaginal épouse l’index et le majeur réunis.
Les spasmes de l’orgasme les pressaient. Eugénie gémissait et hoquetait.
Ne les retire pas.
Eugénie appuie itérativement sur sa vulve. Moins d’une minute plus tard, la seconde lame de fond survient, encore plus puissante que la première, suivie d’une troisième, puis d’une autre peu après, mais moins forte. Des tremblements spasmodiques animent son sexe. Irina lèche ses doigts, s’imprégnant des odeurs intimes.
J’ignorais qu’une femme pouvait jouir autant de fois en enfilade!
Tantot, tu ne m’as pas laissé le temps de poursuivre!
C’est vrai. J’avais trop hâte de t’observer. La jouissance te rend belle.
Eugénie sourit et prend les lèvres offertes.
Peu après leurs corps, de nouveau enfiévrés s’épousent. Eugénie dénudée est renversée par son amante, qui la couvre. Elles se regardent, graves. Eugénie relève son bassin et, des deux mains, met son clitoris en offrande. D’instinct, Irina répond à son appel et y accole le sien tout autant exposé. Pariade primitive à la fois bruyante et silencieuse, au rythme brisé, doux et violent.
Bouche bée, les yeux ronds, Ivana se pétrifie au seuil. Fort inquiète des cris en provenance de la chambre de sa fille, elle était venue s’enquérir et, faute de réponse à ses coups discrets, elle était entrée. Elle contemple longuement le losange formé par les deux sexes reliés, à l’intérieur d’un autre découpé par les cuisses. Discrètement, elle se retire, laissant les tribades à leur union saphique, laquelle s’accomplissait dans l’exultation répétée de leurs sens.
Irina se blottit tout contre son amante.
Je ne croyais pas un tel plaisir possible.
Moi non plus, Irina.
Est-ce que c’est mieux qu’avec un homme, ou deux?
C’est autre, incomparable.
Je t’aime, Eugénie.
Moi aussi, je crois.
Je suis folle.
Eugénie hausse les épaules.
Nous sommes tous atteints d’un brin de folie. Toi, peut-être un peu plus que la moyenne des ourses à certains moments mais ni Laszlo ni Karol ne sont faciles à vivre non plus.
Tu aimes toute la famille!
Mon coeur est assez vaste pour se donner à tous les trois.
Ton corps aussi. Je veux en apprendre tous les pleins et les déliés… Eugénie, la prochaine fois, je veux que tu me fasses femme.
L’air de marcher sur des oeufs, Eugénie aborde Laszlo sur le point de partir. Il l’enlace et dépose affectueusement un baiser sur la joue satinée.
Qu’est-ce qui te préoccupe?
J’ai déjà lu qu’une telle chose existe mais… Euh… Je voudrais me procurer un objet qui ressemble le plus possible à un… phallus.
Hein? Deux vrais ne te suffisent plus?
Mais oui, voyons! … Cela n’a rien à y voir! Je t’en prie, ne me taquine pas. Je me trouve déjà bien embarrassée!
Toutes mes excuses. Je ne poserai pas de question, promis. Je vais voir ce que je peux trouver.
Quelques jours plus tard, Laszlo place un coffret devant Eugénie. Elle l’ouvre et écarquille les yeux en plus de devenir carmin.
Ne sachant pas exactement tes besoins, j’ai pensé que l’ensemble en couvrirait une large palette et pourrait convenir.
C’est un cadeau à l’unique femme que j’aime… Ce godemiché se couple avec l’autre… l’idéal pour des adeptes de Lesbos, m’a-t-on dit…
Oh! … N’en parle pas à Karol s’il te plait.
Je respecterai ton secret… Mais si nous conservions cet olisbos sous l’oreiller, j’aimerais bien…
Mais pour en faire quoi?
Tends ton joli cou que je t’étrangle!
Madame Ramirez, laquelle aidait quelques fois par semaine à l’entretien de la maison, partie, Eugénie, lasse de son après-midi de labeur, décide de s’octroyer une sieste. La température caniculaire et un fond d’air humide faisaient coller les vêtements à la peau. Dans le cabinet de toilette, elle se dénude et passe sur son corps moite un linge imbibé d’eau très froide. Ensuite, elle s’allonge nue offerte au souffle tiède du ventilateur de plafond, une acquisition récente. Elle s’endort.
Précautionneusement, Irina verrouille la porte derrière elle. Semblant chercher quelque chose, c’est dans le troisième tiroir du bas de la commode qu’elle le trouve. Elle se dévêt ensuite et se love tout contre la belle endormie. Eugénie s’éveille gémissante sous le cunnilingus prodigué. À petits coups de langue, Irina lèche, lape, titille, tortille et frotte le centre du plaisir féminin. La sentant prête, elle lui demande de se placer en levrette. Le godemiché que celle-là avait choisi comportait deux hampes parallèles reliées par un pont central. Elle humecte la plus petite entre ses lèvres. Jusqu’à ce que jouissance s’ensuive, Irina orchestre la pénétration des pénis artificiels.
Irina s’allonge sur le dos.
Fais de moi ta femme, maintenant.
