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Deux étés irlandais

Louise Gauthier

  Dimanche 4 octobre

Lori fait les cent pas et vérifie pour la nième fois ses préparatifs. Thomas et Cíaran assis sur le canapé de la salle à manger-séjour la suivent des yeux. Lori se plante devant eux, les bras en anses.

Vous m’énervez!

Mais on n’a rien dit!

Ni rien fait!

C’est bien ce que je disais!

Thomas l’attrape par la jupe et l’attire vers lui. Elle s’assied sur les genoux de son époux.

Je suis une poule mouillée. J’aurais dû lui en parler bien avant et seule à seule. Je sais que je vais lui porter un coup et cela me répugne.

Lori sanglote encore quand on carillonne.

Madame Benoit, Hélène, une beauté accorte et tout à l’opposée de sa fille, sauf pour la nuance des iris : des cheveux mi-longs, d’un blond cendré, petite de taille et la peau mate. Elles s’étreignent tendrement. Ensuite, la mère examine attentivement le visage d’ambre et fronce les sourcils.

Tu as pleuré. Qu’est-ce qui ne va pas?

… J’ai préparé le thé. Donne-moi ton manteau… Ne t’en fais pas. Je suis très heureuse.

… On n’en dirait rien à te voir!

Je dois te faire part d’une situation… particulière… J’appréhende ta réaction.

Ah… Aussi bien s’asseoir pour jaser.

Lori la prend par le bras jusqu’à l’entrée de la salle à manger.

Maman, je te présente Thomas et Cíaran… mes époux.

Pantoise, Hélène s’immobilise. Thomas se lève pour lui serrer la main qu’elle presse mollement. Cíaran se contente d’un signe de tête.

Je crois que cet « état de fait » nécessite des explications, Lori.

Ladite hoche la tête. Thomas tend ses demi-béquilles à Cíaran et l’aide à se redresser, puis à prendre place sur la chaise au terme d’une marche laborieuse. Lori sert le thé et les canapés. Elle retourne à la cuisine et place la paille ramenée dans la tasse de Cíaran. Le silence perdure jusqu’à ce que Hélène entame.

À ma connaissance, la bigamie est illégale dans ce pays.

Thomas et Cíaran sont mes époux, même si notre union ne peut s’officialiser par une procédure civile ou religieuse. Certes, l’amour nous unit, mais, en plus, nous avons la ferme intention de faire en sorte que nos enfants puissent s’épanouir au sein d’une famille aux assises solides.

Deux-trois, avec…

Nous avons planifié l’arrivée du premier pour l’an prochain.

Des enfants… Deux pères!

Thomas, que je connais depuis longtemps, puisque nous nous fréquentons depuis plusieurs années, sera le géniteur biologique… Ce n’est pas souhaitable que Cíaran coure le risque de concevoir.

Je suis atteint de sclérose en plaques. La recherche fait état d’une possibilité de transmission héréditaire.

Hélène, peu habituée à son élocution particulière, lui demande après s’être excusée, de répéter. Il recommence plus lentement et en articulant le mieux possible.

… Je connais les symptômes de cette maladie inguérissable ainsi que ses effets débilitants.

Le handicap de Cíaran, nous vivons avec et il ne constitue pas un obstacle majeur.

Tout en poursuivant ses explications, Lori aide Cíaran à atteindre le hors-d’oeuvre convoité.

Des relations… triangulaires m’apparaissent fort instables.

Elles sont plus compliquées, c’est tout.

Qu’en disent vos parents?

Ma mère se montre des plus heureuses qu’il y ait… une femme dans ma vie mais accepte, relativement bien maintenant, mon homme.

Les miens ont bien hâte de devenir grands-parents. Nous partageons avec eux la maison. Ils souhaitent vous rencontrer.

Ai-je un autre choix que d’accepter l’un et l’autre?

Personne ne pipe mot.

J’ai besoin de temps pour assimiler… Raccompagne-moi, Lori.

Celle-ci obéit, l’air misérable.

Dehors, Lori lui prend la main.

Maman… Je ne peux pas faire autrement que d’écouter mon coeur : sinon c’est ne plus vivre!

Dire que je te trouvais trop raisonnable! Et tu m’as déjà qualifiée d’irresponsable!

Je ne comprenais pas, alors, le pouvoir de l’amour. Et j’avais tort de te lapider. Ma décision a été murement réfléchie. Si je l’ai prise, c’est que je me sens capable d’en assumer toutes les conséquences et les responsabilités.

Puisses-tu ne pas le regretter amèrement. Une mère souhaite toujours pour son enfant tout le bonheur du monde et rien de ses malheurs.

C’en sera de même pour moi aussi.

Que veux-tu que je te dise?

Que tu m’aimes, même si tu n’approuves pas.

Cela n’a rien à y voir! L’amour maternel est inconditionnel et profondément implanté dans les tripes où nul ne peut l’y extirper! Je t’aime, Lori.

 Lundi 5 octobre

Nuala décroche le combiné et consulte machinalement le réveil féminin : treize heures quinze.

C’est Emmeline.

Ça ne va pas!

Je crois qu’il fait juste semblant de prendre ses médicaments, peut-être depuis au moins quinze jours… Il a omis quelques fois, de tirer la chasse d’eau : j’ai vu des pilules, probablement recrachées.

… Comment agit-il?

Il ne dort pas beaucoup, la nuit : il peint, je pense, à cause de l’odeur. Le jour, aussi. Je n’ai pas le droit d’entrer dans sa chambre… J’ai peur, Nuala. Il y a comme une grosse boule de violence en lui, toute prête d’exploser.

Est-ce qu’il t’a fait mal?

Non, à son bifteck plutôt.

Hein?

Hier soir, il tuait la viande avec un couteau dont il se servait comme d’un poignard… Il a brisé la vaisselle sale et l’a piétinée… Ce matin, cela allait à peu près… Peut-être que tu pourrais le persuader de reprendre ses remèdes…

Es-tu à l’école?

Oui. Madame la directrice m’a permis de téléphoner.

J’irai te chercher à la fin des classes.

Elles font le trajet en silence.

Je voudrais pouvoir te dire que tout va s’arranger.

Des illusions sur la vie, il y a belle lurette que je n’en ai plus.

Et si on ne rêve pas, on ne vit pas, on végète.

… Je vais réfléchir là-dessus.

Emmeline sort du véhicule et attend que Nuala la rejoigne. L’accorte voisine de palier pointe le bout du nez dès qu’elles franchissent le seuil.

Pourrais-tu dire à ton papa de faire moins de bruit, s’il te plait. Ça fait des heures que le raffut dure! Je vais porter plainte à l’OMH [Office Municipal d’Habitation, organisme en charge des logements subventionnés.], si cela continue!

Peu aimable, elle claque la porte. Nuala ouvre la bouche puis la referme. L’entrée n’est pas verrouillée. Dès qu’elles entrent, elles perçoivent « le raffut » : des coups sourds, une voix rude qui crie des sons inintelligibles par intermittence. Nuala stoppe l’élan d’Emmeline.

J’y vais seule. Rappelle-toi les consignes d’urgence.

Emmeline acquiesce, grave, et prend position à côté du téléphone du vestibule. Elle s’assure qu’il est fonctionnel.

Nuala entre résolument dans la pièce où se trouve son ami. Ce qu’elle voit l’atteint au creux du corps et elle statufie. Francis a peint son rêve : un champ de fleurs aux nuances passant du mauve délicat au violet vif. Face au fond de la chambre, il est nu et tous muscles bandés.

Fou ou homme. Homme ou fou. L’homme est-il follet? Le Follet est-il homme?

Il frappe avec violence son front contre le mur, y laissant une trainée sanglante, une autre.

Francis…

Il ne se détourne pas.

La lesbienne incestueuse meurtrière se donne à tout le monde mais dédaigne le pauvre fou, fou d’amour pour elle. Un fou mais pas un homme, plus un homme.

Emmeline, va-t’en! Téléphone de là-bas!

Il se retourne, les yeux hagards et la verge brandie d’un mâle en rut, et s’avance vers Nuala. Instinctivement la jeune femme recule et se réfugie dans un coin. Francis bifurque, hésite sur le seuil, se tourne à demi mais renonce. Nuala, se reprenant, le suit jusque dans la cuisine. L’autre fourrage fébrilement dans le tiroir des ustensiles. Le « NON » de Nuala retentit dans tout l’immeuble au moment où elle s’élance sur Francis, celui-ci tenant d’une main son pénis et de l’autre en tailladant la base. Le couteau vole par dessus les têtes. De toutes ses forces, Nuala appuie sur les épaules de son ami et le fait basculer. Le choc sourd de la tête sur le carrelage précède le silence. Nuala pose son oreille sur la poitrine. Le coeur bat. Elle se sert du chiffon à vaisselle pour comprimer la blessure pénienne, saignant abondamment.

Pendant que les techniciens-ambulanciers prodiguent les premiers soins au blessé toujours évanoui, Nuala raconte d’une voix monocorde, au policier.

