Sélectionner une page

Le rhombe

Louise Gauthier

Arnaud e Pier

Arnaud s’astreint à se concentrer sur un cas de jurisprudence particulièrement abstrus et à effacer de son esprit la vision des seins copieux soumis brièvement à sa concupiscence visuelle par Marielle Renaud depuis peu sa secrétaire à temps partiel le matin. La coquine fort compétente par ailleurs s’amuse à l’allumer offrant au regard comblé du voyeur une partie ou une autre de son anatomie aux formes sculpturales : avant-hier ses cuisses fermes juchées sur des jambes fuselées hier ses jolies fesses… Le timbre inopportun du téléphone interrompt sa rêverie. Marielle étant partie à midi pile rajustant son corsage et le saluant d’un rapide baiser rieur il répond lui-même.

Service-conseil en assurances; maitre Arnaud Dontigny à l’appareil.

Pier Borghese; je suis associé chez Beaulieu et Marquette actuaires. Monsieur Marc Beaulieu que vous avez déjà rencontré m’a procuré vos coordonnées. Vous êtes avocat et juriste réputés; c’est la raison de mon appel. Votre expertise nous serait nécessaire pour préparer un contrat avec un important client. Actuellement l’étude qui s’occupe de nos dossiers ne peut pas assurer ce mandat. J’aimerais vous rencontrer pour que nous en discutions si cela vous agrée bien entendu.

Je suis à votre disposition. Quand et où voudriez-vous qu’ait lieu cette rencontre?

C’est impromptu je m’en rends compte mais aujourd’hui autant que possible puisque je dois m’absenter de la ville dans les prochains jours et j’aimerais être fixé avant mon départ.

Je suis libre dès maintenant.

Si vous n’y voyez pas d’inconvénient je pourrais vous recevoir à ma résidence mon avion partant tôt dans l’après-midi disons à treize heures trente.

Parfait je prends en note votre adresse.

Arnaud est surpris et flatté de cet appel d’une société qu’il sait d’envergure. Une rencontre avec le sieur Borghese peut s’avérer fort intéressante et peut-être favoriser la signature d’un contrat lucratif pour son étude. Arnaud fait un détour vers la maison pour changer de chemise mais conserve ses jeans. Élise devait certainement « s’amuser » au parc Gohier avec Solveig. Il engloutit rapidement le sandwich jambon-cheddar-Dijon confectionné par sa moitié à son intention et délaissé au frigo le matin même. Il remonte dans sa vieille Renault déglinguée pour se rendre à son rendez-vous où il n’arrive qu’« avec seulement dix minutes de retard en quelque sorte un exploit ». Arnaud est époustouflé par la résidence une pierre précieuse enchâssée dans un délicat bracelet. Il se gare non loin de l’entrée principale. Il est reçu par une dame d’un certain âge à l’aspect sévère et tout de noir vêtue vraisemblablement d’origine italienne à son accent qui l’introduit au salon. Monsieur Pier Borghese actuaire de son état s’avance pour l’accueillir. Et le temps s’arrête.

My heart got a bang.

My head got a spin…

It ain’t fair  de Jean-Pierre Ferland

Arnaud ressent une secousse sismique à la vue de son hôte. L’onde de choc atteint d’abord son corps puisque le souffle coupé il se pétrifie puis sa tête lorsque la confusion s’y installe. Toujours figé après plusieurs secondes son regard est focalisé sur ce parfait produit pure Italie. Pier Borghese est grand à peu près de la même taille que lui près de deux mètres. De sa silhouette athlétique émane une force tranquille. Il est d’une beauté à vraiment couper le souffle : un franc sourire ouvert sur des dents éblouissantes, une mâchoire volontaire, des sourcils plus foncés que ses cheveux et d’une forme délicate, de longs cils noirs frangés sur des yeux outremer aux orbites un peu renfoncées. Arnaud trouve aristocratique son nez aux arêtes fines légèrement en bec d’aigle. Ses cheveux fauves noués en catogan dégagent un haut front intelligent. Il est vêtu avec une élégance simple et racée. En harmonie ses gestes souples sont empreints de sensualité. En fait tout peut être élevé au superlatif.