Eugénie hoche la tête. Des paumes, elle écarte doucement les cuisses d’Irina. Elle prend un olisbos de bonne taille et le fait pénétrer dans le vagin jusqu’à ce qu’elle rencontre une résistance. Maintenant l’objet stationnaire de l’autre, elle ouvre les pétales. Sa bouche se referme au coeur de la fleur. La succion excite Irina et elle se met à gémir. Eugénie y ajoute de légères pressions de la langue. Irina hurle en proie à un raz-de-marée orgasmique. Eugénie enfonce profondément le phallus et le laisse en l’état. Du pouce, elle agace délicatement alentour du bouton de rose. Irina jouit encore, les parois vaginales se resserrant spasmodiquement autour de l’axe rigide. Eugénie y rattache un semblable. Se plaçant de côté, les jambes entre celles d’Irina, Eugénie s’empale. D’abord hésitantes quant au rythme, les deux femmes s’accordent. Leurs doigts s’emmêlent comme leurs corps et jouent leur union saphique sur la partition de leurs gémissements.
Insatiable, Irina insiste. Elle s’agenouille, puis s’incline.
L’autre aussi, maintenant.
Eugénie la prépare longuement avec sa langue. Elle appuie sur les reins pour qu’elle se couche sur le ventre. L’olisbos, un peu plus court et beaucoup plus mince que celui qu’elles avaient utilisé précédemment remplace le majeur humecté. Irina crie plaintivement. Eugénie se couche sur elle, la vulve collée à la large base du membre. Irina se plaint. Eugénie n’en a cure et la sodomise au rythme de son désir revenu en force. L’autre se fait silencieuse.
Donne-toi, rejoins-moi, mon amour.
Quelques jours après ces événements, Irina est prise d’un accès de fébrilité éprouvant et, à la demande pressante de Karol, Ivana doit la remplacer à la librairie où elle travaillait plus ou moins régulièrement trois avant-midi par semaine. Entrainant Eugénie à la remorque, Irina est prise d’une frénésie de magasinage de matériel d’artiste dont la note fait grincer des dents Karol. Laszlo apaise la colère de son époux à sa façon et au mitan du lit. Trois semaines durant, Irina s’enferme dans la pièce inoccupée qu’elle s’attribue comme atelier. Parfois la nuit, elle sortait de son repaire pour se nourrir de n’importe quoi. Eugénie prend l’habitude de laisser dans le réfrigérateur, un achat tout récent, des assiettes pleines d’un repas équilibré.
Eugénie se montrant de plus en plus inquiète, Ivana doit la rassurer.
Quand Irina peint, ni rien ni encore moins personne ne peut la faire sortir de sa transe, je le sais d’expérience. Vous devez la laisser aller jusqu’au bout de son oeuvre… N’ayez crainte Eugénie, ce n’est pas votre… affection qui entre en cause.
Le teint d’Eugénie vire au blafard et elle porte la main à son coeur. Ivana lui prend le bras et l’entraine vers la causeuse.
Que ma vigilance ne vous embarrasse pas : comme toute mère, je veux protéger mes enfants, particulièrement Irina, si vulnérable. Que ses pulsions aient amené ma fille vers vous, je m’en réjouis… Ce n’est pas… souhaitable qu’Irina mette des enfants au monde puisqu’elle se trouverait incapable de s’en occuper adéquatement… De plus, je ressens l’amour que vous éprouvez pour elle et cela me rassure… Je ne suis plus si jeune et elle aura toujours besoin de quelqu’un… D’un autre côté, c’est un fardeau bien lourd à porter…
J’en ai une très nette conscience, Ivana. Tant que je vivrai je serai toujours là pour elle.
L’exclamation est émise d’un ton péremptoire et l’expression de figure confirme que cela ne souffrirait aucun délai d’application.
Venez voir!
Faisant fi du souper qui n’était qu’à moitié consommé, Irina entraine tout son monde vers son atelier, à l’exception d’Aurélien, lequel était monté quelques instants auparavant pour achever ses devoirs. Pour des raisons différentes chacun en reste sidéré. La demi-douzaine de toiles de grandes dimensions avaient été peintes avec un souci du détail proprement hallucinant. Les tableaux, d’une luminosité intrinsèque et diaprée se présentaient avec un réalisme transcendant, tarabiscoté mais très cru. Des oeuvres fouillées, achevées, celles d’un maitre au faite de son art.
Premier tableau. Une jeune femme alanguie assise devant sa psyché, un autoportrait vu de profil. Ses seins menus sont entièrement dévoilés et mis en exergue par son corsage déplacé et les mamelons en perles nacrées pointent. Son jupon de dentelle est relevé et ses jambes écartées sont nues. La seconde femme, les cheveux dénoués et en chemise de nuit sage, est agenouillée derrière elle. L’angle de son bras suggère que ses caresses atteignent le centre du corps de l’autre. Sa figure reste invisible puisque son nez est enfoui dans le cou de cygne de la première.
Deuxième tableau. La femme aux cheveux chatains, aux charmes plantureux d’un modèle de Rubens, le haut déboutonné laissant voir ses mamelles généreuses, est étendue sur le dos. Son vêtement est remonté jusqu’à la taille. Sa figure est rosie par l’émoi et ses lèvres gonflées. Une de ses jambes se positionne en équerre. L’autre femme, toute nue et penchée, observe attentivement ce que fait son amante sur son propre sexe.
Troisième tableau. L’union saphique des amantes, vulves accolées. Les angles de leurs cuisses ouvertes forment également un losange. La longue chevelure jais dissimule le haut de leurs corps.
Quatrième tableau. La femme potelée placée en levrette est pénétrée doublement par un godemiché maintenu par la plus jeune.