Il s’appelle Francis Le Follet. C’est mon ami. Il est schizophrène. En pleine crise. Il n’a pas pris ses médicaments depuis peut-être deux semaines. C’est ce qu’Emmeline, sa fille a découvert hier. Elle s’est réfugiée chez la voisine du dessus. Je dois aller la voir, pour la rassurer. Je ne suis pas blessée, c’est son sang. Il a tenté de se mutiler. En le renversant, je l’ai cogné à la tête. Il n’est pas violent envers les autres, juste envers lui-même. Je l’aime, même s’il est fou. C’est mon homme. Si j’avais compris cela avant…

Francis se met à hurler et à se démener pour se libérer de ses sangles. Nuala se bouche les oreilles et se recroqueville sur elle-même. Le silence revient, sédatif. L’agent reprend l’interrogatoire, en s’excusant.

La mère de Francis fera les démarches en cour pour la procédure d’internement. Je vais l’avertir tantot. C’est la mienne et moi qui sommes toutes deux responsables d’Emmeline. Laissez-moi téléphoner à madame Le Follet, fragile du coeur, elle possède tous les papiers, incluant la carte d’assurance-maladie de son fils puisqu’il perd toujours son portefeuille. Il ne fait pas très attention à ces choses-là…

Emmeline fait irruption dans la pièce et se jette dans les bras de Nuala.

J’ai vu l’ambulance partir… Est-ce qu’il est mort?

Non, ma chérie, juste un peu blessé. Il va nous revenir bientôt.

Emmeline sanglote, Nuala aussi. Elle se reprend suffisamment pour pouvoir expliquer, succinctement et au téléphone, la situation à la mère de Francis. Le policier s’en va. Nuala enjoint Emmeline à réunir des effets pour au moins une semaine. La fillette obéit et se dirige vers sa chambre. Nuala nettoie d’abord le sang sur ses vêtements, puis dans la cuisine, puis dans la pièce du Rêve. Elle évite de regarder autour, se concentrant sur les taches à faire disparaitre.

Viens, Nuala, on rentre… Je veux me réfugier dans mon champ de tournesols.

M’y acceptes-tu aussi, cette nuit?

L’enfant acquiesce, grave.

 

Mercredi 7 octobre

Le professeur téléphone sur la ligne interne.

Venez-vous souper avec nous?

Oui… Thomas… euh… je crois que votre… époux… éprouve du chagrin… Je le vois par la fenêtre : il semble sangloter.

Merci de m’avoir prévenu.

Thomas enfile un chandail en descendant vitesse grand V par les escaliers. Cíaran contemple le jardin, magnifique dans ses atours automnaux parés des dernières vivaces. Ses épaules tressautent.

Olivier?

… Il se porte mieux… Il m’a reconnu aujourd’hui.

Mais alors…

Il m’a congédié, en quelque sorte. C’était son droit.

… J’ai besoin de davantage d’explications pour comprendre.

La paix, Thomas… Je te raconterai plus tard, lorsque ta poitrine accueillera ma tête. Rentrons.

Le repas se déroule de façon conviviale puisque chacun s’efforce de mettre en veilleuse ses préoccupations.

Période noire.

La conclusion de Thomas ne suscite aucune réaction de la part du lave-vaisselle.

Thomas rejoint Cíaran dans son repaire et, après s’être également dévêtu, s’allonge auprès de lui. Ses bras accueillent.

Comme j’étais heureux de le trouver enfin lucide! Et qu’il l’était, de me voir! Nous avons devisé longtemps, de choses et d’autres. À la troisième visite de l’infirmière zélée vraisemblablement trop curieuse, Olivier lui a touché le bras : « Excusez-moi, mademoiselle… Je souhaiterais pouvoir passer les deux prochaines heures en compagnie de… mon jeune amant et dans la plus stricte intimité… Je vous en prie : c’est terriblement important. » Elle a consenti d’un signe de tête, refermant la porte derrière elle. « Il arrive un moment, Cíaran, où l’individu prend véritablement conscience du terme proche de son inéluctable déclin. Le mien, je le sens venir à grands pas. Ne vous trompez pas sur mon apparent regain de vitalité en grande partie en raison de l’absorption de médicaments iatrogènes. Je voudrais que vous conserviez de moi le souvenir d’un petit vieux en pleine possession de tous ses moyens et de toutes ses facultés. C’est pourquoi je vous demande de ne plus revenir. Je souhaite, pour autant que je reste conscient le plus longtemps possible, faire face à la mort dans le recueillement que seule peut permettre ce qui ressemble le plus à la solitude. » Il s’est arrêté un long moment. Il a pressé ma main. « J’aimerais vous faire heureux une dernière fois, Cíaran. » J’ai acquiescé muettement, la gorge nouée. « Donnez-moi un verre d’eau. » Il a avalé le comprimé. « Georges m’a rendu une ultime visite hier… Je lui avais demandé de m’en apporter un… Cíaran, à votre contact  je me suis rendu compte que le genre n’a aucune espèce d’importance. Seul l’amour qui peut unir deux êtres compte… Je vous aime… J’ai envie de vous serrer tout contre moi, de ressentir votre chaleur humaine ». « Je vous aime, Olivier. » Nous nous sommes étendus, nus. Il s’est abandonné à ma tendresse, et moi à la sienne, comme jamais il ne l’avait fait, ni moi non plus. Quand il en a été capable, il m’a pris lentement, avec une grande douceur… Lorsque je l’ai quitté, il dormait, un sourire paisible aux lèvres… J’ai laissé nos coordonnées, au cas où il me réclamerait… Mais je ne crois pas qu’il le fera.

 

Mercredi 14 octobre

Depuis cinq bonnes minutes, le professeur s’est momifié devant le congélateur ouvert.

Si rien ne vous tente, il y a un boeuf qui se pame certainement à la perspective d’être grillé et une récolte de rizière qui peut enfler d’orgueil aqueux en si peu que cinq minutes bien comptées…

Oh! Excusez-moi, je ne vous avais pas aperçu… Bonsoir, Cíaran… D’habitude la maison bourdonne; c’est presque insolite que de vous y trouver seul.

Thomas soupe chez ses parents, Lori avec sa mère et Nuala est partie en vadrouille à la recherche d’âmes errantes et en peine… Et moi, je viens juste d’apprendre le décès d’un vieil ami… Votre compagnie m’aiderait à ne pas m’apitoyer sur mon chagrin.

… Va pour votre proposition gastronomique… J’apprête le riz.

Cíaran sort la viande du réfrigérateur.

J’ai l’impression qu’un seul suffira pour deux. Qu’en pensez-vous?

… En effet!

Pourriez-vous le séparer? Je ne suis pas très habile à manipuler un couteau.

L’invité serviable divise l’énorme aloyau en deux parties équivalentes.

Vous avez le compas dans l’oeil! … Pourriez-vous aussi mesurer le riz et l’eau en quantités égales?

Cíaran s’occupe de la cuisson tandis que l’autre dresse deux couverts.

Rosé?

… Un peu avant.

Pendant qu’il sert l’accompagnement et déniche la sauce de soja, Cíaran assaisonne les biftecks. L’autre les découpe en portions aisées à mastiquer. Attentif, il a également pris soin d’ajouter une cuillère au service de Cíaran. Ils accompagnent le tout d’un verre jus de légumes, dont l’un muni d’une paille.

… C’est tout à fait délicieux, Cíaran.

J’en conviens.

À ce moment précis, leurs regards se rencontrent. Le professeur baisse vivement les paupières et son corps parait se tasser sur lui-même.

Tout au long du repas, le vieil homme conserve cette étrange attitude, silencieuse, à la consternation évidente de son hôte.

Accepteriez-vous un café?

… À mon âge, c’est contre-indiqué.

Un thé, alors?

… Non, merci… Je vais…

Un verre d’eau, donc?

… D’accord…

Cíaran en apporte deux. L’autre termine le sien, aussi rapidement qu’il le peut sans se montrer malpoli.

En quoi vous ai-je offusqué, professeur?

Ne m’appelez pas ainsi. Surtout pas vous! Oh, pardonnez-moi : je m’égare! … Vous ne m’avez offensé d’aucune manière… Cíaran… Excusez-moi, je dois partir.

Comme mû par un ressort, il se lève et se dirige résolument vers la porte d’entrée.

Gérard?

Celui-ci fige, la main sur la poignée.

… Je vous en prie, restez encore un moment.

Je ne peux pas!

Il reste immobile pourtant, entre deux eaux. La phrase lapidaire résonne, impérative.

Dites-le!

… Je vous aime, Cíaran.

Et vous en êtes malheureux.

… Le temps que je ne passe pas à poursuivre une autre chimère, vous le hantez de visions fugaces et de pensées fugitives. Votre proximité m’électrise de la tête aux pieds. Même mon sommeil est troublé par des bribes de rêve et des sensations… oniriques centrées sur vous. Je deviens fou!

Je ne refuse pas votre amour, Gérard.

