Nouaisons
Précédé de Trop tôt… Suivi de … Trop tard
Louise Gauthier
Sarabande
Ses mains tremblent et il doit signaler à trois reprises pour composer le bon numéro : « la communication ne peut être établie » avait annoncé itérativement une voix féminine cybernétique. Louis souhaite ardemment que Jean-François réponde lui-même. La mère de son ami-amant-amour en état d’ivresse la plupart du temps de fait et à cause l’abreuvait d’épithètes peu élogieuses et de sentences éloquentes, toutes faisant nette allusion à son opinion personnelle quant à la nature des intimes relations « répréhensibles », « équivoques », « inavouables », « contre nature » qu’il entretenait avec son fils bien-aimé temporairement en proie à une aberration mentale. Avant de lui passer l’appareil à contrecœur elle terminait invariablement par des remarques bien senties et destinées à être entendues des deux protagonistes récalcitrants telles « JF c’est ton mignon au téléphone. Ça lui manque sans doute de se faire enculer! » celle-là s’avérant la plus « gentille » parmi le lot de commentaires désobligeants pour la plupart pas piqués des hannetons. Conformément à son tempérament Jean-François n’avait jamais abordé de front le sujet de sa liaison homosexuelle mais il n’avait pas tenté non plus de la dissimuler puisque cela n’entrait pas dans sa nature foncièrement droite. Et la terrible évidence (pour elle) avait bien vite sauté aux yeux de la chère maman : s’embrasser passionnément à pleine bouche ne faisant généralement pas partie des comportements que se permettent entre elles deux personnes de sexe identique qui n’entretiennent que des liens d’étroite amitié… Et cela arrivait assez fréquemment que Louis passe chez Jean-François (le premier se faisant désormais un point d’honneur à persister dans cette habitude malgré tout) lequel logeait près du collège (ils partaient ensuite ensemble à bord de la bagnole d’occasion déglinguée mais que le second entretenait avec un soin méticuleux pour se rendre chez Louis) et que les deux lurons ne se privaient jamais de se prodiguer de tendres attentions quand l’envie leur en prenait c’est-à-dire souvent… Bref elle n’avait rien commenté sur le coup cet après-midi où elle avait compris. Sobre elle ne capotait jamais mais autrement c’était devenu difficile… Son vœu est exaucé à la neuvième tonalité. Il émet un perceptible soupir de soulagement en entendant le « allô » caractéristique de son amour.
C’est Louis…
Ça ne va pas on dirait…
Jean-François attend vainement la suite.
Que s’est-il passé?
Cat… Tout à l’heure elle m’a fait une crise de jalousie terrible…
(Des flashs d’une intensité douloureuse se superposent dans sa tête; des paroles amères inutilement prononcées de part et d’autre retentissent tels des claquements définitifs.)
Jean-François ne sait trop comment réagir aux points suspendus. Il croit deviner mais un doute s’insinue dans son esprit.
Je ne comprends pas… Je croyais qu’elle avait accepté la situation et ne s’en formalisait plus!
Tu te méprends : ce n’est aucunement à cause de notre lien amoureux…
(S’il n’avait pas inconsidérément accepté Louise dans sa vie le désastre ne se serait jamais produit… C’est faux l’origine du problème n’était pas ce nœud parallèle.)
Alors quelle conquête a provoqué son ire? Me tromperais-tu?
Louise…
(Elle l’aimait profondément et totalement; et il acceptait son amour tel le don de la vie elle-même : inévitable mais foisonnant d’irremplaçables échanges à nu aux sens propre et figuré.)
Qui?
Tu la connais pourtant…
(Avec Cat aussi mais en plus il l’aimait à en perdre complètement la raison.)
Jean-François se gratte machinalement la barbe en signe de perplexité certaine.
Louise? Je connais une seule personne portant ce prénom… La prof!
Très peu de personnes se trouvaient au courant ce qui tenait davantage du hasard puisqu’ils ne se cachaient pas; ils se montraient discrets sans plus; Morgane et quelques collègues de Louise ainsi que son conjoint plus quelques étrangers interloqués de leur enlacement contrastant et qui se retournaient sur leur passage au hasard de leurs déambulations le plus souvent nocturnes. Louis avait préféré pour d’obscures raisons et jusqu’à maintenant du moins ne pas en faire la confidence à son ami : cela ne le concernait en rien s’était-il justifié.
