Nouaisons
Précédé de Trop tôt… Suivi de … Trop tard
Louise Gauthier
Nouaisons
Prologue à l’hiver
Que corriges-tu avec autant d’attention soutenue?
(Sursaut déconcentrant et subit manquement d’air. Mon cœur cogne des embardées désordonnées chaque fois qu’IL gravite dans les parages.)
Je révise un texte… Un roman…
(Ma température corporelle culmine en sommets rougissants sous son regard attentif en attente de la suite et coutumier de ma timide gêne en sa présence.)
Quel en est le sujet?
(Respirer par le nez. Conserver un calme d’apparence serein… Voilà que cela s’améliore un tout petit peu.)
Cela s’intitule Nouaisons… et traite de hardies conjugaisons : celles à tous les temps des verbes jumeaux aimer et accepter.
Cette « grammaire »-là semble s’éloigner à des lieues de ton domaine de prédilection!
(Mon unique fonction par rapport à lui : une inutilité d’être en dehors de ma fonctionnalité primaire.)
Oui… Et non…
Ce qui signifie?
(Puisqu’on doit rester pédagogique!)
Indirectement : la connexion explicite c’est que les personnages étudient en informatique ou y œuvrent.
Certains d’entre nous ont dû t’inspirer alors!
(Retenu de justesse le « toi surtout! » fige à l’orée.)
Un peu mais j’ai romancé une fiction aucunement des biographies… épicées…
Et l’histoire?
(Pour l’heure celle de quelqu’une qui ressent tout d’un coup l’impression suicidaire de déambuler allègrement au champ de bataille qu’elle soupçonne fortement d’être criblé de mines anti personnelles…)
Je raconte des bribes dans la vie d’un jeune quatuor… plus particulièrement; pour moitié hommes et femmes… lesquels nouent entre eux au fil des saisons des liens fondamentaux amorcés sous les auspices de l’érotisme lequel canalise un moyen privilégié pour communiquer l’amour et l’amitié qu’ils éprouvent les uns envers et avec les autres.
Ça m’apparait fort intéressant!
(Intérêt réel? Politesse inhabituelle? Les paris sont ouverts.)
Je l’ignore… Je me sens plutôt mal placée pour en juger. La structure ainsi que l’approche et les mots se sont imposés. Je devais écrire ces lignes et de cette manière… En guise d’exutoire… et d’exorcisme…
Pourquoi?
(La question massue inconsidérément provoquée et à laquelle je me trouve virtuellement incapable de répondre juste comme ça! Et à Lui entre tous… Je suis sans voix.)
Excuse-moi ma curiosité est malvenue…
(Plutôt le contraire! Pour une fois que… Attention!)
Cela ne fait rien… C’est compliqué… et très difficile à expliquer et en peu de phrases…
(À quelqu’un qui habituellement ressemble à un courant d’air…)
Alors j’aimerais bien le lire ton roman!
(Je doute que cela relève vraiment d’une excellente idée… surtout actuellement et d’une certaine façon… alors que l’esprit et la langue s’emberlificotent inextricablement.)
Cette « chose » est très proche de moi… Je n’en ai pas tout à fait détaché le cordon ombilical… Et je n’ai pas encore assumé cet… exhibitionnisme de l’âme que constitue en grande partie l’écriture entre autres…
Parce que tu traites de sexualité?
(C’est donc ce qui l’accroche en miroir aux alouettes?)
C’est la dimension fondamentale d’un lien amoureux entre deux êtres.
Pas seulement…
Que tu livres en pature tes propres fantasmes alors?
(Cette réduction j’en ressens la douleur. L’amour jouet.)
Mais crois-tu donc que notre imaginaire sexuel ne révèle rien? Alors que c’est l’expression même de notre vulnérabilité humaine!
Et?
(Insolite insistance. Il a remarqué donc mais quoi exactement? Au fond n’est-ce pas ce que je souhaitais sans oser me l’avouer? Une amorce.)
