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Deux étés irlandais

Louise Gauthier

 Vendredi 1er mai

La beauté violette ouvre la porte alors que Thomas y stationne depuis un quart de seconde.

Oh! Le bel homo mais tout garni cette fois…

… Bonsoir Nuala. Cíaran?

Fulmine contre son amant qu’il a tenté de joindre toute la sacro-sainte journée… Il est parti s’acheter des cigarettes.

J’ai fait des courses… Alors qu’il n’a pas répondu au téléphone de toute la semaine!

Parce que je ne pouvais pas parler!

… Je n’ai pas osé venir… Je te demande pardon.

… J’admets que je suis d’un abord imprévisible.

… Et la plupart du temps irascible!

Cíaran laisse choir ses cannes et l’enserre au cou. Il murmure des excuses toute colère envolée. Nuala le souffle en suspension observe avec intérêt le long embrassement à corps ajustés qui s’étale du passionné au torride. En le reprenant justement ils prennent conscience de sa présence attentive. Thomas rosit.

Veux-tu que je revienne une autre fois Cíaran?

Reste. De faire chambrer le désir ne pourra qu’affiner sa consommation au coeur de la nuit…

Thomas rougit puis palit.

Adorables les nuances au teint de ton ami…

Frère et soeur éclatent d’un rire joyeux. L’autre finit par faire chorus. Cíaran s’appuie sur chaque épaule.

En fait, je souhaitais vous réunir, ce soir parce que, étant tous les deux affligés de la même tare, je me sens disposé à satisfaire votre curiosité; promesse à toi Thomas et mal d’oreille à calmer attrapé à force d’entendre la tonne de questions qu’émet sans arrêt ma soeur au sujet de mon éclipse totale… Votre intérêt me touche.

 Je me sens incapable d’écouter sans avoir au préalable rempli mon estomac. As-tu mangé aujourd’hui?

… J’ai grignoté… Je n’avais pas très faim.

Il nourrissait sa colère.

Nuala! Une pizza aux fruits de mer?

Non. Épinards et feta : c’est plus sain.

Beurk! Au saucisson italien? … Bon plutôt trois fois qu’une. Je commande et je vous invite.

Ils dégustent en se partageant un litre de Coca-cola à la cerise lequel fait l’unanimité. Thomas termine la portion de Cíaran et goute à celle de Nuala, qu’il semble savourer également.

Ils s’installent au salon, Nuala dans le fauteuil et les deux hommes côte à côte sur le canapé. L’élocution de Cíaran s’avère beaucoup plus laborieuse qu’à l’accoutumée.

Je me suis donc retrouvé à la rue au sens propre et au sens figuré. C’était le mois de mai; j’avais presque terminé mon secondaire V et j’étais âgé de seize ans. Je me suis trouvé devant un grand vide : aucun lien ni aucune ressource. Après m’être apitoyé sur mon sort plusieurs jours durant j’ai décidé de prendre ma vie en main. De combler mes besoins élémentaires tels que boire et manger est devenu très rapidement la grande priorité. Pour les satisfaire j’avais besoin d’argent. Je n’ai pas pu trouver un emploi. Un jeune à l’apparence dépenaillée qui sentait le savon de toilette publique, qui ne possédait pas de carte d’emploi ne fait généralement pas bondir d’enthousiasme les éventuels employeurs même si le travail est humble et la paie minimale. J’ai passé trois journées à n’absorber que de l’eau. Dans un parc où je m’apprêtais à m’installer pour dormir cette nuit-là où j’éprouvais une faim dévorante un homme d’âge mûr, style professionnel du centre-ville m’a demandé abruptement quels étaient mes tarifs. Je l’ai regardé stupidement. Il m’a dit : « Un vingt pour t’enculer mais deux sans condom ». J’ai dénudé mes fesses et je me suis agenouillé appuyé au sol. Avec mon billet j’ai bouffé jusqu’à m’en rendre malade. Vendre mon cul pourquoi pas. J’ai pu louer une chambre garnie m’acheter bouffe et vêtements. Puis me retrouver encore une fois devant un vide vertigineux. Pour des garçons aussi paumés que je l’étais j’ai eu des élans de tendresse. J’ai partagé avec quelques-uns les plaisirs du sexe et de la drogue. Ça coute cher la came… Après quelques années de cette négation d’existence j’ai été envahi par le désir irrépressible d’y mettre un terme. J’ai décidé de me jeter à l’eau. Ce soir-là exceptionnellement je n’étais pas complètement givré puisque j’étais bien décidé à mourir plus dignement que je n’avais vécu… J’ai enjambé la rambarde du pont et je me suis assis. J’ai regardé la lune pleine puis l’onde où elle se reflétait. Je me suis senti bienvenu. « Plutôt froide à ce temps-ci de l’année, pourtant… » Le vieil homme s’est accoudé non loin.

« La lune glauque, ton air tragique… Ma voix se rauque et mon ton s’alambique. J’ai envie de te baiser juste pour que tu ne puisses te noyer… »

Il m’a tendu la main. « Viens, tu as besoin d’amour et j’ai besoin d’aimer. » Il m’a emmené à sa résidence de vieux.

« Ton néant me fascine. Ta beauté me touche. Prends mon chibre dans ta bouche… Non plutôt offre-lui une pente incline… »

Juste avant il m’a tendu un recueil de poèmes, Hombres de Paul Verlaine. « Lis le quatrième poème, Balanide. »

« Gland point suprême de l’être de mon maitre / De mon amant adoré / Qu’accueille avec joie et crainte / Ton étreinte /
Mon heureux cul perforé / Tant et tant par ce gros membre / Qui se cambre / Se gonfle, et, tout glorieux / De ses hauts faits et prouesses / Dans les fesses / Fonce en élans furieux. »

Cíaran ouvre les yeux et les regarde soudainement décontenancé.

Pardonnez-moi, je me laisse aller à des réminiscences en oubliant les innocentes oreilles féminines… Enfin Thomas c’est elle qui est censée rougir de pudeur offensée! À moins que tu ne te trouves prêt pour une séance de lecture prématurée? … D’accord j’arrête de t’asticoter mais si tu cesses de prendre ton air outragé… C’est mieux! Puis-je reprendre? Votre parfait mutisme flatte mon ego… Une cigarette s’il te plait Nuala… Merci Thomas : j’avais soif… Henry est entré dans ma vie de cette façon. Nous avons passé un contrat. Ainsi chaque lundi matin je devais me présenter à la résidence étant sobre et proprement vêtu. Jusqu’au soir mon être entier lui appartenait que ce soit pour d’humbles tâches domestiques, des courses, des diners, des sorties ou encore d’écouter ses confidences ou de raconter quand j’en sentais le besoin, et aussi de baiser à l’occasion. En échange il me donnait cent dollars. L’entente stipulait que je m’engageais à ne pas attenter à mes jours d’aucune façon que ce soit et par voie directe ou détournée. Complètement ébahi j’ai accepté. Au fil du quotidien hebdomadaire Henry a entrepris une véritable oeuvre de reconstruction de personnalité ceci sans que je n’en aie conscience du moins au début… Il est devenu mon confident, mon guide, mon maitre, mon professeur et mon amant. Il s’est montré impitoyable, intransigeant et perfectionniste à outrance sous tous les aspects de notre relation. Comme une éponge j’ai absorbé ce qu’il me transmettait. Un bon bout de temps a été nécessaire avant que je ne sois en mesure de me donner à lui; et lui à moi aussi avec toute sa vulnérabilité humaine. Un jour, il m’a dit : « Vivre de poésie frise l’utopie. C’est profondément égoïste d’une certaine manière. Quant à vendre ton cul cela constitue certes une oeuvre socialement utile mais ô combien brève. Il existe un besoin, bien plus criant que le sexe et qui atteint de plein fouet les hommes de mon âge ceux-ci encore plus que les autres : celui de communiquer, de transmettre son expérience à quelqu’un apte à la recevoir, de raconter ou radoter ses souvenirs sans qu’ils ne soient accueillis par un haussement d’épaule indulgent d’un enfant accaparé par sa propre existence familiale la plupart du temps trépidante. À ceci s’ajoutent les préoccupations omniprésentes reliées à la sénilité du corps ainsi qu’à la vie quotidienne. La sexualité est présente puisqu’elle s’inscrit dans le cours naturel des choses mais différente… Si tu donnais Cíaran un peu de ton être à d’autres vieux que moi? Pour eux ce serait de très beaux instants de bonheur probablement les derniers crois-en mon expérience… Et pour toi ce serait non seulement une façon d’assurer ta subsistance mais aussi de t’enrichir au plan humain. » Mes journées se sont remplies. Le sentiment de dignité procède intrinsèquement de la conscience de son utilité… Je suis un être privilégié par la vie malgré mon infirmité. Mes vieux je les aime et ils m’aiment. Grâce à eux je ne suis plus une inculte nullité.