Cinquième tableau. Un olisbos est enfoncé à l’intérieur du corps de l’autre femme. Quelques perles de sang suggèrent une virginité au passé.
Sixième tableau. Les deux amantes, jambes emmêlées et placées à l’opposé l’une de l’autre, semblent alanguies du plaisir consommé. Leurs doigts sont entremêlés. Leur sexe est relié par un phallus artificiel prenant sa source dans l’une et son terme dans l’autre.
Irina interrompt leur contemplation muette.
J’ai pensé qu’une fois encadrées ces toiles pourraient être exposées sans choquer dans la trop sobre salle secrète du patron…
Subitement livide Karol se change en statue de sel.
Venez-vous souper? J’ai faim!
Le repas froid est absorbé en silence. Manifestement lasse et après avoir embrassé Eugénie rougissante mais aux lèvres dociles, Irina monte tranquillement se coucher.
Karol?
Oui, mère?
Qu’est-ce que cette « salle secrète du patron »?
Karol se concentre sur son café. Il finit par répondre mais conserve les yeux fixés sur sa tasse.
J’ai loué le logement au-dessus de la librairie. J’y conserve des publications que je réserve à des clients privilégiés. Irina a dû la découvrir en espionnant et en fouinant, ce dont elle ne se prive jamais.
Laszlo d’abord bouche bée poursuit l’interrogatoire.
Et ces « publications », sont-ce des ouvrages offerts sous le manteau?
Karol confirme d’un signe de tête.
Si j’ai bien compris, mes deux époux trempent dans la criminalité!
En zone grise seraient des termes plus appropriés. Ni Laszlo ni moi ne faisons de mal à personne ni ne risquons la peine capitale.
Mais l’enfermement comme là-bas!
Issus de la bouche d’Ivana les mots claquent tels des coups de fouet. Eugénie balbutie.
Comme à Spirit Lake…
En voyant les protagonistes, Eugénie a brusquement l’impression d’avoir proféré une énorme bourde. Ivana se lève. Elle semble soudainement si fragile qu’Eugénie s’empresse. Ivana refuse l’aide offerte, mais caresse affectueusement la joue.
Demain, mes fils, vous parlerez.
Ce n’était pas un souhait mais un ordre différé.
Les trois débarrassent la table et font la vaisselle dans un silence monacal. Laszlo succède à Karol dans la salle de bain. Distraitement, Eugénie se coiffait lorsque Karol la rejoint. Il s’agenouille derrière son épouse et l’enlace.
Quelle est ma gaffe?
… Ma mère ignorait tout de Spirit Lake.
Mais elle a mentionné…
Elle faisait allusion au passé là-bas, en Ukraine… Les dix dernières années de vie de mon père, que je n’ai jamais connu, se sont écoulées en détention. Celui de Laszlo y a végété durant cinq, également pour sédition… Peu après, il est mort, enseveli dans une mine… Par un fatal concours de circonstances, Ivana a gouté, à son tour, au régime carcéral et nous avons connu l’orphelinat durant trois années… Les premiers cauchemars de Laszlo datent de cette période… Nous nous sommes enfuis de notre pays pour conserver notre liberté menacée, et pour les mêmes raisons…
… Tu cours des risques…
Le moins possible mon amour… Les études de notre enfant coutent cher, et tout le reste aussi. Les profits de la librairie avoisinent le zéro. Et Laszlo ne peut pas tout supporter sur ses épaules.
Nous n’avons pas besoin de tout ce luxe.
En travaillant comme manoeuvre, je n’arriverais même pas à vous nourrir suffisamment tous.
Je peux encore essayer de trouver un emploi.
Qui s’occuperait d’Aurélien ainsi que d’Irina et de la maisonnée que tu tiens au bout de tes bras? À elle seule mère n’en aurait pas la force.
Je ne veux pas me trouver séparée de toi!
Je ne peux pas te fournir de garantie! Je suis extrêmement prudent, tout comme Laszlo. C’est notre seule assurance.
Eugénie se met à sangloter. Karol l’enserre entre ses bras. Un peu plus tard, elle s’épanche également dans ceux de Laszlo.
Quelque temps après, Laszlo lance.
J’ai constaté que mes acquisitions ont été employées à bon escient…
Tu savais! Enfin que ma soeur et ma femme forniquent ensemble!
Que tu es possessif, mon homme!
Laszlo! Je vais t’étrangler!
Ne trouves-tu pas sensuelles ces amours au féminin?
… En revoyant en pensée ces tableaux, je dois avouer que… cela ne me laisse pas indifférent. Irina est un maitre d’oeuvre et ceux-ci sont d’une sensualité…
Eugénie réussit à se libérer de leurs caresses devenues nettement libidineuses. Karol la rattrape et la portant un peu difficilement dans ses bras, il la jette tant bien que mal sur le lit. Les deux hommes convergent vers leur proie, laquelle s’avère finalement très consentante à tout ce qu’on voulait. Ils utilisent le godemiché dans leurs jeux de chair.
Quelques semaines plus tard, Ivana dépose devant son fils ainé une douzaine de toiles miniatures. Il met son journal de côté et la regarde sans comprendre.
Le commerce de tableaux n’est pas incompatible avec la mission de ta librairie. Le produit de leur vente contribuera au patrimoine familial. Par expérience, je sais qu’en fixer un prix relativement élevé, disons deux dollars, en augmentera considérablement la valeur.