De fait je crains tout spécialement… ton jugement me concernant d’autant plus que… J’ai rêvé dans l’éveil… J’ai déliré lors de trop nombreuses et nocturnes insomnies oppressantes… Et j’ai écrit des histoires folles… Où l’une des créatures… l’homme qui occupe le grand espace à l’intérieur comme à l’extérieur du récit proprement dit et en constitue de fait le noyau possède un nombre plus qu’appréciable de points en commun avec ce que je perçois vraiment ou faussement de… ta personne…
Pourquoi moi? Loin de vouloir me montrer indiscret… ni t’embarrasser à l’évidence mais j’apprécierais vraiment une réponse!
Tu devras lire pour comprendre… En réalité tu es l’unique personne au monde à qui je souhaite confier cette version initiale ni édulcorée ni censurée puisque tu en a été… la muse involontaire.
Et en quoi donc ai-je mérité cet insigne honneur?
(On ne « mérite » pas l’amour passion. Il vous tombe incongrument dessus tel un météore dévastateur.)
Tu devras lire pour comprendre vraiment…
Cela m’intrigue de plus en plus!
J’entretiens un certain doute que tu puisses traverser le miroir de l’écrit… Totalement amoral, au trop-plein d’émotions à ras de peau, crues mais d’autant plus sincères et imprégné de fantasmes débridés aux détails très explicites…
Et alors?
Et que tu me pardonnes… Et comprennes surtout… les crimes de lèse-majesté subis… ainsi que les libertés prises… avec ton avatar…
Ce n’est pas l’original… Avec ce que tu viens de commencer à dévoiler…
(C’est décidé… Et advienne que pourra…)
Je t’en remettrai un exemplaire mais dans deux semaines.
À la fin du semestre… ce qui correspond par « hasard » à la conclusion de mes études donc…
Cela facilitera les choses… pour toi en tout cas… je crains… tes réactions…
Qu’attends-tu de ton fidèle et unique lecteur au juste?
(Au secours je me noie! Comment avouer cela? Aucune échappatoire ni équivoque ne sont possibles!)
Mon vœu le plus précieux invoque… que tu acceptes la dédicace… un hommage au vrai… de la part d’une femme qui préfère faire semblant parce que c’est mieux que rien du tout…
C’est embarrassant… et inattendu!
C’est ainsi mais multiplie par l’infini et tu obtiendras la mesure du mien embarras…
Mais pourquoi prends-tu la peine de préciser?
Parce que je me suis permis de rêver faute de la présence de l’interlocuteur ce dialogue désincarné en métalangage ainsi que sa suite en épilogue… Et que ce soit là mon privilège… La vie m’a appris durement que le rêve miroite bellement mais que la réalité vorace onirophage l’annihile. Toujours.
Tu es amère! Et pour en reparler? J’ai « l’impression » que cela s’avérera indubitablement nécessaire…
Oui… J’aimerais que l’on se retrouve dans un… estaminet de ton choix et au moment qui te conviendra… Mais ne me fait pas faux bond ni attendre trop long en dépit de tes états d’âme je t’en implore… Ne serait-ce que pour cette seule et unique rencontre ne coupe pas le fil cette fois-là…
Pourquoi ajoutes-tu ça?
Tu comprendras… Peut-être…
Et il joue le garçon de l’air.