Cíaran se précipite vers la salle de bain.

C’est la mort d’Henry qui a provoqué sa crise mentale.

J’avais compris! … Cíaran est un être extraordinaire Thomas.

D’accord. Mais il n’existe aucune raison à l’amour. Je l’aime c’est tout.

Heureusement que notre père l’a mis dehors… Au moins il vit!

Cíaran les rejoint. Il remet à Nuala un disque compact et un livret.

Un autre volet de ma vie… Garde cela pour toi : maman ne comprendrait pas. En retour tu vas raconter toi aussi mais un autre jour : je me sens très las.

Nuala se lève. Elle se serre contre son frère lequel l’enserre à la taille. Il lui donne un léger baiser sur les lèvres. Elle accapare les siennes, prolonge. Cíaran ne le refuse pas mais ne le rend pas. Nuala prodigue à Thomas identique traitement. Sa réaction de surprise passée Thomas se prend au jeu. Ils bissent. Elle sort ensuite les laissant plantés là. Thomas touche ses lèvres.

Drôle de conception d’un baiser fraternel ou amical…

Cela n’y ressemblait pas beaucoup en effet… Tu aurais pu te retenir quand même!

Pourquoi? J’étais aux anges moi! … Éprouverais-tu de la jalousie?

Cíaran ne répond pas. Il se dirige vers la chambre.

Cela n’avait pas tellement l’air de te déplaire non plus : tu l’as laissée faire! Et c’est ta soeur!

Cíaran toujours silencieux se dévêt et s’installe au lit imité en tout geste par Thomas.

C’est un non-sens qu’un baiser même passionnant soit celui de la discorde! … Cíaran?

… Tu as raison… Je ne comprends pas.

J’ai eu l’impression qu’elle se sentait proche de nous deux… Sa manière de l’exprimer peut-être?

Je ne sais pas. Nuala est une femme énigme… un peu peste en sus…

Tu m’as manqué mon amour. Je t’aime.

Moi aussi, doublé, Thomas…

Cíaran s’endort immédiatement. Thomas s’ajuste à son rythme. Ses ardeurs se calment et il le rejoint dans le sommeil. Au coeur de la nuit Cíaran chevauche Thomas et s’empale sur la verge instantanément dressée. Thomas s’empare du membre durci de son amant. Ils s’accouplent longuement avec une tendresse passionnée, s’attendent et se rejoignent à l’aboutissement du désir, secoués de tremblements incoercibles. Cíaran se rendort encore relié à Thomas. Celui-ci l’enserre entre ses bras et sombre à son tour.

 

Samedi 2 mai

Thomas se dégage doucement de leur enlacement, fait toilette et prépare le déjeuner. Il apporte jusqu’au lit le plateau copieusement garni de quatre oeufs à la coque, du même nombre de rôties, de huit morceaux de bacon croustillant, d’une tomate tranchée et d’un litre de jus d’orange. Par l’odeur alléchée Cíaran ouvre un oeil puis l’autre.

Une autre offensive!

Puissent-elles un jour porter fruit!

Ils font honneur au repas. Thomas leur rapporte du café fraichement filtré.

… Ton insistance me touche…

Mais c’est toujours non hélas… Je ne me décourage pas pourtant.

Tu devrais : rien de bon à vivre avec moi en permanence.

Je ne partage pas ton opinion…  Je perçois toutefois un léger malentendu : autant que possible c’est tous les deux que je veux épouser…

… Disons que je n’avais pas saisi la nuance… C’est encore plus fou! Et tu voudrais nous faire partager le même lit en plus?

Cela fait partie de mon imaginaire érotique…

Tu peux toujours rêver. Ça ne fait de mal à personne en tout cas! Je te rappelle que je suis homophile et que je vis très confortablement avec cet état de fait! Jamais une femme  n’entrera dans ma vie intime Thomas. C’est non négociable.

Et moi je pense que tu réduis trop les relations humaines sur la base du genre.

Tu es un homme et je t’aime. Et je le ressens par tous les pores de mon être. Et n’eut été de la Saloperie Parasitaire je…

Dis-le.

J’aurais volontiers accepté de t’épouser… toi seul.

Thomas baisse les yeux, se mord les lèvres. Le silence perdure un moment.

… Pour toi ma double nature constitue un handicap donc.

Non Thomas. Plutot un empêchement majeur à une vie commune. Mais ne doute jamais que je t’accepte ainsi. C’est juste que contrairement à toi j’ai des limites affectives et sexuelles.

Lori dit la même chose mais en d’autres termes. Mais je crois que vous simplifiez trop. Je saurai vous conquérir malgré cela.

Don Quichotte je t’aime.

Moi aussi Cíaran… Ta maladie pour moi c’est un inconvénient mineur.

Tu ne sais pas de quoi tu parles Thomas : graduellement et avec les années je vais me rapprocher de l’état du végétal. C’est ce qui m’attend avec la plus grande certitude.

Eh bien justement non!

En médecine les miracles n’existent pas! … Loïc y croyait jusqu’à ce qu’il atteigne la phase terminale du SIDA et même au-delà… J’ai moins peur de mourir que de dépendre de qui que ce soit même et surtout de l’homme que j’aime!

Cíaran je veux que tu réitères avec moi le pacte que tu as fait avec Henry.

… Ne me demande pas cela.

J’ai deviné tes projets à plus ou moins long terme… Si tu m’aimes vraiment promets.

… Oui. Je t’aime Thomas.

L’amour n’apporte pas toujours le désespoir, la souffrance ou la mort, mais l’espoir, le bonheur, la vie. Et je vais m’efforcer de te le prouver tant que tu voudras de moi.

Thomas l’enceint tout contre lui. Ils s’embrassent tendrement.

Afin de régler un problème, d’ordre pratique cette fois je suggère que nous convenions d’un code pour nous rejoindre. Ainsi si tu décroches et hurles « la paix! », je comprends et je ne m’en offusque pas; si je rappelle tout de suite après c’est qu’un cas de force majeure le motive, autrement je réessaie le lendemain. Idem pour toi. Si tu comptes t’absenter un bout de temps laisse un message sur mon nouveau répondeur. Si tu veux me joindre immédiatement et toutes affaires cessantes j’ai acheté un téléphone mobile dont voici le numéro. Si tu ne peux pas parler laisse le combiné ouvert quelques minutes : je viendrai aussitôt si tu le souhaites; autrement raccroche simplement. J’ai rajouté les coordonnées de Lori ainsi que celles de mes parents. Tout ceci te semble-t-il acceptable?

Cíaran acquiesce et place le feuillet sur la table de chevet.

Thomas débarrasse. Il revient dix minutes plus tard. Cíaran jambes relevées et croisées appuie son menton sur ses genoux. Thomas s’installe en même position non loin.

Comment se sont déroulées les retrouvailles familiales?

… Ma mère a très peu changé… une décennie ou presque mais à peine quelques rides et cheveux blancs de plus… Elle m’a enserré entre ses bras. Je me suis senti redevenir enfant rentrant de l’école, pleurant à chaudes larmes parce que j’avais encore été battu ou taxé par des plus grands et costauds que moi. D’un accord tacite jamais nous n’en parlions avec mon paternel puisque soit il serait allé casser la gueule des responsables soit il m’aurait forcé à suivre des cours d’arts martiaux : des façons de régler les problèmes aussi pires l’une que l’autre. Quoi qu’il en soit son odeur était la même tout comme son amour… Notre mère nous a toujours prodigué sa tendresse trop même pour compenser les difficiles relations avec mon père…

Avant de reprendre son récit Cíaran s’enferme dans ses souvenirs durant un long moment.

Quant à l’homme que je suis devenu… Aimer ne rime pas nécessairement avec accepter malheureusement… Maman est une catholique plutôt dévote. Connais-tu la position du Vatican en ce qui concerne l’homosexualité?

J’ai lu un article là-dessus dans La Presse… Qu’on ne doit pas rejeter les personnes qui en sont « affligées ». Que les homosexuels peuvent être admis dans son giron s’ils s’abstiennent de céder à leurs « penchants coupables » et promettent de vivre dans la chasteté…

À peu de chose près… Avant que tu ne sois invité à la table familiale ta chevelure luxuriante aura disparu mon amour… Quant à ma maladie : pour elle c’est une épreuve que Dieu m’envoie… pour me punir quant à y être! Elle m’a juré sur la Bible que jamais je ne manquerai de rien et qu’elle sera toujours là pour m’aider en cas de besoin… Au secours! … Mais je ne l’en aime pas moins… Elle a beaucoup souffert. Son refuge est devenu le culte sectaire. Et cela l’a aidée à survivre…

Cíaran se tait manifestement au bout de sa confidence.

