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Nouaisons

Précédé de Trop tôt…  Suivi de … Trop tard

Louise Gauthier

L’amie

Louis la considère depuis un bon moment un soupçon de sourire condescendant accroché aux lèvres. Toujours cette ironie teintée d’affection mais rien n’avait changé sous cet unique aspect néanmoins. L’observée déplore pour la millionième fois son indécrottable manque de discernement en matière d’hommes. À ses côtés Océane vient de répondre elle ne sait plus quoi à la question idiote de Louis. Puisque Catherine n’avait pas enchainé il la lui réitère.

Et toi Cat…

Louis la surnomme toujours ainsi. Elle aimait bien jadis. Maintenant ce diminutif l’agace prodigieusement.

Qu’espères-tu du grand-père Noël cette année?

Un chum!

Catherine appuie un regard vers Frédéric. Seule Océane dénote le dépit au fond de la voix. Elle désapprouve en son for intérieur l’attitude déraisonnable de Catherine mais la comprend en même temps. Jeter son dévolu sur un pis-aller aussi avenant soit-il ne guérirait aucunement la blessure et pouvait générer pire. Frédéric ne convient pas du tout à son amie. Même en faisant un effort méritoire elle ne parvient pas à imaginer le moindre lien entre eux. Elle ignore pourquoi : cela tient de la pure intuition.

Louis accuse le coup en rebuffade en apparence stoïque mais les traits un brin rembrunis. Catherine évite ses yeux. Fait rarissime il ne trouve pas de réplique « un peu » déçu de ce franc revirement. Il savait Cat à une épaisseur d’un fin cheveu près de succomber à ses charmes ravageurs avant. Et lui aux siens mais elle s’était montrée beaucoup plus froide à son égard depuis quelque temps.

Frédéric se mord nerveusement la lèvre supérieure. Cela devenait une désagréable habitude lui avait fait remarquer son père hier justement. Un tic, une tique, un parasite, voilà ce que lui-même représentait à l’aune de celui-là. Indéniablement le louche commentaire de Catherine lui était adressé. Il ne relève pas pourtant cela valant mieux ainsi mais la demoiselle continue à le dévisager avec une insistance de mauvais aloi s’aperçoit-il la gorge subitement paniquée. Certes elle est agréable à regarder et nantie de toutes les caractéristiques féminines dignes d’intérêt pour un homme d’appellation normale. En plus d’être gentille et tout et très certainement branchée sur lui. Et surtout sa propre famille l’adorerait mais il n’éprouvait aucune attirance envers elle. Ni pour aucune autre femme il devait bien finir par l’admettre. Et la simulation puisqu’il y avait pensé histoire d’établir sa crédibilité hétérosexuelle auprès des siens en plus de s’avérer malhonnête devenait carrément impossible considérant certains importants et malheureusement inévitables aspects rapprochés d’une relation de ce type. Une jeune femme de cette époque moderne ne saurait se contenter d’amour courtois. Charmeur de tempérament soit mais par négation d’un état d’être également avait-il admis récemment : il courtisait tout ce qui arborait des seins mais fuyait toutes voiles déployées lorsque les évènements menaçaient de dériver sérieusement. C’est ce qui s’était produit avec la naïve Catherine inévitablement surtout qu’il en avait rajouté un peu trop à cause de ses mimiques si comiques! Se sentant coincé pour la première fois de sa vie dans son propre jeu de séduction Frédéric cherche instinctivement une esquive et trouve la parade. Il soupire bruyamment et la fixe d’un air énamouré et réplique des trémolos dans la voix et en prenant soin d’ajouter une certaine emphase.

Hélas! Chère Catherine tu me fais regretter d’être engagé avec ma blonde! Julie apprécierait mal un tel revirement de situation surtout qu’elle se déclare amoureuse…

Il baisse pudiquement les yeux et rougit ce qu’il peut faire à volonté.

Et elle est encore plus jalouse qu’une tigresse!

Il se sent très soulagé par la moue estomaquée déçue (et d’une drôlerie!) qui se plaque sur l’expressive figure. Mais très embarrassé quand il saisit au passage l’éclair d’incrédulité traversant le regard de Louis qu’il avait accroché en tournant la tête. La rouge chaleur vire à l’incandescence. Louis sait comprend-t-il. Son camarade a deviné ce qui ne devrait être connu de personne sauf et à peine de lui-même son inavouable et ténébreux secret. Frédéric évacue la tension soudaine et extrêmement forte en se contraignant à se concentrer à nouveau sur son programme. Le travail se doit d’être impeccablement accompli lui serine ad nauseam son incontournable père-tout-puissant mais cela évite de trop penser donc une panacée à tout le reste.

