Ange (Le messager)
Louise Gauthier
DEUXIÈME PARTIE : L’OFFICE ET L’ORDRE
« Mais, si nous connaissions parfaitement les offices des anges, nous saurions beaucoup mieux que chaque ange a son office propre, et donc son ordre particulier dans le monde, mieux que chaque étoile bien que la nature propre de cet office et de cet ordre nous soit cachée. » Saint Thomas d’Aquin (1227-1274), Somme de théologie, question 108, article 3
Les ailes se sont brisées
Une bouffée de tendresse a enserré mon coeur dans un étau. Ange semblait si vulnérable. Ainsi abandonné au sommeil matutinal, sa beauté pure irradiait. Résigné à quitter la maison puisque le devoir m’appelait mais bien déterminé, tel un matador en habit de lumière, à affronter dans l’arène de la société tous les taureaux et taures témoins imprévisibles de mon intimité dévoilée, je suis parti au travail d’un bon pas.
J’ai repris une conscience normale alors que je gisais sur une étroite civière… à l’urgence! Attentionné, un policier à la mine contradictoirement patibulaire et à l’embonpoint protubérant m’a demandé si je me sentais assez bien pour répondre à ses questions. Interloqué, j’ai marmonné ce qui a dû lui sembler un acquiescement. Il s’est vite rendu compte que je ne me souvenais aucunement des circonstances de l’accident, ni a fortiori qu’il en soit survenu un. Il m’a raconté que des témoins avaient aperçu une motocyclette, une rutilante Harley-Davidson d’après la description, montée par un individu ventru et barbu, apparemment de sexe masculin, donc, habillé comme un motard (une forme d’ange, peut-être!), prendre le trottoir et me foncer dessus à grande vitesse. Après l’impact, le type avait aussitôt pris la poudre d’escampette sans vérifier son reste. Il semble que j’aie virevolté avant d’atterrir (très) durement sur l’asphalte et de perdre connaissance. Mine de rien, il m’a demandé si je me connaissais des ennemis jurés. J’ai répondu par la négative, lui précisant tout de même que je me nommais Léonidas Saint-Ignace, sergent-détective à la section des enquêtes au centre opérationnel ouest du SPCUM. Il m’a fait savoir qu’il n’ignorait pas ces « détails ». Il a pris congé après m’avoir signifié que les Affaires criminelles allaient envoyer quelqu’un! Comme si j’avais oublié la procédure en sus!
L’agent disparu, un être éthéré s’est lentement avancé dans mon champ de vision restreint et encore vaguement embrouillé.
Une apparition angélique!
Il se trouvait pâle et défait, mon Ange, incapable d’articuler la moindre syllabe. J’ai tenté dérisoirement de détendre l’atmosphère.
Suis-je au paradis ou en enfer?
Pendant qu’il me serrait contre lui avec émoi, j’ai ressenti les battements désordonnés de son coeur. Il s’est mis à trembler. Il m’a fallu un long moment avant que je parvienne à dominer l’effarement qu’il m’avait involontairement communiqué.
Apaise-toi, mon amour : je ne me trouve pas en danger de mort!
Au contraire : cet homme voulait te faire du mal, je l’ai capté!
J’ai laissé glisser l’affirmation péremptoire et certainement avérée.
… Qu’as-tu ressenti d’autre?
… La détermination… La haine… Et quelque chose que je n’arrive pas à identifier parce que trop lointain… C’était froid et visqueux, inhumain… J’ai peur.
Tu sais que je n’exerce pas une profession exempte de danger mais pas autant que celle de l’agent 007… Embrasse-moi encore.
Il s’est exécuté avec l’énergie du désespoir. Ces instants hors du temps resteront à jamais gravés dans ma mémoire.
Un toussotement a interrompu notre enlacement énamouré. Des yeux d’acier se sont posés sur moi. Une douche polaire aurait été préférable. Un frisson glacial a parcouru mon épine dorsale. À tâtons, j’ai cherché et trouvé la main rassurante de mon Ange.
Quels sont les dégâts, docteur?
Contusions multiples, traumatisme crânien mais léger… Vous vous trouvez actuellement sous anesthésie localisée…
J’ai soudainement pris conscience que je n’éprouvais plus de sensibilité dans mes jambes, du moins dans la partie inférieure. Ange a resserré très fermement la pression. J’ai senti monter la mienne vers des sommets inégalés et ma respiration s’est mise en apnée.
Le praticien s’est partiellement détourné pour attirer mon attention sur des radiographies illuminées. Il a pointé quelques régions.
Fractures avec déplacement du tibia et du péroné, sur les deux membres inférieurs, comme vous pouvez le constater… ici, à gauche et là, à droite … Voyez-vous?
J’ai acquiescé d’un marmonnement.
Vous entrez en salle d’opération incessamment pour…
Donnez-moi la bouteille de whisky!
Il m’a regardé sans comprendre, puis pince-sans-rire, en a rajouté.
Depuis des lustres, nous disposons de substances bien plus efficaces que l’alcool pour supprimer l’état de conscience du sujet… d’autant plus que l’amputation ne saurait être envisagée à ce stade…
Mes dents ont grincé comme une scie avant que je puisse articuler intelligiblement quelques paroles.
Puis-je téléphoner?
Ange a poussé le grabat ambulant jusqu’au bout du couloir. Intrigué, il a considéré la carte d’appel que je lui ai tendue. J’ai dû lui en expliquer le fonctionnement. Rudy a répondu au premier signal. Évidemment.
Tu es en retard, la docteure fulmine!
Je ne me présenterai pas au travail durant un certain temps.
Il a entamé un chapelet de jurons indignes de son excellente éducation. J’ai élevé la voix pour couvrir les onomatopées.
Ce n’est pas ce que tu crois! Je me trouve sur le point d’être charcuté sur l’étal d’un boucher chirurgical!
Il s’est tu un bon moment, pantois.
Qu’est-ce qui est arrivé?
Trop longue histoire.
J’ai coupé la communication en laissant tomber le combiné. Ange a raccroché sans commenter.
Une infirmière, laquelle avait entendu l’essentiel du monologue téléphonique, a tenté de me rassurer, bien que cela soit peine perdue.
Le chirurgien qui procédera à l’intervention est l’un des meilleurs de sa spécialité.
Un lieu commun! Chacun se trouve en tête du peloton de sa promotion!
Faute d’argument percutant et surtout de temps pour materner le patient terrorisé, elle a vérifié le soluté et s’est éclipsée.
Ta mère?
Pas tout de suite… Seulement lorsque tout sera… achevé.
Cesse!
Je suis certain que je ne me réveillerai pas… Ange, je vais mourir! Je ne veux pas me délier de toi, qui m’a redonné la vie, que j’aime!
Et ainsi de suite jusqu’au cirage.
J’ai ouvert les yeux sur mon Ange gardien.
Pour le paradis ou l’enfer, c’est raté, encore.
… Je suis vivant?
Mais oui! … Tu ressemblais à un enfant qui éprouve une peur terrible de s’endormir puisqu’il sait avec certitude que les monstres tapis dans le placard n’attendent que ce moment pour surgir et le dévorer!
Je ne me sens pas très courageux pour ce genre d’expérience…
Il a effleuré l’endroit de ma cicatrice ancienne.
J’avais onze ans et j’étais terrifié : on a dû me lier aux battants du lit. De temps en temps, j’en fais encore des cauchemars.
Je me suis mis à hurler de douleur. Affolé, Ange s’est précipité à la recherche de secours. La purée de poix, de nouveau.
J’ai rencontré le regard anxieux de ma mère penchée sur moi. Des images du passé, très précises, ont surgi. Elle avait chuchoté…
Ça va?
« Quelle question! », avais-je pensé alors, ainsi que maintenant. La même caresse familière a effleuré l’arête de ma mâchoire.
Mal… Ange?
Il m’a téléphoné pour me prévenir de l’accident… Quand je suis arrivée, il m’attendait à la porte de ta chambre en piétinant. Je me suis rendu compte qu’il… s’enlisait dans un état émotionnel nettement conflictuel, partagé qu’il se trouvait entre son besoin de rester auprès de toi, blessé, et « ses obligations à remplir », comme il dit. Je lui ai demandé si celles-ci étaient d’ordre familial. Il a répondu laconiquement : « En quelque sorte ».
La plupart du temps, Ange devient sibyllin pour tout ce qui le concerne en propre. Avec ta grande sagesse, que lui as-tu conseillé?
Considérant le fait qu’il n’a pas atteint la majorité, que son absence prolongée pourrait être évaluée comme une fugue du domicile parental et étant donnée la nature de vos relations, tout en lui soulignant que j’étais venue expressément pour veiller sur toi, j’ai jugé que c’était préférable qu’il parte au lieu de risquer d’être éventuellement forcé à se séparer de toi.
… Tu as bien fait.
Il passera, « le plus souvent possible », en après-midi.
Odile a rompu le silence opaque qui s’était ensuivi.
As-tu faim?
J’ai souri aux réminiscences.