Pier s’arrête interloqué quand il voit maitre Arnaud Dontigny paralyser puis changer de teinte. Sensible à cette réaction il se permet de le détailler à son tour. Il le rejoint finalement lui tend une main chaleureuse que l’autre ne voit pas immédiatement. La voix parvient enfin aux oreilles d’Arnaud qui aperçoit la main tendue. Il s’en saisit pourpre de confusion puis pâlit à ce chaud contact.

Je suis enchanté de faire votre connaissance avvocato Dontigny.

Oh! Pardon! Excusez-moi! Je suis désolé…

Prego! Puis-je vous offrir un verre d’un excellent xérès?

J’accepte volontiers.

Quelques heures plus tard après de fructueux pourparlers qui trainent un peu en longueur Arnaud voulant éclaircir tous les détails et leur implication ils trinquent à nouveau pour sceller leur accord. Le silence à couper au couteau qui s’installe ensuite est rompu par l’hôte sur un registre devenu intime.

Je veux te connaitre davantage signor Arnaud… Je serai de retour pour le week-end viendrais-tu me retrouver samedi?

Je viendrai.

À vingt heures trente précises. Nous dinerons.

 

Élise ronfle légèrement à ses côtés. Elle s’ouvre à lui comme une fleur. Elle est chaude et douce femelle délicieusement pénétrable. Elle place un préservatif sur son phallus tendu à éclater. Au lieu du crescendo dual familier Arnaud jouit en la sertissant incapable de se retenir. Cela ne fait rien caresse-moi. Il s’exécute avant de sombrer dans un sommeil de plomb.

Au bureau le lendemain matin Marielle se fait porter pâle. Avec la montagne de boulot qui vient subitement de s’abattre Arnaud se met au travail panacée à toute tergiversation. Occupé et préoccupé ce n’est que lorsque son estomac crie famine à huit heures du soir qu’il s’arrête. Il téléphone à Élise pour s’excuser et dire qu’il rentre illico. Élise n’est pas précisément d’humeur douce quand le « retardataire chronique » se pointe d’autant plus qu’il s’est attardé à faire il ne savait plus quoi et qu’il est neuf heures quinze quand il insère sa clef dans la serrure. Élise lui précise qu’il n’y a pas de souper Solveig ne lui ayant pas laissé une seule petite minute de répit pour le préparer et qu’elle refuse de s’y mettre maintenant même avec son « aide » parce que trop fatiguée. Ils commandent un repas du restaurant chinois.

Après une courte nuit tourmentée c’est dès l’aurore qu’Arnaud regagne son étude. Marielle quand elle arrive à neuf heures pile le voyant absorbé décide de ne pas troubler sa concentration. À midi moins deux elle lui donne ses lèvres à gouter. Elles sont à la framboise. Sa petite langue darde dans sa bouche. Il savoure cet en-cas délicieusement prometteur et la serre contre lui. Elle se dégage en riant lui lance un bec volant et part en coup de vent; si légère Marielle la gazelle. Il téléphone à Élise afin de lui demander d’appeler la gardienne pour l’aider puisqu’il devrait travailler toute la soirée. Arnaud communique également avec la société d’actuaires pour remettre son rendez-vous. La secrétaire de Pier répond que monsieur Borghese est absent. Il lui demande quel prénom identifie une si charmante voix et une personne si aimable. Martine lui précise que son patron ne reviendra pas avant lundi matin et que s’il veut laisser un message elle se fera un plaisir de le lui transmettre. Il préfère rappeler. Arnaud essaye la résidence le numéro figurant également sur le bristol; aucune réponse. Après il « oublie » d’effectuer de nouveaux essais. Quand il y repense plus d’atermoiement ni d’échappatoire : c’est vraiment trop tard pour décliner la proposition sans paraitre gravement impoli.