Tout un chacun se remet à plancher sur son devoir pratique. Ils travaillaient en équipes duales sauf Frédéric qui a « préféré » rongeant son frein faire cavalier seul lorsque Stéphane s’était pairé avec Jean-Philippe et qui en était quitte à mettre les bouchées au moins doubles. Ceci malgré une très timide avance de la part d’Olivier vite dédaignée au grand désespoir dudit puisque trop « poche » de l’avis du sollicité. Cela lui était égal s’efforçait de se convaincre l’offensé en évitant de couler un regard glauque vers le fautif… et son nouveau coéquipier. Quoiqu’il ne puisse s’empêcher d’en vouloir « un peu » à Stéphane de sa défection la première depuis leurs débuts au cégep. Pourquoi? Se doutait-il des troubles sentiments que son cœur nourrissait secrètement? Trêve sous peine de paranoïa! L’équilibre et la mesure comme le susurre au moins une fois par jour le déjà nommé familial.

Du coin de l’œil Catherine voit Louis se lever d’un bond et sa figure s’éclairer d’un sourire radieux : Jean-François évidemment. Le susnommé son éternelle casquette noire grisatre d’usure plantée de guingois le lui rend au centuple. Chacun serre le coude de l’autre du même côté en un curieux geste sincère plus qu’une poignée de main; c’est le côté « amis ». Ils joignent spontanément leurs lèvres ensuite; c’est l’aspect « amants ». Elles restent raccrochées un bon moment. Jean-François s’amende honorable pour son retard. Son « ma mère a oublié de me chatouiller les orteils » masquant avec pudeur et pour la galerie seulement le fait que celle-ci se noyait dès les heures matinales de la journée dans les vapeurs éthyliques tout en lui donnant l’illusion d’un semblant de vie de famille dont il avait probablement encore besoin. Quoi qu’il en soit Jean-François se pointe trop tard la plupart du temps sauf lorsqu’il dort chez son ami-amant. Louis sourit indulgent au gros mensonge puisque lui seul est au courant des déboires familiaux. Il lui caresse affectueusement la joue de son pouce. « Aux rames galérien! » Ils se mettent au boulot sans plus attendre : la date butoir approche à fatidiques enjambées de cent lieues.

Frédéric envie secrètement leur courage à assumer ouvertement leur homosexualité ceci envers et contre tous. Et il en est ainsi auprès de leurs proches sans aucun doute. Il se demande dans quel genre de milieu familial les deux amants évoluent. Diamétralement différent du sien « davantage rétrograde que celui-là tu deviens troglodyte » plus que certainement!

Contrairement à Frédéric Catherine éprouve de la peine à s’habituer à ça. De les voir afficher ostensiblement leur relation intime. C’est deux hommes quand même! Et ils vivent leur liaison homosexuelle avec ce que cela impliquait en privé forcément au vu et au su de tous sans aucune gêne apparente! Se tenant la main quand ils déambulent ou maintenant la tête de Jean-François appuyée familièrement sur le torse de Louis stationné debout derrière lui les paumes tendrement caressantes sur les épaules de son amant. Et dire qu’elle a failli se méprendre quant au genre!

En concentration informatique les étudiants ont d’abord été déroutés par ces nouveaux paramètres. Leurs enseignants également. Louise surtout bizarrement bouleversée plus que de raison au point d’éviter leurs regards celui de Louis plus précisément et tentant de le dissimuler soigneusement. Mais tout un chacun s’est adapté et ne les examine plus comme des extra-terrestres fraichement débarqués en provenance d’une très lointaine galaxie. Ce que persistent à faire sporadiquement les autres membres de la communauté collégiale quand ils les croisent main dans la main sans quolibets et moqueries heureusement. Leur amour manifeste les isole toutefois mais pas plus au fond que si l’un avait été l’une. La sincérité évidente de leurs sentiments mutuels impose le respect à qui que ce soit.