J’ai l’impression que tu omets sciemment certains éléments…

…Nous avons conclu une entente : je ne disparais plus et elle évite d’aborder les sujets tendancieux.

Tu l’as menacée!

Tu y vas fort dans le vocabulaire! J’ai plutôt tenté de lui faire comprendre gentiment qu’elle n’a pas à se mêler de ma vie d’homme de vingt-cinq ans totalement responsable de son existence et de ses choix. Je lui ai expliqué en taisant somme toute peu de faits la raison de la crise qui a provoqué notre renouement ainsi que la nature de mon travail auprès de personnes âgées. J’ai surtout parlé des bons côtés de ma vie forcément!

Mon commentaire ne constituait pas une attaque ou un jugement!

Je l’ai pris ainsi peut-être parce qu’au fond c’en était une menace… Ma mère a la tendresse étouffante… Et elle est tellement remplie de certitudes sécurisantes…

De nouveau songeur Cíaran s’isole. À l’issue de ses réminiscences il interroge son ami.

Dans ta famille cela semble tellement harmonieux.

Cela ne l’a pas toujours été pourtant. J’ai vécu une adolescence délinquante. J’ai tout fait pour qu’ils cessent de réagir comme des parents idéaux… Un autre jour je te raconterai quelques-unes de mes frasques… Mais ce dont je leur serai éternellement reconnaissant c’est de m’avoir laissé toute latitude pour devenir un être responsable. C’est ce que je tenterai de vivre avec mes enfants… Du moins si Lori accepte d’en porter…

… Tu souhaites te perpétuer!

N’est-ce pas la plus grande finalité humaine!

Pour ceux qui le peuvent peut-être. En ce qui me concerne la question ne se pose même pas. C’est probablement un facteur génétique qui prédispose à la sclérose en plaques. Ce serait à mon sens,  faire preuve d’irresponsabilité que d’engendrer même à risque minime; sans parler d’une vie quotidienne problématique et graduellement débilitante ce qui exclut bien entendu l’adoption.

… Je ne voulais pas te blesser.

Ta remarque relevait de la spontanéité mais elle a involontairement touché un point que je croyais devenu insensible. Choisir ou plutôt devoir puisque cela ne constitue pas vraiment un choix de vivre selon ses affinités implique dans mon cas quasi automatiquement de renoncer à fonder une famille. Et ce n’est pas chose si facile.

Le silence réflexif est de courte durée.

Tu en es sans doute venu à la même conclusion…

… Si l’on prend en considération le patrimoine génétique Nuala aussi…

Je ne sais pas si elle en a pris conscience… J’imagine que pour une femme c’est encore plus difficile. Je connais peu celle qu’elle est devenue, même si nous étions relativement proches avant… Mais elle a toujours été secrète et imprévisible. Et cela n’a pas changé… Ses lèvres tatouées me laissent perplexe.

Pourquoi? C’est joli et en tout cas mieux qu’un cosmétique!

Elle a dû subir de multiples séances de véritable torture pour obtenir ce résultat! Ces issues sont aussi sensibles que la peau de ton pénis mon amour. Et le tatouage implique l’utilisation d’aiguilles au niveau du derme et ceci sans mentionner le produit injecté! … Je lui ai posé la question. Elle m’a répondu que c’était partie intégrante de sa démarche artistique. Point.

Très lumineux en effet…

Thomas se lève pour regarder à la fenêtre.

Je suggère une petite séance de jogging.

La pluie tombe pas mal!

Pas tant. Le parc est magnifique et l’odeur d’herbe trempée chatouille les narines. Si tu te sens coq mouillé, tu pourrais t’emmitoufler dans mon imper…

Ta manière de présenter les choses : tu es comme un arc-en-ciel!

… Et toi mon soleil… Ne manque que l’ondée : habille ta peau trop tentante poète… Au retour je te ferai l’amour après avoir massé ta délicate musculature.

… Sclérosée…

Fatiguée.

Thomas court une heure durant sous le crachin puis sous l’orage poussant la chaise roulante et Cíaran dedans. Une percée de soleil. Muets, ils contemplent l’écharpe d’Iris jusqu’à ce qu’elle devienne évanescente.

Rentrés ils mettent à exécution la deuxième partie du programme. Cíaran étalé sur le ventre détaille la nudité en devenir émergeant de la gangue trempée.

J’ai envie de respirer tes cheveux mouillés. Et de m’insinuer dans ta chaleur humaine. Et de couvrir ta nuque de baisers puis de t’entendre crier de jouissance païenne en écho de joie à la mienne.

Rosé et bandé Thomas s’offre à son amant lequel le prend avec passion tel que décrit. Sauf que le rituel amoureux dérape.

… Je n’y arrive pas Thomas.

Sa voix est empreinte de la frustration du désir inassouvi. Cíaran retombe sur le flanc.

C’est de ma faute : je n’ai pas été assez actif.

Mais non c’était très bien ainsi… Juste que mon corps a cessé de répondre soudainement… C’est presque un miracle que cela ne soit pas survenu avant aujourd’hui… Veux-tu que…

Non. Je veux partager cela, aussi.

Désolé Thomas.

Ne le sois jamais avec moi. Ceci fait partie de la réalité que l’on vit. L’important, c’est l’amour que l’on ressent pour l’autre et qui peut aussi s’exprimer dans la tendresse.

Idéalement peut-être. Je suis frustré! Je me sens… moins qu’un homme!

Du calme ce n’est qu’une ratée mineure! Viens dans mes bras.

Ne te mets pas d’oeillère Thomas. Depuis quelques fois tu t’es certainement rendu compte que baiser devenait de plus en plus long et ardu…

… Peut-être que ton désir pour moi s’émousse…

Le crois-tu vraiment?

Non. C’est le contraire qui se produit plus tu m’approfondis. Tu interprètes mon corps comme un virtuose et tu me fais atteindre des sommets inconnus… J’ai voulu croire que c’était réciproque.

Mais ça l’est! Peux-tu comprendre?

Excuse-moi : c’est cruel de réagir ainsi!

Seulement un peu stupide disons… Et ce massage?

Sous les mains lénifiantes, Cíaran recouvre son calme. Thomas aussi s’apaise. Ils font une courte sieste, noués. Passent plusieurs heures à travailler sur le manuscrit. Dinent en amoureux très proches.

Thomas j’ai besoin de me retrouver seul… Ce n’est pas un rejet.

Sans problème… Surtout depuis que j’ai compris que tu es devenu accro à moi…

Et j’en suis bien trop heureux pour éprouver la moindre velléité de me désintoxiquer… Thomas j’ai l’impression de vivre en rêve. Dans la réalité c’est impossible que tu m’aimes autant. J’ai peur de me réveiller!

Et moi j’ai hâte que tu cesses de te déconsidérer à cause de ta maladie! Et que tu acceptes mon amour étant dans l’ordre des choses!

 

Vendredi 8 mai

En l’apercevant l’avenante figure sillonnée de ridules s’illumine d’un sourire accueillant.

Bonjour Thomas! Ça fait longtemps que nous avons eu le plaisir de votre visite.

Et moi celui de contempler les prunelles qui font palir d’envie le firmament…

Ciel voilà que vous devenez poète et galant!

Mais je viens pour une consultation Marika. Voyez-vous…

Thomas se penche vers l’aimable secrétaire et poursuit sur un ton confidentiel mais assez fort pour être parfaitement audible des deux patientes présentes dans la salle d’attente, une jeune femme très enceinte et une dame d’âge mûr à la mine sévère.

Chaque matin depuis une semaine je suis saisi d’irrépressibles nausées. Et mes seins sont devenus d’une extrême sensibilité particulièrement les mamelons…

À quand remontent vos dernières règles?

Je ne m’en souviens pas précisément; depuis pas mal de temps en tout cas. En plus j’éprouve comme une sorte de ballonnement à l’endroit du ventre. J’ai l’impression que je suis enceint!

Qu’avez-vous mangé au petit déjeuner ?

Rôti de porc, crème fouettée, brocoli et cerises au sirop.

Quelque peu indigeste disons… Asseyez-vous le docteur pourra vous recevoir d’ici une demi-heure.

Merci, Marika. Quel grand bonheur ce serait!

Ostensiblement elle lui désigne une chaise. Thomas obéit. Les patientes médusées contemplent le jeune homme aux yeux pudiquement baissés. Elles regardent ensuite Marika imperturbable et revenue toute à son travail administratif. Thomas leur adresse un timide sourire. Unanimement elles y répondent par un autre mais légèrement crispé.

Hugh sort de son bureau en consultant en même temps un dossier. Lorsqu’il lève les yeux ses sourcils se froncent à la vue de son fils.

… Madame Taylor.

