Nouaisons
Précédé de Trop tôt… Suivi de … Trop tard
Louise Gauthier
Les amantes
Les yeux rougis et cernés et les paupières pochées Catherine atterrit au laboratoire en trainant les pieds et les épaules voutées d’un poids considérable. Certainement insensible à cette magnifique journée d’un printemps prématuré… Et les lilas s’épanouiraient bientôt en floraison songe encore Océane la gorge subitement étranglée chassant d’un effort de volonté les fleurs fanées d’un lointain passé… Huit heures et quart plus des poussières et pas un autre chat que la féline Océane n’habitait la salle pour l’heure glaciale. Sacrée climatisation idéale pour les machines frissonne l’occupante pour la centième fois en quinze minutes. Catherine s’affale sur une chaise laquelle recule et manque de basculer sur ses roues instables. Elle fourrage nerveusement dans son cartable mais le referme sans rien en sortir.
Tu n’es manifestement pas au mieux de ta forme.
En effet!
L’orage gronde encore au fond de ses sombres prunelles. Toute l’interminable fin de semaine la sœur de Catherine avait subi un traitement à peu près identique à la moindre et anodine question ménagère. Elles habitaient ensemble d’ordinaire convivialement d’autant plus que la gentille Catherine avait été dotée dès la naissance d’une nature habituellement exubérante sur fond inné de joie de vivre. Océane se place en attente mais elle se sent en porte-à-faux. Son amie reprend véhémente.
Je les déteste! Elle une prof en plus et à son âge courir après un jeune homme et l’autre pas mieux de sauter sur l’occasion! Ils couchent ensemble! C’est presque de l’inceste : Louise pourrait être sa mère!
Tu y vas fort!
Voire! En tout cas j’ai rompu avec Louis.
Brusquement ses prunelles se voilent et ses lèvres tremblotent et elle éclate en sanglots déchirants. Océane l’étreint. Elles n’ont toutefois pas le temps de s’entretenir plus avant : d’autres allaient arriver.
Je t’invite chez moi pour un souper en tête-à-tête histoire de te changer les idées noires. Je te cuisine un délicieux repas et on écoute de la musique et on parle de tout cela…
Catherine la regarde avec reconnaissance à travers le voile tremblotant. Elle déteste se retrouver seule quand elle vit de pénibles moments. Cela s’était produit l’année dernière mais à ce moment-là elle ne se sentait pas assez intime avec Océane pour se confier d’emblée; elle l’avait fait quelques mois plus tard un soir de trop-plein émotionnel; pour la consoler Océane l’avait bercée entre ses bras de longues heures et elle s’y était endormie apaisée. Et ses relations avec sa sœur n’incluaient pas les épanchements larmoyants sur ses problèmes existentiels. Et se morfondre ainsi depuis vendredi enfermée dans sa petite chambre renfermée et sans fenêtre du logement qu’elles louaient au sous-sol d’une résidence unifamiliale située à proximité du collège ne constituait pas une perspective vraiment réjouissante. Elle avait tenté sans succès de joindre son amie à tous les numéros possibles. Elle accepte l’invitation bienvenue d’un signe de tête. Catherine émet une pensée nostalgique vers le douillet nid familial qu’elle avait dû quitter pour poursuivre ses études à Montréal. Elle était née du côté du lac Saint-Jean à Albanel précisément où ses parents ainsi que ses trois frères ainés œuvraient sur l’immense ferme ancestrale. Ses géniteurs subvenaient à ses besoins pécuniaires et à ceux de Colette sa puinée de presque une année étudiante en musique au même collège. Aussi pouvait-elle se consacrer entièrement à ses études… et à ses amours malheureuses… Elle retournerait à la maison un dernier été en ressourcement avant de se mettre à la recherche d’un emploi. Elle aurait tellement voulu pouvoir y emmener Louis. Et peut-être aussi envisager ensuite… Mais les choses étant ce qu’elles étaient dorénavant… Évidemment le fautif (et lâche en sus) brille par son absence toute la journée. Cela vaut mieux ainsi finit par admettre Catherine incertaine de ses réactions possibles dans un face à face. Comment guérir de l’amour? L’autre sujet de son animosité rancunière ose se pointer au laboratoire pour repêcher quelques retardataires pour son cours avec les étudiants de seconde année. Visiblement Catherine se retient pour ne pas lui tomber dessus à bras raccourcis aussi jalouse et noire qu’une panthère. Et apparemment Louise a figé ahurie du regard acéré de l’autre quand Océane et Catherine étaient sorties de la salle (la première avait jugé bon d’éloigner en vitesse la seconde afin d’éviter un éclat disgracieux et inopportun). Catherine s’était toujours montrée d’une gentillesse exemplaire avec Louise et réciproquement. Elles sympathisaient beaucoup auparavant.