Vous voulez rire! J’ai presque trois fois votre âge et, du corps, je n’en conserve que les restes.

L’outrage du temps n’altère que la surface de l’être, pas la beauté intrinsèque, et ne nuit en rien à l’accomplissement du désir amoureux.

Que me dites-vous, Cíaran ?

Que j’éprouve une grande tendresse pour vous, Gérard, et que je désire vous l’exprimer de toutes les manières qui soient, mais avec pour seules restrictions mes contraintes physiologiques et la priorité de ma vie familiale.

… Vous m’opposez à l’impensable et à l’indicible…

Mais vous ne me regardez pas.

Gérard se retourne très lentement. Cíaran se rapproche de lui et se saisit de la main tavelée. Il dépose un baiser à l’orée de la paume. Gérard frémit. Cíaran lève les yeux à la rencontre des prunelles bouleversées.

Dans une demi-heure, débarrassé des impuretés de la journée, et en tenue décontractée, j’irai frapper chez vous.

M’accueillerez-vous en même état?

Gérard sort sans répondre.

Cíaran se rase tant bien que mal, puis fait disparaitre les quelques poils follets qui parsèment son thorax. Il se prépare un bain et opte après tergiversations pour le gel moussant « Vie privée ». Thomas surgit alors qu’il termine de se brosser soigneusement les dents.

Hum. Tout frais, tout propre…

Il dépose un baiser sur la nuque.

Apporte-moi ma robe de chambre, la noire soyeuse, s’il te plait. Fais vite : je suis en retard.

« En retard?»

J’ai un rendez-vous… enfin, peut-être.

Dans cette tenue?

Cíaran confirme mais sans expliciter. Thomas apporte le vêtement réclamé et l’aide à l’enfiler.

Il n’existe qu’une seule possibilité : tu t’apprêtes à me tromper allègrement, et sous le toit familial en sus!

Vraiment, on ne peut rien te cacher… Tu serais gentil de ne pas aller travailler avant que je ne sois rentré.

La moindre des choses… Passe une bonne nuit mon amour.

Ils s’embrassent longuement.

 

Appuyé sur une de ses deux demi-béquilles, Cíaran frappe à la porte, laquelle s’ouvre sur-le-champ.

Ce sont les quarante-cinq minutes les plus longues que j’aie jamais vécue!

Désolé de mon retard. Heureusement, Thomas m’a aidé à accélérer un tant soit peu le processus.

Il sait que vous vous trouvez ici!

Bien entendu!

… Cela vaut mieux ainsi, en effet…

… Je ne peux pas demeurer en faction très longtemps…

Oh! Pardonnez-moi!

Gérard s’efface pour le laisser entrer et s’immobilise indécis au milieu de la pièce dépourvue de canapé. Il reluque la table de travail puis regarde vers la cuisine.

Dans votre chambre?

Visiblement embarrassé, il acquiesce.

Cíaran s’assoit au bord du lit et laisse choir les soutiens avec un soulagement visible. Il s’étire sur le côté, appuyé sur un coude.

Venez me rejoindre au lieu de rester planté là!

L’autre obéit et ils se font face. Après une éternité, Gérard finit par lever les yeux vers son vis-à-vis.

Je n’ai jamais accompli l’oeuvre de chair.

Devant cet aveu surprenant confié à voix basse, Cíaran marque un temps d’arrêt presque imperceptible.

… Racontez-moi des bribes de rêves,ou mieux, réalisez-les. J’y ajouterai quelques fantaisies… S’embrasser est une excellente entrée en matière…

Irrésistiblement, les lèvres de Gérard se rapprochent des siennes, entrouvertes. Timidement, il y aventure la langue, aussitot enlacée par celle de Cíaran. Ils se rapprochent l’un de l’autre et accolent leur bassin. Leur main libre s’égare sur le torse opposé, alors que se poursuit l’interminable baiser. Soudain, Gérard le rompt. Son intense rale de plaisir s’accompagne de soubresauts. Il rejette la tête vers l’arrière. Cíaran baise la gorge mise à nu. Il murmure.

Jamais personne ne m’a voulu autant que vous.

… Cíaran.

Touchez-moi partout… Dénudez-moi et caressez-moi, encore…

Oh, Cíaran! … Votre peau, si douce! … Je vous désire tellement!

Gérard se défait également de sa robe de chambre. Il se colle à son jeune amant. Ils s’embrassent à nouveau avec passion. Petit à petit, Gérard se laisse aller à toutes ses envies. Il suce, caresse, titille, effleure, presse et touche l’entièreté du corps de Cíaran, lequel lui rend la pareille.

Là aussi… Surtout ici… Plus fort…

Gémissant, Cíaran se déplace de cent quatre-vingts degrés. Il mordille l’intérieur des cuisses, puis le scrotum et lèche le pubis aux poils poivre et sel. La verge jusque-là à demi érigée se gorge à nouveau. Gérard lui fait subir traitement identique. Brusquement, Cíaran se libère de l’emprise buccale. Interloqué, Gérard le considère. Il frissonne au contact du lubrifiant déposé sur son gland. Cíaran adopte la pose du sphinx. Aussitot, Gérard le couvre et son pénis s’enfonce dans l’intimité rectale. L’autre se soumet aux irrépressibles assauts virils, geignant de plaisir.

Cíaran… Mon amour!

Fortement secoué, Gérard crie son paroxysme coïtal. Peu après, il retombe sur le dos et relève les jambes. Cíaran hésite.

Je vais vous faire très mal, Gérard.

Celui-ci hoche la tête.

Prenez-moi, je vous en prie.

À l’intrusion du corps étranger, Gérard hoquette, les yeux exorbités. Cíaran s’immobilise, profondément rivé à son amant.

Sodomisez-moi, mon amour… Cíaran!

Ils conjuguent, gémissants. Ils tremblent de tout leur être. Cíaran réfrène la montée de sa sève en s’interrompant de pauses de plus en plus longues.

Gérard, rejoignez-moi… Je ne me gouverne plus.

Cíaran se laisse aller à l’irrépressible oaristys. Geignant, Gérard atteint pourtant le faîte en même temps que lui. Encore relié à son amant, Cíaran ôte l’accessoire de vision et l’essuie sur le drap avant de le remettre en place.

Je trouve terriblement érotique de vous enculer alors que vous portez des lunettes qui s’embuent.

Cíaran se glisse au long du flanc de Gérard, encore sous le choc, et pose sa tête au creux de l’épaule.

Je voudrais mourir en cet instant.

Alors que j’ai à peine commencé votre initiation aux pratiques homosexuelles? Attendez au moins, vingt ans : c’est à peine le temps qu’il faudra pour se connaItre un tout petit peu!

Je pensais à l’extase que j’ai ressenti en vous regardant exhaler de plaisir, alors que je vous rejoignais, tout votre être galvanisé par cette irrépressible finalité mais en même temps m’y englobant dans la plus bouleversante intimité qui puisse exister entre deux personnes…

Gérard resserre son étreinte.

… Mais vous avez raison, je suis un néophyte en la matière, si l’on peut dire.

Pourquoi?

Le poids social que l’on fait subir aux gens hors-norme. La connotation dévalorisante qui discrédite l’oeuvre d’une vie sur la base d’une orientation sexuelle, déviante parce qu’elle est minoritaire. Jusqu’à ce que je devienne amoureux de vous, j’ai réussi à sublimer mes pulsions charnelles, finissant par les croire inexistantes, même, hormis ce qu’on appelait à l’époque les « pollutions nocturnes », alors que l’esprit laisse libre cours aux fantasmes débridés… À vrai dire, je me suis pris de passion pour un homme, jadis. J’avais vingt ans et il en avait le double. Je lui ai offert mon coeur. Il m’a toisé, froidement, et m’a dit : « Des liens de ce genre ne peuvent que nous détruire. » Ce fut notre seul échange à ce sujet et c’est ainsi que l’amour est mort tué dans l’oeuf.

Cíaran se redresse.

Je dois dormir, Gérard… Voulez-vous m’aider, pour ma toilette?

Un privilège et un plaisir.

De tendres rites s’établissent. Cíaran s’endort, blotti entre les bras de son amant. Gérard caresse sa joue. Il s’exclame, tout haut.

Le bonheur existe!

 

Jeudi 15 octobre

Gérard gémit. Il met en place ses lunettes et repousse le drap. Cíaran, tout ébouriffé, interrompt brièvement la fellation.

Vous bandiez très ferme : c’était irrésistible.

J’aimerais vous voir… euh… pratiquer l’onanisme.

… Si vous me servez de godemiché.

Oh! Avec le plus grand plaisir!