Je ne suis pas censé commencer à manger avant demain matin à cause des nausées… Déballe ton sac, je meurs d’inanition!
J’ai englouti en quatre grandes bouchées le sandwich de pain de mie grillé garni de blancs de poulet et badigeonné généreusement de moutarde. Elle a essuyé ma bouche d’un geste tendre, puis m’a apporté un verre d’eau.
Souffres-tu?
Avec la dose importante d’analgésique qu’on a dû m’administrer pour arrêter mes cris, pas trop.
Tu n’as jamais été un malade très commode.
Lorsque j’ai su que j’allais passer sur le billard, j’ai dicté mes dernières volontés à Ange : sa figure est devenue crayeuse!
Ta terreur s’avère très convaincante… Moi aussi, l’autre fois, j’ai failli me porter mal!
J’ai ressenti sa soudaine retenue silencieuse.
Maman, je t’en prie.
… Ange semble convaincu qu’on a délibérément essayé de te blesser, voire d’attenter à tes jours.
… Je ne me connais pas d’ennemis jurés… Je me suis trouvé au mauvais endroit et à un moment inopportun, sans plus…
Le crois-tu vraiment?
J’ai acquiescé fermement afin de la rassurer. Je doute qu’elle en ait été dupe.
… Veux-tu venir passer ta convalescence à la maison?
Je préfère me débrouiller… Ange, tu comprends?
Mais oui, voyons!
… Si tu me préparais quelques petits plats, cela me rendrait service.
… Pas de rôti de boeuf, j’imagine.
Je n’osais pas le préciser.
Je reviendrai demain, mon coeur… Prends soin de toi.
Ma mère partie, j’ai tenté en vain de faire le vide dans mon esprit en ébullition. Sans connaitre son identité précise, je soupçonnais le statut de la personne ayant commandé, voire perpétré l’attentat. J’ai été saisi par la peur bleue. Pas pour moi, pour Ange. Puisque lui aussi avait deviné, j’en étais convaincu.
Le lendemain matin, j’ai été honoré de la visite de Rudy. Je ne m’attendais pas à voir mon collègue et j’en suis resté bouche bée.
Ça va?
… J’ai pris un peu de mieux côté oedème et je n’éprouve plus de céphalées. Je sors dans quelques jours… On enlèvera les plâtres dans six semaines mais je retourne travailler mardi prochain; avises-en la docteure, s’il te plait.
Tu es devenu fou! En béquilles!
À ce que je sache, ce sont mes petites cellules grises qui sont mises davantage à contribution dans l’affaire Thanatos!
Mais tu dois te déplacer fréquemment!
À moins que nous ne changions notre façon de travailler à l’intérieur de l’équipe, histoire de s’adapter à la situation!
Il est resté silencieux durant un bon moment. Son regard s’est mis à vagabonder à travers la pièce exiguë aux murs jaunis nécessitant d’être repeints d’une couleur pimpante propre à remonter le moral des malades gisant sur leur grabat, sans doute dans l’espoir de trouver un quelconque siège puisqu’il s’était mis à s’appuyer sur une jambe, puis sur l’autre. Il paraissait tout à fait inconscient de sa chance de pouvoir accomplir machinalement ces simples gestes.
Ceci semble être une denrée rare par ici. Assieds-toi au bord du lit : dans l’état où je me trouve, tu ne risques rien, d’autant plus que tu n’es pas mon genre!
Je n’ai pensé rien de tel! Ne deviens pas parano en plus d’être fendant!
Je te présente mes excuses… J’ai été pas mal secoué,ces derniers temps.
On repart à zéro?
Fort de mon acquiescement et précautionneusement, il a posé une moitié de postérieur à l’endroit que j’avais tapoté. J’ai retenu de justesse une réplique à l’humour douteux.
Explique-moi ton idée.
J’imagine qu’on ne me remplacera pas, faute de budget et tutti quanti. Alors, aussi bien s’accommoder de mon handicap moteur. Ainsi, tu ferais tous les déplacements et je deviendrai la base de données. Tu es fantastique sur le terrain et ta cueillette d’information s’avère solide quand tu t’y mets sérieusement. Je suis meilleur que toi avec la manipulation de l’ordinateur, même si je répugne à l’employer. Et je serais en première ligne pour tenter de trouver le début du fil de cet incroyable embrouillamini, ce pour quoi on m’a affecté aux Affaires spéciales, fondamentalement.
Rudy s’est concentré sur le bout de son soulier droit durant quatre minutes réflexives. Ainsi immobile, sa beauté anguleuse m’a frappé.
Et la docteure?
… Euh… J’avoue ne pas avoir pensé à cet aspect-là de la problématique…
Un peu misogyne, peut-être?
Il a souri devant ma mine déconfite. C’était la première fois que je le voyais sourire! Du bout des lèvres, j’ai avancé.
Je vais lui en parler en rentrant.
Et vogue la galère!
Rudy s’est levé pour prendre congé, puis s’est rassis.
… La rumeur court que… Je me demande si ton « accident » n’est pas lié à l’affaire Thanatos…
… Plutôt à ma vie privée passablement compliquée, j’en ai fortement l’impression. Pour le moment, c’est prématuré d’agir de quelconque façon.
Leduc a été assigné à ton dossier : je le connais, il…
Va faire chou blanc, je te le prédis.
… Saint-Ignace…
Je déteste qu’on m’appelle ainsi! Léo, Léonid ou Léonidas, au pire, d’accord?
Repose-toi, Léonid.
Il m’a tendu la main et je l’ai serrée.
La journée d’après et à ma grande surprise, la docteure est descendue de son piédestal pour rendre visite à son humble sous-fifre. Durant la petite heure qu’elle s’allouait une fois sur deux pour diner, je le signale. Je terminais le mien, la mine passablement dégoutée.
Puisqu’elle est payée par l’État, la nourriture servie dans un hôpital se doit d’être fade, tiède, laide, bien que digeste, et assimilable par les édentés.
Je deviens fou! Je me surprends souvent à rêver de mets festifs dignes de figurer au menu de « La grande bouffe »!
Semblant incertaine, ce qui s’avérait fort inhabituel, elle a hésité longuement à aborder le vif du sujet.
Le sergent-détective Vincenzo m’a annoncé que vous comptiez rentrer au travail mardi.
Cela est un fait.
… Mais vous ne vous trouvez pas… ingambe.
Plutôt alerte des petites cellules grises, chère docteure.
Pardonnez-moi… Effectivement, Rudy pourrait…
Nous en avons déjà parlé, lui et moi. Je voudrais que l’on me rembourse mes déplacements en taxi, matin et soir de service.
… Ceci ne devrait pas poser de problème… Saint-Ignace, je suis heureuse que vous ne fassiez pas défection… Récupérez bien quelques jours encore.
Wow! La docteure s’humanisait un tant soit peu.
Ange est arrivé et je n’ai plus eu d’yeux que pour lui et lui pour moi. Peut-être qu’elle a remarqué mais peu me chaut.
Pas de nouvelles d’Ange depuis trois jours. Je suis revenu à la maison. Je me ronge les ongles d’inquiétude. Je ressens un vide tangible de son absence. Entendre vibrer son âme, battre son coeur et frémir son corps. Que l’existence quotidienne est devenue pesante sans ces mouvements de l’être agissant au rythme conjugué de l’amour.
Mes relations avec le voisinage malcommode s’améliorent un tant soit peu. D’autant plus qu’il me doit une fière chandelle mais cela lui a fait comprendre que je ne suis pas « juste » un homosexuel ainsi qu’un pervers pédophile.
Quelques jours après ma sortie de l’hôpital, vacillant de cette encore récente déambulation quadrupède, je l’ai croisé sur le palier. Le gentleman se trouvait alors en fort mauvaise posture, les lunettes de travers, essayant maladroitement de résister au braquage de sa personne par un individu dépenaillé manifestement bien décidé à le dépouiller de ses deniers et paraissant en état de manque affolé d’une substance dont l’usage était certainement prohibé.
En raison de ma lenteur à me rendre jusqu’au lieu du combat inégal, le vieil homme est venu bien près de succomber aux assauts et il est tombé par terre. Prenant appui sur le mur, j’ai balancé un coup de béquille sur le postérieur du jeune paumé tentant de faire les poches à sa victime. Il s’est cogné la tête et a fui sans demander son reste.
Tant bien que mal, je me suis laissé glisser sur la moquette. Après un examen sommaire, j’ai pu constater que l’homme ne semblait pas en trop mauvaise condition physique. Essoufflé, il s’est assis et a secoué la tête de droite à gauche, puis de haut en bas.
Désolé, je ne me trouvais pas en mesure de l’arrêter.
L’affaire de la police, pas d’un simple citoyen…
Mais je suis « la police »!
Il a ouvert grand les yeux.
Sergent-détective Léonidas Saint-Ignace, du SPCUM.
Avec appréhension, je lui ai tendu la main.
Sans hésitation aucune, il l’a prise.
Je vous remercie.
Vous sentez-vous bien?