Nouaisons
L’ami
Jean-François avait finalement réussi à résoudre le bogue « vraiment le dernier cette fois » dans leur programme du moins le croyait-il optimiste impavide par nature. Les doigts entrecroisés pour chacune des deux mains et afin de favoriser la chance il lance l’exécution en pressant précautionneusement la touche d’entrée de son auriculaire gaucher. Le temps en suspens mais les résultats s’affichent instantanément. Impeccables conclut-il après la soumission fébrile du banc d’essai et un examen concis mais méticuleux des informations statistiques attendues. « Ça y est! Ouais! Ça marche Louis! » L’allégresse est victorieuse autant dans la voix que dans le geste. En station debout derrière la chaise occupée l’interpellé sourit silencieusement. Son ami se montre habituellement si peu démonstratif. Son soudain accès d’enthousiasme communicatif réchauffe d’autant plus au cœur. Jean-François retire ses lunettes cerclées de métal bronze et les pose en équilibre sur les piles de livres et les empilages d’imprimés qui encombrent toute la table; il rejette complètement la tête en arrière et irradie fugitivement Louis de son sourire à l’envers mais tout aussi merveilleusement sincère… et dévastateur juste avant de reporter son attention sur l’ordinateur le nez longuet et rectiligne quasiment collé sur l’écran et le dos courbé pour sauvegarder et ensuite pour commander l’ultime impression du produit de leurs efforts conjugués. L’imprimante laser crache des feuillets avec la régularité d’un métronome troublant de chuintements le silence qui trône de nouveau dans la salle de labeur plongée pour l’heure dans une luminescence auréolée du froid bleuté émis par la machine infernale. Concentrés aucun des deux n’a songé à éclairer après la tombée du crépuscule hivernal. À ce moment-ci ce n’est aucunement la réussite de leur travail qui noue la gorge de l’ébloui. Impulsivement Louis place ses paumes sur les larges épaules de son ami qui s’était adossé et s’ébrouait tel un chat. Il détecte immédiatement la tension qui l’anime encore et entreprend de masser nuque et omoplates aplanissant les nœuds de nerfs contractés par dessus la chemise de denim noire grisâtre à force d’être élimée. Jean-François appuie trop brièvement la tête sur son torse. L’attristé jette machinalement un coup d’œil rapide à l’horloge. Plus de minuit! Curieux qu’ils n’aient pas entendu l’inévitable mais fidèle et rassurant vieux coucou. Le fil du temps ponctué d’immuables onomatopées mécaniques; le dernier cadeau de son père. Ils sont tous deux fourbus de multiples heures d’après souper beaucoup trop plantureux usées à plancher sur leur « enfin » dernier devoir pratique en langage « C++ des gros maux de tête ». Ils programment chez Louis ce soir-là comme d’innombrables autres depuis deux ans et demi. Celui-ci possède le nec plus ultra en matériel informatique et logiciels. Sa mère y a veillé soucieuse de pourvoir son fils bien-aimé des meilleurs instruments pour favoriser la poursuite et la réussite de ses études collégiales chamboulant ses propres priorités budgétaires : « les détails (la réparation très urgente de sa propre dentition ou encore la rénovation pourtant inévitable de la toiture de leur modeste maison) peuvent bien attendre encore un bout ». De là aussi l’appartement à l’étage de la demeure familiale et en occupant plus de la moitié composé d’une immense chambre à dominance de bleu royal et d’un vaste bureau jouxté au coin-détente aux calmes nuances d’un ciel de jour pluvieux ainsi que d’un cabinet de toilette peint en vert de la profonde Amazonie. Le tout était réservé à son usage exclusif et décoré avec un gout certain par le seigneur des lieux lui-même; cela constituait un véritable havre de paix et de tranquillité en comparaison du tohu-bohu et de la cohue qui bourdonnent au laboratoire d’informatique durant cette phase terminale de session. L’intellect décroché Louis rêvasse depuis près d’une interminable demi-heure incapable de se concentrer davantage sur ce fichu problème antinomique à leur logique pourtant implacable le nième « vraiment-le-dernier-cette-fois » d’une longue série qui jalonne leur soirée laborieuse. Il considère l’œil vague les flocons qui chutent dans la nuit claire obscure inlassablement à l’éternité. Un fragment de poème la strophe qui amorce Soir d’hiver le hante répétitivement… Émile Nelligan est le poète qu’il vénère entre tous mais juste un petit peu moins qu’Arthur Rimbaud.
Ah! Comme la neige a neigé!
Ma vitre est un jardin de givre.
Ah! Comme la neige a neigé!
Qu’est-ce que le spasme de vivre
À la douleur que j’ai, que j’ai!