Cíaran s’accroupit et s’empale sur le phallus glissant. Gérard soulève la tête pour mieux observer. Pour améliorer le confort de son amant, Cíaran cale un autre oreiller sur l’autre. Ils se sourient. Le bassin de Gérard s’anime de légers mouvements en piston. Cíaran amorce un va-et-vient rapide sur la hampe de son pénis. Ses yeux naviguent entre ceux de Gérard et son sexe, puis s’attardent, de plus en plus longtemps, sur son partenaire. Ses mains s’égaillent sur son propre corps, lascives, insistant davantage sur son bas-ventre jusqu’à la base de son membre qu’il cerne du pouce et de l’index. L’intérieur de ses cuisses l’occupe ensuite, puis son scrotum. Il entame des pressions régulières au centre du périnée, tout en poursuivant ses manoeuvres masturbatoires. Gérard semble hypnotisé. Les minutes s’additionnent, sans variations mais denses. Ils rivent leurs prunelles comme leur corps. Gérard baisse les yeux, brièvement, lorsque la laitance s’écoule, en un long filet, sur son torse. Il se pame de jouissance dans les entrailles de son amant, le regard agrandi perdu dans celui de l’autre. Les gestes empreints de tendresse, Cíaran désembue les lunettes et les remet en place.

Encore uni à lui, Cíaran se serre contre Gérard. Celui-ci noue ses bras autour du cou de son amant.

Ai-je jamais parlé de l’initiation d’un néophyte?

Il me semble… Peut-être auriez-vous dû préciser ainsi : deux décennies de découvertes surprenantes et mutuelles?

On dirait.

Prenons-nous le temps de nous détendre au bain?

Plus que tentant, irrésistible même.

Ils se savonnent mutuellement, le coeur léger, rieurs.

La prochaine fois, j’apporterai de l’huile à l’odeur divine.

Gérard le regarde, grave soudain.

Le bonheur porte le prénom de Cíaran.

Vous me chamboulez tout l’intérieur… Mes limitations sont importantes et je crains de ne pouvoir être à la hauteur de vos espérances.

Vous vous trompez, Cíaran. Ce qui me rend profondément heureux, c’est d’avoir compris votre sincérité à mon égard… Vous vous êtes donné à moi, ce qui m’a rendu capable de le faire… L’union de la chair n’est somme toute qu’un véhicule… Mais quel véhicule! … Euh… Sans parler de la carrosserie…

Cíaran éclate de rire, l’autre aussi. Gérard essuie tendrement le corps ruisselant. Puis, assis côte à côte au bord du lit, ils se vêtent.

Mais comment diable vais-je affronter le regard de Thomas?

Votre problème, mon cher mais un ajustement mineur à mon sens.

Oseriez-vous insinuer que je sois un tantinet coincé?

Cela se soigne!

Impertinent! Mais vous avez raison. Je vous aime, Cíaran.

C’est réciproque, Gérard… Que je revienne la semaine prochaine vous convient-il?

Les moments que vous déciderez de m’accorder sont à votre discrétion. J’emmagasine le bonheur jusqu’à notre rendez-vous suivant. Et puis, je vous vois tous les jours et c’est merveilleux. Un regard complice, une brève caresse, un tendre baiser, parfois, entretiendront la flamme.

J’ai tout à apprendre de vous.

Moi aussi, Cíaran.

Ils se quittent après un embrassement passionné.

 

Dans la cuisine, Thomas retrouve son époux sifflotant allègrement et préparant le café. Il se penche pour mordiller tendrement la nuque.

Si j’avais le temps, je te violerais.

Touche… Ce ne serait pas du viol… Tu te reprendras ce soir. Je t’aime.

Je t’aime, Cíaran.

Ils s’embrassent avec passion.

Apporte-lui un déjeuner reconstituant… Je prendrai la même chose, à vrai dire.

Thomas sourit.

J’ai acheté des croissants et je prépare des oeufs à la coque.

Mon estomac gargouille… Il se sent gêné à la perspective de t’affronter.

… Moi aussi.

La distance qu’il met entre lui-même et les autres, c’est pour se protéger. Il est d’une sensibilité extrême… Quel être fascinant!

Conquis, on dirait.

Comment ne pas l’être!

Je ressens cela aussi, bien qu’à un autre niveau évidemment.

Alors, tu sauras t’ajuster.

… Ouais… Probablement… En tout cas, je me précipite pour lui éviter un trépas causé par l’inanition!

Thomas réunit sur un plateau un plantureux déjeuner pour deux.

À ce soir, mon amour.

À ton regard, je sens que je vais passer de divins moments…

… Cela m’excite que tu me trompes.

C’est noté!

À condition que tu me reviennes.

Implicite étant donné ma condition d’époux bien-aimé et profondément engagé envers toi.

 

 Le professeur tarde à ouvrir.

… Bonjour, Thomas.

J’ai apporté de quoi nous sustenter.

L’estomac du professeur émet des bruits incongrus.

Pardonnez-moi… Mais entrez.

Ils s’attablent aussitôt. Irrésistiblement, le professeur dévore jusqu’à la dernière miette. Impulsivement, Thomas s’exclame.

L’amour donne faim!

… Sans conteste.

J’ai retrouvé, ce matin, un époux avec des ailes un peu plus longues. L’amour que je lui porte, ainsi que le vôtre, et ceux de Lori et Nuala, constituent le filet qui lui permettra de se réaliser malgré son handicap, en dormance actuellement mais qui risque de se manifester à tout moment… Aussi, de vous voir rajeuni de vingt ans, avec du soleil dans les yeux, alors qu’il y a peu vous vous étioliez! Comment ne pas me réjouir de vous trouver victime de l’effet Cíaran?

« L’effet Cíaran… » : vous avez raison, Thomas. Cet embarras conventionnel ne rime à rien.

Alors, on peut se mettre au travail!

L’autre éclate d’un rire juvénile.

Le professeur se lève pour débarrasser. Ils s’installent à leur place habituelle.

… La critique de James concernant le chapitre trois… J’ai refait humblement mes devoirs.

… Misère!

La rigueur, Thomas : il apporte ce dont nous sommes tous deux un peu dépourvus.

Je le sais bien! Mais il est quand même « un peu » pénible!

… J’ose avancer que je ressens la même chose.

Un mal nécessaire en quelque sorte.

Après plusieurs heures de travail concentré, ils partagent leur diner.

Avez-vous eu le temps de lire le brouillon du mémoire de Lori?

C’est impressionnant! … J’ai presque peur de demander l’opinion de James.

Lori a les reins solides : n’hésitez pas, enfin s’il le veut bien.

Il adore qu’on le consulte! … Ce qui l’a touché le plus durement, lorsqu’il a pris sa retraite, c’est que plus personne ne faisait appel à son expertise. Plus que la solitude, le sentiment de sa vacuité le sapait… La conscience de l’inutilité de l’être, c’est ce qui tue plus certainement que toute maladie d’ordre physiologique.

 

 Thomas rejoint Lori à la bibliothèque où, tout l’après-midi, ils se cotoient en silence mais manifestement heureux de la présence de l’autre. De retour à la maison après quelques courses, Thomas prépare la brassée quotidienne de linge sale, puis lui et Lori effectuent les préparatifs du repas mi-végétarien. Sur le ton de la conversation badine, Thomas lance.

J’ai envie de te violer.

La réplique est rendue du tac au tac et sur la même longueur, alors qu’elle tranche une tomate.

Avant de perpétrer son crime, un vrai violeur ne demande pas l’avis de sa victime potentielle…

J’éprouve beaucoup de difficultés à résister à mes pulsions.

Lori cesse de charcuter son fruit et se retourne.

Qu’est-ce qui te prend?

Thomas désigne le couteau qu’elle tient brandi.

Pour accomplir mon forfait, j’ai besoin d’une virilité intacte.

Lori dépose l’objet menaçant. Thomas se rue sur sa proie et l’emporte dans son antre rose. Il la jette sur le lit et remonte sa longue jupe. Le minuscule slip ne résiste pas longtemps. Il libère son sexe et, immédiatement, soumet sa femme à une puissante pénétration, fourrageant comme un marteau-piqueur dans son jardin secret. Les cris de Lori, un peu effrayés, se muent en rales de gorge et en feulements primitifs. Ils copulent comme des bêtes en rut convergeant vers une seule et unique finalité, la reproduction de l’espèce. Le témoin silencieux presse son entre-jambes lorsqu’ils hurlent leur accomplissement. Tout aussi discrètement qu’elle était apparue, Nuala se retire dans son repaire. Dans son lit, elle se recroqueville et pleure.

Une heure plus tard, Lori allume la veilleuse et s’assoit tout proche. Nuala se blottit dans ses bras. Lori caresse les paupières rougies.

Comme je voudrais pouvoir t’aider!

Tu le fais, d’une certaine façon.

Des nouvelles?

Quand il est hospitalisé, il ne veut voir personne.

Où se trouve Emmeline?

Dans la tourelle. C’est devenu son second lieu de prédilection. Elle voulait entamer le quatrième volume des péripéties de son héros du moment : Arsène Lupin… J’ai assisté à une partie de votre accouplement, tantot… C’était primal! Ce qui m’a renversée, c’est ta soumission, totale et voulue, au mâle de l’espèce.

Parce que je suis sa femelle, fondamentalement.

Je croyais être devenue capable de m’abandonner à mes fiancés… Je n’en suis plus aussi certaine maintenant; en tout cas pas de la même façon que toi… Satanées bibittes!