Notre liaison ne menace personne et surtout pas Catherine!
Plutôt estomaqué Jean-François ravale sa langue. Bizarre relation quand même! Elle avait au moins atteint la quarantaine!
Et comment ta dulcinée a-t-elle découvert le pot aux roses?
Elle a reconnu le cartable que Louise avait malencontreusement oublié dans ma chambre le matin même. Et je ne l’avais pas remarqué. À la vue de cet objet « suspect » Catherine m’a questionné. J’ai répondu franchement.
(Pour crever l’abcès; il s’avouait avoir ressenti un certain soulagement puisqu’il savait bien au fond que s’il ne s’en était pas ouvert à Catherine spontanément c’est qu’il redoutait ce qui s’était effectivement avéré; et que du fait il se flattait d’illusoires certitudes : leur relation n’était pas aussi transparente et franche qu’il le souhaitait au plus profond de lui-même.)
Autre pause qui s’éternise. Jean-François l’encourage à continuer.
Et l’amour de ta vie a capoté…
Oui et moi aussi. Je lui ai signifié que je n’étais pas sa propriété et que ma relation privilégiée avec Louise ne la concernait aucunement et que je n’avais pas la moindre intention d’y mettre un terme. Tu peux facilement imaginer que le ton a monté de plusieurs crans. Elle s’est montrée en plus scandalisée par le fait que Louise a l’âge où elle pourrait presque être ma mère. Pour Catherine c’est également une « grave atteinte à sa féminité » selon ses propres dires…
L’emportement matiné d’exaspération perce encore mais aussi la tristesse. Louis éprouve un sentiment très fort envers Catherine. Et c’était réciproque jusqu’à il y a quelques heures.
Et elle ne veut plus poursuivre votre relation?
C’est ça. Et je l’aime désespérément mais je ne peux ni ne veux revenir en arrière! Pourquoi ne comprend-elle pas ce principe fondamental qu’aimer ne se conjugue pas avec posséder? J’ai besoin de tes bras mon amour…
Les derniers mots prononcés dans un murmure haché à peine audible. Louis pleure.
Ils te sont ouverts bien entendu mais rejoins-moi puisque je manque de sous pour carburer suffisamment Mercedes.
Je ne peux pas! Et si elle téléphonait miraculeusement et profondément repentie de son éclat?
Son ami en doute considérant le tempérament entier de ladite. Océane le fige d’un regard noir.
OK je viens mais pas seul : Océane se trouve avec moi en ce moment…
(Il l’interroge du regard. Elle acquiesce.)
OK je me sens à l’aise avec ta brune… Je t’aime Jean-François!
Je t’aime aussi Louis.
La mère de Jean-François n’appréciait guère Océane particulièrement sa couleur de peau et son apparence : une « négresse à tête chauve attriquée comme une pauvresse ». Quand elle était ivre elle se mettait à parler et à penser comme Lui… Il aurait préféré qu’Océane ne la rencontre pas mais icelle avait insisté. Et quand la guerrière tenait à quelque chose… Et on en était là!
Louis se place en attente jusqu’à ce qu’ils arrivent. Avec eux il peut mettre sa peine en veilleuse après avoir déversé un torrent sur l’épaule de son amour et décide de revenir à la charge avec Catherine du moins tenter de discuter calmement avec elle et de rafistoler les pots cassés peut-être. Saisis d’une communautaire fringale de vingt-trois heures ils commandent de la pizza et des coca-cola. Louis doit insister pour que Jean-François accepte du bout des lèvres d’être son « invité ». Ils la dégustent à la bonne franquette assis par terre dans la salle de travail de Louis. Les agapes terminées ils s’installent confortablement dans la vaste causeuse de service.