La douleur vrille sa tête. Louis s’applique consciencieusement mais vainement à évacuer l’autre mal. Sa migraine peut certainement être qualifiée de baume comparée à celui-là. Qu’il ressent sourdement. Un manque affectif… et physique qui certains soirs culmine à en devenir fou à lier tel celui-ci justement soliloque-t-il amer en fixant hypnotiquement la nuque dégagée ras jusqu’au-dessus des oreilles ciselées à la perfection (ses autres cheveux étaient taillés mi-longs et ondulaient) juste avant l’interruption exclamative et le sourire. Un demi-lustre plus des poussières qu’ils se connaissent depuis leur intronisation au collégial en techniques informatiques. Ils se sont découverts dès prime abord de nombreuses affinités. Et ils communiquent proches autant que peuvent l’être des amis. En lui renvoyant son sourire Louis déplore une fois de plus cette distance incommensurable qui les sépare : la frontière de l’amitié masculine. Jean-François attire inévitablement Louis tant l’aimant captive inéluctablement la limaille de fer. Il fréquente hétérosexuel; lui aussi mais presque. Il n’est pas aimanté par les hommes mais par un seul et unique entre tous. L’impossibilité d’avouer l’inavouable. Pieds et poings liés. Impuissant. Cette pulsion de l’âme est traduite au cœur et transmise au corps. L’amour alimenté au fil du temps mais à l’insu de l’autre. Les idées bien arrêtées − telle que le sentiment amoureux se développe petit à petit entre deux personnes de sexe opposé lesquelles se reconnaissent entre elles des affinités communes et éprouvent un attrait physique certain l’une pour l’autre − ont volé en myriade d’éclats quand ses rêves ont franchi des barrières que son conscient se refusait à admettre d’emblée. Homosexuel, homosensuel, homoaffectif; peut-être au fond mais Cat existe aussi. Il se trouve ambidextre dans un monde de gauchers et de droitiers : ambisexuel, ambisensuel, ambiaffectif, l’image lui plait mais masque le fait que cela lui est de plus en plus difficile de taire ce qui l’écrabouille à l’intérieur et de ne pas émettre le « je t’aime Jean-François » qui piaffe au bord de ses lèvres. Cet amour ne peut pas être mais est puissant. Depuis près de trois longues années maintenant ils forment une heureuse équipe lorsque les circonstances le permettent. Ils partagent leurs repas très souvent. Et quand la mère de Louis apprête pour emporter un repas du midi « au moins vous mangerez sainement » à vrai dire fréquemment il comporte toujours une portion double et plus : celle de « ton ami Jean-François » le plus en sus destiné invariablement à ce « gourmand comme pas possible ». Ils courent parfois la prétentaine dans quelque bar branché mais leurs « aventures » (malheureusement séparées pour le principal et l’intérêt déplore chaque fois l’amoureux secret) s’étirent jusqu’au lendemain matin seulement et la plupart du temps se concluent d’un discours sur la futilité de l’être lorsqu’ils se retrouvent. Lors de brefs temps « perdus » ils nagent jusqu’à épuisement dans la piscine intérieure du pavillon des sports. Ces derniers moments soumettent Louis à la question et le contraignent souvent à d’urgentes tentatives de dissimulation et de contrôle d’une partie de son anatomie vraiment trop indisciplinée et voyante en maillot surtout en cet état. Mais il les recherche ces rares et torturants instants d’une intimité bouleversante et les savoure jusqu’à la lie se qualifiant en son for intérieur d’incurable masochiste pour cela et pour les rêveries aux fantasmes sans bride. Au début Jean-François était l’objet de son désir flagrant. Il regardait lui et elle faire ce pour quoi ils étaient nus et au lit. Il se masturbait au rythme de leur accouplement orchestré par son imagination débordante de tous les détails. Graduellement il avait substitué une représentation de lui-même avec eux puis en lieu et place de la gente demoiselle. Et se trouvait fort aise de ce que l’autre lui faisait et l’inverse. Il se sentait à la fois effrayé et fasciné par ces pulsions qui le submergeaient. Louis retient de justesse un gémissement; son sexe devient douloureux et trop à l’étroit dans sa gangue mais il ne veut pas risquer de compromettre leur amitié par des gestes irrémédiables. Il rompt donc le contact. Mais apparemment la peur du rejet et l’appréhension d’une perte ne suffisent plus à le retenir sous peine d’implosion. L’amour pogne au cœur à travers le corps.
Je fais très bien les massages et je t’en prescris un : tu es très tendu.
Les mots avaient jailli à brule-pourpoint et incontrôlables. Louis est abasourdi par ce comportement pour le moins erratique.
C’est un fait!