Nous t’aimons comme tu es, Nuala, insectes compris.

Nuala sourit.

Un jour, je pourrai devenir votre femme.

En ce qui me concerne, tu l’es déjà.

Je t’aime, Lori… Viendras-tu me le prouver, ce soir?

Quelle irrésistible invite!

Elles s’embrassent.

 

À partir de la cuisine, Thomas crie le troisième rappel. Nuala quérit Emmeline. Le professeur arrive bon dernier, en tenue impeccable comme à l’accoutumée. Au passage, Cíaran s’empare de sa main et dépose au creux du poignet un tendre baiser. Gérard se penche et effleure les lèvres de son amant. Le flottement du côté féminin dure peu. Nuala s’exclame.

Enfin, professeur, vous avez déclaré votre flamme!

L’autre acquiesce.

Vous êtes beau comme un jeune grand-papa!

Ils rient de bon coeur, y compris la cible, au commentaire spontané de Nuala. Au cours du repas, le professeur s’aperçoit que Lori l’observe du coin de l’oeil, en attente.

Mais oui, je l’ai révisé! Je croyais que Thomas vous l’avait appris!

Je n’en ai pas eu le temps…

Lori l’assassine d’un coup de poignard oculaire.

Je n’ai qu’un seul commentaire : c’est magistral; des broutilles à changer, c’est tout… Si vous avez les reins solides toutefois, la critique du professeur Prescott pourrait vous alimenter davantage, puisque votre sujet correspond davantage à ses marottes qu’aux miennes. Mais je vous préviens, il est impitoyable.

J’ai confiance.

À votre place, je nuancerais un peu : Thomas et moi goutons à sa médecine de rosse.

 … Je considère que cela constituerait un honneur.

Soit, mais je vous aurai prévenue!

Cíaran raccompagne Gérard jusqu’à la porte. Celui-ci s’agenouille. Ils roucoulent un long moment. Lori s’isole avec Nuala. Cíaran rejoint Thomas dans la cuisine. Ils jasent avec Emmeline et l’aident à faire ses devoirs tout en débarrassant.

 Vous avez des rapports sexuels entre vous. Et aussi le professeur avec Cíaran, maintenant. Tout comme Nuala couche avec Lori et avec vous, aussi.

 C’est exact.

C’est compliqué! … Lorsque vous faites l’amour, toi et Cíaran, est-ce que l’un pénètre l’autre par l’anus et vice-versa?

… Souvent. Mais parfois, les caresses suffisent pour atteindre… le point culminant, enfin je veux dire…

Je sais ce qu’est l’orgasme, étant dans la phase « découverte des secrets de mon corps »… Est-ce que ça fait mal, de se faire enculer?

… Oui et non. C’est une question de préparation, de doigté et d’habitude mais surtout d’amour.

Lori et Nuala baisent sans pénis.

La pénétration n’est pas essentielle pour ressentir un plaisir sexuel. Tout est question de moment propice. La sexualité est extrêmement versatile.

Mon père veut que Nuala soit sa femme. Le sachant, Nuala s’est mise à avoir peur de lui. Il voulait couper son sexe parce qu’il avait mal, là. Elle l’en a empêché.

Cíaran et Thomas restent pantois de la révélation d’Emmeline, Nuala s’étant montrée évasive sur les événements dramatiques de la semaine précédente. Emmeline reprend ses réflexions et son interrogatoire.

Pourquoi est-ce que Francis est schizophrène?

Pourquoi suis-je atteint de sclérose en plaques? Pourquoi, tout au long de sa vie, Thomas ne sera-t-il en proie qu’à de simples rhumes? J’ignore la réponse, Emmeline. Et je suis loin d’être certain qu’il en existe bien une.

Pourquoi est-ce que les grandes personnes font l’amour et compliquent tout?

Les échanges sexuels sont irrésistibles et extrêmement complexes. C’est un moteur vital, en quelque sorte. Ces pulsions sont difficilement controlables.

J’ai écouté des conversations entre Nuala et Francis… Ils n’en parlaient pas directement mais j’ai déduit qu’elle a tué son papa parce qu’il la violait à répétition… depuis qu’elle avait mon âge…

… J’aimerais pouvoir nier… Mon père était atteint de folie… Il était devenu incapable de discernement… Les relations entre humains sont tellement difficiles, que te dire?

Rien d’autre. Merci d’avoir répondu aussi franchement et directement à mes questions… Bonne nuit.

Thomas et Cíaran suivent des yeux son sillage.

… On ne constitue pas des modèles idéaux.

Et on ne vit pas dans un monde idéal non plus.

Cela me rend triste de la voir troquer son enfance innocente pour un savoir d’adulte.

Moi aussi… Mais elle a besoin de comprendre de quoi est fait son environnement, ce qui fait agir les grandes personnes aussi stupidement… La sexualité est au coeur de la dernière crise de Francis, aussi.

C’est pourquoi également que Nuala fait un bad trip : ça la fouille profondément, si l’on peut dire.

Sur aucune de ces variables, nous ne pouvons agir, si ce n’est d’être là quand ceux qu’on aime en ont besoin.

Tu as raison… Je termine le lavage.

Cíaran observe son époux, tout à ses activités domestiques. Celui-ci suspend les chemises, jupes et jeans sur des cintres, au-dessus de la baignoire, met à sécher le reste dans la machine idoine. Thomas, en se détournant du quart pour ramasser une chaussette, surprend le regard à demi voilé ciblant son postérieur en lordose. Instantanément, il rougit.

Je sens mes pulsions devenir difficilement controlables… Tu avais le gout de me violer, ce matin…

Mon besoin s’est un peu calmé…

Ah… « Un peu? » 

… Je suis passé à la boutique avant de rentrer… J’ai acheté un film… !!…***… J’aimerais bien connaitre ce genre d’expérience à l’occasion.

… Difficile de draguer en fauteuil roulant… Même en demi-béquilles… Allons voir ce trois étoiles de la porno multiple…

Si on mangeait du pop corn?

… Je croyais qu’on aurait les mains et la bouche plutôt occupées à autre chose…

L’un n’empêche pas l’autre… Le plaisir de déguster, nus et bandés, du maïs éclaté… juste avant d’emmêler nos langues encore gouteuses, puis tout le reste…

Cíaran se dirige vers la chambre rose.

En moins de dix minutes, Thomas effectue les préparatifs de la séance de cinéma maison. Il rapporte deux bières, en sus.

Cíaran brandit le slip féminin en lambeaux.

Je devine qui a subi le « viol » en question… J’adore ces céréales quand elles sont encore chaudes…

Dévêtus, ils prennent leurs aises, côte à côte et s’adossant sur plusieurs oreillers. Thomas place le bol sur son ventre, en équilibre. Après deux minutes de projection, ils exhibent sans pudeur une importante érection. Mais ils terminent leur collation, puis la bande, sans se toucher. Les amants s’enlacent et s’embrassent.

Le gout du maïs éclaté… Qu’est-ce qui t’a excité le plus?

Quand le blondinet imberbe s’est couché sur le dos, cuisses ouvertes et que la grosse queue brune et rose l’a embroché à sec… Et puis quand le noiraud poilu a écarté les fesses qui lui étaient offertes par la pose du beau noir et qu’il l’a enculé, alors que l’autre forniquait allègrement avec le premier… Et toi?

Quand le type aux lèvres épaisses a préparé avec sa langue le cul du mignon… Et puis quand le noiraud poilu a fait un toucher rectal avec trois doigts… Et puis quand il a saisi son énorme membre, pour mieux cibler… Place-toi en posture animale.

Cíaran se glisse entre les cuisses de Thomas et prend la position assise.

Je vais ramoner ta cheminée, mon amour.

L’appendice lingual s’active aux abords, puis à l’intérieur de l’anneau, alors que les mains maintiennent les globes fessiers à distance l’un de l’autre. Thomas se pame. Le ramonage en règle dure longtemps. Les yeux de Thomas focalisent sur le pénis engorgé de son amant, brusquement animé de spasmes, tout comme le sien. Les giclées séminales, simultanées, atteignent la jambe de Cíaran et le torse de Thomas.

 

Samedi 31 octobre

Thomas se contemple dans le miroir en pied de la salle de bain. Les mèches colorées en bleu atlantique, vert Amazonie, pourpre impérial et rose bonbon, fraiches de la veille et fruits du travail conjugué de Claude et Gaston, contrastent bellement.

C’est du plus bel effet, mon amour.

Et ma chemise psychédélique, ça va?

Cíaran marque une pause presque imperceptible.

Oui… C’est fantaisiste… Les couleurs s’harmonisent. Je remarque davantage toutefois le galbe de tes fesses bien nippées et terriblement séduisantes… En ce qui me concerne?

Tu es magnifique, autant habillé que nu… J’aime triturer ton épi teint quand tu me prends.

J’ai eu crainte que tu ne l’arraches!

C’était tellement bon, tantot!