À Catherine aussi sauf qu’elle a été très proche de se laisser charmer par les attraits de Louis qui lui faisait alors une longue cour discrète et tout à fait enivrante. Elle s’en était d’ailleurs ouverte à Océane. Mais un beau matin Louis et Jean-François étaient arrivés ensemble au laboratoire exceptionnellement avec une bonne heure de retard pour le premier et main de l’un enfouie dans celle de l’autre. Un concert d’yeux exorbités et de bouches béantes durant un instant de flottement puis le cours des choses et le cours avaient repris normaux les intégrant. Louis avait poursuivi son amorce; elle l’avait rembarré sèchement. Quand même! Il avait rentré la tête dans sa carapace en tortue apeurée. Il n’avait plus insisté même de loin. Catherine avait aussi confié à son amie qu’elle s’en faisait une raison finalement. Et qu’elle recherchait ailleurs du côté de chez Frédéric « plus fin que ça, tu meures! » en fait. Louis se sentant observé reporte son attention sur elle. Affichant toujours son sempiternel demi-sourire il lui lance.

Catherine je souhaiterais que tu prennes en considération très sérieusement mon humble candidature…

Elle en reste littéralement béate. Ses grands yeux ténébreux cillés longuement de jais s’écarquillent. Frédéric fronce les sourcils d’étonnement et se demande à quoi Louis joue au juste. Il en oublie d’apprécier la mine bouche bée de Catherine. Jean-François lève le nez et questionne « à quoi? ». Louis lui répond que Cat souhaite recevoir un chum pour Noël. « Ah! » réplique simplement son acolyte avant de se concentrer à nouveau sur son problème immédiat. Catherine n’en revient pas de cette audacieuse initiative. Son expressive figure ressemble à un point d’interrogation doublé d’un trait d’exclamation ce qui accentue le demi en sourire du provocateur. La tête à l’envers et le cœur chamboulé elle sort précipitamment du laboratoire laissant Océane en plan à peine interloquée par l’inattendue réaction intempestive de son amie. Jean-François en témoin impassible de l’échange pas si improbable finalement zyeute du côté de chez l’énigme faite femme d’onyx. Leurs yeux se rencontrent puis ne se lâchent pas durant l’éternité. Il oublie de respirer puis plus rien. Perplexe il repasse au sécuritaire mode informatique.

Plus tard Catherine et Océane vont prendre un café.

Jean-François semble s’intéresser à toi… C’est bizarre.

J’ai remarqué figure-toi! L’attrait existe réciproquement et ne présente en soi aucune bizarrerie.

Mais il est aux hommes c’est pourtant évident!

Non il se donne à celui qu’il aime. Cela pourrait être à celle-là aussi. La nuance m’apparait de taille.

Essayes-tu de me faire avaler que tu ne répugnerais pas à ce qu’il soit ton chum même sachant ce qu’il fait au lit avec Louis?

Exactement. Leurs rapports homosexuels impliquent qu’ils pratiquent entre eux la sodomie active et passive pour appeler les choses par leur dénomination. Et cela ne me concerne en rien.

Océane tu hallucines des ronds carrés! Ce serait étonnant que Jean-François veuille laisser choir Louis pour tes yeux si beaux soient-ils. Cela veut dire que dès le commencement il te serait infidèle!

Catherine tu as entendu mais tu n’as pas écouté! Je n’envisage pas qu’il laisse tomber l’un pour l’autre. La fidélité c’est une vue de l’esprit. L’important tient dans ce que deux êtres souhaitent bâtir ensemble indépendamment des autres liens. D’ailleurs Louis te court après…

C’est une blague cruelle. Il veut simplement donner le change à la galerie et prouver sa « virilité »!

Tu te trompes du tout au tout Catherine. Observe attentivement ses yeux…

Louis a pour chum un gars. C’est là un fait indéniable et incontournable.

Le prince-soleil tout de lumière vêtu chevauchant son destrier immaculé s’immobilise brusquement : il vient de l’apercevoir. Elle. Il met pied à terre et dépose au pied de sa Princesse son âme et son cœur et son épée. Bien entendu ils vivent heureux jusqu’à la fin des temps et ont beaucoup d’enfants.

J’admets un certain romantisme.

Une teinture seulement! Et moi je plane sans doute trop à ras de sol… Mais Il est si…

Je sens qu’il va y en avoir pour au moins une heure!

D’accord belle princesse. On va encore prouver à tous les mâles environnants que nous sommes les meilleures! À bas les gars!

Rieuses elles se remettent au travail.