Enlève ton froc et étends-toi sur le ventre : ordre du masseur…
Louis s’enfonce plus avant dans l’ornière en lui indiquant du geste la chambre adjacente faiblement nimbée du halo de la veilleuse et le lit défait… Rien d’autre s’efforce-t-il de se convaincre. L’interdit ne doit pas être levé pour ne pas le perdre c’est impératif. Jean-François obtempère en riant nerveusement vaguement gêné tout de même par il ne savait quoi… Louis peut contempler un moment son thorax musclé juste aux bons endroits et curieusement trapézoïdal sous les épaules carrées à la pilosité hirsute s’adoucissant vers le bas-ventre. Ses avant-bras sont recouverts d’une mince couche de duvet blond délicatement disposée. Il n’a pas remis ses lunettes − affligé d’une importante myopie son regard s’affiche un peu égaré sans elles − et Louis le trouve encore plus beau ainsi. Ses noires prunelles contrastent avec ses cheveux cendrés et chatains (au naturel) matinés de corbeau (à la teinture une coquetterie récente et « chef d’œuvre » de sa mère ce dont il s’enorgueillit). Une courte barbe chataigne taillée pour dégager entièrement les joues cerne des lèvres bien découpées (« à baiser » pense-t-il encore). Un anneau bronze perce son oreille gauche. Louis aime tout. Jean-François installe confortablement sa grande et svelte silhouette tel qu’ordonné par le « thérapeute » lui présentant son dos naturellement doré tout en courbes harmonieuses. Après avoir éclairé minimalement le masseur improvisé s’assoit inconfortablement à contresens au bord du lit et entame la thérapie. Louis éprouve l’envie presque irréfrénable de le mettre illico alors qu’il s’imagine se trouver à califourchon sur lui. Sa posture dissimule heureusement son érection. Au bout de plusieurs minutes le sujet jusque-là silencieux de ces sollicitudes finalement bienvenues soupire d’aise et commente dans un murmure languide.
Tes mains sont magiques et douces…
Ta peau l’est aussi…
Louis laisse un doigt aérien et licencieux serpenter le long de la colonne vertébrale. Puis il effleure lentement et tendrement et longuement chaque millimètre de tissu dorsal. Tout son être se concentre vers ses extrémités comblées.
Ça fait partie du massage?
Louis repose ces tremblantes coupables du forfait sur ses cuisses. Il tente en vain de récupérer son sang-froid et de calmer ses ardeurs. Il est bouleversé et incapable de s’expliquer. Il aurait au mieux dû s’excuser… Jean-François se retourne côté face et interrogateur l’examine. Le moustique en sursis observé sous toutes les coutures par l’entomologiste sur la table de dissection oblitère vivement les yeux honteux qu’il est de ses pulsions et surtout par ce que l’autre pourrait découvrir dans ses yeux trop expressifs. Il regrette presque ses avances.
Je t’ai posé une question nécessitant une simple réponse booléenne… Je ne t’ai pas demandé de cesser…
Le regard inaccessible Louis incertain repose ses phalanges effilées sur les clavicules de son patient et reprend le traitement sans répondre toutefois. Et ses mouvements se muent en témoignage de tendresse sur le torse nu.
Ça fait partie de la thérapie?
D’une certaine façon… En quelque sorte… Non…
Regarde-moi!
Louis déglutit douloureusement son œsophage ayant préalablement été passé à l’émeri. Son ami le scrute de ses prunelles de velours. Jean-François lit dans celles noisette et vives bien plus que le désir brulant anticipé. La gorge de l’observateur se contracte de l’émotion provoquée par les très forts sentiments transmis. Son sexe aussi en réponse réciproque. Un peu dépassé mais impulsivement Jean-François pose sa paume sur l’épaule amie et ramène la tête vers la sienne. La distance entre deux points même relativement rapprochés demeure infinie. Jean-François s’abandonne au baiser d’une langueur lascive correspondante à sa réponse. Il déboutonne posément le vêtement supérieur d’icelui et caresse sa poitrine. Quand leurs bouches se quittent il souffle.
