Ange (Le Messager)
Louise Gauthier
TROISIÈME PARTIE : LES TÉNÈBRES
« J’aime les hôpitaux, asiles de souffrance où les vieux oubliés se transforment en organes sous les regards moqueurs et pleins d’indifférence des internes qui se grattent en mangeant des bananes.
Dans leurs chambres hygiéniques et cependant sordides, on distingue très bien le néant qui les guette surtout quand le matin ils se dressent, livides, et réclament en geignant leur première cigarette.
Les vieux savent pleurer avec un bruit minime. Ils oublient les pensées et ils oublient les gestes. Ils ne rient plus beaucoup, et tout ce qui leur reste au bout de quelques mois, avant la phase ultime, ce sont quelques paroles, presque toujours les mêmes. Merci je n’ai plus faim, mon fils viendra dimanche. Je sens mes intestins, mon fils viendra quand même.
Et le fils n’est pas là, et leurs mains presque blanches. »
Michel Houellebecq, La poursuite du bonheur, Sans titre (Librio)
L’Ange blessé prend son envol
« Léonidas, mon amour… Ce que je voulais te dire, hier… Tu t’en doutais certainement puisque tu as tout fait pour en dévier le cours. Quoi qu’il en soit, je dois disparaitre de ta vie afin que celle-ci soit préservée. Tels en sont le lourd tribut à payer et l’ultimatum. Sous l’empire de cette vindicte si mal ciblée, je crois qu’Il est devenu la proie de ses démons intérieurs et n’exerce plus sa faculté de raison. Seule l’obéissance stricte et absolue à Ses volontés apaisera Son courroux. Je ne connais pas d’autre issue viable à ce noeud gordien.
Plusieurs semaines auparavant, j’ai quitté Sa maison pour vivre dans la rue; l’attentat d’avant-hier en constituait, j’en suis convaincu, le châtiment de mon insubordination. Je ne me trouve pas encore en mesure de lutter à armes égales contre Lui. J’ignore si j’y parviendrai un jour. Pour lors, ma destinée est opacifiée par le désordre du présent.
Si je pouvais extraire de ton esprit tout souvenir de moi, assourdir dans ton coeur les battements du mien et effacer de ton corps l’empreinte semblable, je le ferais. Pour que tu ne souffres pas. Et ta marque sur moi laisse une trace indélébile. Mais je ne dois pas mourir, non plus. Pour que Sa haine, en terrible vengeance, ne t’atteigne pas dans tes oeuvres vives.
Sans doute m’en voudras-tu lorsque tu te rendras compte que je me suis rendu coupable d’un larcin : le vol de ton cahier, fragments de tes pensées et de tes actes. Parce que je veux saisir ta perception du réel. Et comprendre, peut-être, ce qui nous a atteints aussi intrinsèquement l’un et l’autre.
Adieu, Ange
Post-scriptum : Je t’aime. »
J’ai reposé posément la lettre sur l’oreiller. Me ravisant, je l’ai tendue à Claire. Je me suis vêtu en toute hâte, puis j’ai boitillé jusqu’à la porte d’entrée.
Précisément, où vas-tu?
Chercher Ange, pardi!
Tu ignores où il habite!
Je dois le trouver, quitte à frapper à toutes les portes!
Léonid… Ange a pris sa décision, même si elle l’a été sous la contrainte.
Mais tu ne comprends pas! Ni lui non plus!
Alors, explique-moi!
Je sens, je sais qu’il court un grave danger : pour ce fou de Dieu, Ange a déchu et cette déchéance irrémédiable pourrait entrainer sa mort!
Le frisson glacé qui me parcourait a atteint mes jambes. Je suis tombé, puis je me suis mis à sangloter sans pouvoir m’arrêter. Claire m’a pris dans ses bras. Elle m’a bercé des heures durant, jusqu’à ce que les larmes se tarissent.
Le lendemain, j’ai communiqué avec Rudy. Contre toute attente, il n’a pas commencé par m’engueuler. Je lui ai expliqué la situation explosive, enfin sans mentionner la défection de mon Ange. À son écoute attentive, j’ai vite compris ce qu’il soupçonnait.
Cela n’a rien à y voir!
… Étrange, tout de même… Deux « accidents » peu courants, voire inexplicables, ceci dans un délai de deux mois…
Affaire strictement privée. Point.
… Quand vas-tu revenir au boulot?
Samedi…
Bien entendu, je vais prévenir qui de droit.
Merci! Je n’osais pas te le demander… Ton appui m’aide énormément à négocier avec une situation… difficile.
Il a toussoté d’embarras, puis a raccroché.
Nippé d’un pantalon de jogging, large pour Claire, moulant pour moi ainsi que d’un caban, heureusement longuet, Claire et moi sommes sortis. Pas mal frisquet sans manteau, ce temps d’automne. Admirablement conseillé par mon amie, j’ai fait l’emplette des indispensables pour quelques jours, ce qui a considérablement dégarni mon portefeuille.
Mais non, tu as à peine entamé ton « coussin »!
… C’est avéré que j’ai des besoins frugaux.
Euphémisme pour dissimuler une nette tendance à lésiner!
J’ai admis la chose du bout des lèvres mais la tête de nouveau dans les cumulo-nimbus. Claire s’est pressée contre moi. Je l’ai embrassée.
J’ai quelques courses à faire, encore.
Je suis tanné!
Alors, attends-moi ici : dix minutes, tout au plus.
Elle s’est éloignée d’un pas vif. Je me suis assis sur un banc à proximité, vite replongé dans mon for intérieur tourmenté.
Lorsque j’ai émergé de ma rêverie, j’ai consulté machinalement ma montre. Une demi-heure s’était écoulée et toujours pas l’ombre de Claire. D’abord impatient, puis désoeuvré, je me suis mis à fureter aux alentours, plus précisément dans une boutique « d’art naturel de la terre et de la mer » dont la marchandise hétéroclite était soldée. Incapable de m’en empêcher, moi qui se targue d’être devenu minimaliste, pour dissimuler mon avarice latente, donc, j’ai acheté l’objet, mais pour un prix dérisoire, soit moins de cinq dollars, toutes taxes comprises. Fasciné, je me suis installé tout à mon aise pour l’examiner méticuleusement, le maintenant dans ma paume ouverte.
Une lourde pierre polie, plutôt grossièrement sur une face, minutieusement sur l’autre, approximativement circulaire, une tranche d’un demi-pouce, environ, granuleuse, de couleur gris-bleu. Dans le tiers inférieur de la surface lisse, une incrustation naturelle, grisâtre, en forme de basse lèvre, parsemée de minuscules pépites brillantes. Au-dessus du lac d’argent s’étirait une mince bande, lumineuse et bleutée, comme à l’aube, lorsque le soleil pointe à l’horizon d’un ciel lapis-lazuli, strié, profond, la teinte dominante de l’ensemble harmonieux. En vision rapprochée, des taches produites par la nature parsemaient la moitié supérieure, mais à trente centimètres des yeux, la perspective changeait et apparaissait distinctement un être éthéré, un Ange, planant au-dessus des eaux. Sa figure se trouvait auréolée de lumière. Ses ailes ressemblaient à des nuages vaporeux. Sa robe, d’une nuance plus pâle, se prolongeait en traine et gainait le pourtour lacustre, puis rejoignait sa main droite levée, tenant quelque chose, comme un léger défaut dans le polissage.