Jean-François ne peut s’empêcher d’aiguiller sur Louise : il souhaite comprendre cette étrange liaison. Louis tente d’expliquer ce lien qui s’est formé entre eux. Inattendu au départ et initié par elle à la fin de la dernière session ce lien déroutant à l’abord s’est poursuivi d’accord; une amitié qui s’approfondit et que tous les deux apprécient énormément dans une espèce d’enclave au détour du temps, une bulle pétillante, exigeante, stimulante, qui naissait, éclatait, se reformait plus tard mais rien de menaçant pour qui que ce soit. Décidément trop curieux Jean-François poursuit l’interrogatoire en marchant sur des œufs toutefois ne voulant pas heurter la sensibilité de son amour par une indélicatesse mais il souhaite ardemment savoir ce qui figure au syllabus du cours de sexe 401.
Si j’ai bien compris l’histoire du cartable tu fais l’amour avec elle. Elle n’est pas ton genre habituel en plus d’être plus âgée que toi…
Elle est Femme totalement et belle dans le don d’amour; elle m’aime.
Redevenu un atome moqueur et voulant surtout couper court aux questions un peu trop indiscrètes il annonce gravement à son amant que de fait il avait songé très sérieusement à le « tromper »…
Et avec qui aurais-tu osé commettre ce crime inqualifiable très certainement passible au minimum de la peine capitale?
Avec Frédéric…
Voyons donc! Le « beau blond » coure après tout ce qui affiche une paire de ni… seins… Et tout bien considéré ta poitrine… (il en dessine une dans l’air exagérément généreuse) manque d’un peu de volume sans parler de tes autres attraits… Et il a même tenté d’accrocher ta Cat qui plus est!
C’est de la frime et de l’esbroufe. Fred est homosexuel j’en suis certain.
Louis devient conscient de son inutile indélicatesse et surpris de la réaction provoquée tente de la réparer tant bien que mal.
Un petit problème nous empêche de passer aux actes… Je ne lui plais pas de cette façon et vice-versa.
Louis élabore ensuite sur Cat sa préoccupation de l’heure. Ses auditeurs résignés ont droit à un prolixe encensement tous azimuts de sa personne si parfaite… sauf en ce qui concernait cette jalousie tout à fait malvenue. Ils devisent ensuite longuement de choses et d’autres dans la pénombre ambrée confortablement avachis dans la causeuse d’usage. Océane le plus souvent silencieuse et à l’écoute accolée à Jean-François d’un côté et Louis de l’autre la tête sur les cuisses de son amour.
À un moment donné, le silence s’installe abruptement épais à trancher à l’égoïne… La main subrepticement baladeuse de Jean-François parcourt fébrilement la poitrine de son amant agissant indépendamment de son gré. Louis sent sous sa nuque l’érection importante et inopportune. Son propre membre masculin y répond en écho. Très embarrassé Louis entreprend de se dégager. L’autre le retient.
J’ai envie de te toucher… Je t’en prie…
C’est gênant!
Je veux vous regarder faire l’amour…
Jean-François presse l’entre-jambes de son homme et se met à pétrir convulsivement. Louis geint. Jean-François dégage l’instrument du péché passablement rigide de la gangue du pantalon et le masturbe lentement lui faisant oublier l’autre présence laquelle scrute intensément. Jusqu’à ce que frémissant Louis se lève; il se défait de tout ce qui entrave. Jean-François procède à l’instar. Leurs corps en manque (toute une semaine sans s’unir) se heurtent et s’agglomèrent. Ils halètent pressés par l’urgence. Ils se jettent sur le lit en gémissant sourdement. Chacun s’attaque voracement au sexe de l’autre en têtes à queues torrides. Presque au paroxysme Louis enfile un condom. Jean-François se place sur le côté et attend impatiemment l’emprise sodomite et bienvenue. Son amant le pénètre plutôt brutalement. La douleur s’atténue miraculeusement quand Louis s’empare de son attribut mâle extrêmement tendu du désir. Il le pilonne furieusement en criant son amour et son prénom jouissant ultimement au tréfonds de lui. Lorsqu’il le libère Jean-François se couche sur le dos en attente le phallus prêt d’éclater. Lui tournant le dos Louis le chevauche et s’y empale. Jean-François enserre sa taille et galvanisé hurle sa jouissance sous le va-et-vient impétueux la verge resserrée dans l’étau de ses entrailles. Ils se délient et procèdent hâtivement à une toilette sommaire. Ils prennent brusquement conscience de la présence d’Océane toujours assise dans la causeuse jambes repliées laquelle les observe toujours très attentivement et la respiration suspendue…
Vous êtes superbes et désirables dans l’amour…
Jean-François lance un regard à Louis qui acquiesce.
