Nouaisons
Précédé de Trop tôt… Suivi de … Trop tard
Louise Gauthier
L’amante
Se sentant étudié intensément Louis se détourne vivement. Louise sa professeure d’informatique ou plutôt son ex-prof puisque le cours avancé de développement informatisé de systèmes qu’elle dispensait aux étudiants de cinquième session était complété depuis un certain nombre de jours et que c’était leur dernier ensemble. Installée non loin à un bout de la grande table centrale elle le contemple fixement. Semblant se reprendre elle tente visiblement de revenir à ses activités professorales initiales des corrections d’examens à ce qu’il peut en juger d’après la pile devant elle.
Un problème?
Il œuvre en tant que « technicien-à-tout-faire » tous les lundis vaquant diligent à la rescousse des étudiants surtout ceux de première année en informatique ou celles (surtout) suivant une formation complémentaire aux prises avec de sérieux problèmes soi-disant insolubles. Louise consacrait fréquemment cette même soirée à corriger dans la salle de travail du département. Ils se tenaient une compagnie généralement silencieuse et concentrée entre ses va-et-vient sauf lorsqu’ils échangeaient brièvement et par intermittence sur un sujet quelconque ou un autre. Ainsi tout à l’heure il lui avait mentionné qu’il venait tout juste de fêter ses vingt et un hivers puis passant du coq à l’âne qu’il était content que son contrat se termine aujourd’hui. Et il arrivait parfois à Louise de buter sur des questions purement techniques le plus souvent matérielles (pas ses branches les plus fortes) surtout des plus triviales telles qu’une imprimante hors tension d’autant plus que sa patience pour de telles considérations si peu intellectuelles s’émoussait à la vitesse de l’éclair. Il souriait d’indulgence matinée d’un fétu de condescendance. Mine de rien il résolvait la peccadille qui l’empêchait de poursuivre son envolée créatrice. Elle sursaute à la question puis replace machinalement derrière l’oreille l’habituelle blonde mèche récalcitrante qui lui bloquait la vue la plupart du temps. Elle plante ses yeux pers dans les siens et lui répond d’un ton véhément très étonnant venant d’une personne à la douceur jamais démentie auparavant.
Deux et ils sont insolubles par des tours de passe-passe techniques.
Et ce sont?
Deux décennies en trop et un physique disgracieux…
Louise est apparemment abasourdie par sa propre audace et sa franchise. Décontenancé Louis demeure coi. Il s’attendait à l’énoncé d’une problématique informatique. Ne sachant comment réagir il revient à sa tâche première. Louise tente de continuer ses corrections mais l’intensité du brasero sur lequel elle grille la fait évacuer de la pièce. Dans le corridor elle retient difficilement la digue lacrymale qui menace dangereusement de se rompre. Elle n’arrive pas à museler son élan vers Louis. Et ressent sa proximité fortement et douloureusement tous les lundis soir prétextes pour se retrouver auprès de lui; aujourd’hui le dernier avant longtemps elle vient de l’apprendre. C’était bien plus qu’une attirance physique plutot un besoin de communiquer avec lui et de découvrir cette personnalité riche de multiples facettes qu’elle devine complexe. Vieille et laide sont les antonymes de jeune et beau. C’est incontournable et désespérant. Elle se sent frappée d’impuissance. Au prix d’efforts considérables elle réussit à se reprendre en main et retourne à son labeur. Louis semble se concentrer sur un problème de programmation. Alors qu’il tourne consciencieusement les feuillets d’un quelconque livre de référence elle note encore une fois le raffinement de ses gestes et l’élégance fine de ses attaches. Elle effleure du regard sa nuque gracile découverte par les cheveux trop courts sous la tête plutot petite et délicate. Elle ébauche dans l’air puis réfrène une caresse. Elle ne rattrape pas le courage de s’excuser pour ses inconsidérés propos déplacés ainsi que pour son attitude qui prêtait flanc à une interprétation sans équivoque des premiers. Elle rassemble fébrilement ses documents. Mieux valait tenter de compléter le travail à son bureau mais la présence de Louis bien qu’à des kilomètres virtuels d’elle la comblait : c’était emmagasiner du soleil autant que cela la torturait. Après moult et inutiles tergiversations elle renonce à s’en aller et affecte sa remise au boulot. Quand elle le voit du coin de l’œil s’étirer comme un félin son cœur bondit d’un saut périlleux. Cela lui fait toujours cet effet bouleversant ce geste coutumier empreint d’une rare sensualité à fleur de peau mate. Elle a envie de demander grace. Le silence interminable est tranché au scalpel. Louis parle à son ordinateur.
Ce n’est pas vraiment vingt mais dix-sept tout au plus en acceptant un intervalle… quoique quinze m’apparaisse une plus juste marge différentielle.