Mon sixième sens m’a averti du retour précipité et penaud de Claire. Sans raison, presque comme un voleur, j’ai enfoui ma trouvaille dans une poche mais en gardant un contact étroit avec la froideur de la roche.
Dans l’après-midi, finalement revêtu de neuf et décemment, je me suis rendu en métro jusque chez Odile, histoire de savoir si tout allait bien pour mon irascible voisinage et son volatile. La dame irradiait, littéralement!
Quel homme charmant que ce monsieur Senneville!
J’en suis resté pantois.
Et Monseigneur roucoule après Aube de Jaspe!
Entremetteuse aviaire, en plus!
Une sérénade enchanteresse!
Son rire s’est éteint brusquement.
Désolé de jouer à l’éteignoir…
Claire?
Tout va bien sous cet aspect… Ange m’a dit qu’il était venu te voir…
En effet… Il semblait sens dessus dessous… Lorsqu’il a aperçu ton aimable voisin de palier, sa figure d’ange a pris une teinte d’incarnat. Il lui a immédiatement présenté des excuses pour sa grossièreté passée. L’autre, un peu gêné, a tout de même ri de bon coeur et a glissé : « Ceci m’apprendra à faire preuve de davantage de discrétion! »… Qu’est-ce que cela veut dire, au juste?
Poutine maison, laisse tomber.
Tout en devisant, Odile avait gréé la cafetière. Elle m’a servi une grande tasse de café bonifié de crème épaisse et de cassonade blonde.
Tu m’apparais bien pâlot… Peut-être un…
Je n’ai pas faim, maman. Je t’en prie, reprends ton récit.
Ange ne semblait pas dans son assiette, donc je lui en ai préparé une, ainsi qu’une autre pour mon impromptu invité par l’odeur alléchée.
Du rôti de boeuf.
Comment as-tu deviné?
Je l’ai regardée d’un air mi-figue mi-raisin.
Je t’en ai servi trop souvent, n’est-ce pas?
J’ai omis de répondre.
… Victor, enfin monsieur Senneville aime bien savoir d’emblée à qui il a affaire et il n’a pas son pareil pour connaitre, mine de rien, le pedigree des gens en un rien de temps… Une façon de poser des paramètres à un environnement, lequel devient plus rassurant, j’imagine… Mais enfin, Léonidas, cesse de trépigner! Laisse-moi conter à ma façon! Après tout, il n’y a pas le feu! Oh!
Magnanime, j’ai fait amende honorable et effacé l’allusion maladroite en l’embrassant. J’ai pris une attitude résolument zen. Elle a repris, finalement.
Son père est un homme éminemment respecté dans sa communauté, où il agit à titre de conseiller spirituel. Catholique, probablement, puisqu’il a parlé de l’Église avec une majuscule… Pour son fils, il semble tenir le rang de Dieu… Quant à sa mère, elle est morte voilà sept années dans de grandes souffrances… Réflexion faite, je crois qu’Ange a raison : si plus de personnes donnaient, après leur décès, leur corps à la science, davantage de progrès dans le traitement des maladies incurables seraient accomplis et plus rapidement… Léonidas? … Mais que se passe-t-il? Tu es devenu crayeux!
Incapable de rassurer ma mère, je suis sorti de la maison avec toute la célérité dont je me suis trouvé capable. Les explications viendraient mais plus tard.
J’ai déambulé longtemps, tentant de faire le point mais mon esprit s’y refusait obstinément.
À cette heure tardive, je croyais déserte la section des Affaires spéciales. Indubitablement, je me trompais. Attiré par des bruits suspects, j’ai ouvert la porte, non verrouillée, menant au bureau de Rudy. « Oh, shocking ! », s’exclamerait une vieille dame britannique en levant fugitivement les yeux : ils se trouvaient au coeur de l’action, en quelque sorte.
Jupe remontée jusqu’à la taille, chemisier déboutonné et soutien-gorge près du cou, Diane était couchée sur le pupitre et ses jambes cernaient la tête de Rudy. Celui-là, pantalon et caleçon descendus jusqu’aux chevilles, pilonnait vigoureusement sa supérieure en hiérarchie. Et celle-ci jouissait de la situation, à l’évidence. Ils ont perçu l’intrus mais n’en ont eu cure. Plus tard, j’ai refermé le rideau sur le couple d’amants à l’orée de l’extase. J’ai dû patienter une bonne demi-heure avant qu’ils ne se décident à sortir du nid.
Très à l’aise, les tourtereaux. Encore essoufflés mais revêtus avec décence.
Rudy, j’ai besoin de te parler… non, de vous narrer à tous les deux. Ce que j’ai à raconter peut prendre longtemps mais ne peut être différé puisqu’au moins une vie, et probablement plusieurs, risquent d’être perdues. Ce que j’ai à vous dire concerne à la fois ma vie privée et l’affaire Thanatos.
Alors, allons chez moi : c’est tout près et du vrai café nous aidera à passer la nuit.
Rudy a téléphoné et a annoncé à son interlocutrice, Marianne, probablement sa femme, que le service le requérait.
L’affaire Thanatos, ter
Récit de Léonidas Saint-Ignace
(enregistré sur cassette)
La genèse commence le neuf juillet de cette année, le soir… Cette date devait conclure la fin de mon inutile existence terrestre… Un Ange a fait échouer ma destinée volontaire en me retirant des eaux fluviales. Il a bien aimé que je le prénomme ainsi…
Irrésistiblement, nous avons accompli l’oeuvre de chair… Ni l’un ni l’autre n’avaient connu l’Amour auparavant et l’évidence s’est rapidement imposée… Au fil des moments que nous avons passés ensemble, je me suis rendu compte que l’Ange s’avérait une créature bien mystérieuse… Je tracerai demain un portrait-robot de son apparence physique…
Ange est âgé de dix-sept ans, environ… Selon ses dires, il n’a jamais fréquenté l’école, ni publique ni privée, ni tout autre établissement d’instruction supérieure. Sa mère, ensuite après sa mort, son père ainsi que des précepteurs ont guidé son éducation… Pourtant, sa culture éclectique s’avère étonnante et ses sujets d’intérêt démontrent une intelligence bien au-dessus de la moyenne des ours… À l’opposé, sa maturité peut être qualifiée de juvénile encore, lui qui, candide, se sent tenu d’expliquer l’inexplicable… Comprendre rassure, d’une certaine façon… Ange est un être qui a faim. Omnivore de chair, dans tous les sens du terme, de savoir et d’amour… D’une extrême sensibilité psychique, il capte les émotions intenses. Lorsqu’il est exposé à des situations chargées d’émotivité, il sait faire preuve d’une grande empathie… Très rarement, il devient cynique…
Au long de notre liaison, d’étranges lacunes me sont apparues. Ses rapports avec l’argent, notamment : il ne dispose d’aucun numéraire. Dans ses poches, il traine une carte de transport autobus-métro, rien d’autre. Il porte des vêtements rapiécés mais de bonnes qualités d’origine, toujours les mêmes, bien que propres du matin ou du jour d’avant, quand il passait trop rarement à mon gout une nuit chez moi. Durant la journée, il reste de longues heures à la bibliothèque, pour parfaire ses connaissances, couvrant des pages et des pages de notes à l’écriture fébrile. Durant ces moments, il est d’une austérité contrastante avec son exubérance habituelle lorsque nous nous trouvons ensemble. Par ailleurs, il semble contraint à assumer des obligations de nature inconnue et ne peut que rarement s’en libérer…
Pour que nous puissions faire vie commune, je lui ai suggéré d’ester une requête en émancipation. Il a refusé : son père n’obéissait qu’à sa propre Loi, laquelle se confondait avec celle de Dieu. Le sujet a été clos sans appel. Plus surprenant encore, j’ai découvert qu’il ne possédait pas de carte d’assurance-maladie, ignorant même à quoi cela pouvait bien servir. Voulant corriger cette lacune, Ange s’est aperçu qu’il ne possède aucune existence légale : pour l’état civil, il n’est jamais né et n’a jamais existé…
Dès le commencement, nous avons vécu notre relation au grand jour, bien que j’en aie été gêné, du moins au début. Mais c’est tellement naturel de se démontrer notre affection lorsqu’on est amoureux! Au fond, qu’importe la réaction que cela suscite!