Et samedi arrive. Le petit chou devenu petit diable les occupe toute la matinée et l’après-midi en entier sans coup férir. Arnaud annonce juste avant d’entamer sa toujours interminable toilette rituelle qu’il a rendez-vous le soir même. Avec Marielle? Non quelqu’un d’autre; il ne précise pas davantage. Élise ne s’en formalise pas : cela lui arrive parfois de prendre quelques soirées de « congé »; à elle aussi avant Solveig.

 

À son retour ses bagages défaits Pier rejoint Marialucia et l’embrasse affectueusement. J’ai une faveur à te demander… J’ai invité quelqu’un samedi soir et… Tu veux que je me confine dans mes quartiers. Perdonami! C’est ce bel homme qui est venu il y a quelques jours? Si! Je serai invisible jusqu’après le petit-déjeuner. Grazie mille! Pier met un soin particulier à orchestrer ce tête-à-tête avec Arnaud : choix des fins mets, courses, tablée, service et ainsi de suite cette locution recouvrant la partie la plus importante. C’est dans la cuisine puis dans l’attente fébrile qu’il passe la journée de samedi arpentant la maison de long en large et de haut en bas rectifiant un détail ou un autre au moins dix fois. En fin d’après-midi il effectue une toilette encore plus méticuleuse qu’à l’accoutumée et hésite de longues minutes à choisir des vêtements seyants mais décontractés.

Arnaud sonne à vingt heures trente précises. La porte s’ouvre instantanément et Pier s’encadre dans l’embrasure. Arnaud reste sans voix et immobile devant le sourire luminescent qui l’accueille chaleureusement. Pier porte des sandales de cuir ainsi qu’un pantalon de lin noir et une chemise blanche d’une fine étoffe. Ses cheveux fauves rejetés en arrière flottent librement sur ses épaules. Sono felice della tua venuta! Arnaud embarrassé sourit à son tour. Son hôte lui prend le bras et le guide au « petit salon ». Bianco con amaro? C’est un vin blanc avec un soupçon d’amer à base d’artichauts du Cynar. Volontiers. Arnaud retrouve la pièce de leur première rencontre mais dont il n’avait remarqué aucun détail. Elle reflète la personnalité du maitre de céans ainsi que sa culture éclectique et son « raffinement très italien ».

De quelle région m’avez-vous dit être originaire?

Je ne l’ai pas précisé… de la Valle d’Aosta un territoire autonome niché dans le coin nord-ouest de la péninsule italienne. Je vis ici depuis plus d’une décennie d’abord pour mes études et maintenant par choix… bien que je ne sache toujours pas exactement lequel!

Arnaud fait écho au rire de l’autre. La Traviata de Giuseppe Verdi joue en sourdine. Arnaud sirote l’apéritif que lui tend son hôte se laissant envahir par les chants et la musique d’un des opéras qu’il apprécie particulièrement. La soirée de début d’été est clémente un peu chaude même. Une douce luminosité ocrée nimbe la vaste pièce en laissant les encoignures dans la pénombre. Tandis que Pier s’affaire aux derniers préparatifs du repas Arnaud rêvasse promenant son regard alentour puis l’arrêtant sur le magnifique cheval de bronze puissamment musclé au galop sur une console en acajou.

Pier le convie dans la salle à manger adjacente. La grande table est nappée de brocart. Les candélabres projettent sur la fine faïence des deux couverts des lueurs dorées dans un jeu d’ombres fugaces et de lumières fuyantes. Pier leur sert du vin dans des coupes de cristal délicat. La présence d’Arnaud et sa beauté toute simple le grisent… et lui fait faire la première entorse de sa vie d’adulte à la plus élémentaire courtoisie. C’est avec une sincérité absolue et impulsive qu’il lance en élevant sa coupe vers Arnaud.

In omaggio alla tua virile armonia…  

Il achève dans un souffle brusquement conscient de son impair. Arnaud ne demande pas de traduction : c’est très clair.

Comme entrée en matière c’est plutôt direct et… prématuré.

Mi scusi sono grossolano!