Il a balayé mon inquiétude visible du revers de la paume.
Légèrement contusionné, sans plus.
Vous devriez…
Inutile de rapporter ce regrettable incident… Je connais ce jeune laissé à lui-même, ses parents alcooliques… Même pas dix-sept printemps et toxicomane… Une histoire pathétique.
Il s’est relevé, puis m’a aidé à le faire, ce qui n’a pas été une mince affaire.
Qu’est-ce qui vous est arrivé?
Un accident… de motocyclette… Si vous avez besoin d’aide, n’hésitez pas à m’appeler.
Victor Senneville.
Il a pris en note mon numéro.
Tel que convenu, je suis devenu la base de données reliée à l’affaire Thanatos. Fort heureusement, aucune nouvelle victime ne s’était pointée sur le tableau nécrologique. Un répit bienvenu, en quelque sorte, mais l’assassin ou l’assassine, ou les assassins et assassines couraient toujours.
Faute d’Ange, je travaillais aussi durant mes « fins de semaine » brisées afin de tuer le temps qui passait beaucoup trop lentement à mon gout et retarder le moment ou inévitablement je devais rentrer pour me sustenter, puis sombrer dans un sommeil tourmenté rempli de cauchemars mettant en scène un Ange en danger.
Le mystère de l’Ange
Ce premier lundi soir de septembre, je me trouvais dans un état d’esprit dépressif. Trois semaines (vingt et un jours!) sans ma raison de vivre. Et puis, rien ne marchait. Mes démangeaisons persistantes aux jambes me rendaient fou. Le travail de base de données me portait sur les nerfs, affectait gravement ma façon de penser et la rendait stérile. À vingt heures, j’ai baissé les bras et je suis rentré en taxi. Et j’ai dû endurer la logorrhée du chauffeur, en sus!
Ange dormait entièrement nu à plat ventre sur le lit et les bras en croix. Il s’est retourné. Sa figure était toute gonflée de sommeil. « Et bel et blanc et blond et doux. » Il a chantonné le même air que mes pensées. Puis, m’a envahi la faim de son âme, de son coeur, de son corps. Il a murmuré.
Viens.
Tant bien que mal, je me suis allongé auprès de mon Ange enfin retrouvé. Fébrile et impatient, il m’a dévêtu, puis m’a couvert aussitôt. Ma verge s’est enchâssée profondément. J’ai saisi son phallus éloquent de son désir de moi. J’ai posé ma paume droite sous son sein gauche. Dans ses prunelles, j’ai capté les cieux et j’y suis resté l’éternité durant.
Ange a freiné abruptement mon envolée.
Retiens-toi… J’ai besoin de ressentir ton pénis aller et venir durement à l’intérieur de moi… Je veux que tu me fourres jusqu’à ce que je demande grâce!
Il a pris appui sur un pied pour me donner une marge de manoeuvre suffisante. Je me suis activé comme il le voulait. Il m’a sucé les doigts pour ne pas crier. Je me suis mis à transpirer sous l’effort, et lui aussi, puis à ruisseler. Son sperme a giclé partout sur mon torse et ma figure. Je me suis laissé aller à l’aboutissement insoutenable.
Ange s’est allongé sur moi, tremblant encore. Je l’ai enfermé dans l’étau de mes bras. Plus tard, j’ai chuchoté à son oreille.
J’ai envie que tu me prennes.
Il a oint son membre viril pour ce faire. Il m’a surplombé pendant que je me retournais. Il s’est enfoncé aisément jusqu’à la garde.
Va et viens fortement. Je veux sentir tes couilles me battreles fesses.
Sa fougue à me sodomiser m’a arraché des gémissements de douleur, malgré ses phalanges dans ma bouche. Je l’ai mordu. Il s’est laissé faire mais a augmenté la cadence.
Abandonne-toi.
J’ai pleuré du bonheur de lui appartenir.
Au sortir de notre torpeur postcoïtale, nous étions poisseux, d’autant plus que l’humidité extérieure diminuait l’efficacité de la climatisation.
On a besoin d’une douche!
J’ai désigné les jambières de platre.
Je ne peux que me laver au gant de toilette!
Pas très efficace pour les cheveux, en tout cas.
Cela relève de la négligence!
Je vais te donner un bain.
Mais comment?
Aie confiance.
Au prix d’efforts méritoires, Ange m’a aidé à m’allonger tant bien que mal au fond de la baignoire, jambes repliées. Ce faisant, j’admirais sa musculature qui saillait.
Pédé!
Tu pues aux aisselles.
Alors, on va agir d’une pierre deux coups.
Que veux-tu dire?
Sans répondre, il a gainé mes fourreaux rigides de sacs de plastique qu’il avait apporté. Il s’est placé debout, un pied de chaque côté de ma taille, puis a fermé le rideau. J’ai reluqué ses organes génitaux en montre et j’ai voulu toucher.
Voyeur et obsédé sexuel! Ferme les yeux.
Il a ri lorsque la chape d’eau glaciale a rejailli sur ma figure. Moi, pas du tout.
L’onde devenue bouillante, puis à nouveau glacée a crépité sur nos épidermes. Ange a fini par régler la température. J’ai mis ma main en visière pour l’observer se laver.
J’ai lu que chez les Grecs anciens les hommes faits, même mariés, prenaient pour amants des garçons adolescents. On nommait l’ainé « éraste » et le plus jeune « éromène ». Ils pratiquaient la sodomie mais uniquement passive pour celui-là.
Tiens, une idée… Réflexion faite, ce serait dommage de me priver du plaisir de t’appartenir… J’imagine les prudes archéologues très catholiques du siècle dernier découvrant de telles scènes d’amour physique entre hommes sur des urnes!
Ils n’ont pu faire autrement que de censurer! Et de nier que cette pratique soit courante et socialement bien acceptée, ceci malgré les nombreux textes qui le prouvent, la présentant plutôt comme une rare aberration commise par quelques dégénérés. Ils ont trafiqué l’Histoire!
Ange s’est accroupi.
Lève un peu la tête… Voilà.
Tendrement, il a savonné mon cuir chevelu sensible à ses caresses hygiéniques, puis mon épiderme aux sensations nerveuses exacerbées.
Tu bandes encore!
En faux aveugle, j’ai touché à l’endroit approximatif sur sa personne.
Toi aussi!
Mais j’ai trop faim! … Je t’en prie. Qu’est-ce qu’on mange?
Tu as l’embarras du choix : le congélateur se trouve plein à craquer.
Pour ta mère, tu constitues l’être le plus précieux qui existe sur cette terre.
Je sais, mais elle le démontre un peu trop concrètement, parfois.
Tu fais sans doute allusion à la brioche qui commence à se montrer.
J’ai considéré la chose en devenir.
Je jeûne, ce soir! … Quand j’étais garçonnet, je faisais un peu d’embonpoint… Certains enfants se moquaient de moi… Aide-moi à sortir de là.
Involontairement, je t’ai blessé. Pardonne-moi.
Mais non! J’ai mal au dos, seulement… Au fond, ces événements expliquent probablement ma réticence initiale à démontrer ostensiblement mon affection pour toi. Mais de cela, maintenant, je suis guéri! Donne-moi mon peignoir, je gèle!
Attention!
Ange a rattrapé ma chute de justesse.
Contradictoirement doté d’un solide appétit de bucheron, Ange a choisi deux plats bien garnis de lasagne, également mon mets favori, et les a placés dans le four à micro-ondes.
Combien de temps?
D’abord, dégèle pour une livre de viande, environ vingt minutes.
Il a procédé au réglage, puis il s’est planté devant l’appareil en fonction aussi raide et sérieux qu’un planton au garde-à-vous.
On dirait que cela fait trois jours que tu n’as pas mangé!
… C’est le cas.
Son attitude crispée a coupé court à mon élan pour en savoir davantage. Décontenancé, je me suis assis sur le tabouret. Nous avons attendu en silence le bip sonore.
Puissance maximale de deux fois soixante secondes, maintenant.
Dans une hâte fébrile, Ange a posé sa pitance sur le formica. Avec sa première bouchée fumante, il a failli se bruler la langue au deuxième degré.
Hé! Doucement!
Mes exclamations l’ont à peine ralenti. À la fin du repas, j’ai nettoyé les contours de sa bouche avec une serviette de table. Il a souri.
Ma mère a aussi acheté du lait.
Il a terminé à la régalade le litre au complet. J’ai essuyé la fine moustache. Ses deux rots bien sonores m’ont fait rire.
Viens par ici.
Il a contourné le comptoir pour me rejoindre. À mi-parcours, des larmes amères se sont mises à couler, irrépressibles.
J’ai promis de ne plus te revoir, Léo mais je n’ai pas pu résister à cette pulsion, qui me dépasse! Je suis un démon, pas un ange!
Bouleversé, je l’ai pris dans mes bras et je l’ai bercé. Ses sanglots me déchiraient le coeur. Il a hoqueté, redoublant ses pleurs.
J’ai voulu mourir mais j’ai été trop lâche!