Tes errances dans la ville depuis quelques temps…
L’influence d’Irina… J’ai retrouvé des élans de jeunesse.
Lentement, Karol examine une à uneles oeuvres d’Ivana. Des scènes de vie croquées sur le vif, des instants captés par un oeil de lynx et peaufinés dans les moindres détails. Le quotidien porté à l’extraordinaire. Il conserve le silence bien longtemps après avoir mis de côté la dernière.
Karol fabrique de petits chevalets pour mettre en valeur les chefs d’oeuvre. Ceux-ci s’écoulent en deux jours malgré le prix exorbitant demandé, soit dix dollars l’unité, socle compris. Régulièrement, Ivana renouvelle la provision.
1927 Une conception très spéciale de la vie
Karol délaisse la lecture de son journal et décroche.
Je souhaite que tu m’accordes une faveur.
Tout ce que tu voudras, mon amour.
À voir! Ce soir, je suis le seul homme en poste… Germain s’arrache les rares cheveux qui lui restent, car l’unique demande concerne une hôtesse… Dans le passé, la seule fois où cette situation s’est présentée… disons pour faire court que ce n’a pas été ma meilleure performance…
Où veux-tu en venir, au juste?
J’aimerais que tu assures le « service de nuit » auprès d’elle.
Tu es fou!
Très sensé, au contraire.
… Je ne bande pas sur commande! Et, le plus important, je suis fidèle à mon épouse!
Moi non plus malheureusement! Parle-lui s’en! … Je te rappelle dans quinze minutes.
Laszlo raccroche. Karol considère le combiné, furieux.
Eugénie lève les yeux de son ouvrage de reprisage et sourit en apercevant Karol, puis fronce les sourcils, subitement inquiète.
Qu’est-ce qui ne va pas? … Tu sembles à la fois fâché et… incertain.
Mon demi-frère et bien-aimé époux étire parfois les limites de mon amour pour lui! … Il a téléphoné tantot… Il veut que… j’effectue un « service de nuit » de dépannage auprès d’une cliente de l’hôtel…
… Mon petit doigt me dit que l’aventure te plairait…
… Je t’ai juré fidélité, ma femme.
Cela ne me déplairait pas d’en connaitre tous les détails… Si cette dame recourt à cet expédient, c’est qu’elle ne doit pas se trouver très heureuse sur ce plan… Une nuit avec toi lui permettrait d’emmagasiner du rêve… Et moi, je disposerai de toutes les autres…
Lorsque le téléphone sonne, Eugénie répond.
Il est en train de se faire une beauté.
Je t’aime, Eugénie!
Mais ce n’est pas gratuit!
Qu’est-ce à dire?
… Un rendez-vous doux avec toi me comblerait si tu te trouves libre.
D’accord. Je te rappelle plus tard à ce sujet.
Un échange de bons procédés en quelque sorte…
Laszlo rit mais pas Eugénie.
Tu as une idée derrière la tête, toi!
Devine!
Eugénie noue soigneusement la garniture de col.
Voilà, tu es fin prêt… Je te trouve très séduisant.
Je t’aime, Eugénie.
Moi aussi, Karol… Pars vite avant que je ne t’en empêche.
Eugénie…
En te violant, nigaud!
Au secours!
Vas-y! … Et reviens-moi.
Toujours, mon amour.
Laszlo l’attend, trépignant d’impatience.
Mais j’arrive juste à l’heure convenue!
Elle loge au 212. Elle t’attend pour souper.
… Laszlo?
Les détails ne serviraient à rien. Je n’éprouve pas le moindre doute que tu sauras t’en tirer avec tous les honneurs.
… Je me rends compte que je me suis mis dans une situation impossible.
Crois-tu?
Je vais t’étrangler!
Demain. File, tu vas être en retard!
L’hôtesse répond rapidement au faible coup de loquet.
Bonsoir, madame.
Elle s’efface pour le laisser entrer. Karol roule le chariot jusqu’à la table. Aussitot, il s’acquitte du service, plutot maladroitement à vrai dire.
Votre repas est servi, madame.
La femme rit brièvement.
J’ai l’impression que vous vous trouvez encore plus embarrassé que moi!
Karol lève les yeux et rencontre des prunelles vertes, intenses.
Veuillez excuser mes maladresses… C’est le cas.
Alors soupons. Pour tenter de nous mettre à l’aise.
Il s’accroche à la bouée salvatrice. Ils s’installent.
Karol… Euh… Avec un K et sans e à la fin.
Marie-Anne… Vous avez dû répéter ces explications souvent, sans doute. Je trouve que c’est un prénom original. D’origine slave?
Ukrainienne… C’est délicieux!
Chassez le naturel! Vous êtes gourmand et moi aussi… C’est d’ailleurs un peu trop évident. Mais vive le péché : c’est effectivement très bon!
En silence, ils s’adonnent à leur gourmandise commune.
Cérémonieusement, Karol sert le café. Marie-Anne rit.
Vous faites très bien cela lorsque vous êtes plus détendu!
Merci. J’avais besoin de cet encouragement!
Toutefois, ne trouvez-vous pas qu’il conviendrait d’oter vos gants? … Vous portez une alliance…
Parce que je suis lié à la plus merveilleuse des femmes! … Elle n’ignore pas ma présence ici en votre compagnie.
Pourquoi?
Quand on m’a demandé de rencontrer une hotesse, j’ai ressenti l’envie d’accepter… J’ignore pour quelle raison… Ma première réaction a été d’en parler avec mon épouse.