Contrit et confus Pier n’en revient pas de son audace. Il ne sait pas comment réparer ce qui peut être pris comme une insulte grossière mais qui ne l’est pas en la circonstance. Voyant son vis-à-vis si manifestement mal à l’aise Arnaud d’un geste de la main veut atténuer l’effet de sa sèche rebuffade et rattrape de justesse la coupe faisant quelques dégâts dans l’ordonnancement parfait.

Désolé d’être si maladroit…

Moi aussi!

Pier lève simplement son verre de nouveau et boit après avoir admiré la robe du vin d’un regard de connaisseur. Les traits d’Arnaud s’altèrent légèrement et il rosit.

C’è un problema?

Non juste un flash… Une image me traversait l’esprit…

Ils se renvoient un rire. Soudain la glace est brisée et ils dégustent au début en silence le savoureux et plantureux diner orchestré et apprêté avec un soin extrême par le Chef en personne.

Antipasto : Fiori di zucchini ripieni des fleurs de courgettes dorées au four farcies d’une purée de légumes, d’œuf, de parmesan râpé.

Primo piatto : Trenette al pesto des pâtes fraiches avec de l’huile d’olive, du basilic frais, des noix de pignons.

Vino : Lumassina

Secondo piatto : Piccata alla lombarda des escalopes de veau à la sauce citronnée et persillée accompagnées de courgettes légèrement panées et sautées.

Vino : Barbaresco

Contorno : Insalata mista in pinzimonio des tomates naines, de la roquette, de la chicorée et une vinaigrette poivrée de frais.

Formaggio : Grana Padano et Parmigiana Reggiano

Vino : Barbaresco

Frutti : petits fruits macérés dans du sucre fin.

Pier assure le service avec panache et est un hôte attentif. Le silence un peu gêné fait place à une discussion à bâtons rompus sur tout et sur rien et les deux hommes jouissent de leur compagnie mutuelle. À un certain moment Arnaud dans un accès de curiosité assez coutumier chez lui s’informe si Pier vit seul dans cette immense et magnifique résidence.

Je demeure avec Marialucia celle qui t’a accueilli l’autre jour. Enfant elle a été ma bambinaia. Quand je suis parti c’est la seule personne que j’aie regrettée. Il y a trois ans elle a répondu à mon appel au secours; j’étais à la limite de ma résistance et Marialucia l’a détecté.

Excuse-moi je ne voulais pas faire preuve d’indiscrétion…

Je vais te répondre même si cela l’est. Lorsque Marialucia est arrivée mon ami se trouvait en fin de vie. Elle m’a aidé au-delà de toute mesure à faire en sorte que Dominique ait les meilleurs soins afin que… qu’il puisse mourir dignement. J’ai été et demeure dévasté par sa mort.

Que lui est-il arrivé?

Il mio amore est mort des suites du SIDA… Avant que tu ne poses pas la question et pour clarifier : non je n’ai pas été contaminé; tu ne serais pas ici ce soir si cela était.

Arnaud dépose sa main sur celle de son vis-à-vis et l’y laisse un moment. Pier retrouve subitement son sourire merveilleux et la conversation reprend. Les deux hommes découvrent au fil de leurs échanges que la fenêtre ouverte sur chacun leur plait. De petits fils invisibles émanent de l’un et de l’autre et se nouent entre eux à un rythme effréné.

Le diner terminé Pier l’invite sur la terrasse. Après un passage obligé au cabinet et le précédant Arnaud s’installe confortablement dans une vaste causeuse et non dans un des deux fauteuils davantage à proximité de la porte. Pier lui tend un verre de « Calvados hors d’âge du Boulard »; leurs doigts s’effleurent et Arnaud frémit. Pier s’assoit près de lui de côté et dans la même position. Seul un fil d’air sépare le genou de Pier de celui de son presque amant. Il sirote sa liqueur les yeux fixés sur son vis-à-vis silencieux. Arnaud pose son regard sur le chatoiement de l’eau de l’immense piscine aux parois de mosaïque blanc et bleu profond aux formes ondulées… Il se décide enfin à le regarder et s’engloutit dans ses yeux. Pier se détourne pour déposer son verre sur une table basse. Revenant au sujet de son attention il lui effleure l’ourlet de l’oreille, éprouve l’arête de la mâchoire, ressent la texture de la joue, s’attarde à sentir sous ses doigts le velouté des lèvres. Le silence indécis et inquisiteur se prolonge et le temps reste suspendu à la fin de cette caresse. Arnaud déglutit et humecte ses lèvres… Il amorce en réponse un geste vers Pier mais heurte le verre oublié dans sa main contre l’épaule de celui-ci brisant ainsi l’atmosphère sensuelle qui s’était installée. L’aspergé décontenancé par l’incident sursaute au contact du liquide imprégnant ses vêtements.