Le détective privé ou autre sbire employé pour suivre les allées et venues devenues suspectes de l’Ange, n’a pas eu besoin d’espionner jusque dans notre lit pour découvrir la véritable nature du lien qui nous unissait. Son compte-rendu au paternel a produit son effet : j’ai eu les deux jambes cassées, par d’autres anges peut-être. Ange a tenté de nous rassurer : jamais son père, un homme droit et juste, ne serait capable d’accomplir une telle bassesse…
Premier message, annonciateur, enregistré dans ma boite vocale mais lu plus tard : « L’Ange devait rester pur. Pour expier ce crime, vous souffrirez dans vos oeuvres vives! » Le résultat s’est fait sentir un peu plus bas, heureusement. « Vous avez perverti le corps et l’âme de l’Ange. Dieu vous punira de ses foudres! », a été reçu dans les cinq minutes précédant l’explosion d’une bombe placée près de ma porte d’entrée. Quelques semaines auparavant et sans que je le sache avant ce matin, Ange avait fui le domicile familial, sis quelque part à Montréal, et vivait dans la rue…
Une dernière menace m’est parvenue par le même biais : « La troisième fois sera la bonne. Pour avoir dévié la destinée de l’Ange, Dieu a ordonné le châtiment suprême : la castration de la vie. » Je n’ai pu m’empêcher d’effacer le contenu de l’enregistreur… J’ignore pourquoi je l’ai fait. Pour nier ou, plus vraisemblablement, le protéger, sans doute…
Voici la lettre qu’il m’a écrit et que j’ai trouvée ce matin sur l’oreiller… La lecture de mon journal intime lui apprendra la vérité. Ange est en danger. Certes, aux yeux de son père, je suis l’instrument de sa déchéance mais pire, Ange est devenu une créature impure… Et il s’est sacrifié, croyant ainsi me protéger! …
Je vous vois attentifs, touchés et pleins de compassion, bien que perplexes. Et vous êtes épuisés. Quelques minutes encore et vous comprendrez ce que ma longue histoire implique… Au cours d’une conversation entre ma mère, un voisin et Ange, celui-ci a dit, à propos de la mort de la sienne : « Si plus de personnes donnaient après leur décès leur corps à la science, davantage de progrès dans le traitement des maladies incurables seraient accomplis et plus rapidement »… Le père d’Ange semble être un homme éminemment respecté dans sa communauté, où il exerce une fonction de conseiller spirituel…
La machine policière, jusqu’alors virtuellement arrêtée faute de carburant signifiant, s’est remise en branle-bas de combat. Tout le monde, comme des poulets et poules à la tête coupée, s’est mis à courir éperdument dans la basse-cour. Dérisoire.
Aux Affaires criminelles, Gilbert, nouvellement adjoint à Mercier, plus expérimenté à ce que j’ai entendu dire, a été pressé d’accélérer le processus d’enquête. Les résultats se font attendre, toutefois, malgré les nombreuses heures supplémentaires défrayées.
Les messages téléphoniques ont été récupérés du néant et méticuleusement analysés. À l’aide de ceux-ci, ainsi que de ma perception de l’être angélique racontée ad nauseam et dans les moindres détails (sauf sexuels, bien entendu), un psychologue criminaliste a tracé un profil psychologique peu rassurant du père d’Ange. Grosso modo, cela donnait : un juge du Bien et du Mal, capable de tuer au nom de ce qu’il croyait être la Justice; les arguments de la raison n’ont guère prise sur un fanatique; un homme sévère, rigoriste, dominateur ayant besoin de se trouver toujours en situation d’autorité absolue; un dérapage pourrait le faire basculer dans la violence vengeresse, et caetera. Inutile de devenir grand clerc et d’y consacrer deux jours de travail pour découvrir cela! Enfin…
Avec un technicien de l’identité judiciaire, Rodin le bien nommé, j’ai composé le portrait-robot de mon Ange. Aucun logiciel ne saurait rendre parfaitement l’aura d’un être. Il aurait fallu l’artiste sorti de l’imagination d’Oscar Wilde, qui a immortalisé Dorian Gray avec les yeux du coeur, et encore, ce n’en aurait été qu’une pâle copie. Un avis de recherche a été émis. Avec d’autres policiers mandés à la rescousse, j’ai placardé des affiches dans les endroits publics, particulièrement sur les lieux concernés par les crimes présumés.
Rudy s’est acharné auprès des proches des victimes, lesquels se sont montrés de plus en plus exaspérés. La patience et la ténacité de mon collègue. Et tout cela pour faire chou blanc.
Diane s’est trouvée astucieuse en me faisant porter, le jour comme la nuit, un minuscule gadget dissimulé dans mon oreille gauche et qui provoquait de constantes démangeaisons.
Si je me nommais James Bond, au moins!
Mon exaspération pourtant visible l’a laissée de glace.
Un moindre inconfort : ce pisteur permettra de suivre tes allées et venues, donc de te localiser avec une précision raisonnable en cas de pépin.
Diane m’horripile. Au moins, elle n’a pas fait allusion à mon handicap.
Un gilet pare-balles avec ça?
Bien entendu ainsi que le port de ton arme, même en dehors des heures de service. Ceci constitue un ordre, sergent-détective Saint-Ignace.
Je me suis levé au garde-à-vous.
Elle a jouté, mine de rien.
La résidence de Claire Léger a également été mise sous surveillance.
Je m’en étais rendu compte… Merci.
… Pardonnez-moi, je ne voulais pas vous offenser.
En voyant mon air abasourdi, elle a ajouté, visiblement gênée.
Je ne me trouve pas très douée pour les relations humaines…
Disons que cela s’améliore.
Nous avons ri brièvement.
Je ressens votre tension, votre épuisement : prenez un jour de repos, je vous en prie… Euh… Ceci constitue un ordre, sergent-détective Saint-Ignace.