C’est du pareil au même calcul…
Quant au physique c’est son opinion…
Et celle de mon miroir…
C’est partial…
Une éternité après avoir pesé les pour et les contres il se décide à l’affronter.
Si on allait prendre une bière à la brasserie? Nous pourrions nous entretenir au sujet de ces problèmes insolubles…
Le regard inquisiteur matiné d’un fin brin d’ironie habite ses prunelles si vives. Louise accepte spontanément d’un signe de tête puis regrette d’avoir acquiescé : c’est-à-dire prêter flanc à une plus grande souffrance inévitablement. La gorge prise dans un étau émotif elle s’enfuit une nouvelle fois laissant tout en plan.
Assise immobile à son bureau la tête complètement vide Louise demeure invisible jusqu’à vingt et une heures cinquante-sept. Ses jambes tremblent et tout le reste vacille mais elle descend le rejoindre. Elle aurait dû le fuir se répète-t-elle pour la millionième fois. C’est quinze minutes plus tard qu’ils partent finalement du collège tous les ordinateurs fermés et les laboratoires verrouillés. Ils cheminent de concert. Muets. Louis grelotte. Louise inhabituellement insensible à l’extrême froidure hivernale ressent très fortement sa présence. Qui lui obstrue la gorge et qui l’incendie toute entière. Plusieurs pelures posées sur une chaise. Ils s’installent en angle droit à une petite table du fond. La pénombre règne dans la salle. Il commande une bière pression et elle un verre d’eau. Long silence aux regards gênés qui s’évitent.
Je ferais mieux de rentrer… Excuse-moi…
On t’attend?
Non… Mais…
Reste.
Ce nœud l’étouffe. Elle avale de peine un peu d’eau et sans le regarder directement laisse les paroles fuser. Il les ressent dans toutes ses fibres telle une onde de choc.
Louis… Je n’arrive pas à dompter cette attirance vers toi ni non plus à juguler cette soif instinctive et irrépressible de communiquer de tout mon être avec toi malgré tous mes efforts et malgré tout… Je n’ai pas voulu que cela m’arrive et la raison n’y a rien à voir. Ça m’est tombé dessus sans coup férir. C’est sans issue évidemment… Aucune terre commune ne peut exister entre toi et moi mais cela me déchire en lambeaux. À la rentrée de cet automne au commencement du premier cours je t’ai retrouvé changé et épanoui. Ton sourire d’accueil irradiait littéralement. Et ta figure est devenue alors d’une beauté bouleversante. J’ai brusquement manqué d’air… Depuis j’éprouve toujours des difficultés respiratoires sous ce sourire à nul autre pareil et dont tu n’es pas avare. À compter de cet instant précis et à mon cœur défendant je n’ai plus été en mesure de te considérer un étudiant en informatique parmi tous les autres…
J’ai cru remarquer un certain changement dans ton attitude envers moi peut-être un adoucissement de la voix et du regard mais sans en comprendre vraiment le sens et je dois l’avouer platement ni y faire plus que vaguement attention même.
J’ai essayé de nier puis de taire ce sentiment incongru afin de continuer au jour le jour à me comporter telle que l’exige ma profession ainsi que son éthique implicite. J’ai tenté de me convaincre que c’était une mineure flambée tardive et passagère faute d’aliment… Une seule et unique fois j’ai cru sentir un chaud élan de ta part si bref et si vite réfréné. J’ai mis cela sur le compte du rêve ensuite. Et j’évite toujours de prendre mes chimères pour des réalités. Pour toi évidemment rien n’était modifié à l’intérieur de nos relations structurées. Tu es égal à toi-même sous cet aspect et d’une gentillesse indéfectible toujours avec ce sourire tellement dévastateur ainsi que cette dichotomie profonde et perturbante entre l’accueil et la chute…
Je ne comprends pas cela.
Lorsque nous échangeons sur un sujet quelconque quelques courantes banalités la plupart du temps et qu’une interruption survient invariablement tu ne renoues pas le fil après celle-ci. Tu passes juste à une autre priorité. Pour moi tous ces mois passés rassemblent un écheveau inextricable de fils coupés et de rejets d’une communication qui ne s’est jamais véritablement établie…
Mais…
Je sais que tu n’y es pour rien. À mon grand désarroi un sentiment de manque s’est installé au fil des jours issu de cette impossibilité à établir une communication ne serait-ce qu’embryonnaire. J’ai même songé à écrire un roman où ton simulacre évoluerait en personnage principal afin de combler ce vide… Louis je ne sais rien ou si peu de toi et de ce que tu vis et de ce que ou qui tu aimes ou détestes et de ce que tu es. Une ribambelle de cloisons et de frontières et de balises rassurantes existent qui enferment les comportements de tout un chacun dans un carcan social de béton armé. Celle des relations prof-étudiant, celle des relations homme-femme, celle de la différence d’âge, celle de la carrosserie, celle des « choses qui ne se font pas ou ne se disent pas » entre autres…
Et tu es mariée…
À l’intérieur de notre couple chacun prend l’espace qu’il souhaite dans une totale confiance sans cachotteries destructrices et sans jalousie aucune.