La plus vieille des dames comme mue par un ressort se lève et la démarche raide suit le gynécologue dans son cabinet. La consultation dure une vingtaine de minutes durant lesquelles Thomas s’emploie à briser la glace avec la patiente enceinte. Ils en sont à causer à batons rompus à propos de l’accouchement prochain et de l’angoisse qui l’en étreint lorsque le docteur Desmond consterné mentionne faiblement.

Madame Arletty…

Je suis enchantée de notre conversation Thomas; c’était très intéressant.

Je vous souhaite bonne chance Brigitte.

La porte se referme sur elle. Marika s’étrangle, tellement elle rit, tout en essayant de demeurer sérieuse.

Il va être furieux contre vous!

Vous croyez? L’histoire était quand même plus drôle que celle de la descente d’organes.

Heureusement que madame Boisvert n’avait pas subi d’hystérectomie! … Ou que celle de la MTS galopante… La tête qu’a faite soeur Marie-Angèle! Pour cette facétie-là le docteur vous aurait volontiers battu! Il en a fulminé sporadiquement durant une semaine!

Ah oui? Je ne l’ai jamais su! … À l’époque c’était le but recherché mais plus maintenant.

Je le vois bien! Mais ce n’était quand même pas bien méchant… Il dispose de deux heures et il est épuisé; les derniers jours ayant été particulièrement lourds…

Je le ménage c’est promis.

 

Un quart d’heure écoulé Brigitte Arletty s’en va toute légère malgré son encombrant fardeau. De l’interphone la belle voix masculine le ton légèrement rogue est laconique.

Monsieur Desmond.

De sa démarche assurée Thomas pénètre dans le confessionnal médical. Il s’assoit face à son géniteur.

Pour diner elle salivait pour du rôti de boeuf avec des choux de Bruxelles, de la crème fouettée et des cerises au sirop…

C’était du porc et des brocolis; le reste est exact.

Elle n’éprouvait plus de vomissements et ne ressentait plus de ballonnements…

Des nausées seulement et les seins sensibles en plus…

Particulièrement aux mamelons… sans mentionner la dysménorrhée sans doute…

Hugh abandonne sa retenue et se tient les côtes.

Celle-là c’est ta meilleure!

Et ta patiente quinquagénaire?

Hilare quand j’ai souligné notre lien de parenté et ton tempérament facétieux. Et tu as fait la conquête de madame Arletty!

Elle m’a confié que lorsqu’elle aura mal durant le travail elle songera à notre conversation.

C’est gentil! … Viens-tu pour une visite de courtoisie ou une consultation?

… Les deux…

La figure de Thomas se colore délicatement. L’embarras manifeste du jeune homme semble inciter Hugh à se rapprocher et à s’asseoir dans le fauteuil à côté.

Parle, mon fils c’est le docteur qui écoute.

Thomas sourit.

Tu disais toujours ça quand j’étais gamin. Tu ajoutais parfois « que le bobo soit grand ou petit »… J’ai besoin d’un conseil… Cela concerne mes… relations intimes avec Cíaran. Depuis quelques semaines c’est devenu de plus en plus ardu d’avoir un… rapport sexuel complet et satisfaisant… La perte de sensibilité est assez aiguë pour que toute… stimulation… directe ou indirecte… demeure sans effet notable…

… Il pourrait consulter un urologue…

Il refuse net de parler de son problème d’impuissance avec un professionnel. Son attitude par rapport à la médecine, aux traitements et aux médicaments tient d’une phobie maladive. Pour soulager les douleurs multiples qui l’assaillent quotidiennement il prend du Tylenol et seulement lorsque cela devient intolérable; quand je suis là c’est moi qui l’en libère. La kinésithérapie qu’il devrait suivre c’est moi qui la dirige ou l’assure. Je ne m’en plains pas puisque j’aime m’occuper de lui; je le mentionne simplement pour te faire comprendre à quel point le blocage est important… La perte de sa virilité probablement temporaire mais qu’il redoute permanente le mine…

Hugh demeure silencieux dans l’expectative. Faute de commentaire dans un délai raisonnable Thomas précise.

J’ai pensé à la solution miracle de l’heure pour ce type de difficulté et je voudrais connaitre ton opinion à ce sujet.

Le sildénafil constitue en effet une révolution majeure dans le traitement de la dysfonction érectile considérant la panoplie de ce qui était offert auparavant des injections locales aux implants péniens. Le taux de réussite est de l’ordre de 70 %. Le médicament ne provoque pas d’érection sans qu’il y ait stimulation érotique. Il ne crée rien mais remet en état. La dose doit être absorbée une heure avant une relation sexuelle. Les effets secondaires sont généralement peu importants et relativement rares : maux de tête, rougeurs et tendance à voir en bleu puisque l’enzyme stimulée se retrouve aussi dans l’oeil. C’est contre-indiqué toutefois de le prescrire à des patients ayant des antécédents de pathologies cardio-vasculaires, d’ischémie cérébrale, d’hypo ou d’hypertension artérielle ou encore de rétinite pigmentaire… Viagra n’a pas encore été homologué au Canada et il est vendu sur ordonnance…

Ton opinion est donc favorable malgré les mises en garde… Cíaran est en parfaite santé hormis la « Saloperie Parasitaire », comme il dit… Je dispose d’une adresse Internet où on peut se le procurer sans…

Et risquer de se faire envoyer des contrefaçons inefficaces payées au prix fort…

Hugh ouvre un tiroir de son bureau et lui tend un flacon de plastique blanc.

… Je dispose de meilleurs fournisseurs… Quant à son efficacité et son innocuité… je les ai testés sur ma personne…

L’ablation de la prostate?

Cela peut causer un dysfonctionnement érectile tout comme la sclérose en plaques… J’ai trouvé que c’était pénible à vivre… Ce serait étonnant que ton ami lève le nez bien longtemps là-dessus.

Est-ce que Michelle sait que tu prends ces trucs?

Évidemment! Elle comprend très bien que le problème est uniquement d’ordre physiologique. Et avec ce médicament c’est très clair : si je ne la désirais pas je ne banderais pas! … Ce qui affecte Cíaran n’est certainement pas un manque de désir comme tu sembles le craindre. C’est une coupure entre la libido et la réponse du corps à celle-ci… Et je souhaite que le sildénafil contribue à vous faire retrouver comme cela a été le cas pour notre couple le plaisir de pouvoir les faire concorder à nouveau… C’est probable que Cíaran n’en aura besoin que pour une ou plusieurs courtes périodes… Cependant tu reviendras me voir lorsqu’il en manquera ceci jusqu’à ce que Viagra soit mis en vente en pharmacie canadienne et là je remplirai une ordonnance. Fin de la consultation.

Thomas se lève tout comme Hugh.

Comment te remercier?

En m’invitant à diner: je meurs de faim

Si nous retournions à ce petit restaurant vietnamien?

Excellente idée!

… Merci de m’accepter comme je suis. Je t’aime papa

Moi aussi Thomas… Tu m’as fait me rendre compte, d’un aspect important de la sexualité et de l’affectivité humaine : quel que soit le sexe de l’élu c’est la même chose vraiment! Viens, avant que je ne meure d’inanition!

 

Suspicieux Cíaran examine le flacon placé bien en évidence sur la table de chevet.

Mon père en prend; depuis qu’il a subi l’ablation de la prostate il connait des problèmes de dysfonction érectile… Il n’en est pas mort en tout cas… Plutôt heureux du résultat, à vrai dire…

Tu connais mon opinion quant aux médicaments pourtant!

Je ne l’ignore pas… Le remède ne provoque pas le désir; il permet simplement au corps de se trouver en conjonction avec la tête, il n’est pas agressif et ne constitue pas non plus une panacée… Mais ce n’est pas vraiment important mon amour. Je ne veux pas que tu te sentes obligé d’y avoir recours… Je t’aime Cíaran… Et je vais à ton rythme… Bonne nuit.

Thomas émerge de l’abime du rêve sur une vision en plan rapproché de l’attribut viril érigé de son homme. Ils se prodiguent des tendresses buccales jusqu’à ce que Cíaran murmure, la voix rauque.

J’ai envie de toi Thomas.

Je t’appartiens Cíaran.

Thomas se déplace sur le ventre en attente frémissante. Cíaran monte sur lui et l’encule; il le couvre au long.

Je n’ai jamais autant ressenti l’intérieur de ton cul. C’est comme si la barrière physique n’existait plus! Je t’aime mon amour tout bleu… Non reste immobile, je veux te savourer davantage… C’est comme avant la SP… Thomas!

Retiens-toi attends-moi!

… Excuse-moi… … Oh! … Je vais te prendre encore.

… Plus vite, pour me rallumer…

Alors, travaille aussi du derrière…

Ils se déchainent. Ils pleurent dans les bras l’un de l’autre tremblants encore de leur intense fusion amoureuse.

 

Samedi 9 mai

Thomas tend à Cíaran le feuillet mauve plié en deux.

J’ai trouvé ce message glissé sous la porte d’entrée.