Elle avait raison. J’ai accepté.
Après deux très longues semaines à ce régime indigeste, la chèvre de monsieur Séguin en avait ras le bol et par dessus la tête. Malgré l’heure tardive, Claire n’était pas encore rentrée. J’avais grandement hésité à accepter son aimable hospitalité « en tout bien tout honneur ». Elle s’était méprise.
Ta sécurité me préoccupe.
Ne fais-tu donc pas confiance à la police? Et puis tu es ciblé mais pas moi!
Et ainsi de suite. Les arguments de la raison n’ont guère de prise sur mon amie surtout quand elle ne veut rien entendre.
Malgré l’heure tardive, Claire n’était pas encore rentrée. J’ai téléphoné à son travail. Pas de réponse. Bien qu’extrêmement inquiet, le coeur serré mais subitement trop las, j’ai aligné le lit dans ma ligne de mire. J’ai déposé l’instrument de mort subite dans le tiroir de la table de chevet. Vêtements et accessoires ont trouvé gite sur le plancher.
J’ai rêvé d’Ange, de ses lèvres chaudes posées sur les miennes, de sa langue creusant ma bouche. Je me suis abandonné à ses caresses oniriques de plus en plus précises. Il… non, elle, m’a chevauché. Le soulagement s’est mêlé au plaisir. J’ai eu conscience de me rendormir. J’ai flotté sur un nuage. Ange s’y trouvait et j’ai pu le contempler tout mon soul. Les gémissements de Claire, les miens. Je l’ai renversée sous moi pour approfondir notre oaristys. Claire se donnait comme Ange, totalement. Ange et Claire.
Elle m’a sorti des brumes.
Tu m’écrases!
Je suis retombé sur le côté. Claire s’est blottie.
Demain, je jeûne!
Je t’aime tel que tu es.
Même handicapé?
Ce mot ne figure pas dans mon dictionnaire… Mon coeur est bien assez vaste pour vous englober tous les deux…
… Réflexion faite, je vais t’accuser d’agression sexuelle pas plus tard que ce matin.
Tiens, tiens, fantasme de viol… Confie-toi à moi.
Et elle se prend pour docteur Freud!
Tu bandais tellement ferme : un supplice de Tantale! … As-tu faim?
À dévorer ma proie, y compris les issues!
Arrête!
Peu après, alanguie, elle a murmuré.
On est quitte pour le viol… On partage un sandwich?
Nous avons mangé, fait toilette et nous nous sommes rendormis paisiblement.
Le rai a chatouillé mon nombril, puis est descendu un peu plus bas. Pas du bon côté pour le soleil pourtant. Tenant Claire, j’ai roulé sur le sol. La balle a fait un trou bien net à l’endroit où se trouvaient mes oeuvres vives une fraction de seconde auparavant.
J’ai ordonné à Claire de se coucher en chien de fusil sous la tête du lit : un endroit protégé par rapport à la fenêtre. J’ai attrapé le téléphone, puis j’ai rampé de l’autre côté. J’ai risqué un oeil. Mon cuir chevelu a été effleuré par le projectile. Accroupi, j’ai composé le numéro personnel de Diane.
Un tireur embusqué sur le toit de l’immeuble d’en face.
Reste planqué, la cavalerie arrive!
Je rageais. Si j’avais eu pleine disposition de mes jambes!
Adossés le long du mur, Claire et moi avons dû patienter longtemps. Nous nous étions dit bien des choses. Avec réticence, elle avait accepté d’aller séjourner à l’hôtel pour quelque temps et de se faire remplacer à l’école. Elle trouvait que jouer à l’agneau ne servait qu’à réduire mon espérance de vie de manière draconienne et sans faire progresser l’enquête de quelque façon que ce soit. Je n’étais pas loin de penser ainsi.
Entourée d’une escorte de protection rapprochée, Claire est partie. J’ai fait du café. J’en ai offert à Diane qui se pointait, justement.
Volontiers.
J’ai mis deux bonnes heures à convaincre ma supérieure hiérarchique de me laisser les coudées franches.
Et pour communiquer?
J’appellerai Rudy aux douze heures. Nous échangerons les nouvelles. Un défaut de contact indiquera un problème majeur. Vous rappliquerez mais en catimini.
Vagabondages
Trois journées passées sur le macadam et à dormir à la belle étoile m’ont été nécessaires pour ressembler extérieurement à un itinérant certifié. Et autant pour en ressentir les effets. Je me suis saoulé pour ne plus voir les regards de tout un chacun. Pitié, haine et peur pour les uns. Folie, désespérance et vacuité pour les autres. Quelle ânerie que cette décision!
J’ai trouvé quelques traces d’Ange en interrogeant mine de rien le personnel oeuvrant dans les abris pour sans-abri. « Oui, je me souviens, un jeune, pas drogué et propre bien que dans la dèche. En fugue, probablement. On lui a offert un emploi tellement il démontrait de gentillesse patiente et apaisante, même avec les cas lourds, de ceux refusés partout. » « Je l’aurais adopté mais c’était l’eau vive. Je ne l’ai plus revu. » « Il ne parlait pas beaucoup mais agissait avec une empathie incroyable. Quand il y a eu une bagarre, il a réussi à calmer les ardeurs des belligérants en les prenant tour à tour avec lui dans une autre pièce. Une colombe, tellement triste pourtant. Il n’est pas revenu. »
Lors d’un contrôle biquotidien, Rudy m’a fourni quelques adresses de communautés religieuses ayant pignon sur rue. J’ai rôdé aux alentours, puis j’ai fait appel à la compassion des prêtres ou ministres du Culte afin d’examiner les lieux. Rien à signaler, hormis qu’ils n’étaient pas très portés sur la charité chrétienne. Maintes fois, j’ai été expulsé manu militari.
L’enquête avançait à pas de tortue handicapée courant dans une brume dense et opaque. L’examen des relevés des comptes bancaires des victimes avait permis de découvrir, pour chacune d’entre elles et une autre anomalie statistique, plusieurs retraits sporadiques importants, c’est-à-dire de plus de cinq cents dollars en espèces. Un pari que ce numéraire ne demeurait pas très longtemps à l’intérieur de leurs goussets. Désormais, nous décomptions trente-six trépas bizarres.
Au moment où je m’apprêtais à renoncer à mon errance sans objet, une faible lueur est apparue. Rudy m’a fait entendre l’enregistrement : « Mais j’ai déjà vu ce garçon! Il reste dans le quartier, je crois. Plusieurs fois, il a aidé maman à porter des paquets. » Un peu plus loin : « Ma mère se montrait parfois bien mystérieuse concernant ses allées et venues… Ce n’est pas qu’elle s’absentait souvent, non… Quand elle revenait de cet endroit, elle se sentait apaisée. J’ai pensé qu’elle se rendait à l’église, mais elle n’avait aucune raison de cacher cela… Pour en avoir le coeur net, j’ai interrogé le curé… J’ai eu droit à un de ces sermons sur les vieilles gens influençables quittant, elles aussi, le giron de la déjà moribonde communauté chrétienne pour confier leurs précieux deniers à des marchands du temple sans scrupules, et caetera… »
Arrondissement où vivaient des gens de la classe très moyenne. Généreux, les gens de la basse. J’ai pu me payer un repas digne de ce nom dans une brasserie où il faisait assez sombre pour qu’on ne remarque pas mes haillons. Évidemment, je ne fleurais pas la rose mais de loin cela pouvait passer. La bière pression est descendue comme un nectar dans mon gosier asséché par un avant-midi de quête. J’ai pris du rôti de boeuf ainsi qu’une part de gâteau des anges.