Viens t’étendre auprès de moi… Enlève ta chemise aussi…
Jean-François migre au mitan du matelas. Louis s’exécute encore incrédule. Quand leurs corps prennent contact ils émettent une même plainte étouffée. Ils s’embrassent à nouveau éperdument. Mains et bouches entament sur l’opposé un ballet incandescent et insistant en audible crescendo. Hésitant à l’abord Louis se hasarde à l’orée du jean de son ami et attend durant une infinité de secondes un refus justifié surement mais qui ne vient pas. Il détache fermement la ceinture ainsi que le bouton de raccord et défait d’un mouvement sec la fermeture à glissière. Jean-François répète ces gestes sur lui. Leurs verges présentent un état d’excitation similaire constatent-ils la main enfouie à l’intérieur du slip de l’autre et la respiration obnubilée par le chaud toucher. Ils se défont prestement des derniers encombrants oripeaux. Ils se nouent inextricablement : le désir vertigineux et les attouchements prodigues et les spasmes de plaisir à l’unisson des membres virils reliés pleine peau. Un moment d’éternité qu’ils prolongent d’infini jusqu’à ce que le besoin de s’accoupler se mue en obsession et les submerge. Louis prend les devants.
Je veux m’unir à toi.
Sans hésiter Jean-François acquiesce en se retournant. Louis pétrit fiévreusement les fesses nerveuses et si bien faites puis les mordille tendrement. Il parcourt monts et vallée en regardant, humant, fouillant, léchant, sillonnant, creusant, provoquant des gémissements de plaisir. Il retire une protection du tiroir de la table de nuit. Louis doit s’y prendre avec les dents pour ouvrir le sachet : ses mains tremblent de l’urgence. Il met en place le condom sur son pénis en état d’explosion imminente. Instinctivement Jean-François cambre les reins quand il sent le gland froid et visqueux appuyer un chemin entre ses fesses. Ils râlent quand Louis pénètre son antre intime l’un du plaisir de prendre enfin et l’autre de celui douloureux d’être possédé par un homme; le prix de l’amitié en quelque sorte. Louis se couche sur lui et s’enfonce jusqu’à la garde dans un fondement aussitôt mis à mal. Le rythme de ses poussées d’abord lent et incertain se fait cadencé puis devient frénétique arrachant des sanglots à son amant. La douleur finit par s’estomper; reste la surprenante excitation provoquée par la pénétration. Un don de soi à l’autre; c’est la même chose donc… Secoué d’un raz de marée impossible Louis jouit de l’acte en criant. Jean-François je t’aime! Ils se délient. Louis se débarrasse de la protection obsolète. Jean-François bascule. Son organe mâle pointe éloquemment. Louis y place un préservatif. Le membre quémandeur se tend davantage. Louis se met en attente côté pile son cul en accueil. Jean-François refait à l’instar sur le sujet de son désir intense les gestes de l’amour accomplis peu auparavant. Il le possède ensuite comme un mâle en aime un autre dans un va-et-vient impétueux et irrépressible. Au faîte son râle de jouissance se mêle à ceux plaintifs de son ami et désormais amant. L’éternité durant ils restent insécables. Toilette sommaire et silencieuse. Jean-François se love tout contre Louis et appuie sa nuque à la naissance de l’épaule. Ses doigts légers effleurent les hanches étroites. Louis ratisse la joue de son pouce puis l’enceint dans l’étau de ses bras réunis. Il plonge son regard dans le miroir des yeux de l’autre.
J’ai l’impression d’un rêve! Que les murs se rétabliront quand je m’éveillerai seul… J’ai peur de te perdre!
Non.
Louis colle son ventre contre le sien. Le désir le submerge encore d’une intensité insupportable et surtout partagée. Spontanément ils se frottent rythmiquement contre le bas-ventre de l’autre jusqu’à ce que leurs spermes se mélangent et que leurs cœurs battent la chamade à l’unisson. Louis s’étend à demi sur le corps de son amant et pose sa tête sur son poitrail à l’écoute des battements cardiaques désordonnés lesquels se régularisent. Il lèche un mamelon rosé jusqu’à ce qu’il se dresse.
Jamais je n’avais pensé à toi de cette façon…
Le regrettes-tu?
Louis passe à l’autre turgescence obtenant le même effet.
Non… Je me sens un peu dépaysé c’est tout. Et surpris de mes propres réactions… Je me suis donné à toi et j’ai aimé ça… Je t’ai pris et j’ai aimé ça aussi…
Et?