Je me sens perplexe… C’est plutôt flatteur et inattendu et embarrassant…
Cela l’est incommensurablement plus pour moi…
Je t’aime bien mais…
Je sais… C’est très clair!
Il réplique tout de go impatient de l’interruption.
Non j’allais dire qu’un bon bout de chemin à parcourir reste pour que je puisse te voir d’un autre œil mais je veux souligner que tes évidences t’appartiennent. En t’invitant je n’ai pas dressé de mur de briques au contraire…
Louis…
J’aime bien quand tu prononces mon prénom en une seule longue syllabe. J’y sens de la chaleur et beaucoup de douceur. Ce que tu ressens ne me laisse quand même pas indifférent!
Estomaquée elle plonge les yeux dans les indéchiffrables prunelles.
Et aussi cesse de faire de la projection. Ces années de différence sont là pour rester mais fondamentalement cela n’empêche rien… Quant à ta soi-disant disgrace… Tu es une « vieille » femme désirable et je n’ai absolument rien contre de prime abord à l’idée de me rapprocher de toi…
Je ne recherche pas une aventure d’un soir.
Qui interprète ainsi? Mais à en juger par ton langage corporel rien moins qu’explicite…
Interloquée par les derniers mots exagérément appuyés et plus qu’un soupçon ironiques elle suit l’orientation de son regard et s’aperçoit que sans en avoir conscience sa paume caresse celle de Louis! Excessivement gênée elle amorce un retrait mais il retient fermement ses doigts entre les siens.
Je présume que tu serais en faveur que nous commencions à chercher cette terre commune en commençant par l’exploration exhaustive de nos corps…
Le regard attentif posé sur elle et sa main encore captive quadruple en volume le nœud dans sa gorge. Louis lui sourit et se lève pour s’asseoir à côté d’elle sur la banquette. Il met un bras autour de son épaule et l’attire tout contre lui. Le désir flamboyant l’envahit complètement. Empathique il le ressent aussi et resserre son étreinte. Elle s’abandonne à son baiser doux et exigeant et irrésistible et sans fin. Leur souffle haletant. Il mordille le lobe de son oreille et murmure l’évidence.
Tu m’accompagnes chez moi…
Emmitouflés de nouveau ils sortent et marchent côte à côte. La température s’est mise au redoux. Louis se souvient d’un regrettable oubli à réparer et consulte sa montre.
Je dois faire un saut à la pharmacie avant de rentrer. Heureusement que ce n’est pas encore fermé. As-tu une préférence en matière de préservatifs? J’ai hâte d’entendre ta réponse à cette question hautement embarrassante…
Ça dépend de la voie empruntée…
Oh! Les deux donc…
Louise devient cramoisie. Louis l’embrasse profondément et l’enserre très fort. Il sent le désir qui l’anime grimper en maelström. Elle l’attend au-dehors avec impatience. Louis hèle un taxi. Il capture et captive sa bouche tout au long du trajet infini. Une main étrangère chaudement à l’abri sous son manteau s’autorise certaines privautés sur la personne qu’il accepte fort complaisamment.
Impulsivement il place sur la chaine le Carmina Burana de Carl Orff. Curieux choix que cette musique d’une opulente envergure qui ne s’écoute véritablement qu’à plein volume. Elle approuve la sélection d’un sourire.
Aux premières mesures puissantes Morgane se réveille en sursaut en se demandant quels frelons piquaient son fils. Elle jure mais renonce à se lever et se recouche la tête sous l’oreiller et se rendort en grommelant pour s’éveiller à nouveau dans les tonitruants crescendo…
Dans sa chambre Louis tamise l’éclairage en veilleuse. Louise lui avait fait remarquer que l’automne préfère la complice pénombre à la clarté révélatrice. Il plaque ses mains en étau autour de sa taille et l’attire inexorablement vers lui. Elle le repousse le cœur en débandade soudain paniquée et amorce une déroute.
Je ne peux pas… C’est prématuré… Je te désire très fort et depuis des mois… Pas toi Louis… J’ai peur que tu ne puisses passer outre l’enveloppe ingrate pour me rejoindre…
À ma connaissance on n’a qu’une seule façon de le savoir. Et le temps d’assimiler n’y a rien à voir…
Il la reprend entre ses bras. Les joues en feu elle geint. Quelques pas hésitants. Ils s’échouent enlacés sur le lit. Il accapare ses lèvres pendant que ses doigts fébriles déboutonnent sa chemise. Et qu’elle procède identiquement et tout autant fébrilement. Elle effleure timidement son torse à la toison satinée puis son ventre puis en insinuant des doigts impertinents et vagabonds à l’intérieur de son pantalon. Il frémit perceptiblement à ce chaud toucher. Il dégage sa poitrine plantureuse.