Louise a vite compris : Catherine a surement découvert le sac oublié dans la chambre de Louis. Celui-ci ne remarquait pas toujours les détails. D’autant plus que très occupée ce jour-là ce n’est qu’assez tard dans la veillée qu’elle avait pensé à lui téléphoner pour signaler de lui rapporter l’objet le plus tôt possible le lundi matin. Louis lui avait répondu qu’il s’en était aperçu mais avait indiqué qu’il serait sans doute absent au moins une journée sans en préciser la raison. Cela ira quand même. Il avait coupé la communication assez abruptement. Rétrospectivement elle avait trouvé que sa voix était différente plus âpre et sèche. C’était donc ça! Elle se mord nerveusement les lèvres. Mais que dire à la jeune amie de Louis? Que ce qu’elle vit avec celui-ci ne lui porte pas ombrage à elle? À sa réaction de tout à l’heure cela lui semble inutilement vide de sens. Éviter la confrontation est nettement plus sage. Catherine lui en veut beaucoup c’est très clair. Et peut-être avait-elle rompu avec Louis. Pour cette seule et unique raison alors qu’ils vont si bien ensemble tous les deux! Louis et Jean-François aussi. Pourtant Catherine ne semble pas se formaliser outre mesure de ce lien-là. Est-ce en raison de sa nature homosexuelle? C’est fondamentalement du pareil au même pourtant. Son esprit revient obstinément vers Louis. Comme chaque fois qu’elle songe à lui une bouffée de tendresse (d’amour) entremêlée de désir l’envahit toute. Son sourire et son regard si attentif posé sur elle et leurs libres échanges après l’apaisement des corps au creux de la nuit noire. Ils ne se voient pas souvent mais les traits d’union qu’ils partagent en deviennent d’autant plus précieux. Ces bulles de bonheur lui permettent de vivre mieux son quotidien parfois lourd à assumer. Pour l’heure elle s’en veut de sa distraction laquelle a déclenché la crise. Elle lui téléphone après son cours. Il lui raconte posément ce qui s’est passé et qu’elle n’a pas à se sentir désolée et que c’était forcé que cela arrive un jour ou l’autre et d’une façon ou d’une autre que Catherine et lui se heurtent sur des questions de principe. Qu’il essaierait de rafistoler les vases brisés puisqu’il aime Cat plus que tout. Le silence se prolonge. Intuitif mais froissé de son manque de confiance il ajoute qu’il sait faire la part des choses.
Tard en fin d’après-midi Catherine part du collège en même temps que son amie et elles rentrent bras dessus bras dessous chez Océane. Elles se concoctent un repas élaboré : entrée de saumon fumé et câpres; en plat principal des suprêmes de poulet à la sauge accompagnés d’un gratin dauphinois et d’une salade verte. Océane dresse le couvert sur une table basse du salon son dernier chef d’œuvre parmi les tournesols qui avaient l’air d’y joncher; elle débouche une bouteille de vin blanc et tamise l’éclairage préférant allumer quelques bougies odoriférantes. C’est à leur lueur ambrée et à leur odeur mielleuse qu’elles dégustent leur festin. Catherine se détend petit à petit; cet intermède lui fait du bien; le calme au milieu de la tempête. Elles devisent tranquillement de choses et d’autres sauf de ce qui préoccupe vraiment Catherine. À la fin du repas copieux elles se calent confortablement jambes relevées au creux de l’immense canapé pour siroter un cognac.
Louis t’aime…
Je ne le crois pas! Il ne m’aurait pas trompé avec elle s’il m’aimait vraiment.
Et Jean-François?
C’est différent d’une certaine façon; j’ai compris qu’il n’était pas menaçant. Et puis il est venu avant et j’ai dû l’accepter… Et c’est ton ami en plus…
Océane lève des yeux implorants vers le ciel du plafond. Catherine a le sens moral « un peu » élastique et tortueux…
Je ne vois pas en quoi Louise est « menaçante » pour votre couple. Elle ne cherche surement pas à te voler ton chum d’autant plus qu’elle est mariée et mère de surcroit!
C’est ça qui est vraiment scandaleux! Qu’avait-elle besoin alors de courir après lui!
Je crois comprendre que leurs relations sont épisodiques et qu’ils le souhaitent probablement ainsi tous les deux : des amants d’occasion en quelque sorte.