Les deux îlets pointés par Rudy comportaient une centaine d’habitations mais aucun immeuble à logements. Toujours cela de gagné. J’ai planifié six jours d’observation à raison de dix demeures par pâté, ceci à des heures différentes de la journée et de la nuit. J’allais parfois roupiller quelques heures à l’ombre d’un mur de béton. À mon grand dam, j’étais devenu pouilleux. J’avais rongé mes ongles jusqu’au sang pour éviter d’entailler le cuir chevelu en me grattant.
À l’aube du septième jour, j’ai aperçu Ange. Mon coeur a bondi jusque dans mon cerveau. J’ai étreint un arbre pour éviter de me précipiter vers lui et pour qu’il ne me voie pas. Il se trouvait dans un jardin orné d’une profusion de fleurs, toutes immaculées. Il s’est allongé dans la rocaille, se baignant de rosée aurorale et fixant l’azur. Aux tremblements de son corps, j’ai deviné qu’il pleurait. Il s’était émacié. Une porte a claqué non loin. Il est rentré précipitamment dans la maison.
Je me suis éloigné en titubant en tentant de reprendre mes esprits. Je me suis rendu au parc voisin, heureusement désert. Dissimulé derrière un buisson, j’ai pu satisfaire mes besoins naturels. Étendu sur un banc, je me suis endormi.
Ange s’est précipité dans mes bras, humant mon odeur fétide et grimaçant un « Beurk! » dégouté. Brusquement, nous nous sommes retrouvés au bord de l’eau. Jamais je n’avais vu un paysage d’une telle beauté pure, qui ne pouvait qu’être onirique. L’étendue lacustre circulaire reposait dans un écrin d’une densité verdoyante et qu’il reflétait en fine mosaïque faisant couronne autour des cieux. Des nénuphars ornaient magnifiquement ses abords. Les eaux pétillaient des mouvements de petits insectes qui effleuraient les flots tels des patineurs sur une surface glacée. Des volutes de vapeur s’étiraient paresseusement. Nous nous sommes dévêtus sur la plage de sable fin. Accompagnés par le chant étrange d’un oiseau répercuté par l’écho, nous tenant par la main, nous sommes entrés dans l’eau…
Des hurlements m’ont réveillé. Je me suis assis, hagard. La bande de gamins, effrayée par l’épouvantail, s’est éclipsée. Je n’avais pas dormi longtemps mais à la position du soleil, j’avais largement raté mon rendez-vous téléphonique. À la première cabine rencontrée sur mon passage, j’ai appelé. Après cinq minutes passées à m’engueuler pour mon retard, Rudy s’est calmé.
Désolé… J’étais inquiet… Ça va?
… Rien à signaler… Je continue mes observations.
… Cela ne semble pas aller vraiment… Je pourrais te relever.
Disons que tu n’affiches pas précisément la tête de l’emploi. Merci quand même… Je vais finir le tour des lieux, puis, si je ne trouve rien de révélateur, je rentrerai au bercail, probablement dans quelques jours… À ce soir.
J’ai raccroché avant qu’il n’ajoute quoique ce soit.
L’appel de neuf heures a ressemblé à peu de choses près au premier, sauf pour l’ordre péremptoire de Diane, laquelle prétextait de nouvelles informations pour me dorer la pilule de l’échec. Elle m’horripile.
Irrésistiblement, je suis retourné au jardin édénique. Un point d’interrogation formé de questions avait remplacé mon cerveau et obnubilait ma faculté de jugement. Je voulais voir et savoir. Subrepticement, je me suis rapproché de l’unique fenêtre éclairée. Apparemment seul, profondément absorbé, Ange lisait un imposant volume de facture ancienne.
J’ai repris conscience, plusieurs heures plus tard sans doute. Aucun moyen de le savoir. La douleur vrillait dans ma tête. J’ai voulu l’enserrer. Mes mains se trouvaient liées. J’ai tenté de bouger. Mon corps était si étroitement sanglé sur ce qui semblait une chaise, massive, que le moindre mouvement m’était défendu. Et j’étais environné d’obscurité dans un espace sans dimension aucune. J’aurais pu crier mais je ne l’ai pas fait. De peur d’envenimer la situation.
Satané flic à la gomme! N’importe quel zig dans le pire navet de série B ne serait jamais tombé dans un tel traquenard! C’était tellement évident que je tenterais de retrouver Ange par tous les moyens. Et un mendiant café crème rôdant aux alentours avait probablement attisé la suspicion de l’homme. Et la cavalerie qui allait probablement rappliquer dans moins de douze heures! Je n’ai pas voulu penser aux effets pervers que pourrait susciter un débarquement intempestif. Ce qui comptait vraiment, c’était que je me trouvais dans l’incapacité d’aider Ange en quoi que ce soit. Et j’avais l’impression que ma capture allait précipiter une série d’événements certainement graves. En ce qui me concernait et dans le meilleur scénario, j’avais obtenu un sursis. Mais les chances pour que le pendule s’arrête dans un avenir très rapproché se trouvaient excellentes.
S’il existe réellement un Paradis ou un Enfer, je souhaite qu’ils soient comme ce lieu édénique de mon rêve d’Ange. Jadis, j’ai imaginé qu’en mourant j’atteindrais l’ataraxie. Foutaise : personne ne sait vraiment ce qu’il advient, ni même si l’Après implique un quelconque degré de conscience. Ignorer le motif pour lequel on existe, ne pas savoir pourquoi on meurt. Entre les deux, essayer de se dépatouiller comme on peut et sans rime ni raison. Mais s’il est une chose qui rend l’homme littéralement fou : avoir des poux et ne pas pouvoir se gratter!
Le Tribunal du Père (L’office et l’ordre)
Une lumière vive a frappé mes prunelles, m’aveuglant. À travers le judas de faible dimension, j’ai vu une pièce assez vaste, apparemment vide d’âmes. Seule une grande table d’acajou placée devant un fauteuil massif meublaient les lieux. Devant moi, les flammes de l’âtre révélaient une collection d’armes anciennes accrochées au mur. Une atmosphère austère, glauque, d’une froideur à glacer le sang.
L’endroit où je me trouvais enfermé paraissait aussi exigu qu’un confessionnal. Ce qui m’entravait si étroitement semblait être un filet de pêche, peut être plusieurs. Quelqu’un est entré à nouveau. J’ai reporté mon attention sur la scène extérieure. J’ai aperçu des épaules voutées, une tête à la chevelure poivre. Penché, l’homme enroulait le tapis de Turquie qui ornait le plancher. Il s’est relevé, puis s’est retourné, fixant l’oriel, imperturbable.