« Veux-tu connaitre Nuala? Ce soir à vingt-deux heures sur la scène expérimentale du Border Zone Nuala interprétera la version avant-première de Dissociée et pour la première fois devant public Schizo lequel constitue le deuxième volet de Noème. Ces prestations seront suivies de la séance intensive de critique habituelle en ce creuset de l’art présent. Toi et ton ami serez attendus. Les coordonnées complètes sont inscrites plus bas. »

T’accompagner me pose problème… Comme tu m’avais dit que tu serais occupé samedi soir j’ai planifié un souper au restaurant avec Lori à dix-neuf heures.

Je devais passer la soirée avec ma mère mais nous avons convenu plutot de nous voir demain. Et j’ai oublié de t’en aviser… Ne pourrais-tu pas remettre ton rendez-vous?

Je ne le souhaite pas Cíaran; ce serait faire preuve d’indélicatesse envers mon amie… Par contre nous aurons certainement fini notre repas avant que ne débute la représentation de ta soeur…

Tu pourras te libérer alors!

… Nous pourrions venir te chercher… et y assister tous les trois… Un jour ou l’autre vous aurez à vous rencontrer; autant que la première fois se déroule dans un lieu neutre…

… Tu rentrerais avec elle sans doute.

De toutes les manières le dimanche tu préfères rester seul.

… Disons que je ne déborde pas d’enthousiasme… Mais soit je me soumets à tes conditions draconiennes : le prix à payer pour ne pas insulter Nuala…

Vraiment Cíaran l’air martyr ne te sied pas au teint!

Cíaran endosse sa robe de chambre et se dirige vers la cuisine. Thomas le retient en plaçant une main sur son épaule.

Je vais préparer le déjeuner.

Tu ne vas pas faire cette tête toute la journée !

… Cuisiner me calmera les nerfs.

Cíaran passe sa frustration sur la vaisselle; bilan des dégats : trois assiettes, un trio de bols et un triangle de verres. Sans piper mot, Thomas ramasse l’amoncellement de tessons.

Je t’aime Thomas.

Alors accepte, aussi, cette partie de moi.

Tu m’interpelles fort.

Je sais. Je t’aime Cíaran.

Ils travaillent un long moment sur le manuscrit.

Je n’arrive pas à croire que cette lettre ait été détruite. Ce serait bien trop dommage!

Thomas examine le cahier original mais ne découvre aucune fente susceptible d’abriter le moindre bout de papier.

Le coffret peut-être?

Thomas s’empare du combiné. Il explique au répondeur le problème rencontré, fournit ses coordonnées, puis raccroche.

Quinze minutes plus tard le téléphone s’exprime.

Bonjour professeur je n’espérais pas une réponse aussi rapide!

Je me trouvais à mon bureau. Je ne veux pas vous faire languir : j’ai découvert plusieurs feuillets de fin vélin logés sous la doublure intérieure du couvercle concave. Ce sont quatre missives écrites en gaélique mais d’une autre main que celle du cahier, féminine j’en jurerais; une femme de caractère à la calligraphie décidée.

Je vous adore! … Euh puis-je venir les chercher?

Je vous attends.

Le professeur Gérard Perrier raccroche abruptement.

Excuse-moi j’aurais dû te demander avant si cela te dérange.

Mais non je partage ton enthousiasme! 

 

Vingt minutes plus tard Thomas stationne Rossinante devant le pavillon. Au pas de course il franchit les escaliers et les corridors déserts.

Entrez Thomas.

Celui-ci obtempère. S’arrête net, médusé. La pièce se trouve dans un désordre indescriptible. De nombreux cartons vides encombrent davantage.

Euh… Je tente d’emballer mes affaires tout en procédant de manière ordonnée… Je dois admettre que jusqu’à maintenant le résultat obtenu ne rejoint pas la hauteur de mes aspirations…

… Pourquoi?

Je prends ma retraite.

Vous ne pouvez pas faire ça!

Mais oui que je peux! Je le dois même… Je vieillis… Cette session a été particulièrement éprouvante… C’est le temps que « le Vieux » raccroche.

C’est impossible : vous êtes l’âme du département!

… Votre exclamation me touche énormément. Mais nul n’est irremplaçable. Et d’ores et déjà la relève est bien assurée.

Permettez-moi d’en douter monsieur.

Gérard Perrier émet un petit rire derrière lequel transparait la tristesse. Il la chasse du revers de la main.

J’ai appris que vous n’aviez pas effectué votre inscription en maitrise…

… J’ai dû régler beaucoup de difficultés… Probablement l’an prochain…

La jeune Lori a présenté un projet fort intéressant et bien étoffé… Excusez-moi je n’aurais pas dû aborder ce sujet.

Sans problème, Lori et moi avons repris nos relations… Cíaran fait aussi partie de ma vie désormais.

Le professeur de gaélique si mes déductions s’avèrent exactes.

Oui… C’est compliqué.

J’imagine aisément! En ce qui me concerne j’ai toujours fui les complications sentimentales et je m’en porte très bien!

Ils rient. Le professeur tend à Thomas les missives convoitées.

Voici les mystérieuses épitres… Je ne dispose pas d’enveloppe protectrice.

J’y ferai attention. Merci… Pourrais-je solliciter une faveur?

Dites toujours.

Le privilège de vous aider dans votre déménagement.

Oh! … J’apprécierais énormément… Mais je suis un peu maniaque…

J’ai l’habitude.

En quelques mois vous avez beaucoup changé Thomas…

Lundi dans l’après-midi?

J’accepte volontiers. Merci.

 

Après avoir pris congé Thomas retourne chez Cíaran.

Tu en as mis du temps! Pourquoi cet air triste?

Mon professeur : il prend sa retraite. C’est le meilleur de tous! … Je l’ai senti tellement mélancolique et tellement solitaire! … On remet la traduction des lettres à un autre jour. Que dirais-tu d’un massage de détente?

Comment pourrais-je refuser! … Mes douleurs musculaires sont particulièrement pénibles à endurer aujourd’hui.

Pourquoi m’en parles-tu juste maintenant?

Cíaran évite de répondre et gagne la chambre. Thomas procède avec lenteur envers et avers.

Celui-là aussi? … Je détecte une certaine raideur naturelle dans la musculature…

Hum… Cela risque d’être long…

C’est bon aussi.

Cíaran s’agenouille et d’un avant-bras prend appui sur la tête du lit. Assis sur ses jambes derrière son amant Thomas après avoir accompli le rituel habituel cède à l’invite explicite. Il le maintient par les hanches pendant qu’il le sodomise, haletant, puis criant, puis tremblant. Ses caresses sur le corps de son amant ravivent le désir. Galvanisé Cíaran accélère son rythme onanique. Leur corps exsude, leur plaisir aussi. De longues plaintes ponctuent leur orgasme simultané. Ils prennent une douche hâtive. Cíaran défaille et Thomas doit le soutenir. Il l’aide à s’essorer puis le porte jusqu’au lit. Il l’enserre avec tendresse.

Je vais régler le réveil. J’arriverai vers vingt et une heures trente.

Cíaran ne l’entend pas déjà profondément endormi le sourire aux lèvres. Thomas sourit aussi puis dépose un baiser sur sa joue.

Thomas se présente chez Lori tout essoufflé.

Tout à fait et très désolé!

Seulement une demi-heure de retard… Cela a déjà été pire… Heureusement ils servent façon cafétéria.

On ne va pas encore aller au Végas! Tous ces plats aux mille espèces de haricots provoquent des ballonnements à l’estomac ainsi que des flatulences!

Tu préférerais sans doute le McDonald?

Au restaurant vietnamien le service est rapide et cela concilierait nos gouts diamétralement opposés!

D’accord mais la séance débute à vingt et une heures trente.

Hein?

Je parlais du film Thomas.

Nous devions aller au cinéma?

… Viens on en reparlera en route.

Thomas l’enlace plutôt. Lori se colle tout contre lui.

Tu sens bon. Je trouve cette odeur très sensuelle… As-tu changé de savon?

J’ai pris ma douche chez Cíaran… Je meurs de faim princesse.

J’imagine.

Attablés ils mangent en silence. Thomas dévore et Lori chipote. À la fin du repas Thomas lui tend le feuillet mauve. Lori lit, perplexe.

Mais qui est Nuala?

On prononce NOU-la. C’est la soeur de Cíaran… Ils n’ont repris contact que récemment après une éclipse de près d’une décennie… Je l’ai rencontrée quelquefois…

Ah… Tu souhaites y aller avec ton ami sans doute…

Oui… Et avec toi surtout… Et je voudrais te faire rencontrer Nuala… C’est une jeune femme étrange voire énigmatique… Cíaran accepte que nous y allions tous les trois.

Pas de gaieté de coeur sans doute.