Ils baisent ensemble!
Et puis? Ils ne font surement pas que cela!
C’est ça tourne le fer dans la plaie!
Je te rappelle que Louis ne t’appartient pas. Tu ne peux en aucune façon diriger sa vie!
Mais il s’est engagé envers moi. Nous formulions même des projets d’avenir! Et tout part à vau-l’eau à cause de cette…
Holà ma belle! Cesse de déblatérer!
Saisie Catherine est atteinte de mutisme instantané.
Louise n’est pas devenue subitement une « je-ne-sais-quoi ». Louis ne t’en aime pas moins; qu’il la rencontre occasionnellement n’empêche aucunement les projets d’avenir commun. Et je te le répète : Louis ne fait pas partie de tes possessions; s’il reste avec toi c’est qu’il t’aime et aimer n’exclut rien. Vous partagez ensemble une partie de sa vie; laisse-lui l’autre c’est son affaire et son droit.
Océane tu ne comprends pas!
Tu es jalouse de Louise non seulement parce qu’elle est femme mais mûre de surcroit donc avec de l’expérience. Ne t’aperçois-tu donc pas qu’elle n’est en rien ta rivale? Et si elle l’est alors Jean-François aussi ainsi que tous ceux qui osent regarder Louis en bas de la ceinture. Cela mène où tout ça?
Catherine est soufflée par l’inhabituelle intransigeance des propos pendante à la sienne d’une certaine façon. Puis son étroite mâchoire volontaire devient habitée de tremblotements. Des larmes amères perlent. Elle se sent profondément perturbée et emmêlée et incertaine. Et si bêtement amoureuse malgré tout! Désolée de l’esclandre Océane la prend dans ses bras et la serre tout contre elle. Elle s’excuse. La secouer ainsi qu’un prunier était cruel et inutile. Catherine appuie la tête contre l’épaule de son amie s’abandonnant benoitement au réconfort prodigué. Océane effleure de ses lèvres les paupières gonflées et lui caresse tendrement la joue accessible et sa bouche erre sur le visage baigné de pleurs et s’arrête sur la sienne. Sa langue écarte doucement les pétales si tentateurs et cherche sa semblable. Catherine n’oppose pas de refus et Océane approfondit son baiser. L’autre y répond avec une égale passion et se resserre davantage contre elle. Catherine s’écarte vivement les joues en feu.
Mais qu’est-ce qui t’arrive?
Océane baisse les paupières; elle est honteuse de l’étalage de ces pulsions qui la talonnent et qu’elle combat vainement depuis de très longs mois…
Pardonne-moi je n’ai pu m’en empêcher… Et dans un moment si inapproprié en plus… Tu es si belle et tellement désirable… Et j’ai envie de t’aimer depuis si longtemps…
Catherine ne sait plus que penser. Océane ajoute d’une voix hachée qui atteint son amie au cœur.
J’ai souhaité si ardemment qu’il ne subsiste aucune frontière entre nous… pouvoir te démontrer mon affection par des gestes d’amour…
Elle s’arrête et presse ses paupières pour tenter d’empêcher la source de jaillir. Y réussit presque : quelques perles transparentes s’échappent. Elle regrette son impardonnable conduite dans un murmure.
Je suis désolée d’avoir pris mes rêves pour la réalité et de t’avoir heurtée par mes indélicatesses inopportunes et déplacées. Je contrôle mal mes pulsions.
Silence que Catherine rompt.