Louis glisse vers le nadir de leur couche…
Rien j’assume et j’intègre… Le plus bizarre c’est cette impression de naturel et que rien ne déroge à l’ordre des choses…
Que ceci dépasse le genre identique n’est-ce pas?
Oui… Oh! Oui…
La conversation dérive en soupirs. Sous la douche aussi brulante que leur dernier intermède ils réitérèrent en s’aimant mutuellement avec tous les outils mis à leur disposition par dame nature en ajoutant quelques variantes digitales profanatrices dans leur quête sensuelle et sexuelle de plaisir. Chacun éjacule au fond de la gorge de l’autre. Ils s’endorment cheveux dégoulinants complètement nus et corps accolés proches dans tous les sens du terme et les sens apaisés.
Au milieu de l’escalier Morgane se ravise et remonte un peu lourdement en s’appuyant davantage sur sa canne parce que sa jambe folle l’élance douloureusement en ce matin imprégné d’humidité en séquelle de l’accident qui a couté la vie au père de Louis dix longues années auparavant. Collision latérale sur l’autoroute avec un véhicule hors de contrôle qui avait franchi à grande vitesse le faible remblai séparant les voies inverses. Le conducteur en état avancé d’ébriété s’en était tiré indemne mais pas Jean-Marc : le corps enfoncé il avait succombé à ses blessures juste avant l’arrivée des secours. Vision horrible de l’agonie atroce d’un être aimé devenu fantôme sanguinolent et qui hante encore ses nuits solitaires trop souvent insomniaques. Heureusement son enfant avait sombré dans l’inconscience un traumatisme léger bienfaiteur en l’occurrence. Et il ne portait d’autre stigmate qu’une légère cicatrice en croissant de lune qui tranchait son sourcil gauche provoquée par un éclat de verre enfoncé profondément. Cela et des cauchemars sporadiques particulièrement dans les moments de tension et dans lesquels il mourait dans des circonstances similaires et surtout imaginées. De nombreuses heures sont passées à apaiser ses sueurs froides. Quoiqu’il en soit elle a failli oublier que Louis a fortement insisté au début de la soirée d’hier pour qu’elle vienne lui « tirer les orteils » dès potron-minet craignant de ne pas entendre le « satané » réveil alors qu’il y avait « tant de travail à accomplir et si peu de temps dans une journée pour le réaliser ». Elle traverse le bureau en s’efforçant de ne pas remarquer le désordre laborieux ainsi que l’équipement informatique en fonction étant donné que le ménage de l’aire découlait dorénavant de la responsabilité de l’aiglon. Elle déplace machinalement les lunettes en position si précaire. Elle frappe doucement mais n’obtient d’autre réponse qu’un ronflement roboratif. Elle sourit amusée à la porte de la chambre. Curieux quand même : Louis ne ronfle jamais; elle se promet de le taquiner un peu là-dessus ce trop sérieux et très désordonné jeune homme… Elle se décide à entrer ne pouvant toutefois se départir de la vague impression de commettre une grave indiscrétion. Elle se morigène : « voyons donc! Comme si c’était la première fois que tu franchis les bornes de son territoire! » Morgane reste clouée au sol le souffle coupé et pétrifiée d’une extrémité à l’autre. Jean-François n’était donc pas reparti… (Ciel les binocles!) Leur nudité intégrale ainsi que leur pose − leurs têtes rapprochées et le bras de Jean-François reposant sur la hanche de Louis et la main d’icelui englobant les parties intimes de son ami − ne permettent pas d’autre interprétation que celle qui s’impose à son esprit. Son « Oh! » réveille son fils.
Louis lui sourit : chaque matin était illuminé de son sourire tout en bienvenue et en tendresse affectueuse. Et qui lui fait comprendre sans ambages que cette matinée-là reste qu’elle le veuille ou non semblable aux autres. Sans broncher davantage elle avale la très grosse couleuvre estime-t-elle à sa gorge entravée. Louis couvre pudiquement du drap l’étalage de leur peau. Il la regarde de son air « le plus naturel du monde » celui qui donne envie de le battre comme plâtre.