Qu’a-t-elle dit ?
… Euh… Que toutes les autres nuits, elle aurait le bonheur de se trouver dans mes bras.
… Votre sincérité me touche, Karol… C’est vrai que j’ai éprouvé le désir de… répondre à des pulsions… très fortes… Mon mari ne peut plus, en conséquence d’un diabète sévère, combler… certains besoins… J’ai un ami cher à qui, dans un moment de dépression, j’ai confié me trouver fort malheureuse de la situation, songeant même à l’annulation du mariage. Mais j’aime mon époux! … Tout à coup, j’ai remarqué que François s’était refermé sur lui-même. Interloquée, je suis allée le chercher dans ses retranchements. À ce moment-là, il m’aurait avoué être un meurtrier que je l’aurais remercié de m’accorder toute sa confiance. Il m’a dit : « La frustration que tu ressens, Marie-Anne, je la comprends trop bien et elle rejoint la mienne, d’une certaine façon, mais sur un autre plan… Nos gouts sont communs, en quelque sorte… Quand l’envie déborde, je séjourne dans un hôtel bien particulier, lequel m’a été conseillé par… une connaissance. Un ressourcement t’aiderait à juger plus sereinement de ce qu’il convient d’entreprendre ». Il s’est tu. Il n’osait pas me regarder. À cette minute précise, j’ai compris, je crois, ce qu’est la vulnérabilité humaine. J’ai serré mon ami tout contre moi, très fort. Et j’ai suivi son conseil… J’ignore pourquoi j’ai ressenti ce besoin de me justifier auprès de vous. Que c’est embarrassant!
D’autre café? … Alors, venez.
Elle s’exclame. Il sourit et lui tend la main. Elle le suit.
Karol mène Marie-Anne jusque dans la chambre et au pied du lit, où elle s’assied. Sous le regard captivé et avec une lenteur délibérée, il se dévêt, disposant ou déposant chaque pièce de vêtement ou accessoire à l’endroit approprié. Il termine son effeuillage par le caleçon. Sa virilité dressée rend hommage. Il s’agenouille devant elle, attendant son bon plaisir. Les phalanges glissent sur le visage masculin en soulignant les arêtes prononcées. Le geste empreint de timidité, il baise les lèvres pleines. Elle le retient par la nuque. Leur baiser perdure et s’approfondit. Insinuant ses mains entre son torse et la poitrine, il empaume les opulentes mamelles. Des pouces, il en fait rouler les perles. Il l’embrasse de nouveau, l’entourant. Petit à petit, il dégrafe le corsage, puis le corset. Il l’aide à s’en débarrasser. Aussitot, il fourrage voluptueusement dans la chair tendre, palpant, tâtant et caressant les tétons offerts. Tout autant goulument, il suce, lèche et titille l’entière surface exposée, faisant geindre la femme. Les mains de Karol serpentent à partir de la naissance des bottines, galbant les jambes gainées de soie fine, s’attardant sur les rectangles de peau à nue, entre les jarretelles, puis sur la vulve, par-dessus l’étoffe de dentelle délicate. Marie-Anne feule. Elle déboutonne sa jupe et Karol la lui retire ainsi que le jupon et la culotte.
Posez les pieds sur le rebord du lit.
Elle obéit, échancrant son sexe mis à nu.
Karol interprète sur le délicat instrument une partition digitale et orale jusqu’à ce que son amante s’anime du plaisir imminent. La sentant ouverte à l’homme, il la pénètre de sa verge dure, puis s’immobilise. Il reprend les touchers circulaires sur le clitoris en érection. Criant, Marie-Anne est emportée par la jouissance première. Karol se retire d’elle.
Tournez-vous, je vous prie.
Il soumet toute la région anale à sa langue. Marie-Anne se pame.
Me permettez-vous de vous prendre… de toutes les façons?
Elle consent à tout ce qu’il veut pourvu que ce soit maintenant. Karol la saille très lentement, freinant son envie. Le vagin épouse son pénis encore plus étroitement alors qu’elle hurle son paroxysme. Très vite, il se fraie un passage entre ses reins pour épancher la sève mâle. Marie-Anne hoquète mais s’abandonne aux ultimes assauts de son amant. Il s’appesantit sur elle, gémissant encore.
Attentionné, Karol baigne les parties génitales de Marie-Anne, puis les siennes. Ils s’enlacent au centre du grand lit.
J’envie votre épouse de se trouver ainsi comblée tous les jours.
Votre plaisir a fait le mien…
… Jamais il ne m’a caressé avec cette passion qui me fait me sentir belle et désirable.
Mais vous l’êtes!
Oh! … Sans doute pas pour lui.
Est-il puritain?
Non. Au début de notre mariage, c’est moi qui l’était, plutot! … Il n’est devenu pudibond que lorsqu’il a compris qu’il se trouvait frappé d’impuissance.
Alors, éveillez-le à la sensualité!
Que voulez-vous dire?
Qu’un homme peut jouir même sans bander.
… Comment est-ce possible? … Peut-être n’ose-t-il pas me le demander, par pudeur… Montrez-moi.
Caressez-moi, partout… Faites comme si je n’avais pas de pénis durci… Juste un peu quand même… Cessez ou je ne me maiîtrise plus… Glissez deux doigts dans mon fondement… En même temps, exercez des pressions concentriques juste au centre du périnée… Malaxez comme si votre main cherchait à joindre l’autre à l’intérieur… Plus vite, je vous en prie…
Karol se laisse aller. Il geint juste avant que sa laitance jaillisse. Marie-Anne en lèche chaque goutte.