J’ignorais que tu avais de tels penchants…
Moi également avant de te consoler serrée longtemps au creux de mes bras un soir de spleen… Et de réaliser en te contemplant endormie à quel point j’éprouve pour toi plus que de l’amitié…
Impulsivement Catherine effleure tendrement son bras d’une caresse si douce qu’Océane frémit. Une main sous son menton la force à relever la tête. Et à plonger son regard dans les yeux graves de son amie. Sa respiration se fait imperceptible. La gorge enserrée dans un étau d’émoi Catherine ressent fortement le désir lancinant qui habite Océane… Et c’est l’esprit en débandade qu’elle s’aperçoit que son propre corps n’y est pas réfractaire au contraire en prenant en considération sa spontanée réponse initiale. Catherine s’avance vers Océane laquelle l’entoure chaudement. Tendre embrassement qui laisse libre cours à la passion. Elles se rapprochent encore d’instinct. Océane risque un attouchement sur la poitrine menue. Catherine se colle. Sous le chandail des doigts fébriles récidivent sur la peau nue. Catherine déboutonne la chemise d’Océane dégageant du soutien-gorge ses seins qu’elle touche émerveillée de leur douceur et de leur forme. Elles enlèvent tout ce qui empêche leurs mamelles d’entrer en contact pleine peau. Délicatement Océane enserre une aréole entre ses lèvres et la suce tout en effleurant l’autre sein en durcissant les pointes. Les joues et le cou de Catherine se marbrent de cramoisi et elle halète en gémissant faiblement. Elle renverse son amie et désormais amante; elle parcourt sa poitrine malaxant et mordillant chaque mamelon tour à tour. Océane geint sourdement. Elle repousse Catherine pour s’attaquer à son jean. Celle-ci l’aide. Océane termine son effeuillage et s’agenouille sur le sol entre les jambes de son amour. Et ses lèvres se collent sur les nymphes et sa langue les écartent délicatement pour en saisir le cœur et le lécher. Catherine est prise de tremblements incoercibles. Elle crie en jouissant. Océane se couche sur le dos pour accueillir la pléthore de gestes d’amour de Catherine enfleurant sa vulve menant à une lente montée du plaisir puis l’irradiation dans tout son corps à travers chaque connexion ou terminaison sensibles. Catherine s’étend sur elle. Son profond baiser enraye le cri amorcé. Elles se serrent à s’étouffer et entament un rituel d’accouplement en joignant étroitement leur intimité. Se retournant Catherine enjambe la tête d’Océane et se penche sur le sexe convoité. Écartant les pétales elle suce le clitoris et parallèlement insinue deux doigts dans son vagin lesquels sont aussitôt happés par le fourreau humide et chaud encore vibrant. Un autre pénètre la cavité restante. Océane agit à l’instar sur les organes génitaux de l’autre. Les mains s’agitent rythmiquement à peine ralenties par les orgasmes itératifs qui les secouent. Le faite ultime les laisse essoufflées et pantelantes. Elles s’accolent de nouveau se sentant repues et comblées. Aucune des deux n’avait imaginé qu’une telle fusion puisse se produire entre deux femmes. Elles recommencent à s’aimer un peu plus tard apprenant sensuellement le corps de l’autre et le cœur proche et se chuchotant leur affection au cœur de la nuit noire dans le grand lit aux hirondelles d’Océane immense vaisseau à l’abri de la tempête brève. Catherine s’endort au creux des bras de son amante. « Je t’aime » murmure Océane à la belle endormie juste avant de succomber à son tour aux charmes somnifères de Morphée.
Le lendemain matin lorsque Catherine croise Louise au détour d’un corridor elle lui sourit faiblement sans (presque) aucune rancune. Elles n’échangent qu’un regard qui ramène la paix (relative) entre elles à leur grand soulagement mutuel.
Le soir Catherine rend une visite impromptue à Louis lequel s’était de nouveau absenté toujours tenaillé par une migraine atroce depuis la soirée fatidique. Plus d’yeux en chiens de faïence il l’accueille en l’enceignant tout contre lui la tête miraculeusement guérie. Je t’aime Cat! Les vêtements de l’ex-offensée disparaissent de son corps comme par enchantement. Elle le dénude complètement ensuite. Sa chevelure qu’elle porte dénouée ce jour-là caresse ses jambes et son sexe durci. Bientôt happé par le sombre triangle pubien brulant et humide et vibrant. À l’unisson le double « je t’aime » couronne leur fusion verticale un peu acrobatique. Après la fête des sens alors qu’ils gisent les jambes encore flageolantes au creux de leur nid d’amour elle lui avoue fort pudiquement et rougissante son lien saphique avec Océane : « nous nous sommes aimées… avec nos corps aussi ». Louis d’abord tenté par un aveu similaire repousse à plus tard cet assaut de confidences répugnant à rompre l’encore fragile trêve qui émergeait. Il embrasse tendrement son amour retrouvé puis un peu moins. Imaginer Catherine et Océane coïter tête-bêche l’excite au plus haut point. Il la prend sur-le-champ plutot gaillardement estime l’honorée. Il a même failli oublier la protection de rigueur; elle le rappelle sèchement à l’ordre. Après l’amour ils se sentent capables de parler et se chuchoter les mots qui mettent un baume sur les blessures au cœur. Cette nuit-là ils se donnent l’un à l’autre totalement et vraiment.
Morgane a préparé les ingrédients pour un « petit déjeuner pour deux » (de quoi faire des œufs brouillés au jambon) et s’est éclipsée discrètement le cœur en allégresse : le sourire de son fils illuminerait de nouveau sa vie si terne. Un bonheur retrouvé est aussi précieux qu’un rai du vital soleil.