Le père d’Ange. Je crois que je m’attendais à voir une espèce de monstre plutôt qu’un être dans la force de l’âge, de stature moyenne, assez mince, revêtu d’un complet cravate anthracite impeccablement coupé. Les cheveux courts encadraient un beau visage carré aux lèvres minces surmontées d’un nez aux arêtes fines. Un type de figure qui inspirait confiance, du moins jusqu’à ce que je rencontre son regard. Une boule s’est formée dans ma gorge. Et j’ai commencé à avoir vraiment peur.
L’homme s’est assis. Mains jointes, il a fermé les paupières. Il semblait prier. Le claquement d’une porte l’a sorti de son recueillement.
Tu ne peux pénétrer en ce lieu que dévêtu comme au jour de ta naissance.
La voix d’une sécheresse inconcevable a figé Ange sur le seuil. Docilement, il s’est plié au rituel.
Agenouille-toi, Malik. C’est ainsi nu et vulnérable, que tu dois te présenter devant le Tribunal de Dieu.
Ange a obtempéré. Il n’avait plus que la peau et les os. Ses côtes saillaient.
J’ai demandé à être entendu de toi, Père, tout simplement. Suis-je encore ton fils?
Tes péchés sont si graves que, moi seul, je ne peux t’accorder rémission ou te condamner au châtiment. Seule l’aide de Dieu me permettra d’être juste.
… N’ayant d’autre choix que d’accepter pour que tu m’écoutes ta mascarade de procès, ceci suivant le jeûne strict et les lectures édifiantes imposées, soit…
Ange n’a pas continué, manifestement désarçonné.
Et qu’as-tu appris de la Prima Pars de la Somme de Théologie de Saint-Thomas d’Aquin au sujet des anges?
Résumé des écrits de Saint-Thomas d’Aquin concernant les anges et tel que rapporté par Ange
La nature des anges (question 50)
« La perfection de l’univers exige donc qu’il existe des créatures intellectuelles. Et l’acte d’intellection ne pouvant être l’acte d’un corps ni d’une vertu corporelle, car tout corps est déterminé dans le temps et dans l’espace, nous devons nécessairement affirmer que la perfection de l’univers requiert l’existence de créatures incorporelles. » (article 1)
« S’il n’y a pas, dans l’ange, composition de matière et de forme, il y a cependant composition d’acte et de puissance. Il suffit pour s’en rendre compte de considérer les choses matérielles où se trouvent les deux compositions. La première est celle de la forme et de la matière qui constituent une nature. Mais une nature, ainsi composée, n’est pas son être; l’être est son acte. Par conséquent, même là où il n’y a pas de matière, où la forme subsiste indépendamment d’une matière, la forme est encore vis-à-vis de son être en rapport de puissance à acte. Et c’est une telle composition que l’on doit admettre pour les anges. » (article 2)
« C’est donc en raison de son immatérialité que l’ange est incorruptible par nature. » (article 5)
Les rapports des anges avec les réalités corporelles (question 51)
« Les anges n’ont pas de corps qui leur soient naturellement unis. » (article 1)
« Donc, puisque les anges ne sont pas des corps, et n’ont pas de corps qui leur soient unis naturellement, il leur arrive d’assumer des corps. » (article 2)
« Les anges peuvent donc, par les corps qu’ils assument, exercer les activités des êtres vivants en ce qu’elles ont de commun avec les activités des non vivants, mais non dans ce qu’elles ont de propre. » (article 3)
La puissance cognitive des anges (question 54)
« Or, les anges n’ont pas de corps qui leur soient naturellement unis, nous l’avons démontré plus haut. Il n’y a donc, parmi les facultés de l’âme, que l’intelligence et la volonté qui puissent leur convenir. » (article 5)
L’amour ou dilection chez les anges (question 60)
« Or, la nature est première par rapport à l’intelligence, puisque la nature d’une chose, c’est son essence. Ce qui appartient à la nature doit donc toujours demeurer, même chez les êtres intelligents. D’autre part, toutes les natures ont en commun de posséder une certaine inclination qui n’est autre que l’appétit naturel ou amour. » … « Puisque l’ange est de nature intellectuelle, il y aura donc nécessairement dans sa volonté une dilection naturelle. » (article 1)
Le mal des anges quant à la faute (question 63)
« L’ange, aussi bien qu’une créature rationnelle quelconque, si on le considère dans sa seule nature, peut pécher; et, s’il arrive qu’une créature ne puisse pécher, cela lui vient du don de la grâce et non de la condition de sa nature. La raison en est que le péché n’est pas autre chose qu’une déviation par rapport à la rectitude de l’acte qu’on doit accomplir; et cela est vrai aussi bien dans l’ordre des réalités naturelles que dans celui des activités artisanales ou morales. » … « L’ange n’est pas en puissance à l’égard de son être naturel. Mais il y a de la puissance en lui sous le rapport de la partie intellectuelle, en ce sens qu’il peut se tourner vers tel ou tel objet. Et de là vient qu’il peut y avoir du mal en lui. » … « Les corps célestes n’ont qu’une activité naturelle. Et de même que dans leur nature ils ne connaissent pas le mal de la corruption, de même dans leur activité ils ignorent le mal du désordre. Chez les anges, au contraire, au-dessus de leur activité naturelle, il y a l’activité du libre arbitre, et c’est là que le mal peut se trouver. » (article 1)
« En définitive, il apparait clairement que seuls l’orgueil et l’envie sont des péchés purement spirituels et peuvent exister chez les démons. Encore est-il que l’envie ne doit pas être considérée comme une passion sensible, mais comme une volonté qui refuse le bien d’autrui. » … « Dans l’envie et l’orgueil, tels que nous les plaçons chez les démons, sont inclus tous les péchés qui en dérivent. » (article 2)
Le châtiment des démons (question 64)
« Pour découvrir la cause d’une telle obstination, il faut considérer que la puissance appétitive, chez la créature, est, par rapport à la puissance appréhensive qui la meut, comme le mobile par rapport au moteur. L’appétit sensitif a pour objet un bien particulier; la volonté, le bien universel; et de même les sens ont pour objet le particulier, l’intelligence, l’universel. Or, l’appréhension de l’ange diffère de celle de l’homme en ce que l’ange appréhende immuablement l’objet par son intelligence à la manière dont nous saisissons immuablement les premiers principes dont nous avons l’intuition. Par la raison au contraire, l’homme appréhende la vérité d’une manière progressive et mobile en passant d’une proposition à une autre, gardant la voie ouverte vers l’une ou l’autre des conclusions opposées. C’est pourquoi la volonté humaine, elle aussi, adhère à son objet avec une certaine mobilité et inconstance, pouvant s’en détourner pour adhérer à l’objet contraire. En revanche, la volonté de l’ange adhère à son objet d’une façon fixe et immuable. » … « La miséricorde de Dieu délivre de leur péché ceux qui se repentent. Mais ceux qui ne sont pas capables de se repentir, parce qu’ils adhèrent immuablement au mal, ne peuvent bénéficier de la miséricorde divine. » (article 2)