Il tremblait de tout son être. Lors d’une accalmie, j’ai chuchoté tout près de son oreille.
Le suicide n’arrange rien et ne constitue pas un acte de courage, au contraire! Tu m’es nécessaire comme le soleil au tournesol, mon amour. Sans toi, mon âme se remplit de ténèbres.
Petit à petit, ma tendresse l’a apaisé. Nous nous sommes allongés sur le futon. Imperceptiblement, il a glissé vers le sommeil.
Ainsi, mes soupçons s’avéraient fondés : le père d’Ange nous menaçait de ses foudres. Un frisson glacé, comme un pressentiment m’a parcouru.
L’odeur de pain grillé a chatouillé mes narines. Ange étrennait le dernier en date des cadeaux de ma mère. Il m’a rapporté une assiette ornée de deux rôties, l’une dégoulinante de confitures aux fraises et l’autre de beurre d’arachide. Moi qui mange très peu, le matin!
Mais tu n’as pas soupé, hier soir! Je t’aime, même avec ton embonpoint.
Approche ton cul que je le claque!
Il s’est esquivé, rieur. Ingambe, je l’aurais poursuivi à travers l’appartement. Il s’est esclaffé et m’a coupé les mots de la bouche, une fois de plus.
Je ne perds rien pour attendre, je sais!
Ange m’a servi un grand verre de jus d’orange, puis il s’est de nouveau longuement affairé dans la cuisine. Il s’est ramené avec six tartines grillées garnies et le reste du litre d’agrumes vitaminés. Le tout englouti, il m’a regardé avec insistance et partout. Manifestement, il souhaitait également me consommer. Malgré l’effet visible provoqué par son désir, j’ai refusé.
Tu veux des explications que je ne suis pas en mesure de te fournir.
Il a baissé les paupières et a contemplé fixement mes jambières. Indéniablement, nous nous trouvions devant une impasse. Le voyant désarmé, j’ai amorcé la retraite d’un baiser sur sa joue.
Nous n’avons pas fait l’amour mais la tendresse. Nous en étions avides. Affleurements et effleurements de l’aura de l’autre. Ange est revenu sur terre et m’y a ramené.
Une chose m’intrigue… Quand nous sommes arrivés à l’urgence, la dame infirmière m’a demandé ta carte d’assurance-maladie. J’ai cherché dans ton portefeuille. Il y avait tout un lot de rectangles de plastique. Incertain, je lui ai tendu le tout puisque j’ignorais ce dont il était question. Elle m’a regardé… exactement comme toi, maintenant! … J’aimerais comprendre.
En posséder une permet d’obtenir de multiples soins de santé sans obligation d’en payer les couts faramineux; en fait, nos impôts servent notamment à financer le réseau de la Santé et des services sociaux.
Et si quelqu’un se présente à l’hôpital sans carte, est-ce qu’on va le soigner?
Certainement! Nous sommes dans une société soi-disant civilisée, quand même! Mais cela va couter un bras ou deux… Tu devrais enjoindre à ton père de te la remettre et la porter en permanence sur toi : ce qui s’avérerait plus prudent.
… Je suis certain de n’en détenir aucune… L’unique fois où je suis devenu malade, j’ai vu qu’on rémunérait le médecin.
… Demain, tu iras chercher un formulaire à la pharmacie; cela peut prendre plusieurs semaines avant que tu la reçoives.
Un long silence réflexif s’est ensuivi.
Ne crains pas pour moi, Léo ni pour ta vie… Mon père n’est certainement pas impliqué dans cet attentat à tes jours… Il n’a jamais usé de violence à mon égard, ni ne le fera jamais. C’est un homme droit et juste, même si nous ne sommes pas en accord.
Ange en avait l’air convaincu, en tout cas.
Comment sait-il, pour nous deux?
Je crois qu’il a employé quelqu’un pour me surveiller… Pour lui, l’homosexualité, c’est une perversion condamnable… Il pense que l’on peut dominer nos pulsions bestiales… Il a resserré les mesures disciplinaires.
… Tu devrais ester une requête en émancipation. Ainsi…
Inutile de me l’expliquer, je connais assez bien la loi… Mais Il n’obéit qu’à la sienne propre et elle est calquée sur celle de son Dieu.
L’ouverture s’est refermée hermétiquement en barrière aux mille et une questions qui se bousculaient dans ma bouche.
Dans l’après-midi, Ange a souhaité déguster de la crème glacée.
Va en acheter au dépanneur et profites-en pour rapporter le formulaire : la pharmacie se trouve juste en face.
… Je ne dispose pas d’arrhes.
Ce dont je m’étais rendu compte il y a un moment. Je lui ai donné dix dollars.
Tout en s’empiffrant, Ange a lu le contenu du document. J’ai accepté quelques cuillerées. Beaucoup trop sucré, à mon gout, le mélange aux bonbons M & M, confettis et glace à la vanille.
On demande un extrait de naissance. Comment l’obtenir?
Si tu as été baptisé, par la paroisse où tu as été oint; autrement en faisant une requête au bureau de l’état civil. Je ne connais pas la procédure à suivre.
Je trouverai et j’irai demain.
Le bonheur est composé de petits riens, donc inénarrable d’une certaine façon. Nous étions avides de tendresse, voraces d’amour. Pourquoi le temps fuit-il si vite durant ces moments-là?
À peine rentré du travail, le lendemain, le téléphone s’est mis à sonner avec insistance. Je ne suis arrivé à proximité qu’à la neuvième tonalité.
… Léo…
Mon amour…
… J’ai découvert que je ne suis personne… Il n’existe aucune trace de mon existence, nulle part, ni ailleurs.
Ange a raccroché.
L’affaire Thanatos, bis
(Fiches récapitulatives partielles des victimes potentiellement avérées listées par ordre chronologique des décès)
Numéro de dossier : 10001
Nom et prénom : BOUCHARD, Thérèse
Sexe : Féminin
Date de naissance : 10 février 1953 (66 ans)
Statut professionnel : Retraitée
État matrimonial : Veuve
Religion : Catholique
Lieu de résidence : Résidence du bon repos (Montréal)
Pathologie : Sclérose en plaques
Date du décès : 3 janvier 2020
Autres caractéristiques : Personnel de la résidence (voir les dossiers 11001-01 et suivants). À compléter
Numéro de dossier : 10002
Nom et prénom : L’HEUREUX, Janine
Sexe : Féminin
Date de naissance : 15 novembre 1952 (68 ans)
Statut professionnel : Retraitée
État matrimonial : Séparée
Religion : Catholique
Lieu de résidence : Maison du lac (Westmount)
Pathologie : Leucémie
Date du décès : 6 janvier 2020
Autres caractéristiques : Personnel de la maison (voir les dossiers 11002-01 et suivants). À compléter
Numéro de dossier : 10003
Nom et prénom : BOISCLAIR, Huguette
Sexe : Féminin
Date de naissance : 30 mars 1953 (67 ans)
Statut professionnel : Retraitée
État matrimonial : Veuve
Religion : Catholique (charismatique)
Lieu de résidence : Centre paradis (Montréal)
Pathologie : Cancer du sein
Date du décès : 15 janvier 2020
Autres caractéristiques : Personnel du centre (voir les dossiers 11003-01 et suivants). À compléter
Numéro de dossier : 10004
Nom et prénom : BERGERON, Marc
Sexe : Masculin
Date de naissance : 31 janvier 1953 (66 ans)
Statut professionnel : Retraité
État matrimonial : Veuf
Religion : Catholique
Lieu de résidence : L’oasis (Saint-Laurent)
Pathologie : Cancer du côlon
Date du décès : 20 janvier 2020
Autres caractéristiques : Personnel de la résidence (voir les dossiers 11004-01 et suivants). À compléter
Numéro de dossier : 10005
Nom et prénom : VILLENEUVE, Nicole
Sexe : Féminin
Date de naissance : 25 mai 1934 (85 ans)
Statut professionnel : Congé de maladie (Bell Canada)
État matrimonial : Célibataire
Religion : Catholique
Lieu de résidence : Villa des acacias (Notre-Dame-de-Grâce)
Pathologie : Cardiopathie
Date du décès : 30 janvier 2020
Autres caractéristiques : Personnel de la villa (voir les dossiers 11005-01 et suivants). À compléter
Numéro de dossier : 10006
Nom et prénom : VÉZINA, Marie-Louise
Sexe : Féminin
Date de naissance : 2 avril 1952 (67 ans)
Statut professionnel : Rentière
État matrimonial : Divorcée
Religion : Catholique
Lieu de résidence : Avenue du Mont-Royal (Mont-Royal)
Pathologie : Emphysème pulmonaire
Date du décès : 4 février 2020
Autres caractéristiques : Aide-domestique, infirmière à domicile (voir les dossiers 11006-01 et suivants). À compléter
Numéro de dossier : 10007
Nom et prénom : AUDET Louis-Marie
Sexe : Masculin
Date de naissance : 30 mars 1949 (70 ans)
Statut professionnel : Retraité
État matrimonial : Célibataire
Religion : Catholique (mouvement de la foi lumineuse)
Lieu de résidence Résidence des chênes (Westmount)
Pathologie : Emphysème pulmonaire
Date du décès : 6 février 2020
Autres caractéristiques : Personnel de la résidence (voir les dossiers 11007-01 et suivants). À compléter
Numéro de dossier : 10008
Nom et prénom : FRIGON, Ginette
Sexe : Féminin
Date de naissance : 13 décembre 1951 (68 ans)
Statut professionnel : Retraitée
État matrimonial : Veuve
Religion : Catholique
Lieu de résidence : Avenue Laurier (Montréal)
Pathologie : Cancer du sein
Date du décès : 8 février 2020
Autres caractéristiques : Aucune aide, sauf occasionnelle (voir les dossiers 11008-01 et suivants). À compléter
Numéro de dossier :10009
Nom et prénom : LONGPRÉ, Berthe
Sexe : Féminin
Date de naissance : 12 août 1969 (50 ans)