Et entrepris dans le louable but de te calmer les nerfs… Pour moi aussi, j’en tremblais autant que toi.

Cíaran appuie sa tête sur la hanche à proximité. Thomas presse l’épaule parée de soie émeraude.

Lori resplendit dans sa tunique indienne beige avec de l’indigo aux entournures. Sa chevelure en liberté s’orne d’une subtile écharpe d’Iris. Nuala, chevelue fraichement de violet et vêtue d’identique teinte parait, beauté frêle à la figure pâle et au sourire absent. Lori entoure l’épaule de son amie. Nuala sourit faiblement mais la lueur de tendresse aimante dans ses prunelles fait frémir sa fiancée.

Tout l’étage reluit d’une méticuleuse propreté. Le buffet, dressé dans la salle à manger, regorge de victuailles haut de gamme apportées, une demi-heure auparavant, par un traiteur. Le bar est généreusement garni. Les repaires ont été transformés en autant de petits salons, sauf la chambre du fond, fermée.

Les premiers invités à se présenter, les professeurs Perrier et Prescott, sont accueillis chaleureusement. Le dernier parait manifestement troublé par le baise-main prolongé de Cíaran à son amant senior ainsi que par la tendre réponse caressante obtenue en réciproque.

Vous resplendissez, Gérard.

Cette nuance approfondit celle de vos prunelles, Cíaran.

Nuala prend familièrement le bras de l’ainé des deux hommes.

Venez, laissons roucouler les pigeons quelques minutes.

Mademoiselle?

Nuala.

 

Ah, un prénom irlandais : Fair shoulder; un diminutif de Fionuala, je crois.

Ma mère se prénomme ainsi mais elle préfère Fiona.

Vous avez une jolie teinte de chevelure, c’est de famille?

Ma couleur naturelle dès l’adolescence.

Son rire joyeux est communicatif.

Alors, James, vous faites connaissance avec ma petite-fille choisie.

… Grand-père comblé… en plus.

La fontaine de Jouvence et le jardin d’Éden… Ce soir enlevez une couche de vernis social et prenez un bain de jeunesse joyeuse : vous vous trouvez en territoire allié.

Certes, il s’avère que je suis un peu… collet monté…

Prenons un apéritif, voulez-vous?

Il accepte volontiers. Nuala s’éloigne sur la pointe des pieds.

Le vestibule accueille maintenant le très coloré Georges Quesnel au bras de monsieur Philip Robinson, imposant de prestance mais très intimidé. La flagrante stupéfaction de Cíaran le réjouit, toutefois, et il éclate d’un rire sonore. Georges s’exclame.

C’est la grande révolution au royaume des petits vieux, mon coeur. Notre chère directrice pousse des cris d’orfraie : des homos, ou presque, qui s’affichent dans ce haut lieu de la morale bien-pensante. Tout ce qu’elle est arrivée à déblatérer : une vraie pièce d’anthologie! Je te raconterai toute l’histoire lundi. Mais Philip…

Le regard de tendresse la rend tangible. Ledit entoure ses épaules.

Philip a bien vite fait taire son caquet et ses menaces.

Je lui ai fait comprendre la nuance entre ce que l’on pouvait dire et ce que l’on pouvait faire.

Les autres?

Tu as sans doute déjà remarqué que cela devient ainsi plus facile de distinguer entre le bon grain et l’ivraie…

En effet…

Ils acceptent le bras de Lori qui les entraine vers le bar et effectue les présentations aux deux autres messieurs, d’une manière tellement gentille qu’elle fait fondre la glace illico.

Cíaran déploie son charme pour recevoir et mettre à l’aise Chantal, l’amie de Lori. Il vient à la rescousse de Thomas lorsque Sindi et Dorian Israni pointent leur nez aristocratique. Ils s’avèrent charmants et rieurs, contrairement à l’abord. Naturellement sociables, ils se mêlent d’emblée aux autres. Curieux de connaitre l’entourage particulier de leur soeur. Muriel converse longuement avec Thomas, puis s’approprie le petit Ludovic, lorsque la famille se présente. Lori s’occupe de Melissa et Cíaran d’Olivier. Thomas invite les convives à se sustenter. Claude, très élégante et très animée, suivie de son timide mari, se joignent à la mêlée.

S’avisant de l’absence de Nuala, Thomas part à sa recherche. Il la trouve à la fenêtre de leur chambre, scrutant les ténèbres.
Ils devraient déjà être là! Il n’a pas voulu que j’aille les chercher. Pourquoi? … Je ne l’ai pas revu depuis qu’il est sorti de l’hôpital puisqu’il a refusé. Mais il m’a assurée qu’il viendrait, ce soir… J’ai peur, Thomas…

De le retrouver… après le drame qui s’est déroulé?

Oui… Oh!

En toute innocence, Emmeline a laissé échappé quelques brides de renseignements…

… J’ai le coeur brouillé au max, Thomas.

… Je voudrais te dire… On sera toujours là pour te ramasser.

Elle se jette dans ses bras. Ses sanglots s’apaisent, petit à petit.

Le carillon lui donne des ailes.

Salut, Nuala.

Francis…

Emmeline tenait absolument, à réparer l’accroc à sa robe rouge : c’est pour ça qu’on est en retard.

 Quelle mauvaise foi, papa! C’est moi qui t’ai attendu pendant au moins quarante-cinq minutes! Figure-toi qu’il a mis deux heures à se pomponner!

… La chambre aux tournesols attire tous les regards extasiés.

Francis sourit brièvement, puis ses yeux se perdent sur le plancher. Emmeline, affamée, se dirige vers le buffet.

Elle était trop énervée pour manger, ne serait-ce qu’une collation… J’ai faim, aussi.

Alors, viens.

Il s’arrête net au seuil.

… Il y a beaucoup de gens!

Tous ceux qu’on aime.

Francis se rembrunit.

Je n’aurais pas dû venir, alors.

… Pourquoi cette cruauté ?

… Pardonne-moi, Nuala… Je comprends que tu es leur fiancée… Cela m’est égal, à vrai dire… Je n’arrive pas à guérir de toi… Je dois manger.

Nuala lui remplit une assiette, copieuse, qu’il vide entièrement.

En veux-tu encore?

Non, je suis rassasié… de nourriture, en tout cas… Je ne peux pas. Ils sont trop nombreux, j’ai besoin d’air.

Il se lève et sort. Nuala accroche le bras de Lori au passage.

Je vais reconduire Francis. La multitude le met mal à l’aise. Avertis Emmeline, s’il te plait.

Bien sûr. Elle restera ici, cette nuit… Téléphone-moi, pour me rassurer… Ça va?

… À peu près. Je t’aime.

Nuala quitte abruptement son amie.

 

Francis est assis en équilibre sur le muret de pierres. Durant tout le trajet, il demeure silencieux et la conduite de Nuala peut se faire sans heurts. Elle gare le véhicule devant l’immeuble. Il rentre sans mot dire. Elle le suit.

Ne te sens pas obligée de rester.

Le dépassant, Nuala se dirige résolument jusque dans la chambre et, déchaussée, se campe au centre du matelas, au milieu de la pièce, tournant très lentement sur elle-même. Elle se concentre sur chacun des détails du jardin du Rêve. L’examen lui prend une heure. Tout ce temps, il l’observe, le regard intense, silencieux et les bras croisés.

Tu as peint ton amour pour moi.

C’est mieux que tu t’en ailles, Nuala.

Pour toute réponse, elle le rejoint et s’agenouille devant lui. Maladroitement elle défait la braguette et en extirpe l’organe viril qui se gonfle à vue d’oeil. Elle le prend entre ses lèvres. Francis pousse un cri retentissant. Son sperme jaillit dans la gorge de Nuala, tant qu’elle s’étouffe. Il la prend dans ses bras et la porte jusqu’au lit. Il la dénude, promptement, et fait de même. Avec une douceur inattendue, il entreprend de la lécher. Chaque pore de sa peau accessible y passe. Il écarte les jambes de son amante, ratissant l’intérieur des cuisses, les aines et les grandes lèvres. Il ouvre les pétales, ensuite, pour gouter à la fleur délicate et s’abreuver de sa sève. L’orgasme de Nuala le remplit d’une joie démesurée. Il se couche sur elle et la pénètre; il prend possession de sa bouche, aussi. Nuala crispe ses mains sur les omoplates de son amant et accroche ses jambes aux fesses tressautantes. Francis accélère ses puissantes poussées, creusant la corolle offerte. Il hurle sa jouissance mâle. Nuala crie faiblement, puis fait chorus. Ils sont saisis de tremblements incoercibles et se mangent des yeux. Nuala bredouille.

Je t’aime Francis.

Je t’aime Nuala…

Il le répète en leitmotiv et en crescendo, un nombre incalculable de fois. Elle pose un doigt sur ses lèvres. Il le suce.

Tourne-toi.