Pardonne-moi cette maladresse! Vos attentions me perturbent Monsieur Borghese!

Vous agréent-elles signor Dontigny?

Arnaud dépose le verre vide sur une dalle puis pose brièvement ses lèvres sur celles de son amant. Pier stoppe sa retraite en plaçant une main chaude sur sa nuque. Il réquisitionne la bouche d’Arnaud et trouve sa langue. Le troublant baiser est d’une indéfinissable douceur. Arnaud troublé a l’impression que la débandade de son cœur est audible. Il sent son sexe se durcir davantage. Et ce désir lancinant est orienté vers un homme… Les deux se rapprochent afin de minimiser la distance et maximiser le contact Arnaud dans les bras de Pier. Se repaissant de sa bouche il caresse la poitrine d’Arnaud puis son bras, sa hanche, pousse l’audace en dérivant son incursion vers ses bas intérêts hautement intéressants; Arnaud émet une légère plainte et se love davantage. Pier récidive en diésant; l’autre halète sourdement et modifie sa position pour favoriser un contact encore plus intime. Les vêtements deviennent une gêne dans cette quête sensuelle et sexuelle. Arnaud soupire et frémit lorsque Pier déboutonne lentement sa chemise poursuivant ses arpèges sur son torse nu et glabre. Hésitant d’abord Arnaud s’autorise des privautés sur la personne; il enhardit une main baladeuse sur les pectoraux de son amant le touchant doucement à travers le tissu. La main impertinente et impatiente hasarde son périple sur l’étoffe du pantalon où elle se fixe d’autorité sur une protubérance à la sensibilité indubitablement à fleur de peau. Pier se prête avec complaisance à la manœuvre. Il geint obsédé par un désir envahissant qu’il sait réciproque. Sa maitrise de soi devient grandement compromise. Viens-tu te baigner? Arnaud hésite un instant puis donne son accord.

Le dos tourné Pier se débarrasse rapidement de ses vêtements et plonge. Arnaud termine lentement le travail largement entamé et prend le temps de disposer adéquatement ses effets sur un siège à portée. C’est à ce moment-là qu’embarrassé il s’aperçoit qu’il exhibe la preuve irréfutable et incompressible de son désir. Pier sourit quand il le voit tenter vainement de dissimuler pudiquement ce qui ne pouvait être réellement caché en l’état. Arnaud y renonce et s’immerge dans l’eau fraiche. Il scrute la surface mouvante et miroitante mais ne voit rien d’autre que des arabesques d’ombres sculptées de lumière. Soudain étonné il se retourne. Le sujet de sa quête surgit de l’onde à quelques centimètres. Arnaud tressaille et dans un élan fortement teinté d’impétuosité dont l’impact arrache à Pier une grimace de douleur s’accole à lui et prend possession de sa bouche. Pier comble de molécule à atome l’hiatus qui subsiste encore et l’enlace; ses mains trouvent leur place sur ses fesses. Leur baiser de feu se transforme en étreinte passionnée enflammée par ce désir qu’ils partagent corps à corps et membres virils durcis en contact très rapproché.

C’est la première fois que… enfin que….

Che fai l’amore con un uomo?

Oui.

C’est curable… Pour y remédier je t’aimerai un millione di volte… comme thérapie.

Si nous allions soigner cela… au lit?