Statut professionnel : Rentière
État matrimonial : Veuve
Religion : Catholique
Lieu de résidence : Le prieuré (Montréal)
Pathologie : Cancer généralisé
Date du décès : 15 février 2020
Autres caractéristiques : Personnel de la résidence (voir les dossiers 11009-01 et suivants). À compléter
Numéro de dossier : 10010
Nom et prénom : BERTRAND, Lyne
Sexe : Féminin
Date de naissance : 18 mai 1957 (62 ans)
Statut professionnel : Rentière
État matrimonial : Veuve
Religion : Catholique
Lieu de résidence : Résidence Grandpré (Montréal)
Pathologie : Emphysème pulmonaire
Date du décès : 10 mars 2020
Autres caractéristiques : Personnel de la résidence (voir les dossiers 11010-01 et suivants). À compléter
Numéro de dossier : 10011
Nom et prénom : CARON, Marie-France
Sexe : Féminin
Date de naissance : 5 septembre 1956 (63 ans)
Statut professionnel : Congé de maladie (Imperial Tobacco)
État matrimonial : Veuve
Religion : Catholique
Lieu de résidence : Domaine de l’île (Île-des-Soeurs)
Pathologie : Cardiopathie
Date du décès : 15 mars 2020
Autres caractéristiques : Personnel du domaine (voir les dossiers 11011-01 et suivants). À compléter
Numéro de dossier : 10012
Nom et prénom : SURPRENANT, Lothaire
Sexe : Masculin
Date de naissance : 13 juin 1950 (69 ans)
Statut professionnel : Retraité
État matrimonial : Veuf
Religion : Catholique
Lieu de résidence : Les quatre vents (Montréal)
Pathologie : Cancer de la prostate
Date du décès : 29 mars 2020
Autres caractéristiques : Personnel de la résidence (voir les dossiers 11012-01 et suivants). À compléter
Numéro de dossier : 10013
Nom et prénom : HÉBERT, Stéphane
Sexe : Masculin
Date de naissance : 27 octobre 1955 (64 ans)
Statut professionnel : Retraité
État matrimonial : Célibataire
Religion : Catholique
Lieu de résidence : Manoir de Montigny (Montréal)
Pathologie : Cancer du poumon
Date du décès : 1 avril 2020
Autres caractéristiques : Personnel du manoir (voir les dossiers 11013-01 et suivants). À compléter
Numéro de dossier : 10014
Nom et prénom : MERCIER, Valérie
Sexe : Féminin
Date de naissance : 19 mars 1952 (68 ans)
Statut professionnel :Retraitée
État matrimonial : Veuve
Religion : Catholique (mouvement du réveil)
Lieu de résidence : Centre du bois joli (Côte-Saint-Luc)
Pathologie : Cancer du côlon
Date du décès : 2 avril 2020
Autres caractéristiques : Personnel du centre (voir les dossiers 11014-01 et suivants). À compléter
Numéro de dossier : 10015
Nom et prénom : BLACKBURN, Juliette
Sexe : Féminin
Date de naissance : 14 juillet 1930 (69 ans)
Statut professionnel : Retraitée
État matrimonial : Divorcée
Religion : Catholique
Lieu de résidence : Maison des érables (Montréal)
Pathologie : Cancer du poumon
Date du décès : 8 avril 2000
Autres caractéristiques : Personnel de la maison (voir les dossiers 11015-01 et suivants). À compléter
Numéro de dossier : 10016
Nom et prénom : GILBERT, Suzanne
Sexe : Féminin
Date de naissance : 4 février 1950 (70 ans)
Statut professionnel : Retraitée
État matrimonial : Célibataire
Religion : Catholique (mouvement du renouveau)
Lieu de résidence : Rue Isabella (Côte-des-Neiges)
Pathologie : Cancer du côlon
Date du décès : 16 avril 2020
Autres caractéristiques : Aide domestique, infirmière quelques heures par jour (voir les dossiers 11016-01 et suivants). À compléter
Numéro de dossier : 10017
Nom et prénom : DION, Alain
Sexe : Masculin
Date de naissance : 10 septembre 1958 (61 ans)
Statut professionnel : Rentier
État matrimonial : Veuf
Religion : Catholique
Lieu de résidence : Manoir des lilas (Outremont)
Pathologie : Cancer de la prostate
Date du décès : 9 mai 2020
Autres caractéristiques : Personnel du manoir (voir les dossiers 11017-01 et suivants). À compléter
Numéro de dossier : 10018
Nom et prénom : LOGAN, Mathilde
Sexe : Féminin
Date de naissance : 17 mars 1949 (71 ans)
Statut professionnel : Retraitée
État matrimonial : Veuve
Religion : Catholique
Lieu de résidence : Résidence de la source (Île-des-Soeurs)
Pathologie : Sclérose en plaques
Date du décès : 13 mai 2020
Autres caractéristiques : Personnel de la résidence (voir les dossiers 11018-01 et suivants). À compléter
Numéro de dossier : 10019
Nom et prénom : VERDON, Diane
Sexe : Féminin
Date de naissance : 22 octobre 1949 (70 ans)
Statut professionnel : Retraitée
État matrimonial : Célibataire
Religion : Catholique
Lieu de résidence : Maison de jouvence (Saint-Laurent)
Pathologie : Cardiopathie
Date du décès : 27 mai 2020
Autres caractéristiques : Personnel de la maison (voir les dossiers 11019-01 et suivants). À compléter
Numéro de dossier : 10020
Nom et prénom : LAURIER, William
Sexe : Masculin
Date de naissance : 28 avril 1945 (75 ans)
Statut professionnel : Retraité
État matrimonial : Veuf
Religion : Catholique
Lieu de résidence : Avenue du Mont-Royal (Mont-Royal)
Pathologie : Cancer de l’oesophage
Date du décès : 12 juin 2020
Autres caractéristiques : Aucune aide, sauf occasionnelle (voir les dossiers 11020-01 et suivants). À compléter
Numéro de dossier : 10021
Nom et prénom : SAINT-MATHIEU, Carole
Sexe : Féminin
Date de naissance : 15 septembre 1946 (73 ans)
Statut professionnel : Retraitée
État matrimonial : Veuve
Religion : Catholique
Lieu de résidence : Rue Sherbrooke (Montréal)
Pathologie : Cancer du poumon
Date du décès : 17 juin 2020
Autres caractéristiques : Aide domestique, infirmière à mi-temps (voir les dossiers 11021-01 et suivants). À compléter
Numéro de dossier : 10022
Nom et prénom : BEAUCHAMP, Jeannette
Sexe : Féminin
Date de naissance : 13 octobre 1963 (56 ans)
Statut professionnel : Rentière
État matrimonial : Séparée
Religion : Catholique
Lieu de résidence : Villa du mitan (Westmount)
Pathologie : Cancer généralisé
Date du décès : 24 juin 2020
Autres caractéristiques : Personnel de la villa (voir les dossiers 11022-01 et suivants). À compléter
Numéro de dossier : 10023
Nom et prénom : BLANCHARD, Stéphane
Sexe : Masculin
Date de naissance : 26 janvier 1966 (54 ans)
Statut professionnel : Retraité
État matrimonial : Célibataire
Religion : Catholique
Lieu de résidence : Rue Sainte-Famille (Montréal)
Pathologie : Sclérose en plaques
Date du décès : 30 juin 2020
Autres caractéristiques : Aide domestique et infirmière de jour (voir les dossiers 11023-01 et suivants). À compléter
Numéro de dossier : 10024
Nom et prénom : ROBERTSON, Marielle
Sexe : Féminin
Date de naissance : 23 juin 1950 (70 ans)
Statut professionnel : Retraitée
État matrimonial : Divorcée
Religion : Catholique
Lieu de résidence : Résidence de l’essor (Montréal)
Pathologie : Maladie d’Alzheimer
Date du décès : 7 juillet 2020
Autres caractéristiques : Personnel de la résidence (voir les dossiers 11024-01 et suivants). À compléter
Numéro de dossier : 10025
Nom et prénom : DUSSAULT, Jeannine
Sexe : Féminin
Date de naissance : 22 août 1963 (57 ans)
Statut professionnel : Retraitée
État matrimonial : Célibataire
Religion : Catholique (mouvement du pardon)
Lieu de résidence : Côte-Sainte-Catherine (Montréal)
Pathologie : Cancer du sein
Date du décès : 11 juillet 2020
Autres caractéristiques : Aucune aide, sauf occasionnelle (voir les dossiers 11025-01 et suivants). À compléter
Numéro de dossier : 10026
Nom et prénom : DAMIEN, Thérèse
Sexe : Féminin
Date de naissance : 28 février 1946 (74 ans)
Statut professionnel : Retraitée
État matrimonial : Séparée
Religion : Catholique
Lieu de résidence : Manoir du patrimoine (Laval)
Pathologie : Maladie d’Alzheimer
Date du décès : 16 juillet 2020
Autres caractéristiques : Personnel du manoir (voir les dossiers 11026-01 et suivants). À compléter
Numéro de dossier : 10027
Nom et prénom : POIRIER, Jean-Claude
Sexe : Masculin
Date de naissance : 31 mai 1962 (58 ans)
Statut professionnel : Rentier
État matrimonial : Veuf
Religion : Catholique
Lieu de résidence : Résidence Antoine Marcellin (Longueuil)
Pathologie : Cancer de la gorge et de la langue
Date du décès : 23 juillet 2020
Autres caractéristiques : Personnel de la résidence (voir les dossiers 11027-01 et suivants). À compléter
Numéro de dossier : 10028
Nom et prénom : DAVELUY, Louisette
Sexe : Féminin
Date de naissance : 11 mars 1960 (60 ans)
Statut professionnel : Rentière
État matrimonial : Veuve
Religion : Catholique
Lieu de résidence : Côte-Saint-Luc (Hampstead)
Pathologie : Emphysème pulmonaire
Date du décès : 31 juillet 2020
Autres caractéristiques : Aide domestique et infirmière à demeure (voir les dossiers 11028-01 et suivants). À compléter
Corrélations
Individus des deux sexes avec une majorité de femmes, de race blanche au-dessus de la cinquantaine, vivant seuls en milieu aisé accessible par le transport en commun à Montréal ou ses environs, et ne travaillant plus, quoique demeurant aussi actifs que leur permettait leur handicap. Aucune maladie de nature infectieuse. Ils ont mentionné aux proches souhaiter « donner leur corps à la science ».