Rien d’autre ne survient à propos de chum du moins durant une semaine. Surgissent ensuite les examens terminaux qui les achèvent puis le traditionnel souper commun au restaurant-buffet chinois. Où Louis et Jean-François se sont organisés pour encadrer Catherine fort déconvenue du fait et Océane enchantée quant à elle. Celle-ci et le second vivent maintenant une « période exploratoire » initiée par la première à la grande joie de l’objet de sa flamme mais platonique (déplorait vivement la partie mâle). La liaison des deux hommes la laissait apparemment indifférente; ils n’avaient pas abordé le sujet ce qui soulageait grandement Jean-François. Parce qu’avec Louis c’était devenu plus sérieux : l’amour que son ami éprouve trouvant désormais écho à son cœur défendant. Frédéric toujours désespérément et muettement attiré par la blondeur bouclée vive et si masculine de Stéphane s’est arrangé pour s’assoir à sa droite et du fait leur fait face; un poste d’observation de premier plan. Ils sont quinze survivants autour de cette table rectangulaire ce qui reste des soixante fringants débutants. Bruyants pour la plupart ils se servent plutôt trois fois qu’une aux comptoirs généreusement pourvus pour en mettre plein la vue de fruits de mer en brochettes, de riz frit et de nombreux plats cuisinés de nature indéfinissable dont beaucoup de fritures avait remarqué Catherine les sourcils désapprobateurs mais succulents sans oublier les desserts orgiaques. Plus que copieux repas au long duquel les deux seules filles avaient commenté largement leur incontestable supériorité notamment en matière informatique à l’irritation grandissante des autres.

À la fin des inévitables allées et venues « gastronomiques » Louis récidive tranquillement sur son humble candidature très sérieuse.

Tu es fou!

Peut-être.

Il la considérait un soupçon exaspéré l’air de croire qu’en effet il l’était de s’intéresser à pareille péronnelle!

Tu es très manifestement engagé avec quelqu’un.

C’est un fait indubitable. Pourquoi cela exclurait-il un lien entre toi et moi? Ma beauté naturelle et ma façon d’être un rien équivoque et ténébreuse à tes yeux sans doute je te l’accorde te déplairaient-elles à ce point? Mon cœur énamouré, ma gentillesse proverbiale, mon grand corps svelte, mes longues mains fines qui savent être tendres sur la peau sans parler de tout le reste à l’envi…

On dit « à l’avenant »… Là n’est pas le problème et tu le sais très bien quoique je te découvre en plus très infatué de ta personne…

Avec raison évidemment mais je ne comprends pas!

Jean-François…

Est mon ami et alors?

Il est bien plus que cela à l’évidence!

Je l’aime; c’est un paramètre indéniable et un sentiment inguérissable.

Et il est engagé avec toi…

Oui et non : cela n’exclut personne! Ce que je vis avec Jean-François ne concerne que lui et moi; ce que je souhaite ardemment connaitre avec toi n’impliquera que toi et moi…

Catherine se tient coi mais regarde Louis. Une fulgurance l’atteint au cœur. Il effleure sa joue puis se penche et plante traitreusement un baiser furtif au cœur de son cou qu’elle a de cygne. Sa barbe naissante une fantaisie récente suggestion de Jean-François lequel trouvait sensuel un tel effleurement sur son corps nu pique légèrement et son souffle tiède la chatouille. Son surnom est tendrement prononcé. Son regard brillant, chaud, inquisiteur, en attente. Les joues en feu elle pose spontanément la tête sur son épaule et s’y frotte. « Cat… » si doucement répété. Il l’entoure de ses bras en arc une proximité intense et longtemps fantasmée. Il murmure à son oreille tout en ratissant sa joue de son pouce.

Tu dors chez moi cette nuit.

C’est une affirmation pas une question presque une évidence. Une secousse sismique se déclenche et la secoue toute entière. Louis perçoit son trouble et resserre son étreinte provoquant une nouvelle flambée incendiaire. Elle lui tend ses lèvres délicatement ourlées et s’abandonne à son baiser velouté et éternel. Seuls au monde mais ils doivent se désunir sous les applaudissements nourris! Les « Joyeuses Fêtes » et « bonnes vacances » fusent de part et d’autre de la tablée. Ils se partagent les additions salées. Frédéric sort juste avant les deux couples ses yeux caressants hypnotiquement fixés sur la nuque de Stéphane. Tout à sa hantise il en oublie de retenir la porte et s’y heurte en plein front. Il semble se ressaisir quand son rêve disparait de sa vue; il rit nerveusement de sa « distraction » et libère le passage. Dehors Louis rejoint Jean-François un moment (« je reviens de suite »). Les deux femmes et Frédéric les voient s’embrasser à pleine bouche. Catherine s’efforce de se détourner mais reste plantée là à les dévisager. Océane marmoréenne observe aussi. Catherine se sent très emmêlée. Le cœur pincé et envieux mais le dissimulant quasiment parfaitement Frédéric entoure leurs épaules et leur dit « ciao les amoureux! » avant de s’enfuir vivement les mains dans les poches en solitaire. Il n’aperçoit pas Olivier son compagnon à gauche lors du repas et qu’il avait totalement ignoré qui le suit de loin. Il n’entend pas ou feint de ne pas entendre son trop faible appel. Jean-François et Océane s’éloignent bras dessus bras dessous vers le métro.