Je pourrais difficilement affirmer le contraire… De toutes les façons vous…

D’accord.

Aussitôt assimilé le consentement de Lori Thomas sort de sa poche son nouveau téléphone mobile. Il attend longuement une réponse.

… D’ici quinze minutes, nous serons devant chez toi… Veux-tu que je monte te chercher? … Je t’aime.

Thomas ferme l’appareil.

Pendant que j’y songe note ce numéro. Tu pourras toujours me rejoindre ainsi. Je t’aime.

Lori plonge le regard au fond des yeux de Thomas. Elle hoche la tête.

 

Lourdement appuyé sur ses cannes Cíaran les attend. Spontanément Lori sort de la voiture laissant la portière ouverte.

Assieds-toi devant : tu auras plus d’espace.

… Euh… Merci.

Elle s’installe sur la banquette arrière. Thomas les regarde tour à tour.

= Un problème?

… Quelqu’un pourrait m’indiquer comment arriver sans encombre au Border Zone?

Chacun y va de son hypothèse. Ils s’aperçoivent finalement qu’ils proposent le même trajet à une variante près et en d’autres termes. Sans une seule erreur et aidé en cela par deux copilotes aguerris Thomas les mène à bon port. Ils doutent toutefois d’y être parvenus.

C’est bien l’adresse pourtant!

L’endroit est désert, lugubre même : une porte de bois gauchie en ruelle d’un pâté de maisons délabrées. Thomas frappe, puis se recule. Un judas s’ouvre sur les ténèbres. Cíaran annonce.

Nous venons voir Nuala.

L’ouverture est refermée. Une clef tourne dans la serrure. Leur hôte demeure dissimulé derrière l’entrée béante. Ils aperçoivent une lueur blafarde au bout de ce qui semble être un long corridor.

Allez tout droit. Descendez ensuite.

Ils obtempèrent, hésitants. Dans la raide descente Thomas doit aider Cíaran. Ils pénètrent dans une salle relativement vaste, sombre et enfumée, pleine et bourdonnante du bruit des conversations de la faune hétéroclite. Une jeune femme à l’allure excentrique s’avance vers eux.

Vous devez être Cíaran. Nous vous attendions. Oh! Vous êtes trois.

Elle hèle un jeune homme aux cheveux en haute brosse d’une couleur indéfinissable dans la pénombre.

Trouve-moi tout de suite une chaise de plus Carl… Va dire ensuite à Nuala qu’ils sont arrivés. Merci.

Leur table placée juste devant la scène de respectable dimension porte la mention « Réservée ». Une minute plus tard ils peuvent s’asseoir Thomas au milieu.

Café, thé, tisane, eau de source?

Elle apporte promptement les commandes « gracieusetés de l’Artiste ». Les lumières s’éteignent. Le silence abrupt contraste.

Un projecteur éclaire un drap immaculé tendu verticalement au centre de la scène. En ombre chinoise, étendue sur une banquette une silhouette de femme svelte et nue les cuisses ouvertes. On la voit de côté. Un bras armé d’un long poignard simule un accouplement. Cris aigus de plaisir et halètements graves et saccadés cadencent l’étrange coït. La puissance mâle se libère dans la jouissance d’un meurtre simulé. Le membre disparait mais la femme demeure offerte. La lame réapparait et reste suspendue telle une épée de Damoclès au-dessus des organes sexuels. Le temps parait figé brusquement. Une mélodie, créée au synthétiseur semble reprendre l’acte de chair. Juste devant l’écran en même posture que l’autre et semblant en émaner Nuala revêtue d’un haut de corps et d’un collant moulant sa grâce filiforme et violacés comme sa chevelure. Elle se relève lentement et s’étire comme un papillon émergeant de sa chrysalide. La musique s’est adoucie. De tout son être instrument Nuala en suit étroitement le rythme lent. Nuala danse son réveil. Soudainement elle parait prendre conscience d’un élément incongru. Elle se touche. Ses mains semblent passer à travers elle-même. Elle s’avance en avant-scène. Seul un halo éclaire son visage blafard. La musique se tait. Nuala raconte « une histoire sordide et tragique de la quotidienneté ». Les mots  trop simples  touchent pourtant à l’essentiel : le coeur. Son poème-récit glisse légèrement sur des faits anodins  d’abord puis de moins en moins mais encore pris à la légère. Elle narre la fierté de la poupée d’être devenue l’objet de tant d’attentions calines de la part de son Créateur, son bonheur de combler les moindres désirs de son Maitre telle une esclave, de son corps exultant d’amour charnel, de son pouvoir de séduction voire de manipulation sur un être à la merci de sa discrétion : « Ne dévoile jamais notre secret à personne poupée. » Mais le triomphe de poupée se teinte graduellement d’absences fréquentes où dans son petit lit de poupée elle reste immobile comme une vraie; ne vivant vraiment que lorsqu’elle peut servir. Mais ses rêves éveillés tout colorés de violet lui procurent un bonheur nouveau celui d’être libérée de ce corps qui s’use au fil du temps. Poupée est saisie de l’envie irrépressible de rejoindre ce monde onirique où elle devient un magnifique morpho dont la seule préoccupation est celle de ressentir la vie. Nuala se tait. Derrière le drap la femme, prosternée se soumet silencieusement à une sodomie rituelle. Seul le mâle poignard en jouit. À la toute fin le pénis de métal tombe devant Nuala laquelle regardait stoïquement la scène brutale. Le synthétiseur hurle avec elle : N-O-N! S’emparant de l’arme elle déchire le drap d’un coup sec. Elle poignarde le corps invisible de l’homme à l’endroit du coeur. L’arme rebondit sur le sol alors que le bras disparait. La femme devant Nuala demeure immobile, indifférente au meurtre. Nuala la force à se retourner et à s’étendre sur le dos. Nuala s’étire sur elle, lèvres contre lèvres, seins contre seins, ventre contre ventre, jambes contre jambes. Elle amorce une rotation latérale. Quand elle est achevée une seule femme se relève et salue sèchement.

L’auditoire demeure complètement silencieux. « Votre silence tel un éloge me fait tout chaud à l’intérieur… Mais ce n’est pas parfait pas encore… Et je ne suis pas arrivée à exprimer tout ce que j’aurais souhaité… Mais j’attends vos ultimes critiques et encouragements peut-être avant d’en faire la version achevée puis passer à autre chose. Les premières sont mineures, les derniers dithyrambiques. Elles fusent d’une table à l’autre dans une sorte de désordre ordonné. La voix tremblante Nuala conclut : « Sans votre dureté initiale je n’aurais jamais fait évoluer Dissociée… Ce soir un sentiment très fort domine celui de vous avoir rejoint vraiment pour la première fois. Tout à la fois je vous hais et je vous aime… Je ne pourrai pas présenter Schizo maintenant et je m’en excuse… Certains comprendront pourquoi d’autres pas mais cela ne fait rien et c’est la même chose. Merci. » Nuala quitte la scène toute pâle et tremblante.

Le faible éclairage revenu permet d’observer le trio de la table centrale. Cíaran livide semble en état de choc. Lori contemple le vide visiblement sonnée. Thomas blafard lui aussi entoure chacune des épaules des êtres aimés. Nuala surgit devant eux. Elle fixe Lori laquelle affronte tranquillement les intenses prunelles. Carl apporte une chaise et disparait aussitôt. Distraitement Nuala s’assoit. Elle saisit les mains de Lori entre les siennes et s’exclame.

Mais qui es-tu? Tu es tellement belle dans l’âme tout comme Thomas!

Nuala se penche vers Lori et l’embrasse. Leur embrassement perdure et s’éternise sous le regard médusé des deux hommes. Puis reposant une main sur les genoux de Lori elle se tourne vers son frère.

Nuala ne savait pas comment dire autrement.

Qui est Nuala?

Il y a l’autre toute petite chose fragile et faible… Quand elle se roule en boule ratatinée inaccessible Nuala te parle. Elle et Nuala c’est je… Mais pas très différente juste une nuance depuis que nous nous sommes réconciliées… Mais quand Nuala se trouve sur scène l’autre pleure… C’est plus fort qu’elle…

Je comprends je crois.

Alors j’attends. Nous sommes ici pour cela aussi!

Les mots ne percutent pas assez; ils stationnent à mi-chemin entre récit narratif et poésie. Dans le premier cas c’est très bien mais la fluidité dans l’énoncé pourrait être haussée. Dans l’autre tu devrais retravailler l’ensemble du texte. Un poème doit posséder une musicalité qui le transporte et les silences et les bris importent autant que les sons et les vocables; c’est le plus difficile parmi les genres de discours… Pardonne-moi je suis trop sévère puisque le message porte. L’ensemble parvient comme un coup de poing à la machoire et au fond c’est là le plus important et fi des critiques trop pointilleux. Quant à ta danse et à ton jeu dramatique ils émanent nettement de l’intérieur de ton être mais éclatent en puissance à l’extérieur. 