« Les anges, du fait de leur nature, tiennent le milieu entre Dieu et les hommes. Or, le plan de la Providence comporte de procurer le bien des êtres inférieurs par le moyen des supérieurs. Pour ce qui est du bien de l’homme, il est procuré d’une double manière par la Providence : soit directement quand l’homme est porté au bien et détourné du mal; et il convient que cela se fasse par le ministère des bons anges; soit indirectement quand l’homme est éprouvé, combattu par l’assaut de l’adversaire. Et cette manière de lui procurer son bien humain, il convient qu’elle soit confiée aux mauvais anges afin qu’après leur péché ils ne perdent pas leur utilité dans l’ordre de la nature. Ainsi donc un double lieu de châtiment est attribué aux démons; l’un en raison de leur faute, c’est l’enfer; l’autre en raison de l’épreuve qu’ils font subir aux hommes, c’est l’air ténébreux. » (article 4)
Hiérarchie et ordres angéliques (question 108)
« Et de même, il y a lieu de distinguer trois hiérarchies chez les anges. Nous avons dit plus haut, à propos de la connaissance angélique, que les anges supérieurs avaient une connaissance de la vérité plus universelle que les anges inférieurs. Or, cette prise de connaissance universelle peut se distinguer selon trois degrés chez les anges. Car les raisons des choses au sujet desquelles les anges sont illuminés peuvent être envisagées de trois manières. Premièrement, en tant qu’elles procèdent du premier principe qui est Dieu; et ce mode de connaissance convient à la première hiérarchie qui est en relation immédiate avec Dieu, et qui se trouve placée, comme le dit Denys : » dans le vestibule de la divinité « . Deuxièmement, on peut considérer les raisons des choses en tant qu’elles dépendent des causes créées universelles, lesquelles sont déjà de quelque façon multiples; et ce mode de connaissance convient à la deuxième hiérarchie. En troisième lieu, enfin, on considère les raisons des choses dans leur application aux réalités individuelles et dans leur dépendance envers leurs causes propres; et ce mode de connaissance convient à la dernière hiérarchie. » (article 1)
« Le mot ordre peut avoir deux sens. Il signifie d’abord l’organisation d’un ensemble, qui comprend sous elle plusieurs degrés; en ce sens la hiérarchie est appelée un ordre. Il peut signifier aussi l’un des degrés de l’organisation; sous ce rapport, on compte plusieurs ordres dans une hiérarchie. » (article 2)
« Mais, si nous connaissions parfaitement les offices des anges, nous saurions beaucoup mieux que chaque ange a son office propre, et donc son ordre particulier dans le monde, mieux que chaque étoile bien que la nature propre de cet office et de cet ordre nous soit cachée. » (article 3)
« D’après cette analogie, nous pouvons saisir comment sont disposés les ordres dans la première hiérarchie. Les Trônes sont élevés jusqu’à recevoir Dieu familièrement en eux-mêmes, c’est-à-dire qu’ils deviennent capables de connaitre immédiatement en lui les raisons des choses, ce qui est propre à toute la première hiérarchie. Mais les Chérubins connaissent de façon suréminente les secrets divins. Quant aux Séraphins, ils l’emportent en quelque chose qui passe tout le reste, l’union à Dieu lui-même. » … « D’autre part, l’idée de gouvernement renferme trois choses. La première, c’est la détermination des oeuvres qu’il faut accomplir, et cela relève en propre des Dominations. La deuxième consiste à donner la faculté nécessaire pour pouvoir agir; cela appartient aux Vertus. La troisième consiste à régler de quelle manière les directives données pourront être accomplies par ceux que cela regarde; c’est l’office des Puissances. » … « Enfin l’exécution des ministères angéliques consiste à annoncer les oeuvres divines. Or, dans l’exécution de toute oeuvre, il y en a qui, pour ainsi dire, la commencent en conduisant les autres : ainsi, dans les choeurs, les préchantres; et, dans le combat, ceux qui conduisent et dirigent les autres : tel est le rôle des Principautés. Il y en a d’autres qui exécutent purement et simplement : cela revient aux Anges. D’autres enfin tiennent le milieu : c’est le fait des Archanges, nous l’avons dit. » (article 6)
J’ai virtuellement sursauté au silence revenu. Le ton récitant d’Ange avait provoqué un effet lénifiant. Le manque de sommeil, aussi. Probablement l’exiguïté de ma prison également. J’ai commencé à manquer d’air. Miraculeusement, j’ai réussi à recouvrer mon calme et à enrayer la crise d’asthme qui s’amorçait et menaçait de tout compromettre.
Le père d’Ange a lancé sèchement.
Je consens à t’entendre et Dieu nous écoute.
… C’est à toi, uniquement, que je m’adresse. À ce père, austère mais jadis capable d’amour, de tendresse, même, et non à celui que tu es devenu depuis que mère a mis fin à ses jours parce que tu lui as refusé, au nom de ta religion, d’abord la permission de suivre un traitement médical à l’issue certes incertaine mais tout de même prometteuse d’une rémission, si brève soit-elle, puis plus tard, le réconfort de la morphine pour soulager les douleurs atroces, insoutenables, qui ont miné sa raison et emporté son âme.
L’homme s’était redressé sur sa chaise. Il s’est rassis et a joint les mains en prière.
Ange a repris, la voix tremblante.
En homme de devoir, tu as veillé à mon éducation et à mon bien-être. Tu as cru justes tes agirs, car ceux-ci se trouvaient conformes à ton ministère. Les idéaux que tu m’as inculqués au fil du temps je les endosse, car ils correspondent à ma nature intrinsèque, je le ressens. Mais la lumière ne tue pas l’ombre et ces éléments coexistent. Autant que tu l’as pu, tu as réfréné tous les besoins autres qu’intellectuels et affectifs, usant généreusement de moyens répressifs, physiques d’abord, pour contrer mes tendances rebelles qui te paraissaient excessives… Mais ce qui a fonctionné le mieux a été l’usage de la suggestion hypnotique… Comme tu as pu le constater, autant par mes souvenirs désormais précis concernant la maladie de maman et ce qui s’est ensuivi, que par mes actes récents, j’ai réussi à me délivrer de ta sujétion, désormais inopérante…
Ange tremblait d’émotions contenues et des perles de sueur formées par la chaleur émanant de l’âtre glissaient sur son corps toujours agenouillé. L’homme avait fermé les yeux. Ses lèvres tremblotaient.
En guidant solidement mon apprentissage, tu m’as permis d’accéder aux connaissances, autant celles du bien que celles du mal, car c’est ainsi que se forme le libre arbitre propre à l’être humain… Contrairement à toi, j’estime que ta mission parentale est achevée et je viens ici te prier de m’accorder l’émancipation me permettant de poursuivre ma vie d’homme adulte.
Je te la refuse… Malik, tu es encore un enfant et…
Non. Alors, écoute-moi jusqu’au bout car je n’ai pas fini.
… Soit.
Ange a pu poursuivre sa plaidoirie.
Je me suis rendu compte récemment que, durant toutes ces années, tu t’es acharné à faire de moi un être incorporel, une créature née de ton imaginaire religieux, un ange.
Mais…
Tais-toi. Pour pouvoir réfléchir par moi-même, il a bien fallu que je fasse le tri entre les gnoses liées à la science, donc prouvées, et celles reliées aux croyances, essentiellement émotives.
Tu ne sais guère, tu ne comprends davantage.