Le côté verso n’est pas moins gratifié que l’autre. Francis termine par le postérieur. Ses larges paumes écartent les globes. Il remonte le sillon à partir de la vulve. Il butine la rose thé. Nuala gémit de plus en plus fort. Francis s’agenouille, la prend par la taille et l’attire vers lui. Préalablement lubrifié de ses sécrétions vaginales, il introduit ensuite son dard dans le fondement de son amante. Nuala, durement sodomisée, feule sourdement. Les aboutissements du désir, simultanés, sont bruyants. Longtemps, ils restent unis l’un à l’autre, reprenant leur souffle.

Des coups font trembler la porte d’entrée. Francis se lève vivement et ouvre à la volée.

Qu’est-ce que c’est?

Les agents de police reculent, gênés.

On nous a signalé un important tumulte provenant de votre appartement, monsieur…

Un homme possède le droit inaliénable de baiser sa femme sans que les flics rappliquent intempestivement!

Pas en ameutant tout le quartier!

Francis, calme-toi!

Ses charmes cachés par un drap hativement entortillé, Nuala se place devant son ami.

C’est vrai que nous ne controlions plus notre émoi. Mon homme et moi nous excusons. Et nous retiendrons l’avertissement.

… Dans ce cas, monsieur et madame, allez en paix.

Nuala referme. Francis, en état de choc, la regarde éperdu.

Moi, ton homme?

N’est-ce pas évident?

Il l’enserre à l’étouffer. Les larmes s’écoulent. Nuala aussi pleure sans retenue. Puis ils éclatent de rire. Francis la fait tournoyer pour la dénuder et l’emporte jusqu’au lit. Il recouvre son sérieux, brusquement.

Jamais, je ne te ferai mal, Nuala.

Je l’ai compris lors de notre… dernière rencontre… Même en crise, tu te serais tué plutot que de m’agresser… J’ai dû négocier avec mes propres blocages…

Je prends plus que je ne donne et je suis plus sensible qu’un baril de poudre en contact imminent avec une étincelle.

Nuala englobe les lieux du geste.

Mais nulle femme n’est aimée comme, toi, tu m’aimes.

Mon amour est synonyme de souffrance.

De joie aussi, et de douce folie. Je veux comprendre ton monde… Quant à l’autre…

Ce ne serait pas sain que nous vivions ensemble en permanence. Et je ne le souhaite pas.

… Pour Emmeline non plus.

Son poing frappe sa propre cuisse avec un bruit sourd.

Penses-tu que je n’en ai pas conscience?

Nuala arrête le bras qui retombait violemment au même endroit.

Emmeline pourrait demeurer chez nous, les jours d’école… Nous pourrions rentrer ensemble, ici, le vendredi et jusqu’au dimanche.

Francis se fait amer.

Un ersatz de famille.

Cela vaut mieux qu’aucune!

L’amour ne suffit pas.

Presque, Francis. Juste le petit coup de pouce qui le fait s’épanouir.

Et tes fiancés, n’éprouveront-ils pas de réticences Et pour tes absences?

Si je débarquais avec toi dans mes bagages, certainement : on  doit être un peu cinglé pour te côtoyer au quotidien!

Francis sourit.

Nous aimons beaucoup Emmeline… Elle est un peu ma fille, même si je ne l’ai pas mise au monde.

J’eus voulu que ce soit toi.

L’amour est aussi fort, alors cela n’a pas d’importance. Quant à ma présence plus soutenue auprès de toi et d’elle, je suis maitresse de mes décisions. Nos liens se tissent d’amour t non d’obligations… Quoique j’en ai une à remplir : j’ai promis à Lori de la rappeler afin de la rassurer quant à mon bien-être et le tien.

Je ne comprends pas.

… Quand j’ai franchi le seuil de ta chambre, j’ignorais si je serais capable de me donner à toi, ou si je me sauverais à toutes jambes.

Tu es là.

Et heureuse d’y être.

Nuala compose le numéro. Lori répond à la dixième sonnerie.

Enfin! … Ne t’excuse pas… La soirée bat son plein à ce que j’entends… Ne serais-tu pas légèrement grise?

Nuala rit.

… Nous allons très bien… Je rentrerai demain… Que faisais-tu, il y a quelques instants? … Ah, oui, Melissa… Tu le prononces d’une voix langoureuse… Me raconteras-tu? … Des hypothèses? … Pas certaine… Je t’aime… Bonne nuit, mon amour…

Nuala raccroche, songeuse. Elle sourit et s’étire.

La femme de ma vie s’apprête allègrement à me tromper avec une sirène voluptueuse.

Tu soupires d’aise et frissonnes, pourtant.

C’est comme si je la voyais agir avec elle comme avec moi… Sa chevelure comme un voile de caresse sur tout le corps de l’amante… Des doigts fins qui effleurent plus qu’ils ne touchent, partout…

Nuala presse sa vulve.

Donne-toi du plaisir… et raconte.

Les mamelons deviennent des perles délicates roulant sous sa langue jusqu’à ce qu’une vague secoue les entrailles. Lorsqu’elle devient étale, sa bouche a atteint le creuset de la féminité.

Nuala a fermé les yeux. Hypnotisé, Francis copie les mouvements réguliers sur son propre sexe.

Attentive à la moindre réaction, elle sait détecter les subtiles variations du plaisir clitoridien et ajuste ses mouvements labiaux, tantot lents et insistants, tantot légers et rapides, jusqu’à ce que la lame de fond déferle…

Nuala se cambre et gémit. Elle s’immobilise.

Son index et son majeur conjugués deviennent un pénis mais en beaucoup plus flexible puisqu’elle peut les courber vers l’avant… Oui, comme ça… En va-et-vient fluide.

Nuala se porte à la rencontre des doigts et les fait pénétrer plus profondément. Le sperme de Francis gicle sur le ventre agité des soubresauts du summum accompli. Il murmure, bien plus tard.

De l’autre côté du miroir?

Je te prendrai comme je la prends mais une autre fois…

Elle lui tourne le dos et s’abandonne au sommeil. Francis se love autour de sa femme et la rejoint.

 

La soirée tire à sa fin, du moins pour les ainés, jugent les professeurs Perrier et Prescott alors que vingt et une heures sonnent et que le blues succède à Callas, Boccelli, Farinelli et tutti quanti en musique d’ambiance, et que les gestes se ralentissent de l’importante quantité d’alcool ingurgité sous toutes ses formes. Voyant leurs hôtes occupés, ils s’éclipsent discrètement.

Si vous ne vous sentez pas trop las, James, cela me ferait plaisir de vous offrir le thé.

Volontiers! Pour clore cette charmante soirée… Cette jeune femme, Lori, très brillante. Quelle érudition pour une personne du sexe faible, et si jeune! Vous devez l’encourager à poursuivre ses études jusqu’au doctorat et au-delà!

Gérard émet un petit rire discret qui rend les sourcils de l’autre perplexes.

Je pensais à sa réaction probable quand elle constatera l’ampleur du travail à réaliser comme suite à vos critiques rigoureuses.

Vous y avez gouté ainsi que votre disciple : vous saurez l’aider à surmonter le choc.

James, vous êtes un mal nécessaire!

L’autre répond, légèrement amer.

J’ignore pourquoi mais j’ai toujours créé cet effet-là.

Un bref moment, Gérard s’immobilise sur le seuil. Il ouvre la bouche, puis la referme. Les deux hommes entrent.

Je vous reçois dans mon coin repas. L’ameublement de mon espace séjour ne sera livré que la semaine prochaine.

Gérard remplit deux tasses d’eau et les place dans le four à micro-ondes. Il programme trois minutes, à la puissance maximale.

Je n’y avais pensé. Beaucoup plus rapide, ainsi.

Avez-vous faim?

Un tout petit creux, ce qui est plutot étonnant!

Gérard apporte les biscuits.

Ah, mes préférés!

James en grignote un à petites bouchées. Gérard apporte les infusions. Ils sirotent en silence. James récidive sur les friandises.

Mon péché mignon, je l’avoue… Possédez-vous un remède régulateur de l’activité gastrique?

Je vous en apporte tout de suite.

Petit à petit, les traits du vieillard recouvrent leur état normal. Il rote discrètement.

J’ai consommé un peu trop de vin, je crois.

Il y a un peu plus de trois semaines, j’ai failli mourir des suites d’une angine de poitrine.

… La raison de votre paleur lorsque nous nous sommes rencontrés, la dernière fois!

Mon « disciple », comme vous dites, m’a sauvé la vie.

C’est vrai que votre mode d’existence…

Vous portez jugement sans en connaitre la moindre parcelle!

Pardonnez-moi, Gérard… D’être ainsi confronté à… votre intimité m’a… perturbé.

Mettons les points sur les i, James. J’étais certainement déprimé… Vous le savez autant que moi, la mise au rancart ne se fait pas sans heurts… En sus, j’ai été, à mon coeur défendant, envahi par… un sentiment amoureux envers Cíaran et dont je croyais l’expression impossible… Votre apport à notre travail est quasiment devenu une bouée de sauvetage et je m’y suis accroché… C’est ce qui a tout déclenché.

Vous me mêlez à vos turpitudes!

Vous osez vous en offusquer!