Alors tu apprends ce que tu sais à Nuala. Tu seras mon maitre de poésie. Veux-tu?

Cíaran acquiesce.

Les tremblements qui le secouent depuis un bon moment s’accentuent perceptiblement. Thomas appesantit son étreinte et emprisonne les mains de la sienne libérée.

Thomas je me sens las… Peut-on rentrer?

Il y aura deux autres représentations. Lori j’aimerais que tu restes avec Nuala afin de voir et entendre et ressentir. Est-ce que tu le souhaites?

Sans hésiter Lori accepte l’invitation. Nuala se tourne vers Thomas lequel s’apprêtait à ouvrir la bouche.

Ne t’en fais pas : Nuala possède un véhicule et ta princesse mi-indienne en sortira indemne…

Mais comment?

Parfois Nuala capte des bribes fugaces, des sentiments très forts transmis. Tu as pensé à la sécurité de Lori et tu la surnommes souvent ainsi… Filez avant que la salle ne replonge dans les ténèbres… Cíaran a besoin de toi Thomas.

Lori?

Pour toute réponse elle tend ses lèvres et s’abandonne amoureusement au baiser de Thomas. Pendant ce temps Cíaran étreint fortement le poignet de Nuala.

Je veux savoir tout ce que tu n’as pas révélé ainsi que la suite.

Nuala hoche la tête. Thomas doit soutenir Cíaran jusqu’à la sortie.

Je suis désolé mon amour.

Cesse. Je souhaitais rentrer aussi… Je me sens tout chamboulé. La conception de l’Art dans votre famille s’apparente de fort loin au divertissement… Je voudrais dormir avec toi.

Moi aussi… C’est merveilleux de fermer les yeux sur toi le soir et de les rouvrir sur toi mais encore plus ébouriffé le matin..

 

Dimanche 10 mai

Lori décroche aussitôt.

Salut. Puis-je venir avec et pour le déjeuner?

Gentil d’appeler avant. Je t’attends… Est-ce une tentative pour faire amende honorable?

Oui mais je ne sais pas pourquoi.

Je t’en veux mais tu n’es en rien responsable… En fait c’est moi qui ai fermé la porte… Thomas c’est tellement difficile!

Ne pleure pas mon amour, ouvre plutôt.

Elle écarquille les yeux mouillés en l’apercevant. Thomas referme le téléphone. Dans les bras l’un de l’autre ils échangent un baiser amoureux. Thomas fait du café, Lori prépare la table.

Premièrement je veux tout savoir de l’histoire passée de… Cíaran Milne.

… Je ne sais pas si je peux…

Tu m’as mêlée à votre relation d’une double façon! C’est la moindre des choses!

Je ne pouvais pas deviner que Nuala et toi… Enfin que cela cliquerait.

… Tes conclusions sont prématurées… Alors?

Soit… Mais je devrai lui révéler mes indiscrétions.

C’est ton problème.

Thomas hoche la tête. Glissant avec une pudeur rougissante sur les détails qui pourraient paraitre scabreux mais sans rien omettre il raconte sans détour ce qu’il sait de son ami. Le souffle imperceptible Lori absorbe ces confidences. Manifestement son intérêt s’accroit d’un cran supplémentaire quand Nuala entre en scène.

Lori se lève pour remplir les tasses. Elle semble avoir du mal à entamer sa confidence.

À ton tour maintenant.

À quel sujet au juste?

Ta soirée avec Nuala. Que s’est-il passé après notre départ?

… L’autre numéro était celui d’une quartette de jazz. C’était excellent et rafraichissant surtout après la gifle mentale de Dissociée. La critique a été très favorable. Le dernier présentait une jeune humoriste. Plutôt moyen et elle a dû trouver les remarques ardues à absorber quoique nous l’avons encouragée à peaufiner voire à allonger la partie qui traitait des nouveaux pauvres bogués de l’an 2000. En effet nous avions envie d’en écouter davantage à ce moment-là. C’est tout à fait extraordinaire ce creuset à talents marginaux. Je compte y retourner d’ailleurs… Pour en venir à Nuala et moi… Chacune éprouvait le besoin primaire et irrépressible de toucher l’autre, de caresser l’autre, d’embrasser l’autre. À la fermeture vers trois heures elle m’a raccompagnée à la maison… Avant que je ne descende de voiture nous avons échangé un baiser un peu plus torride… Nos mains se sont égarées… sous nos vêtements… Nous avons brusquement pris conscience de ce que nous avions entamé. Elle m’a dit : « Nuala ignorait totalement que ses pulsions pouvaient la porter vers une femme. Elle a besoin d’un certain recul pour intégrer cette facette ». Je lui ai répondu que moi également je devais tenter de comprendre ce qui m’arrivait. Elle a ajouté : « Nuala veut pouvoir prononcer  » je veux faire l’amour avec toi Lori  » ». J’ai acquiescé puis je suis rentrée.

La confession manifestement terminée Lori contemple le bocal de sucre.

Est-ce par rapport à moi?

En douterais-tu? … Je ne suis pas comme toi… Enfin pas de la même façon… C’est compliqué et je me sens perplexe et indécise.

Est-ce qu’elle t’attire?

Plus que cela elle me fascine… Je la sens d’une telle complexité quoiqu’en même temps c’est le contraire! Mais surtout il y a toi…

Mais il y a aussi moi et Cíaran.

Oui… Je me sens totalement déstabilisée… Le pire c’est que j’en redemande : nous avons rendez-vous vendredi prochain… Mais je suis amoureuse de toi!

Pourquoi cherches-tu absolument à m’inclure?

Mais parce que…

Non. Il y a toi et moi et il y a toi et elle. Les liens ne sont pas mutuellement exclusifs. Ton sentiment de culpabilité ne fait mal qu’à toi-même.

Pourquoi est-ce que tu ne sembles pas jaloux?

Je n’éprouve pas ce sentiment Lori. Et ceci ne tient pas au fait que Nuala est une femme. J’ai l’impression que l’on peut ressentir de la jalousie quand on se sent menacé de la perte de l’autre. Je ne vois pas en quoi ta relation avec Nuala nuirait à la nôtre. Je ne me sens pas en compétition pour conquérir ton amour car je sais que tu m’aimes et cela me suffit. Parce que cela signifie que tu souhaites approfondir notre union. Et c’est la même chose pour moi.

Thomas dessert la table aidé de Lori.

Tu as raison sur toute la ligne… C’est bizarre mais j’ai l’impression que ton noeud avec Cíaran non seulement te rend plus sensible mais aussi permet au nôtre de s’épanouir.

Tu étais incapable de prononcer son prénom avant… Cela m’excite d’imaginer tes amours saphiques…

Est-ce une invitation licencieuse?

Ça y ressemble étrangement…

Alors illustre ta pensée sur mon corps.

Je me sens l’imagination fertile…

Illico il commence à le lui prouver.

 

Un bouquet d’orchidées précède la figure et la voix.

Bonne fête mère adorée.

Ton père aurait pu répondre!

J’ai espionné par la fenêtre en attendant que tu sois à portée. Et j’ai même assisté au baiser brulant et très olé olé de ton gynécologue privé.

Quel indiscret ce gamin dyslexique! Michelle nous aurions dû en plus de lui payer un orthophoniste lui inculquer davantage de bonnes manières avec quelques claques bien senties sur le postérieur rebondi!

Monsieur Sévigny m’a un jour frappé sur les doigts avec sa règle de bois m’infligeant de ce fait un traumatisme irréparable!

Après que tu aies mis de la poudre à gratter sur le papier hygiénique alors que le pauvre souffrait d’hémorroïdes! Cela a été un miracle qu’il accepte de revenir!

Et tu t’es tapé toutes les séances de peur que je ne récidive! Et maman les cours de rattrapage avec mademoiselle Dupré…

Nous avons très hâte que tu aies des enfants mon fils puisque viendra avec eux l’heure de notre vengeance pour tous ces tours pendables!

Mais aussi les moments de la plus grande des joies.

Ils s’étreignent avec effusion. Hugh et Michelle le regardent, dans l’expectative.

Qu’est-ce qu’on mange?

Mais tu n’étais pas attendu! … Il n’y a rien de prévu… pour toi du moins…

Thomas allonge une figure démesurée. Il sourit ensuite malicieusement. Il brandit fièrement une conserve de potage aux tomates.

J’ai prévu le cas : j’ai apporté mon lunch!

Sans piper mot Michelle l’entraine vers la salle à manger où trois couverts ont été dressés. Un seul de ceux-ci comporte un bol à soupe.

Ciel le second traumatisme de ma vie : ma mère connait mes rouages les plus secrets…

Tiens-tu absolument à cet apport industriel?

Ils éclatent de rire.