Louis s’empare d’autorité du coude de Catherine et hèle un taxi en maraude en levant l’autre bras. Le trajet relativement court se fait en silence la tête de la belle appuyée sur l’épaule de… son chum. La demeure silencieuse brille de lumières accueillantes : « ma mère laisse toujours l’éclairage phare jusqu’à ce que je rentre à bon port ». Ils montent chez Louis. Catherine admire les lieux. Il referme la porte sur eux.

Je ne sais pas Louis… Je me sens mêlée…

Rappelle-toi que je t’ai invitée à dormir…

Elle lui est reconnaissante de sa compréhension ainsi que de sa sensibilité à ses états d’âme une denrée rare chez l’espèce homo sapiens en général. Elle était sortie l’année précédente très amère d’une liaison houleuse avec Michel un parfait salaud et le plus grand égoïste qui soit dans toute l’humanité et au-delà et d’une rare insensibilité de surcroit. Louis place un disque compact sur la chaine haute-fidélité des mélodies jazzées modernes en sourdine. Il affectionne particulièrement le saxophone et en joue fort bien mais irrégulièrement. Il s’installe confortablement dans la vaste causeuse souris du coin-détente et l’invite à le rejoindre. Elle s’appuie contre lui entre ses bras. Ils restent longtemps ainsi muets savourant leur proximité nouvelle une façon de s’apprivoiser. La musique s’éteint. Le drôle de coucou chante les douze coups de minuit. L’heure du crime? Louis baille s’étirant comme un félin.

Si on dormait?

Catherine opine subitement cramoisie et avec une hésitation nettement perceptible.

Laisse-moi d’abord dénouer ta chevelure…

Louis défait les pinces retenant les tresses en couronne. Puis détresse ses longs cheveux enfonçant son nez dans la crinière de jais brillante et interminable. Il va chercher une brosse celle de Jean-François qui avait trouvé niche sur la commode de sa chambre. Il lustre longuement la luxuriante toison de son amie.

Tu es magnifique ainsi…

Il dépose en offrande un baiser à peine esquissé sur sa nuque après avoir tordu puis ramené l’écheveau de soie vers l’avant. Il s’écarte vivement. Il éteint. Il la prend par la taille qu’elle a fine à souhait et la guide jusqu’à sa chambre. Ils se dévêtent pudiquement dans l’obscurité : il a aussi débranché la veilleuse. Catherine s’empêtre dans son jean et manque tomber. Elle pouffe d’un rire nerveux. Ils s’étendent côte à côte. Il l’embrasse en parfait gentilhomme prenant un soin extrême à maintenir une distance respectueuse entre leurs corps. Ils éprouvent du mal à trouver le sommeil.