Pier s’éloigne sans répondre. Arnaud demeure à l’abandon… Son amant sort de l’eau et enfile un peignoir. Il tend la main et aide Arnaud à regagner la plage. Pier l’éponge exacerbant au moyen d’un soyeux drap de bain sa virilité brandie. Il pose un peignoir sur ses épaules qu’Arnaud endosse en s’empêtrant dans les manches. Pier démêle et le serre contre lui. Se tenant par la taille et en s’accordant des pauses fréquentes et torrides où ils se prodiguent préliminaires amabilités et complaisances charnelles ils montent chez Pier consommer la première de ce million d’étreintes. La chambre est fraiche et le lit est défait. Abandonnant son vêtement Pier y étend à demi sa magnifique nudité sensuelle appuyé sur un coude et le membre conquérant… Tu es beau! Vieni! Sa voix est rauque et son regard est assombri par une envie impérieuse. Son appel physique catalyseur et puissant trouve écho chez Arnaud. Délaissant son peignoir il le rejoint. De pair avec le désir de l’autre il s’abandonne aux gestes d’amour de Pier et à ses baisers brûlants parcourant son corps proie consentante d’abord puis agissant. Haletants les deux sont traversés de spasmes de plaisir qui les font geindre et accompagnent leurs attouchements parallèles à profusion. Quand la bouche et la main de Pier se referment sur les objets éminemment convoités celles d’Arnaud agissent à l’instar. Ils connaissent bientôt la montée irrépressible dans un paroxysme simultané qui les submerge et les laisse pantelants. Enlacés ils se reposent un bref moment avant de reprendre leur quête de plaisirs sensuels raffinant leur gestuelle d’amour charnel au fur et à mesure que leurs corps se reconnaissent. Pier se rend compte à ses réactions soudainement crispées que son partenaire souhaite ne s’en tenir qu’au prologue ni ne veut pas non plus s’impliquer. Déconcerté par ce pat il opte pour la tangente et se consacre entièrement à la pléthore de plaisirs donnés mais aussi reçus. Ils s’unissent ventre de Pier sur celui d’Arnaud verges amarrées et langues accouplées jusqu’à l’orgasme fulgurant et au-delà.

Un traquenard! Souper en tête à tête, lumières tamisées, ambiance presque irréelle, baignade, deux peignoirs, lit fort opportunément dégarni auparavant et j’en passe certainement!

Affatto e lo sapevi dall’ inizio signor Arnaud!

Oui il le savait depuis le premier moment de sa rencontre avec Pier.

À l’aube Pier s’éveille du mouvement de son amant entre ses bras. Il se dégage doucement et le contemple dans l’abandon au sommeil auroral tout en virile harmonie. Une flambée de désir l’anime. Arnaud se tourne sur le côté dos à lui. Pier d’un doigt aérien serpente le long de l’arc vertébral; il jette ensuite son dévolu sur la pente douce des hanches et les fesses du bel endormi en parcourant tendrement les méandres d’amont en aval. Arnaud frissonne et sort des brumes du sommeil. Lové contre lui Pier le masturbe d’une main sûre et Arnaud émet de sourds gémissements. Il sent le phallus dressé un peu froid visqueux même pressé entre ses fesses.

Mio amante… je vais te prendre.

Tout mais pas ça!

Je ne ferai rien sans que tu n’y consentes… Laisse-moi t’aimer de cette façon aussi ne met pas de frein je t’en prie…

Cela fait partie de la thérapie je présume?

Si! Concentre-toi sur le plaisir que ma main te procure et la douleur sera moins intense…

Mets quand même la pédale douce…

La respiration de son amant s’accélère sur sa nuque. L’attention d’Arnaud se fixe sur le plaisir ressenti qui devient omniprésent amenant une certaine détente dans son corps. Modifiant légèrement sa position Pier profane l’antre intime et exigu de son amant. « Ça fait mal! » traduit en un râle de gorge la douleur fulgurante et insoutenable infligée par ce corps étranger. Plaisir que les doigts experts de Pier continuent à prodiguer et douleur que le phallus de Pier tisonne au tréfonds dualité qui devient vite indissociable. La jouissance emporte les amants enchâssés.