Anomalies
Les personnes atteintes de cancer ont toutes refusé de se soumettre à une chimiothérapie de la dernière chance. Celles qui devaient vivre avec la sclérose en plaques ne prenaient plus d’interféron bêta. Un homme a refusé un quadruple pontage. Rien à dire pour les autres.
Choux blancs
Pas de périodes d’activités ou de ralentissement notables dans les annonces ou les décès et pas de progression temporelle, sauf pour le répit, qui dure. Pas de trafic possible de restes humains et rien de nouveau concernant les analyses poussées effectuées sur les cadavres congelés. Après réécoute des contre-interrogatoires faits par Rudy : néant.
Avenues possibles
Continuer à élargir le champ des proches (Rudy accomplit un travail de moine). Chercher un facteur commun reliant un certain nombre de victimes. Passer les testaments au peigne fin. Analyser en détail les comptes bancaires.
Une question s’est mise à me tarabuster : qu’ont-ils dit ensuite? Puis une autre, en corollaire : Quelles sont ces variantes à la veine catholique mentionnées dans le rapport de Rudy? Lemme : que pense l’Église de Rome au sujet de l’intégrité du corps d’une personne après son décès?
La docteure et Rudy ont approuvé mes analyses. On nous a demandé des comptes en haut lieu.
Je deviens hanté par ces histoires pathétiques de fin de vie.
J’ai ressenti une nette amélioration entre les relations concernant mon collègue et la docteure. J’avancerais que ceci s’avère plutôt inattendu.
Depuis que Rudy connait mon orientation sexuelle et qu’il n’a démontré aucun signe de rejet, je me sens beaucoup plus à l’aise avec lui. Une certaine complicité professionnelle, même, s’est établie entre lui et moi et envers Diane. Elle le ressent et cela semble l’intriguer. Je ne l’imaginais pas aussi sensible.
Le mystère s’épaissit
Quelques jours après son appel, j’ai trouvé Ange avachi sur le seuil de mon appartement. Il s’est relevé sans paroles dire.
J’oublie rarement de verrouiller. Tiens, c’est pour toi.
Il a ouvert la porte, puis a empoché la clef d’argent. Manifestement, l’amour de ma vie ne se trouvait pas au mieux de sa forme. Il semblait éteint.
Je dois dormir.
Il s’est affalé sur le futon et a sombré illico.
Ange dormait encore quand j’ai quitté les lieux le matin. Le soir, il s’est éveillé à mon arrivée bruyante, béquilles et sacs d’épicerie emmêlés à mes jambes. Il m’a rattrapé avant mon contact au sol. De mon homme émanait une douce chaleur et son odeur légèrement acidulée a enchanté mes narines.
J’ai besoin d’une douche… D’accord, après.
J’imagine que tu veux dire après manger : j’ai acheté des sandwichs.
Il a posé sa main sur le témoignage éloquent de mon manque de sincérité dans le propos. J’ai pressé fermement ses doigts.
Je t’aime, Ange.
À la manière cannibale, pour l’heure. Je veux que tu me consommes et me consumes.
Il y a loin du voeu à l’accomplissement pour le handicapé des jambes que j’étais encore pour deux autres semaines. En me dénudant au rythme de l’escargot, Ange prolongeait sciemment la torture. J’ai pu saisir au passage ses douces lèvres. Je l’ai renversé et j’ai étalé ses bras en croix. Mains jointes aux siennes, je l’ai couvert. J’ai enfoncé ma langue dans sa bouche et enchâssé mon sexe dans son rectum. Je suis resté immobile. Ange s’est mis à onduler sous moi, très lentement, et notre baiser s’est fait tendre. Nos deux coeurs battaient au même rythme puissant. L’extase imminente s’est pointée dans ses prunelles tout comme dans les miennes écarquillées. Nous avons crié lors même que la sève jaillissait de nos êtres étroitement épousés.
Ange a murmuré.
Tiens-tu à moi, mon amour?
Comme si ce n’était pas évident!
Alors ôte-toi de moi sinon je meurs d’asphyxie!
La vie de mon Ange étant le trésor le plus précieux sur la terre comme au ciel…
Léo, tu m’écrases!
Je l’ai libéré.
As-tu faim?
Pas vraiment. Je vais ranger les provisions au frigo. Un bain?
Dans la baignoire, je veux bien.
Il a caressé ma joue.
Ce soir-là, je recherchais un contact masculin mais, en même temps, je me sentais apeuré. Je t’ai vu entrer dans ce bar. Tu ne regardais rien ni personne… J’ai ressenti très fortement ton désespoir d’être. Puis, tu es sorti, très vite. Irrésistiblement, je t’ai suivi.
Ton don de vie comme une renaissance. M’aimes-tu, Ange?
Comme si ce n’était pas évident! Je t’aime, Léo.
Une baignade de tendresse effleurante plus tard, il a soutenu ma démarche vacillante jusqu’à notre lit. Mon coeur s’est serré.
Je sais que tu souhaites notre union maritale et j’y aspire autant que toi… Cela ne m’est pas encore possible de voler de mes propres ailes.
Ange s’est blotti contre moi. Il a posé un doigt sur mes lèvres qui s’entrouvraient.
Seul, je dois trouver mon office et mon ordre.
Durant la nuit, une lueur tremblotante m’a réveillé. Son coupé, Ange regardait le film pornographique, le deuxième que nous avions loué et, surtout, omis de rendre, tout comme le premier, ce qui allait me couter un bras en amendes. Je me suis rendu compte que celui-ci, le choix d’Ange, différait de l’autre par un détail : une femme partageait les ébats explicites des deux éphèbes. J’ai regardé Ange, ce qu’il accomplissait. À contresens, je me suis allongé sur le ventre. J’ai servi d’exutoire à la libido très complexe de mon amour. Il m’a fait tellement mal!
Le genou de Claire et ce qui s’est ensuivi
Claire a répondu à la quatrième attaque contre sa vie privée. Sa voix familière, rythmée, a chanté dans mon oreille.
Léonid! … Tu as enfin lu tes messages!
Mais quels… Non, j’ai oublié… Nous devions…
Cela fait pas loin de deux mois…
… Je ne me trouvais pas en mesure d’entrer en contact avec toi.
Ange…
Ainsi que le boulot et un accident… de motocyclette. Mes membres inférieurs sont maintenant à peu près rafistolés.
Il possède une moto?
Pas lui, celui qui m’a frappé… Euh… Ton poêlon…
Garde-le… Ceci constituait un prétexte… En as-tu vraiment besoin, toi aussi?
… Oui et non… Je ressens le besoin de te parler.