Viens nous rejoindre…
Océane se dévêt sous les regards conjugués des voyeurs. Nudité attirante de cette déesse à la chair d’onyx. Ils l’accueillent entre eux déjà très bandés à la perspective de leur fusion triangulaire. Ils la ratissent de concert et partout. S’effleurant aussi lorsque leurs doigts ou leurs sexes ou leurs lèvres se rencontrent au hasard des attentions à profusion. Puis chacun le nez enfoui qui dans sa vulve qui entre ses fesses la lèche. Jusqu’à ce qu’elle hurle en proie au plaisir.
Prenez-moi maintenant!
Océane monte Jean-François (dument protégé). Louis se place derrière celle-ci entre les jambes de son amant et investit (dument couvert) l’étroite voie postérieure de leur amante. Les hommes harmonisent leurs poussées lesquelles deviennent irrépressibles. Comblée par l’un et l’autre Océane jouit intensément en feulant. Un tsunami les dévaste simultanément. C’est en étant entrelacés qu’ils récupèrent. Puis qu’ils recommencent à s’aimer émerveillés par toutes les richesses d’échange qu’offre leur osmose. Sarabande des êtres et des sens; les cœurs sont proches.
Quand ils s’éveillent à l’aurore ils se renouent encore plus serré. Les feux du désir ne tardent pas à les incendier. Brasiers incontrôlables avec le plaisir en exutoire. Moments d’extase pure dans ce choc des corps multiples aux intimités généreusement ouvertes et tour à tour allègrement profanées. Mais ils conviennent de ne pas répéter leurs actes d’amour jusqu’à ce que la situation devienne claire par égard pour Catherine et sa relation avec Louis (si elle reprend) puisqu’ils craignent qu’elle ne comprenne pas. D’autant plus qu’une suite entrainait sa propre implication. Et qu’elle n’en était visiblement pas là et de loin en ce qui concernait l’acceptation pleine et entière de l’autre et a fortiori des autres. Peut-être plus tard souhaitent-ils ardemment.
La présence des manteaux et bottes en supplément laisse Morgane en état de perplexité certaine. Elle reconnait les vêtements de Jean-François mais pas les féminins mais n’appartenant pas à la mince Catherine; à Océane peut-être. Morgane se mord les lèvres en pensant à Catherine. Elle avait entendu quelques échos de l’amère dispute d’hier soir. Les portes de l’appartement de son fils étaient malencontreusement demeurées ouvertes et elle montait péniblement le satané escalier. La jeune femme était sortie de la chambre en catastrophe et l’avait heurtée manquant la faire débouler. Elle tentait de retenir ses sanglots. Ils avaient tous les deux encore beaucoup de chemin à parcourir pour se rejoindre mais son intuition lui dictait que cette rupture serait temporaire. Quand on aime vraiment quelqu’un et cela semblait le cas pour Catherine envers Louis et réciproquement on finit par passer outre à des broutilles de ce genre. Elle s’en remettrait quand elle comprendrait cela en tout cas… Sympathique cette Louise quand même. Elle comprenait la liaison surprenante à l’abord entre celle-ci et son fils. Certainement pas menaçante pour Catherine. Soupçonnant ce qui s’était passé connaissant les deux lurons particulièrement chauds à la nature et la nature de leur relation elle conclut que Louis avait décidément découvert une façon plutot originale de se consoler : en sarabande! Trouvant que la maison devient vraiment trop peuplée elle retourne au lit entamer un autre congé « pas trop de contrats ces temps-ci profitons-en pour fainéanter » les laissant se dépatouiller en trio pour apprêter le petit déjeuner. Ils partent tôt après avoir dévoré une gigantesque et « parfaite » omelette confectionnée par le chef Louis.