Dans la salle d’eau tout de marbre gris et vert où règne luxe et volupté trône une baignoire certainement conçue pour accueillir le roi et au moins un courtisan assidu : une invitation à la licence. Arnaud reste béat devant la statue grandeur nature reproduisant l’Apollon du Belvédère et régnant entre deux colonnes. Sous les jets d’eau tiède qui tombent de mi-hauteur ils se savonnent ludiques et si proches. Pier s’agenouille devant Arnaud assis sur la margelle du bassin octogonal dans une pose licencieuse et suce son pénis à la recherche de ce genre de contact. Lorsqu’il obtient l’excitation souhaitée il y glisse un condom. Sodomizzami! Encore la thérapie je suppose? Si! Pier se place en levrette pour que son amant le pénètre. Arnaud le rejoint et procède gaillardement avec délectation à leur union siamoise. Sentiment de possession et sensation incomparable aussi grisants que ceux ressentis tantôt de l’être. Arnaud jouit en criant. Il soigne ensuite de ses mains ce que leur union a provoqué chez Pier. L’assouvissement venu languissamment repus ils laissent l’eau tiède les baigner. Dans leur regard une tendresse nouvelle née d’un bouleversement au-delà des oaristys de la mise à nu qui avait commencé bien avant l’union de leurs corps.

Sur la terrasse baignée de soleil ils dévorent à belles dents des pâtisseries se gaussant de leur appétit gargantuesque. Ce matin-là est chantant pour les amoureux et le temps ensoleillé s’accorde. Plus tard dans l’après-midi allongés sur le lit et après une autre joute d’amour où ils s’étaient enracinés ils partagent une cigarette.

Je dois rentrer.

Qui t’attend?

Élise et Solveig ma femme et ma fille.

Tu n’es pas seul!

Je ne suis pas sans attache. Je reviendrai te retrouver ici samedi prochain dans l’après-midi si tu le veux.

Si voglio.

En fin d’après-midi Pier peut enfin faire son deuil de Dominique et surmonter son immense sentiment de perte. Il pleure longtemps. Il revit en pensée les débuts de leur amour ainsi que leur vie à deux difficile mais pleine et intense puis le drame qui s’était échelonné durant cinq ans et où il avait vu Dominique se désagréger jusqu’à la mort. Il revoit le bouquet de chrysanthèmes sur la tombe et réentend son hurlement reçu dans l’indifférence par les arbres et les pierres. Il avait alors été habité d’une rage froide et colossale pour cette destinée trop cruelle et envers les irresponsables auteurs de cette tragédie. Après étaient revenus la tristesse et le sombre désespoir chape noire qui ne l’avait plus quitté depuis lors jusqu’à ce qu’Arnaud entre dans sa vie. Arnaud l’avait totalement capturé : âme et cœur et corps.

Arnaud repart mais à regret. Un million d’étreintes bien plus qu’une vie. Il souhaite que ce ne soit pas une métaphore. Il évite de justesse une collision provoquée par sa distraction et se fait traiter d’enculé ce qui incluait aussi le doigt d’honneur par le conducteur de l’automobile qu’il venait de couper. Vous devriez essayer aussi! L’incident le fait tout de même revenir sur terre et il regagne son foyer sans encombre. Élise et Solveig l’accueillent d’un baiser. Arnaud ne fournit aucune explication sur son absence indument prolongée. Au plus s’excuse-t-il de sa distraction évidente : on doit lui répéter au moins quatre fois la même phrase pour qu’il en capte le quart.

Pendant deux autres semaines cela continue : Arnaud disparait le samedi après-midi et revient vingt-quatre heures plus tard fourbu et distrait plus que jamais… et il reste chaste jusqu’au lendemain. Élise commence à se demander quelle beauté retient pendant aussi longtemps son d’habitude assez volage ami; une telle constance aux antipodes des foucades habituelles l’inquiète. Elle met cela sur la glace et sa pointe de jalousie aussi : c’est inutile de se mettre martel en tête à spéculer; il n’y a qu’à attendre avec patience afin d’avoir le fin mot de l’histoire.