Tes seins sont magnifiques.
Il jette son sincère dévolu sur iceux, les pétrissant, les tétant, arrachant des plaintes à l’objet de ces attentions gourmandes. Il l’aide à se dévêtir intégralement puis fait de même rapidement. Il se couche sur sa féminité pleine et mature si déroutante et aussi bouleversante. Terre commune à l’horizon. Elle caresse les courbatures harmonieuses de son dos et de ses fesses qu’elle presse. La verge dure se colle davantage à son bas-ventre. Il mordille le lobe de son oreille prolongeant vers son cou. Leurs langues se mêlent à nouveau frémissantes. Il se soulève légèrement pour l’examiner, ses joues rosées par le désir, ses mamelles gonflées aux pointes turgescentes, son ventre frémissant sous lui.
Je vais te posséder.
Sa voix est âpre et son regard perçant plonge dans le sien. Elle répond du geste millénaire d’accueil de la Femme à l’Homme. Préservatif enfilé l’épée trouve son fourreau atavique. Elle crie en se donnant à lui en enserrant la hampe de ses contractions spasmodiques. Il s’immobilise pour ressentir davantage les ondoiements du sexe de son amante et recommence très doucement ses lentes poussées tous les sens exacerbés puis s’arrête de nouveau alors qu’elle jouit encore. Il reprend ensuite le rythme des cantiones profanae dans un état second le souffle de plus en plus saccadé et fort jusqu’à ce qu’un ultime remous océanique les emporte vers une plénitude inconnue et indescriptible. Ils ont l’impression de se liquéfier l’un en l’autre et de fusionner littéralement quand très longtemps après le grandiose Ô Fortuna fait place au silence. (Morgane soupire de soulagement mais ne se rendort pas…)
Quand tu as un orgasme c’est tout ton être qui s’épanouit et tu es si belle.
Louise explore ensuite exhaustivement chaque parcelle de son corps juvénile, de la langue, des doigts, des lèvres, de la paume, tous leurs sens galvanisés. Ils se masturbent mutuellement serrés l’un contre l’autre en retardant au possible la montée de l’orgasme. Mais n’y tenant plus il la monte en levrette cette fois et la fourre impétueusement. Cette position animale a rapidement raison d’eux. Mâle et Femelle profondément agglutinés crient au faite de leur plaisir.
Au matin il se réveille avec le pénis érigé par ses touches fines. Elle met en place l’indispensable protection. Il geint de l’attente trop longue. Elle le chevauche en imprimant des mouvements tantôt d’une douceur extrême tantôt emportés avec son sexe mobile ondoyant autour du sien, le pressant, le caressant. Il agrippe ses dômes et les palpent de ses paumes en coupelles remplies puis de ses phalanges en agaçant les billes d’agate. Il la saisit fermement aux hanches ensuite en s’enfonçant davantage. Le raz de marée tellurique les prend par surprise.
Sous la douche elle s’agenouille devant lui. Louis ferme les yeux en savourant de toutes ses sensibles terminaisons nerveuses sollicitées le plaisir dispensé par la fellation. Jusqu’à ce que cela devienne insoutenable. Il lui annonce ce qu’il va lui faire la voix rauque et le ton pressant.
Je vais te sodomiser maintenant.
Louise se relève aussitôt et se détourne légèrement penchée et soumise. Louis feule. Il a du mal à enfiler le condom trop glissant pressé par l’urgence de la prendre ainsi. Râlant il l’encule et l’éperonne furieusement. Elle fait fi de la douleur abrasive et se donne une fois de plus entièrement à lui en jouissant par vagues successives et ininterrompues de sa prise de possession brutale.
Il apprête un petit déjeuner pour deux (sa mère d’habitude matinale dormant encore). Il se demande quelle tête elle ferait en voyant Louise visiblement plus près de son âge à elle que du sien. Elle ouvrirait surement de grands yeux mais ne dirait rien le temps d’avaler l’anguille puis sourirait probablement accueillante toujours.
C’est en fait ce qui se produit quelques semaines plus tard au sortir d’une blanche et musicale nuit torride. Morgane suggère délicatement que le volume sonore pourrait être abaissé de quelques décibels sans que la qualité de leur relation et celle de son sommeil soient radicalement affectées. Ils présentent leurs excuses.
Ils sont heureux de s’être trouvés sur cette terre commune où ils peuvent se réfugier de temps en temps et à l’abri du temps et seuls au monde afin d’échanger, se connaitre, s’aimer, de corps, de cœur et d’âme d’accords en dehors du temps et faisant fi de ses outrages.