Tant que ce n’est pas baiser! … Je suis désolée… Je crois que j’éprouve encore une certaine rancoeur à ma féminité… Qu’est-ce que tu fais, actuellement?
Rien. Rapplique mais donne-moi quelques minutes pour ouvrir.
Pour la première fois, j’ai accueilli Claire sans armes fourbies. Elle m’a embrassé sur les joues, comme un frère. J’ai ressenti un pincement au coeur.
Je suis heureux que tu sois venue.
Et moi aussi… As-tu du café?
Au congélateur, comme tu me l’as appris.
Elle a souri. Elle s’est activée dans la cuisine.
Tes jambes?
On dirait qu’une faiblesse est restée malgré la physiothérapie. Mais je préfère nettement les cannes aux béquilles… À vrai dire, je me sens handicapé de là, aussi.
Cesse, Léonid! … As-tu mangé, aujourd’hui?
Ma mère a préparé un tas de trucs…
… L’art de dévier une réponse!
Je n’ai pas faim : ton nectar suffira.
Nous avons siroté notre breuvage en silence, assis en tailleur sur le futon. Elle a répondu à ma question muette.
Couci-couça… Je ne me sens pas très fière de moi… J’ai toujours pensé que seul importait l’Amour, celui qui s’écrit avec une majuscule, et que son expression en découlait nécessairement et naturellement… Bijou est mort deux semaines après mon départ de ton existence. Il était si vieux… J’ai senti que ça n’allait pas vraiment et je l’ai pris tout contre moi. Ses yeux félins m’interrogeaient. Je le caressais et je voulais que mes caresses lui insufflent la vie. Mais ses prunelles sont devenues vitreuses. Petit à petit, sa chaleur est partie aussi… Cela n’a pas l’air d’avoir rapport à rien… Je me tenais ainsi, avec le cadavre de mon matou. Puis, je me suis mise à pleurer. Toi, tu aurais su quoi faire. Toi, tu aurais compris ma peine. Et ta tendresse attentive aurait repoussé ma peur de mourir. Jamais tu n’aurais dit : « Un chat en moins! » ou « J’ai une recette! » Il est des phrases qui fouaillent en coups de poing. J’ai jeté l’épais à la porte.
Claire s’est tue. J’ai posé la paume sur son genou qui tressautait avec elle. Moi aussi, je me sentais sens dessus dessous. La défection de Claire avait constitué le premier clou de mon cercueil flottant. Entre toutes, elle était la seule qui m’avait remué très fort le coeur. Ma gorge s’est nouée, m’empêchant de respirer adéquatement. Les quintes de toux sifflante ont suivi. Au bout de quelques minutes, Claire a placé la pompe dans ma main. Ça urgeait. Elle s’est rendu compte de mon embarras et s’est éclipsée dans la salle de bain.
Elle s’est rassise.
Tu connais maintenant mon autre faiblesse.
Je le savais depuis longtemps : tu laisses tout trainer… J’aime ta façon d’être, ta bohème, ton assurance factice, même.
Claire, je ne suis pas…
Allais-tu dire un homme?
J’ai acquiescé. Elle a touché mes organes génitaux par-dessus mon pantalon.
Pourtant, tu en présentes toutes les caractéristiques! Ce qui définit un être sexué n’a rien à voir avec la sexualité présumée.
Son commentaire m’a laissé coi.
Très souvent, Claire passe du coq à l’âne, ce qui a pour don de me dérouter.
Comment as-tu rencontré Ange, vraiment?
… Je ne souhaitais plus perpétuer mon existence sans objet… Il m’a tiré du fleuve.
Un long silence s’est ensuivi. J’ai baissé les paupières, incapable d’affronter son regard. Elle s’est déplacée pour se rapprocher de moi.
Ensuite?
… Nous sommes venus ici, pour nous assécher et éviter la pneumonie, quant à y être… La pulsion de vie a remplacé celle de mort.
Est-ce qu’il t’a embrassé?
À sa demande, je me suis allongé auprès de lui… Il a placé ma main sur son sexe en état de désir… C’était si doux au toucher… Il a fait de même avec le mien…
Comme cela?
… Presque… Sur la peau nue… Plus fermement, maintenant… Oui… C’est alors que ses lèvres se sont emparées des miennes… Claire.
Laisse-toi faire et raconte. Ferme les yeux.
… Nous avons été saisis de frénésie et nous nous sommes dénudés… Il s’est couché sur moi… Nos verges palpitaient l’une contre l’autre, se frottant, se pressant… Ah! … Ange s’est placé pour que je le prenne… Son sperme a servi d’onction… J’ai perdu la maitrise de mes sens…
Je ne l’avais plus, non plus, avec Claire. Elle me couvrait. Son fourreau gainait étroitement mon glaive, m’emportant irrésistiblement vers les cimes de son plaisir et du mien. J’ai crié, je crois. Elle aussi. Je lui ai donné mes doigts à sucer. Elle également.
La déflagration a soufflé la porte d’entrée. Celle-ci est retombée sur nous. Sur mon épaule, surtout. Hébétée, Claire a repoussé l’objet. L’alarme d’incendie s’est déclenchée, stridente. Au moins une chose qui fonctionne dans cet immeuble. Claire m’a aidé à émerger des débris à travers un nuage de fumée suffocante. Courts et hâtivement vêtus, nous sommes sortis. La plupart des résidents se trouvaient sur le palier, indécis.
Fermez les portes immédiatement. Baissez la tête. N’utilisez pas l’ascenseur, descendez, sans hâte excessive mais rapidement.
Je me suis tourné vers Claire.
Aide-les. Mon voisin est absent : je vais y voir. Je te rejoins.
La voix de Claire s’est élevée, autoritaire mais rassurante. J’ai recompté les têtes de pipe. Toutes présentes, sauf celle de monsieur Senneville.
J’ai tambouriné le loquet dudit.
Cessez ce vacarme! Une minute!
Il s’est encadré, l’air d’un hibou! J’ai dû crier.
Mais qu’est-ce…
Vous devez sortir. La fumée envahit l’étage. Venez.
Jamais sans Monseigneur!
Des cris d’oiseau terrifié ont dominé le bruit d’enfer. J’ai évalué brièvement la situation.
Des serviettes mouillées pour tout le monde. Vite, on sort!
Le ton employé ne laissait pas de place à la moindre protestation. Il a couvert la cage du volatile apeuré. J’étouffais.
Fermement, il a empêché ma chute. Au moins, l’issue se trouvait droit devant. Faute d’équilibre adéquat, j’ai dû faire du toboggan. Dehors, Claire s’est jetée dans mes bras. Elle pleurait.
Monsieur Senneville ne sachant où aller passer la nuit, j’ai appelé Odile sur le téléphone portable de Claire. L’homme et son oiseau seraient bienvenus. Ma mère s’est réjouie de revoir mon amie. Elle ne s’est pas rendu compte que j’avais été blessé. Tant mieux : un souci de moins pour elle.
Je pars tout de suite. Ange va certainement téléphoner : donne-lui le numéro de Claire.
Pour mon épaule esquintée, j’ai jugé qu’aller à l’hôpital s’avérait inutile : il n’y avait manifestement rien de cassé. Nantie de ma carte d’assurance-maladie, Claire s’est présentée à la pharmacie où était conservé mon dossier. Le Ventolin m’a permis de recouvrer une respiration à peu près normale.
Nous nous sommes rendus chez elle. Je me sentais pris dans un tourbillon. Claire a ressenti ma détresse, je crois. Elle m’a massé, m’a dorloté tant et si bien que j’ai atteint le Nirvana de l’oubli.
J’aime caresser une femme, surtout Claire. Elle vibre comme une corde de violon tendue lorsque l’archet l’effleure. Voir, aussi. Le rose qui s’installe sur sa figure et son cou, ses lèvres qui se gonflent. Ses seins se raffermissent et ses mamelons deviennent des perles que je fais rouler sous ma langue. Elle pousse des petits cris excitants et incitant à poursuivre. L’ombilic me retient un moment, puis la sente descendant vers le mont de Vénus. Ma main s’insinue entre ses cuisses, dont je flatte l’intérieur satiné. Elle me laisse délicatement cueillir le coeur de sa fleur. Elle fleure un parfum sophistiqué, enivrant les sens. J’ai envie de caresser Ange comme je caresse Claire.
Juste avant l’orgasme, haletante, elle ondule et son bassin se creuse. Elle crie et je m’abreuve à la fontaine de sa féminité, que je veux prendre, que je pénètre. Son vagin épouse étroitement mon pénis. Et je vais et je viens, comme la marée couvre le rivage et se retire et revient, inlassablement, lentement, puissamment. Son corps tout entier s’exalte et se donne tout comme le mien. Et mon râle rejoint le sien. Mon sexe lui appartient comme le sien m’appartient, comme j’appartiens à Ange et qu’il m’appartient.