Je le reconnais mais j’apprends. Et cela, tu ne peux me le reprocher.
Nous ne sommes pas ici pour faire mon procès puisque c’est le tien.
Je récuse ton droit à siéger à ce simulacre de tribunal.
Tu blasphèmes!
L’affrontement de deux volontés aussi déterminées l’une que l’autre. Mais Ange a cédé.
Puisque tu veux absolument aborder ce sujet, qui ne te concerne pourtant pas… Contrairement à ce que tu crois, rien ne peut éradiquer les pulsions profondes d’un être. Je n’assume pas un corps, j’en suis également un, même si tu as agi en sorte que je le nie. Et ce sont ces forces innées qui ont déclenché mon besoin irrésistible de contact humain rapproché… Mon inclination naturelle m’a porté vers une personne de genre identique au mien. J’en ignore la raison, ni même s’il en existe une. Nos corps se sont accordés et nous avons accompli des actes actifs et passifs de sodomie. Mais bien plus, nos coeurs ont battu au même rythme et nos âmes se sont unies l’une à l’autre. On appelle cette union l’Amour. Ce sentiment est beau et pur, entièrement exempt de vénalité. L’amour de Léonidas Saint-Ignace me porte sur les cimes du bonheur et me rend humain. Tu m’as donné la vie mais lui m’apprend l’existence. Et je veux batir le monde avec mon homme.
Il a souillé ton corps et a corrompu ton esprit malléable. Il sera castré de sa vie.
… C’est ce qu’annonçaient tes messages téléphoniques et tes menaces m’ont contraint à le quitter afin de préserver son existence… Je ne reconnais pas ce père devenu meurtrier en puissance.
Je ne suis que le bras de Dieu et son mandataire pour exécuter la sentence.
Ange s’est déplacé légèrement. Chaque muscle de son corps tressautait et ses dents s’entrechoquaient. C’est pourtant d’une voix apparemment anodine qu’il a lancé son pavé dans la mare.
Au service de police, on l’appelle l’affaire Thanatos. En lisant les notes de Léo à ce sujet, j’ai compris ton modus operandi. Et comment tu t’es servi de moi. Ces assassinats hanteront ma conscience durant tout le reste de mon existence, puisque je les ai provoqués. De ne pas le savoir à ce moment-là n’absout aucunement la faute.
Tu racontes des insanités! Jamais, je n’ai assassiné quiconque!
Personne n’en découvrira la moindre preuve, mais, moi, je le sais.
Il suffit, Malik!
Entends ce que j’ai encore à dire. Après, tu parleras!
Le père d’Ange est devenu d’une pâleur de cire.
Cela fait environ trois ans que je remplis l’obligation de prosélytisme que tu m’as imposée en apprentissage de la vie, disais-tu. Quelle joie cela a été que d’aider ces gens dans leur quotidien, d’entendre les enseignements que confère la sagesse mais aussi de réconforter ces hommes et ces femmes en détresse puisque beaucoup se trouvaient malades. Je leur parlais de toi, si bon, si juste, si compatissant, comme de celui qui pouvait apaiser les tourments de leur âme et apprivoiser la peur d’une fin prochaine. Quelle fierté ai-je ressentie envers mon père, conseiller spirituel, dispensateur du soulagement dont ces personnes éprouvaient un besoin criant! … Un détail a tarabusté les policiers chargés de l’enquête sur ces décès hors statistiques : toutes les victimes ont fait don de leur corps à la science et l’ont clamé devant leurs proches… Lorsque l’on m’interrogeait sur ma mère, je divulguais les mensonges que tu m’as patiemment inculqués ainsi que les raisonnements personnels partiellement faux qui en découlaient… En médecin du ciel, tu as fait en sorte qu’elles suppriment leur médication ou n’entreprennent aucun traitement médical invasif. Tu es devenu un expert à provoquer des transes hypnotiques. Fort de cette expérience, seulement quelques paroles suggestives ont dû s’avérer nécessaires. Ces gens se sont autodétruits.
Ton esprit est davantage malade que je ne le craignais.
J’en ai dénombré quarante-neuf, seulement en consultant les rubriques nécrologiques de la dernière année. Il y en a probablement plus. Mais voici leurs noms : […]… Je ne crois pas que la seule cupidité ait motivé tes actes comme le pensent les enquêteurs. L’héritage de mère t’ayant procuré amplement de numéraire… Elles se détournaient des voies de Dieu, n’est-ce pas?
Involontairement, je crois, l’autre a opiné.
As-tu fini?
J’ai achevé.
Ankylosé, Ange s’est relevé.
À genoux!
Je refuse.
L’homme a proféré quelques mots dans une langue étrangère. Ange s’est affaissé.
Agenouille-toi, Malik.
Presque une prière. Ange a repris sa position première.
Pauvre enfant égaré. Puisse Dieu dans Sa grande miséricorde avoir pitié de toi. Il a créé le ciel et la terre ainsi que toutes les créatures et Il a donné aux hommes les Tables de la Loi et tout être humain y est subordonné. Quiconque transgresse les Commandements commet un péché mortel, lequel mérite un juste chatiment. Ce sont des faits avérés et non des croyances. Celui qui nie ces Vérités doit obtenir Sa rémission pour ne pas subir Ses tourments… Pauvre fol. Ces gens ont dû mourir avant leur heure parce que tu les as profondément convaincus d’attenter à l’intégrité de leurs corps, empêchant ainsi leur résurrection lors du Jugement dernier. Alors qu’ils se trouvaient sur la voie de Sa sagesse divine, ayant décidé d’affronter leur Créateur en ayant été purifiés. Les âmes de ces morts tortureront éternellement la tienne condamnée aux Géhennes pour ces crimes contre l’humanité. Tel sera ton fardeau… Pauvre ange déchu. Durant tant d’années, je me suis consacré à te guider pas à pas sur le droit chemin, à faire en sorte que tu t’élèves au-dessus de ta condition de pécheur pour devenir un serviteur du Très-Haut. Tu possédais toutes les prédispositions pour dominer cette misérable enveloppe, éphémère, et accomplir ton office et ton ordre. Le Royaume des cieux s’ouvrait à toi dans toute sa splendeur. Les idolâtres de Sodome et Gomorrhe ont péri sous le feu de Sa colère. Seul le prix du sang te permettra d’expier tes fautes à jamais… Allonge-toi.
Ange a obéi. Il ne semblait pas posséder toute sa conscience. Christ! Une transe hypnotique! L’autre a fait une génuflexion. J’ai voulu crier, avertir Ange mais aucun son n’est sorti de ma gorge, si ce n’est un faible « Couic! » À la hauteur du coeur, la dague a dessiné une croix sanglante.
Malik, mon fils. Pauvre innocent.
L’arme est restée suspendue dans les airs. J’ai hurlé de toute la force de mon esprit et de mes poumons. Le couteau s’est enfoncé dans le sol. Le cri d’Ange contenait toute sa haine, tout son amour, tout son désespoir. Vivement, il a saisi un glaive à sa portée et l’a brandi. De toutes ses forces, il a frappé. Des geysers de sang, partout. Le corps décapité s’est effondré, agité de soubresauts. La tête a roulé hors de mon champ de vision. L’air ténébreux.