Au matin Catherine est réveillée par des bruits de chasse d’eau en provenance de la salle de bain adjacente. Se tournant sur le côté le drap chastement rabattu sur sa poitrine elle s’accoude à l’oreiller et attend Louis. Elle le contemple alors qu’il revient vers le lit. Il s’immobilise au milieu de la pièce ensoleillée. Elle s’imprègne de cette nudité superbement magnifique et très désirable. Son regard focalise sur la mince toison délicatement découpée suivant les courbures d’ombre et d’harmonie qui recouvre son torse longiligne sous d’étroites épaules puis sur ses hanches et finalement sur sa verge qui se déploie sous son examen très intéressé. La figure de Catherine ainsi que son cou se marbrent de plaques rouges. Elle cesse de respirer. Une haute et forte vague d’un désir primitif la submerge. Elle écarte d’un geste vif les couvertures exhibant son corps (tout à fait gracieux et parfait constate Louis) à la contemplation muette du voyeur comblé. Elle voit la gorge se nouer et la virilité s’étendre davantage. Les yeux dans les yeux encore. Il la rejoint et reste debout devant elle. Elle se retourne sur le dos. Gestuelle d’accueil totale et urgente de la femme à l’homme. Louis geint sourdement et retire du satané sachet un préservatif glané dans un tiroir et le met en place fébrilement. Agenouillé sur ses jambes et entre les siennes il attire son bassin vers lui et investit sa corolle en offrande. Il l’aide à se relever et elle enceint son cou de ses ailes. Ses petits seins durcis contre sa poitrine. La prenant par la taille il s’enfonce davantage dans son intimité si accueillante. Catherine crie. Il ressent l’orgasme qui l’envahit toute. Ses contractions spasmodiques déclenchent presque immédiatement la montée irrésistible et forte de son plaisir. Il feule aussi. Il ressent jusqu’aux tréfonds la jouissance nouvelle de son amante. Ils emmêlent aussi leurs langues longuement et profondément. Ils se dénouent ankylosés longtemps après. Elle ôte la protection obsolète et lèche son pénis à peine débandé le redressant de caresses labiales et de sa bouche qui recouvre la hampe totalement. Le gout salé de son sperme. Il la renverse sur le dos. À petits coups de langue il fait dresser les pointes de ses mamelons délicieusement menus. Il parcourt tout son magnifique corps de ses mains (si habiles) et de ses lèvres (si douces) exacerbant le désir et provoquant de sourds feulements. Il s’abreuve au subtil nectar de son intimité. Il revient au centre névralgique. Cat ondoie de plaisir. De ses longs doigts agiles il investit ses orifices intimes. C’est un tsunami qui la foudroie. Elle hurle. Louis enfile un condom plus qu’excité. Il la monte en levrette d’abord puis ils s’allongent en contact pleine peau. Catherine cambre les reins approfondissant la pénétration. Elle ondule au même rythme que son amant. Ils copulent interminablement. Ils connaissent ensemble la catharsis libératrice. Apaisés et languides ils s’enlacent les sens et le cœur au diapason. Confidences sur l’oreiller : il parle avec délicatesse et pudiquement de son nœud avec Jean-François pour qu’elle comprenne et pour qu’elle ne se sente pas menacée par leur amour « aussi naturel et inéluctable que la vie elle-même ». Et qui n’exclut aucunement qu’il puisse et veuille approfondir le lien nouveau qui les unit maintenant elle et lui. Elle lui avoue l’amour naissant qu’elle éprouve envers lui mais aussi sa vulnérabilité du fait même de cette inclinaison. Elle narre l’amertume (et l’intrinsèque sentiment de culpabilité) qui la tenaille encore depuis sa liaison avec Michel qui s’était soldée de la façon la plus horrible qui soit pour une femme par un avortement…

Un bébé se fait à deux mais la femme est toujours seule pour assumer le reste et pour faire le choix : élever un enfant avec peu de ressources et sans père disparu dans la nature toutes jambes dégourdies ou le tuer dans l’œuf. J’ai paniqué Louis! Et j’ai choisi l’irrémédiable. C’est trop tard pour regretter mon geste. C’est stérile de toute façon mais c’est dur à vivre…

Cat… jamais et ce ne sont pas des paroles lancées à la légère je n’esquiverai mes responsabilités. S’il arrive un « accident » nous aurons cet enfant…

Tu es sincère maintenant. Lui aussi disait ça jusqu’à ce que cela arrive…

Je ne peux rien prouver évidemment mais tu pourrais au moins m’accorder le bénéfice du doute! Tous les hommes ne sont pas des irresponsables!

Pardonne-moi je généralise trop parfois…

Il l’enserre dans l’étau de ses bras.

Je suis un loup affamé! Et j’hésite entre me jeter gourmandement sur l’exquise et appétissante brebis ici emprisonnée et un plantureux petit déjeuner…

Il évalue d’un air dubitatif sa proie potentielle visiblement prête à subir tous les outrages.

Tout compte fait je crois que je vais commencer par celui-là et terminer par la tendre bête…

Goujat!

Morgane qui a remarqué manteau et bottes supplémentaires et féminins leur a préparé un « petit déjeuner pour deux » avant de se mettre en route pour son rendez-vous avec le client « le plus girouette qui soit ». Ils dégustent avec délice le pain doré que Louis fait griller à la poêle « parfaitement je te fais remarquer ». Tel que promis le Grand Méchant Loup ne fait ensuite qu’une bouchée de sa proie consentante à souhait sur la table de la cuisine la vaisselle hâtivement tassée et l’indispensable protection qui trainait dans sa poche promptement enfilée.