Mais j’ai besoin d’être pénétrée pour pouvoir jouir!
Karol le fait avec ses doigts, et doublement. Inlassablement, il la pilonne ainsi.
Plus fort! … Ah! … Karol!
Vous pourriez également vous servir d’un godemiché.
Qu’est-ce que c’est?
Un phallus artificiel… Manipulé par celui que vous aimez, surtout…
Il exerce des pressions délicates sur sa vulve, déclenchant presque aussitôt une nouvelle vague de plaisir, puis peu après, une troisième.
Apprenez-lui cela, aussi.
Durant la nuit, elle le réveille de ses caresses et le chevauche, tremblante.
Marie-Anne…
Elle chuchote.
Cela non plus, il ne le peut pas. Comblez ce besoin aussi, je vous en prie.
Les mains de Karol s’égaient sur le corps désirable. Le sexe de la femme prend complètement sous sa gouverne celui de l’homme jusqu’à ce que la semence fertile s’épanche dans les profondeurs organiques propices.
Je souhaite que nous ayons conçu puisque ce serait mieux que je ne vous revois plus : je risquerais de m’éprendre de vous.
Elle pose un doigt sur les lèvres qui s’entrouvraient. Elle se rendort entre ses bras.
Un peu avant l’aube, Karol aperçoit un billet lui étant adressé niché entre le loquet et la porte : « Au sortir de ta nuit torride, viens au 306 ».
Eugénie passe près d’une demi-heure au bain. Elle se revet de ses plus beaux atours et se coiffe d’une couronne de tresses. Elle téléphone pour faire venir un taxi. Dans le hall de l’hôtel, elle reste immobile, l’air de ne pas savoir où aller, ce qui était le cas. Le maitre d’hôtel s’avance.
Puis-je vous aider?
Oh! Peut-être. J’ai rendez-vous avec monsieur Laszlo Tchoryk mais j’ai oublié le numéro de la suite où je dois le rejoindre.
Au 306, madame, à gauche et deux étages plus haut en sortant de l’ascenseur… lequel se trouve droit devant vous.
Oh! Merci de votre obligeance.
À votre service.
Germain la regarde aller, plutot perplexe.
Timidement, Eugénie heurte le loquet. Laszlo, en tenue de soirée également, répond aussitot. Il s’incline cérémonieusement et lui fait un baise-main.
Merci de me recevoir, Laszlo.
Tout le plaisir est pour moi, Eugénie.
Elle balaie la pièce du regard.
Quel luxe J’ai quasiment l’impression de me retrouver dans un autre monde.
Ça l’est, d’une certaine façon mais en plus artificiel que celui-là.
On frappe à la porte. Laszlo rentre avec un chariot sur lequel tronait un bouquet de roses thé.
Notre repas, madame.
Galamment, il lui avance une chaise. Il ouvre la bouteille de vin blanc qui reposait dans le seau à glace et remplit les coupes de cristal. Il leur sert l’entrée, un nid de fruits de mer. L’éclairage tamisé adoucissait bellement les traits d’Eugénie.
Tu es très belle, ainsi parée.
Et toi très séduisant et tellement élégant! … Je me sens embarrassée tout d’un coup!
… Peut-être parce que nous n’avons jamais été vraiment seuls et face à face, toi et moi.
Tu as raison… C’est tout à fait délicieux!
Ils terminent sans rien ajouter. Laszlo continue le service à sa manière impeccable.
Filet de saumon grillé, gratin dauphinois et fins haricots verts au beurre citronné.
Ils dégustent ces délices, rieurs, parlant de choses et d’autre. Après le café, il lui demande.
Qu’est-ce qui te préoccupe, Eugénie?
… Je ne sais pas comment l’exprimer. Ça reste tout noué à l’intérieur.
La soirée est jeune et nous avons tout notre temps pour nous détendre… Un doigt de cognac?
Oh! Pourquoi pas… Je croyais que l’on mesurait avec la largeur du pouce, pas la longueur… Voudrais-tu me rendre ivre?
Te griser, plutot. Nous boirons dans le même verre. Ainsi, je connaitrai tes pensées les plus secrètes.
Et moi les tiennes!
À bien y réfléchir, je crois que c’est grand temps que nous en partagions quelques-unes. Viens t’asseoir dans la causeuse.
Il lui prend la main pour l’y mener.
Ils sirotent leur boisson à petites gorgées.
Raconte-moi comment tu en es arrivé à offrir ces « services de nuit ».
C’est embarrassant!
Je veux savoir afin de mieux comprendre.