Ils s’affrontent du regard. James oblitère les paupières.

Vous me gardez rancune, encore, même après un demi-siècle, de cette… fin de non-recevoir!

Non, James, je ne vous en veux pas, parce que je la comprends, du moins d’un point de vue anthropologique… J’éprouve pour vous une immense affection et un profond respect.

… Gérard, je ne pouvais pas agir autrement…

… Je suis heureux de votre résurgence dans ma vie.

Subitement pris de nausée, James se précipite vers la salle de bain. Peu après, il passe la tête à l’extérieur, la figure rougie de l’effort, et hautement embarrassé.

Donnez-moi un chiffon pour nettoyer mes vêtements, je vous en prie.

Promptement, Gérard lui apporte ce qu’il réclame, ainsi qu’une robe de chambre.

Je les mettrai à sécher… Vous vous trouverez ainsi plus à l’aise pour vous remettre.

Merci… Pardonnez-moi… c’est vrai que j’ai besoin de m’étendre.

Désolé de ne pouvoir vous offrir, pour ce faire, rien d’autre que mon lit.

James referme la porte.

Le vieil homme en ressort, un quart d’heure plus tard. Gérard lui tend un verre d’eau et l’enjoint à s’installer confortablement. Courageusement, Gérard complète le nettoyage sommaire effectué par son invité. Il prend un bain, ensuite. Il essaie de lire, mais trop fatigué, se met à errer dans l’appartement. Puis, il fronce les sourcils et se dirige, résolument, vers la chambre occupée. L’intrus dort profondément. Renonçant à le réveiller, Gérard se déshabille et revêt son peignoir mais conserve, comme l’autre, ses chaussettes. Il se glisse sous les couvertures. Il laisse la lampe allumée mais tourne le dos à l’occupant et ferme les yeux.

Lorsque James s’éveille, une heure plus tard, le bras de Gérard le cerne à la taille et il s’est lové au long du coté dorsal de l’autre.

Mais qu’est-ce…

Ne bougez pas, mon amour : je me sens si bien ainsi…

Sa main descend un peu plus bas et caresse.

J’ai tellement envie de vous!

Gérard!

James se redresse sur son séant. L’autre, désormais complètement réveillé, le regarde ahuri.

Avec qui vous imaginiez vous coucher?

… Je rêvais… de vous, James.

Le regard presbyte affronte les prunelles perçantes de l’aigle. Les yeux du rapace s’adoucissent soudain, et sa gorge se serre. James se recouche, lui tournant le dos et Gérard reprend sa place; sa main aussi, sur le vêtement, puis dessous. Son bassin se resserre davantage. Il gémit.

Hélas, Gérard, je ne suis plus en mesure de vous honorer.

… Me le permettez-vous?

Non sans ointement.

La requête satisfaite, Gérard remonte la robe de chambre jusqu’à la taille. James émet un faible bruit de gorge et soupire. Gérard délaisse le pénis, demeuré flasque, et concentre ses pressions digitales sous le scrotum, en même temps qu’il sodomise son ami avec une grande douceur. Il couvre de baisers la nuque dégagée. Ses poussées se font de plus en plus fréquentes et sa respiration s’accélère perceptiblement. Il murmure.

Laissez-vous aller, mon amour…

Gérard… Oh… Accélérez la cadence, je vous en prie… Oh, Gérard!

Oh, James!

Le paroxysme commun culmine.

L’apaisement de leur coeur en chamade vient lentement. Gérard pose sa tête sur l’épaule de James.

La vie m’est clémente, ce soir, Gérard… Depuis vingt ans, je n’étais plus un homme et maintenant j’en suis un demi.

La dysfonction érectile n’empêche aucunement de connaitre l’accomplissement charnel!

Allez dire cela au premier péripatéticien venu!

… N’est-ce donc que ce genre de rapport que vous avez connu?

C’était anonyme, dans la stricte discrétion, cela comblait un besoin physiologique et, surtout, cela ne faisait pas mal au coeur…

… Cíaran est mon premier amant… Il m’a redonné le souffle de vivre… Quel plaisir, cela a été de ressentir la jouissance de votre chair!

Quelle vigoureuse virilité, pour me ramoner le conduit!

Oh! Vous enculer a constitué un plaisir indicible, James.

Peu après, ils éteignent.

 

Thomas s’affaire le geste lent dans la cuisine et la salle à manger à parachever les dernières corvées nécessaires. Tout le monde est parti sauf Melissa et Olivier. Ludovic dort à poings fermés dans la chambre aux tournesols et sous la protection quasiment maternelle d’Emmeline.

Dans la pièce bleu Matisse, Lori et Melissa désunissent leurs lèvres. La première propose nonchalamment.

Prenons-nous un bain?

D’emblée, Melissa acquiesce. Bras dessus, bras dessous, elles referment la porte sur elles.

Dans le petit salon olivine, Cíaran et Olivier se pelotent mutuellement et avec un enthousiasme indéniable. Le dernier se dégage.

J’ai besoin d’aller au petit coin… Viens-tu?

Donne-moi mes béquilles.

Ils s’enferment dans les lieux dits et en ressortent au bout d’une quinzaine de minutes.

Discrètement, Thomas hèle son époux.

Je te rejoins tout de suite, Olivier… Mais qu’est-ce que tu veux?

Savoir ce que vous traficotiez là-dedans.

De quoi je me mêle! … Je l’ai regardé uriner et déféquer. Et lui aussi… Ça m’excite. Et lui aussi.

Oh! … J’aime ton coté sombre… Puis-je me joindre à vous?

Je serais vivement déçu que tu ne le fasses pas! … Donne-nous un quart d’heure d’avance au moins, c’est tout.

Thomas presse son entre-jambes.

Quelle cruauté!

Cíaran darde sa langue dans la bouche de son époux.

Pour macérer ton désir et nous permettre de nous découvrir mutuellement un peu…

Il rejoint Olivier, légèrement inquiet.

Viendra-t-il nous retrouver?

Un peu plus tard. Viens.

Thomas regarde fréquemment l’horloge et active le processus de nettoyage minimal. Son dernier geste, empiler une demi-douzaine de biscuits sur une assiette.

Thomas pousse la porte entrouverte. Melissa, cuisses largement ouvertes, se pame sous le cunnilingus de Lori. Thomas rattrape le plateau de justesse et le dépose sur la table de chevet en tête de l’immense lit central. Tout en se dévêtant, il reluque l’oeil égrillard ses deux amants qui se ratissent mutuellement. Leur accueil le fait gémir. Cíaran se délecte du pénis d’Olivier, ce dernier de celui de Thomas et celui-ci de cet attrait de son époux. Les index et majeurs se mettent à s’activer, ceux de Cíaran à l’intérieur de Thomas, ceux d’Olivier pénètrent le rectum de son nouvel amant et les doigts de Thomas investissent l’antre de son chum. Melissa hurle sa jouissance, tout en les regardant copuler ainsi, en synchronisme dans l’aboutissement du désir. Ils fument des cigarettes ensuite, observant les amantes. Lori murmure à l’oreille de Melissa, laquelle acquiesce. L’objet pénien disparait entre les lèvres de Lori, puis à l’intérieur du vagin de Melissa, guidé par une main délicate. Vulve pressée à la base du godemiché, Lori s’accouple à la jeune femme. Les pénis lèvent durant leur observation fascinée des fesses mouvantes de Lori. Le coït s’accélère et les hampes durcissent davantage à leur intense orgasme. Melissa conserve le membre artificiel à l’intérieur d’elle et s’assoit, une jambe repliée. Les trois paires d’yeux alternent entre la vulve pénétrée de Melissa et le derrière en montre de Lori, couchée sur le côté. Tel le serpent au jardin d’Éden, elle offre à son amante la tentation sucrée. Elles croquent. Les mâles suivent l’exemple. Ils stimulent leur propre verge avec lenteur. Lori écarte les jambes et Melissa y fait pénétrer l’accessoire, lubrifié de ses propres sucs. Elle la couvre de son corps, cul en mouvement. Thomas se redresse. Olivier oint le dard de son chum. Melissa feule sous la pénétration rectale. Olivier, hypnotisé par le postérieur rebondi et excité par les manoeuvres exploratoires et préparatoires de Cíaran sur le sien propre et derrière, répète le rituel sur son phallus. Sodomisé par son amant, il encule son chum. Chacun accomplit l’acte au ralenti, mais les sens manifestement exacerbés. À peine remis de la cascade d’orgasmes, et après une toilette sommaire, ils remettent ça, à l’initiative des femmes. Lori s’étale à plat ventre devant Cíaran et, ensuite, Olivier sur celui-là. Melissa chevauche à contresens, Thomas, à laquelle il s’abandonne. Melissa enfonce aisément l’artefact à l’intérieur de lui. Thomas lèche son index et son majeur et les place à l’orée de la rosette de son amante-amant. Melissa mène la triple pénétration. Corps rencontrés, consommés, partagés, en immersion dans l’enivrement de la chair excitée et exaltée.