Ça te dérangerait de préparer un petit déjeuner pour deux?
La mère consent d’un signe de tête.
Merci maman… Nous descendrons dans une heure…
Bien plus de temps qu’il n’en faut pour une pudique toilette… Au moins aucun risque de concevoir… Morgane espère qu’ils utilisent des préservatifs quand même plus sécuritaires pour éviter les MTS… Elle se ressaisit forcément et se retire discrétion oblige. Étant décoratrice à son compte Morgane dispose de son emploi du temps suivant son propre agenda; aujourd’hui particulièrement s’étant accordée un congé « pas trop de contrats ces temps-ci profitons-en pour fainéanter ». C’est la tête à l’envers qu’elle apprête une montagne de crêpes. Louis adore… Et Jean-François apprécierait surement goinfre pas possible. Tant qu’à y être elle leur prépare également un repas du midi « au moins vous mangerez sainement ». Et inscris « réveil » sur sa liste de courses; elle souligne deux fois.
Louis réveille son amour de baisers qui chatouillent dans le cou mais l’autre le repousse ce qui ne l’empêche pas de revenir à la charge. Ils se sourient, rient de leurs têtes ébouriffées, s’embrassent, grimacent de leur haleine fétide, réitèrent, s’embrasent. Après une brulante entrée en matière où s’activent fébriles et passionnés doigts et lèvres et pénis très bandés; ils récidivent sous la douche. Jean-François le monte à la hussarde. Peu après Louis l’annexe mêmement. Ils s’écrasent sur le lit les jambes flageolantes et s’emberlificotent.
Je t’aime.
Tu es mon ami et mon amant aussi désormais mais je n’éprouve pas de réciprocité du sentiment amoureux.
Je sais; ce n’est pas vraiment important. Laisse-moi seulement t’aimer je n’en demande pas plus…
J’ai la certitude de ne pas souhaiter un retour en arrière… Je me sens ainsi tellement proche de toi… mais je ne suis pas devenu homosexuel.
Moi non plus; ce n’est pas vraiment important. J’ai peur de ne plus pouvoir dissimuler ce que je ressens pour toi mes élans…
Ça me plait; mon côté provocateur sans doute.
Cela peut te nuire…
Peut-être. Je m’en contrefiche… Et si Elle peut traverser l’au-delà des apparences j’en serai heureux…
Océane? C’est donc sérieux!
Je crois que cela va le devenir. Je t’en reparlerai quand j’aurai moins faim.
Ton estomac gronde! On s’habille et on descend : Morgane nous a apprêtés un…
Stop! Qu’est-ce que ta mère… Elle devait te réveiller! Elle nous a donc…
Oui j’ai oublié de verrouiller. Et dans une posture qui ne laissait planer aucun doute quant à la nature de nos rapports… Je lui ai demandé de nous préparer un petit déjeuner pour deux. Elle est capable de comprendre. J’aurais quand même préféré le lui apprendre d’une autre façon. J’en reparlerai avec elle.
Lorsqu’ils descendent douchés de presque frais deux bonnes heures plus tard Louis sourit et l’embrasse affectueusement au creux de l’épaule. Morgane réchauffe le plat au four micro-ondes et les sert. D’abord extrêmement mal à l’aise avec la mère de son « désormais amant » Jean-François se laisse gagner par sa gloutonnerie naturelle… et l’accueil souriant et surtout coutumier de Morgane. Les deux jeunes hommes dévorent les crêpes jusqu’à la dernière miette le tout arrosé d’un fleuve de sirop d’érable et de jus d’orange frais pressé.
Était-ce si différent au fond d’autres « petits déjeuners pour deux » sur demande qu’elle avait plusieurs fois concoctés dans le passé pour les « invitées » éphémères de son fils? Pas vraiment hormis le genre masculin. Et à en juger par l’amour qui sourde d’une troublante sensualité transcendant l’amitié ancienne cet en-cas ne constitue que le premier de nombreux autres qu’ils dégusteraient… Louis a pris les rênes de sa propre vie. C’est en souriant sans davantage de réticences même intérieures que Morgane les regarde partir la main de Jean-François enfouie familièrement dans celle de Louis.