Après le cauchemar de Spirit Lake et de retour à Montréal, je me suis mis en quête d’un emploi. Moi qui n’avais été que marmiton, j’ai fait preuve de hardiesse et j’ai offert mes services dans ce grand hôtel comme garçon de table, me targuant d’une expérience que je ne possédais pas. Heureusement, j’apprends vite, par une sorte de mimétisme naturel. Je me suis rendu compte que plusieurs d’entre nous, hommes ou femmes, se trouvaient parfois affectés à d’autres tâches, lesquelles survenaient le soir et perturbaient au pied levé les horaires de tout le monde bien que sans faire de vague, à vrai dire. À la tête des élus, j’ai compris qu’il s’agissait d’une promotion en quelque sorte. Un après-midi, Germain, le maitre d’hôtel et le dieu tout puissant des lieux, m’a convoqué la soirée même à la suite 407 pour une rencontre d’évaluation. Durant les heures menant au rendez-vous fatidique, j’ai mangé mes bas tellement j’avais peur de perdre mon travail. À la seconde près j’ai frappé, précédant de peu le chariot du souper. J’ai servi dans un état second mais impeccablement, je crois. « Assieds-toi et détends-toi, Laszlo : je n’ai nullement l’intention de te faire prendre la porte! » Nous avons mangé en silence. Au café, Germain m’a dit : « Je reçois beaucoup de demandes émanant de notre fidèle clientèle et te concernant. » J’ai attendu la suite dans l’expectative. « J’aimerais que tu acceptes d’assurer le service de nuit lorsqu’il est requis. » D’emblée, j’ai donné mon accord. « Je ne suis pas certain que tu comprennes clairement ce que cela implique… Il s’agit, également et surtout, d’échanges de nature sexuelle. » Là, j’ai figé. « Je regrette, monsieur mais cela m’est impossible. » Sous son regard inquisiteur, mes derniers retranchements se sont évanouis. « Au fond peu importe que vous me montriez la voie de sortie et pour cette raison : mes affinités ne trouvent leur expression qu’avec le sexe identique. » « C’est ce dont j’avais soupçonné et ceci correspond aux requêtes qui me parviennent. » Abasourdi, j’ai levé les yeux sur lui. J’ai balbutié : « Quand est-ce que je commence? » Imperturbable, il a lâché son pavé dans la mare : « Ce soir ». Il a ajouté : « Sers-nous de cet excellent brandy »… Profiter de la maitrise de Germain en la matière a constitué une expérience inoubliable.
Laszlo dépose le ballon vide sur la table basse. Il enlace Eugénie. Leur profond baiser se prolonge. Le regard d’Eugénie, tout étonné, plonge dans le sien. Il resserre son étreinte et reprend les lèvres tentantes.
Laszlo?
Permets-moi de te faire l’amour, Eugénie.
La première fois, seul à seule. C’est mon plus cher désir depuis longtemps.
Laszlo la considère surpris.
… J’ai toujours cru que, pour toi, j’étais un mal nécessaire… pour garder Karol, en quelque sorte.
J’avoue que j’ai pensé la même chose mais à l’inverse.
Au début de notre lien, seulement. Tu es quelqu’un d’exceptionnel, Eugénie. À te côtoyer, j’apprends à te connaitre. Et j’aime ce que je découvre.
Tu m’enlèves les mots de la bouche.
Ils s’embrassent de nouveau. Laszlo s’enhardit. Il dénude la poitrine d’Eugénie.
Toi, aussi.
Il obtempère. Ils se trouvent peau à peau et fort heureux de l’être. Ils se caressent mutuellement et de la même façon. La jupe et les jupons s’empilent sur la moquette, de même que les vêtements masculins. Laszlo la renverse à demi. Ses mains remontent lentement la soie, de la naissance de la bottine à celle des jarretelles de dentelle noire. Ses paumes s’attardent sur les rectangles de chair nue et frémissante des aines. Il se penche pour rendre hommage passionné à la vulve mise en désir.
J’ai envie de te faire la même chose.
Laszlo se déplace pour satisfaire à sa requête. Ensemble, ils atteignent le sommet du désir ainsi agglutinés l’un à l’autre.
Beaucoup plus tard, toilette faite, Eugénie se dénude entièrement et ils se blottissent dans le lit, tout proches, les gestes tendres. Sans s’en rendre compte, ils glissent doucement vers le sommeil.
Un peu avant l’aube, Laszlo se réveille en proie au désir exacerbé par les attouchements très précis de sa compagne.
Prends-moi, mon amour.
Aussitot, il se couche sur elle et la pénètre. Bien vite toutefois il retombe sur le côté.
Je suis désolé, Eugénie…
Il caresse sa vulve.
Non… J’ai envie de t’appartenir, Laszlo.
Je n’y arrive pas! … J’ai besoin d’un homme à mes côtés pour y parvenir parce que je n’en suis pas un!
Au contraire! Tu as tenté de faire l’amour à une femme. Je n’en suis pas une, pas seulement du moins, mais Eugénie, celle que tu penses aimer et qui partage ta vie… Laszlo, es-tu sincère?
Je le suis.
Prouve-le et rejoins-moi dans l’amour.
Leurs prunelles fusionnent, puis leurs corps, intensément, violemment aussi.
Laszlo! … Aujourd’hui, peut-être, nous concevons notre enfant.
Eugénie!
Il répand sa semence masculine à l’intérieur du creuset de la féminité.
Viens me prendre ainsi, Karol. Ensemence-moi, toi aussi.
Vite dénudé, celui-ci s’enfonce en sa femme. Presque immédiatement, il éjacule sa laitance fertile.
Ainsi, vous serez tous les deux pères de notre enfant.
Ils acquiescent, graves. Ils s’enferment dans une enclave d’amour absolu.
Eugénie occupée à sa toilette dans la salle de bain, Laszlo se rapproche de Karol et pose sa tête sur la poitrine de son époux.
Et cette nuit?
Marie-Anne est une femme très sensuelle… Nous avons passé de merveilleux moments… Le coffret de godemichés, comment est-il venu en ta possession?