J’ai rêvé d’Ange, qui m’appelait. Par acquit de conscience, j’ai écouté les messages enregistrés dans ma boite vocale. Il y en avait vingt! La plupart venaient de Claire et de ma mère, un d’Ange, pour me dire : « Je t’aime », un de Rudy pour m’envoyer paitre de me trouver, encore, en retard, et caetera. Au quinzième, j’ai figé : « L’Ange devait rester pur. Pour expier ce crime, vous souffrirez dans vos oeuvres vives ». Le frisson glacé m’a saisi tout entier. La phrase avait été captée la nuit précédant mon « accident ». Quelques vétilles sans importance, puis : « Vous avez perverti le corps et l’âme de l’Ange. Dieu vous punira de ses foudres ». La même voix, laide et visqueuse, tremblait d’indignation. Enregistrée cinq minutes avant l’explosion de la bombe, alors que nous dormions. J’ai effacé le tout.
Je me suis rendu compte que Claire m’observait. Son oreille fine avait tout entendu.
Le deuxième attentat à ta vie.
… Cela vaudrait mieux que je m’éloigne de toi et de ma mère pour quelque temps… D’Ange aussi, probablement… Je ne veux pas risquer que ceux que j’aime soient atteints.
Le père d’Ange?
… Je le crois… Jure-moi que tu ne révéleras mes craintes à personne, surtout pas à Ange… Je t’en prie.
Après une longue hésitation, elle a promis.
La police?
Mais je suis « la police »! Je me vois très bien parler à mon collègue, Leduc, si je me souviens bien : « Je sais qui, le paternel de mon ami, lequel ne possède pas de nom officiel ni d’existence légale, même, qui demeure dans un lieu inconnu, quelque part à Montréal! »
Ange se trouve en danger, peut-être.
C’est ce qui me terrifie!
… Et jouer le garçon de l’air ne m’apparait pas la meilleure solution…
Je veux qu’il soit à l’abri…
Il pourrait rester ici.
Pour que tu deviennes une cible, toi aussi? Il fait étroitement surveiller son fils. L’autre est muet comme la tombe! À devenir fou!
Que t’apprend ton devoir de policier?
… À demander de l’aide.
Alors fais-le, mais confie-toi à quelqu’un envers qui tu éprouves un sentiment de confiance.
… Rudy?
Combien de temps sépare les deux attentats?
Deux mois, environ.
Ceci implique peut-être que tu disposes d’un certain sursis.
Voire ! Belle épée de Damoclès au-dessus de ma tête et de la sienne… Je partirai tantôt.
En robe de chambre suggestive?
… Je n’avais pas pensé à ce détail… As-tu envie de magasiner?
Pas du tout. Demain, peut-être…
J’ai émis quelques jurons.
Devant une dame, quelle impolitesse! Va-nu-pieds!
J’ai pris Claire dans mes bras.
J’ai peur pour toi, Léonid.
Flic n’est pas une profession exempte de risques.
Statistiquement, prof au secondaire s’avérerait bien pire sous cet aspect.
Change de boulot!
Pas de tes affaires!
Macho!
Pris de fou rire, nous nous sommes écroulés par terre, puis embrassés, puis enserrés très fort.
En fin d’après-midi, un nouveau message s’est logé dans ma boite vocale : « La troisième fois sera la bonne. Pour avoir dévié la destinée de l’Ange, Dieu a ordonné le châtiment suprême : la castration de la vie ». Claire m’a empêché de le supprimer. Je l’ai fait plus tard.
Claire se trouvant tout à sa toilette, je suis allé ouvrir. Ange.
Je suis passé et j’ai vu… J’ai rassemblé quelques effets utiles… Ta mère m’a donné l’adresse de ton amie… Léo, je suis venu te dire que…
Que tu m’aimes? Moi aussi, je t’aime.
J’ai léché les larmes qui s’écoulaient de ses prunelles. J’ai pris ses lèvres entrouvertes. Il s’est abandonné entre mes bras.
Claire nous a poussés jusque dans la chambre. Elle est revenue, marmonnant, et a déposé le colis.
Vous aurez sans doute besoin de quelque affaire…
Elle a refermé la porte sur nous.
Ange s’est assis au bord du lit pendant que je fourrageais dans le sac. Je lui ai lancé le tube d’onction.
Dévêts-toi.
De le voir faire, presque timide, m’a fait bander comme un étalon. Il s’est allongé, en attente, le sexe éloquent. Dénué à mon tour, j’ai dû réfréner la montée de sève. Il a écarté les jambes, mais je ne voulais pas le prendre, pas encore. J’ai caressé Ange comme j’avais caressé Claire le matin même. Il a réagi comme elle. C’est avec sa laitance que j’ai oint mon pénis. Nous avons fusionné dans l’amour. Il m’a couvert à son tour, violemment, désespérément, douloureusement. Il a hurlé en jouissant. Moi aussi.
Nous étions comateux et dans le plus simple appareil lorsque Claire est entrée. Écarlate, Ange a protégé au regard et à deux mains ses attributs virils. J’ai effleuré ses lèvres.
Allez prendre une douche et couvrez-vous : la bouffe arrive dans dix-quinze minutes.
Viens, mon amour, ce que femme veut…
Elle a déposé un grand plateau sur le lit. Elle y a placé une bouteille de vin blanc glacé, les cartons, des baguettes jetables et un rouleau d’essuie-tout.
Pas envie de faire la vaisselle.
Nous nous sommes allongés à la romaine pour festoyer à la chinoise et à la bonne franquette.
Ange avait noué une serviette autour de ses reins. J’avais passé ma robe de chambre et Claire un peignoir échancré que Ange s’est mis à zyeuter sans vergogne et avec insistance, d’autant plus que les mouvements de Claire dévoilaient beaucoup de ses attraits. Un pan du vêtement s’est écarté de l’autre.
Madame, cachez ce sein que je ne saurais voir!
Es-tu d’accord, Ange?
Il a remué la tête en signe de dénégation. Elle a laissé les choses en l’état. Ange a effleuré brièvement son genou découvert. La faim et la soif apaisées, j’ai posé l’ustensile lège sur le sol.
Claire s’est allongée au centre du lit. Nous l’avons rejoint de chaque côté, le sexe ferme pressé contre la cuisse dénuée. L’embrassement de Claire et Ange s’est approfondi. Il m’a saisi par le cou pour m’inclure, puis m’a embrassé. J’ai pris ensuite les lèvres de Claire. Ange a dénudé sa poitrine. Goulument, il s’est mis à téter la mamelle. Je l’ai imité sur l’autre. Elle émettait des petits cris excitants. Du revers de la main, Ange a écarté les cuisses de Claire. Il a commencé à laper la vulve offerte tel un chaton son lait. Il a enserré ma verge et a entamé un va-et-vient. Le plaisir dans les prunelles de Claire. Ses gémissements ont cessé. Je suis retourné voir ce qu’il lui faisait. Le corps tendu de Claire culminait vers le clitoris durci et en exergue. Un moment délicat, presque étale. Ange m’a laissé continuer. J’ai massé le pourtour du minuscule organe comme si cela avait été un prépuce. Ange s’est abreuvé de son nectar. Elle a crié mon prénom. Je me suis incrusté en elle. Ange a pénétré digitalement mon rectum, approfondissant au rythme de notre accouplement. Je ne me maitrisais plus, tel un mâle en rut couvrant sa femelle. Beaucoup trop tôt pour la dernière. Ange s’est enfoncé à l’intérieur d’elle. Claire a joui. Et encore et encore. Ange s’est laissé aller. J’ai éprouvé l’envie qu’il me prenne ainsi et aussi. Ses testicules fermes ont battu mes fesses. Sa virilité ragaillardie m’a fouillé jusqu’à plus soif. Claire a englouti mon phallus. Ange a hurlé : « Je t’aime! » J’ai fait écho. Sa laitance s’est répandue en mon intérieur et la mienne dans la bouche avide de Claire.
Ablutions achevées, nous avons sommeillé. Les gémissements d’Ange m’ont réveillé. Claire lui prodiguait une fellation. Elle a empoigné mon sexe devenu en mal de caresses. Puis, Claire a chevauché Ange.
Sodomise-moi.
J’ai oint mon membre pour ce faire. Elle a hoqueté de douleur lorsque je l’ai enculée. Je me suis immobilisé.
… Continue, cela va aller.
J’ai senti la verge d’Ange aller et venir. J’ai accordé mon rythme au sien. Nous avons perdu la maitrise de nos sens. Les cris de Claire m’excitaient au lieu de me réfréner. Ange et moi avons atteint l’extase au même moment. Quant à Claire… Elle s’est tournée vers moi.
Libère-moi, maintenant… J’ai aimé me soumettre à vous deux… La sodomie… s’avère difficile à endurer, toutefois.
Elle s’est abandonnée sous mes caresses orales et digitales alors qu’elle se trouvait blottie dans les bras d’Ange.
Insomniaque, j’ai consigné les derniers événements dans le cahier qui était devenu au fil du temps mon journal. Ange dormait profondément dans les bras de Claire et c’était bien ainsi aussi. Envie de les rejoindre.