Un ami… Il fait de l’import-export… Tu veux faire un cadeau, donc… Le cout va entamer ton « pourboire » de moitié… Le colis lui sera livré avant qu’elle ne parte.
Merci, mon homme… Toi et Eugénie, ensemble : rien ne peux me rendre plus heureux, Laszlo.
Notre enfant…
Le tien et le mien… Elle a raison : l’aboutissement de notre amour à tous les trois.
Au fil des jours, les égards et les prévenances de Laszlo et de Karol envers Eugénie se multiplient de manière exponentielle. Celle-ci acceptait ces attentions sans mot dire, la figure ombrée d’un demi-sourire. Ivana, de plus en plus intriguée, mais retenue par sa bonne éducation évite de poser des questions. Irina ne remarque pas grand-chose, cette fois enfermée dans un monde intérieur où nul n’était admis. Tous les gestes de la vie quotidienne, elle les accomplissait en automate. Il fallait attendre que cela passe. Ce qui correspond au moment de l’annonce d’Eugénie.
Je vais donner naissance à notre enfant.
Ce sera un garçon.
… Peut-être, Irina.
Crois-moi : je ne me suis jamais trompée dans mes prédictions.
Alors, notre fils se prénommera Solime. Comme il portera vos patronymes, j’estime que de choisir son prénom constitue mon privilège. Mon grand-père adoptif le portait. Idola haïssait son père parce qu’il se montrait tout son contraire : libre, fier, bon vivant, le bonheur chevillé au corps, malgré la dureté de sa vie, athée, fantasque et j’en passe. Solime me suggère aussi « solitaire » puisqu’il sera notre unique progéniture… Pour pouvoir mener ma grossesse à terme, j’aurai besoin de l’aide de tous : une fois déjà, j’ai perdu un foetus. La sage-femme s’est montrée catégorique : du repos, encore du repos et beaucoup de repos, peut-être même l’alitement au moindre signe de détresse.
De vous deux, qui est le père?
Laszlo et moi, Irina… Ceci reste dans la famille, de toutes les manières.
1928 La famille augmente
Au huitième mois de sa grossesse, Eugénie doit s’aliter en permanence. Sa chambre devient le terrain de vie de tous et chacun, même du grand adolescent qu’était devenu Aurélien.
Est-ce que ça fait mal de mettre un enfant au monde?
Oui, mais passé ce cap difficile subsiste la joie de faire naitre une créature de Dieu.
… Tu n’as pas accouché de moi.
Non mais je t’aime tout autant que si cela s’était avéré. Tu es mon fils de coeur et le resteras toujours… Viens près de moi, j’ai envie de te serrer très fort.
Aurélien s’installe très doucement dans le grand lit et se love tout contre sa mère de coeur. Le pouce dans la bouche, il s’endort.
Eugénie hurle. Karol et Laszlo s’éveillent, hébétés. Elle parvient à articuler.
Les contractions…
Eugénie presse son ventre distendu et crie de nouveau.
Elle est en train d’accoucher! … Tout ce sang!
Va chercher mère. Dépêche-toi. Je téléphone au docteur Desrosiers.
Eugénie se met à gémir sans discontinuer.
Ivana emprisonne les mains de la parturiente.
Votre accouchement est commencé et vous avez perdu les eaux. Je vais vous aider du mieux que je le peux en attendant l’arrivée du médecin.
Ladite la considère, l’oeil vague, tout à sa souffrance.
Eugénie!
Celle-ci balbutie.
Madame…
J’ai mis au monde mes trois enfants, seule. Vous devez m’obéir. Laszlo, fais bouillir de l’eau en grande quantité. Karol, apporte-moi des linges propres et un couteau à la lame effilée. Eugénie, respirez comme moi et avec moi. Quand vous sentez que la douleur vient, poussez fort : c’est nécessaire que la délivrance se fasse.
Ivana!
Agenouillez-vous, ou prenez n’importe quelle position qui vous semble confortable : cela fera moins mal… Serrez-moi très fort… Projetez-votre souffrance vers moi.
Karol! Laszlo!
Aussitôt leur tâche accomplie, ils sont là. Elle accroche un bras à chacun d’eux et ils la maintinrent de près. Très délicatement Ivana vérifie la progression de l’enfant.
Je sens sa tête. Allez-y encore une fois.
AH!
Oui! Un autre effort, ma fille!
Les cris d’Eugénie se font assourdissants. Karol et Laszlo, en proie également aux affres de la paternité, pleurent. L’ultime hurlement d’Eugénie, la tête rejetée vers l’arrière et les yeux révulsés.
Votre enfant est né!
Eugénie ne l’entend pas puisqu’elle sest évanouie. Quand elle reprend conscience, le bébé, encore recouvert de mucus, tète sa mamelle, concentré. Karol et Laszlo, émus par la violence de la naissance, contemplent émerveillés leur enfant et sa mère.
La merveille de la vie, mes fils.
Le docteur Desrosiers considère la scène, réprobateur. Le regard d’Ivana le dissuade d’émettre le moindre commentaire. Le lien d’affiliation coupé, Solime est baigné malgré ses protestations énergiques. L’expulsion du placenta se fait sans difficulté. La mère et l’enfant se portant au mieux, le médecin prend congé. Ils procèdent à la toilette de l’accouchée et du lit. Laszlo et Karol entourent la déesse de la vie. Solime, repu et tétant son pouce, s’endort sur le ventre d’Eugénie.