À table, les hommes : tout est déjà prêt.

Pendant que Michelle s’active à la cuisine, Thomas glisse la figure rosée.

Merci… C’est l’harmonie retrouvée.

J’étais certain que ses réticences s’avéreraient minimes… Se sentir de nouveau un homme complet procure un sentiment de mieux-être qui dépasse la simple question sexuelle et vaut bien quelques concessions à la nature… Crois-en mon expérience!
Ils pouffent tous les deux. Le repas entamé Michelle interroge.

La raison de votre hilarité?

… Euh…

Nous parlions des réactions de mes patientes par suite de la consultation demandée par notre fils…

Ah oui. Sa « grossesse nerveuse »… Disons que je n’aurais pas réagi aussi bien que ton père… Je dois admettre cependant que tu as changé de registre depuis que tu as résolu certains de tes problèmes de comportement… C’est plutôt ta trouvaille qui me préoccupe.

Easy maman! Tu ne vas pas te mettre à chercher des bibittes dans ma tête! J’ai aperçu d’abord la femme très enceinte et de là l’idée. Simplement! Ciel mon traumatisme initial a été d’apprendre que ma mère est une « réductrice de têtes »! Une disciple de Freud mais quelle horreur!

Hugh intervient avant que la discussion ne dégénère en affrontement.

Hé! Qu’est-ce qui se passe avec vous deux?

Excuse-moi Thomas de m’être énervée. J’ai toujours eu de mal à négocier avec tes mauvaises blagues. Que celle-là en soit une bonne comme tu le penses Hugh c’est probablement le cas. J’ai un petit ajustement à effectuer.

Pardonne-moi maman. Je me suis emporté pour rien. Je sais pourtant que tu as toujours cherché à comprendre seulement. Parfois  tu compliques les choses les plus simples mais souvent tu tombes pile… Certaines fois cela relève du génie.

Je sens que tu n’essaies pas de m’amadouer… Mon conseil a porté fruit donc.

À l’orteil de la lettre.

Intrigué par le tour que prenait la conversation Hugh insère son grain de sel.

Pourrait-on éclairer ma lanterne?

Voilà papa. Le problème était de faire en sorte que Lori et Cíaran se rencontrent en terrain déminé…

Je lui ai conseillé de ne rien faire.

… Je ne vois pas en quoi…

Je précise. J’ai vécu une situation où pour accommoder l’un je devais léser l’autre. J’ai choisi de ne pas proposer d’accommodement. Tout le reste s’est enclenché du fait… Une chose m’apparait toutefois inexplicable. Lori et moi sommes passés prendre Cíaran en vue d’assister à la représentation de Nuala sa soeur récemment retrouvée après de longues années de séparation. Cíaran nous attendait sur le trottoir. Spontanément Lori est sortie de la voiture et a invité celui-ci à s’installer à l’avant pour un meilleur confort. Cíaran en a quasiment laché ses cannes… Oui comme l’autre fois; d’habitude c’est une forme de réaction spontanée à ma personne… Bref Lori a fait preuve d’un intérêt sincère envers lui puis envers Nuala mais ceci constitue une autre histoire. J’ai senti que Cíaran en était à la fois touché et perplexe mais je n’en ai pas reparlé avec lui… En plus Lori s’est mise à prononcer correctement son prénom! Avant elle l’appelait Cirian ou « ton ami »…

Pousse plus loin ton raisonnement Thomas.

Mais il… Elle m’aime et c’est réciproque… Elle tente d’accepter cette autre dimension de moi… L’objet de sa jalousie première est devenu par la force des choses un être concret… donc digne d’intérêt… C’est dans son caractère : elle est naturellement ouverte aux autres… C’est ce qui a fait que même ado tardif et boutonneux elle est allée au-delà des apparences et est venue vers moi… Je comprends.

Ils concluent leur repas.

Ton analyse m’apparait vraisemblable fils.

Bien qu’avec l’être humain on n’a jamais de réelle certitude.

Permets-moi de me trouver en désaccord sur ce point femme!

Tu oses!

Certainement! Mon amour pour toi est certain.

Sur ce point j’accepte la dissidence puisque c’est réciproque.

Et moi je m’inscris en faux également! Il y a la certitude de l’estomac! Je suis  certain qu’en mère aimante tu as réservé une petite quantité de ce délice des dieux qu’est la sauce italienne de la Chef pour régaler le palais de ton fils bien-aimé pour quelques repas.

Prétentieux! … C’est vrai… Quant à la phase deux histoire de consolider les acquis et si ton père se montre d’accord ce dont je ne doute pas j’ai pensé que tes amis très chers et toi pourriez venir souper d’ici une quinzaine afin de fêter l’obtention de ton baccalauréat ainsi que celui de Lori.

Mère je te vénère!

Michelle je commence à trouver que tu ne doutes pas assez… Pour ceci je souscris,bien entendu. Pour le reste nous devrons en discuter madame!

Ils rient. Hugh recouvre son sérieux. Il ouvre la bouche pour amorcer puis la referme.

Dis-moi ce qui te préoccupe, papa.

Je m’inquiète pour ton avenir Thomas.

… Je sais… Surtout depuis que je vous ai appris que je ne m’étais pas inscrit en maitrise… J’ai plusieurs projets qui commencent à émerger mais ce serait prématuré de vous en parler. Est-ce trop vous demander que votre confiance?

En ce qui me concerne j’apprends à connaitre l’adulte déconcertant que tu es devenu… Non ce n’est pas trop exiger.

Tu l’as toujours eue Thomas même si tu ne m’as jamais vraiment crue.

Maintenant oui j’ai compris je crois.

 

Vendredi 15 mai

Thomas décroche au premier coup.

Salut mon amour où es-tu?

Quelque part en ville en attente d’un feu vert.

Alors gare-toi et rappelle-moi : c’est plus prudent.

Quelques minutes plus tard Thomas téléphone à Cíaran.

Tu es un homme sage. J’attendais ton appel. Ça va?

… J’ai hâte de te voir.

As-tu prévu quelque chose pour souper?

… Ce soir je n’ai pas beaucoup d’appétit Thomas…

Qu’est-ce qui se passe? Ta voix reflète…

Une immense fatigue… J’ai juste envie de me serrer tout contre toi, puis de pleurer, puis de sombrer.

Un naufrage entre mes bras : plaisante perspective… J’amerrirai à bon port dans moins d’une demi-heure.

Nul bruit quand Thomas ouvre la porte. Il trébuche sur les béquilles non loin de l’endroit où est rangée habituellement la chaise roulante. Dans celle-ci tout près du téléphone du vestibule Cíaran s’est endormi. Thomas raccroche le combiné. Il porte son ami jusqu’au lit, le dévêt entièrement, le borde et dépose un baiser sur sa joue. Il revient poser les outils de déplacement sur le sol, accessibles. Il fait ensuite l’inventaire du réfrigérateur; le nez pincé il met aux ordures les trois quarts des restes variés avariés et provenant manifestement de divers restaurants. Il sort. À son retour les bras chargés de sacs d’épicerie il jette un coup d’oeil dans la chambre. Pas de changement. Il range ses achats, récure la cuisine passablement sale, fait subir le même traitement à la salle de bain. S’affaire ensuite aux préparatifs du repas du moins tout ce qui ne nécessite pas de cuisson de dernière minute. Cíaran dort toujours. Thomas joue du balai dans le reste de l’appartement, nettoie la table basse du salon, ramasse tout le linge sale et entame une lessive. Pour finir il s’étend, nu auprès du toujours léthargique. Il effleure son épaule. Cíaran rejoint ses bras et s’y blottit. Thomas le rejoint dans le sommeil.

Thomas ouvre les yeux sur le visage de son ami, lui sourit.

Je suis déchiré entre le désir de me serrer contre toi et l’envie de t’étrangler jusqu’à ce que mort s’ensuive…

Je préfère le premier cas de figure… C’était pour tromper l’attente… Pardonne-moi je n’avais pas le droit.

C’était mon objectif de la fin de semaine au grand complet!

Tu pourras te consacrer entièrement à ton amant à la place.

… D’accord. Mais ne recommence plus!

Je te le promets.

Merci… J’ai constaté que tu avais effectué quelques préparatifs en vue d’un repas gastronomique… Je meurs de faim!

Moi aussi : va pour le repas de minuit…

Thomas se lève et enfile sa robe de chambre.

J’ai pensé que cela ne te dérangerait pas que je la laisse ici…

On s’installe! Peur d’être surpris à demi nu par ma soeur? Elle a admiré pourtant!

Le teint de Thomas se colore. Cíaran sourit.

Apporte-moi ma chaise s’il te plait.

… Tu as quand même travaillé!

Je t’expliquerai tantôt… Qu’est-ce qu’on mange?

Sandwich au bifteck, pommes de terre rissolées, salade de champignons, le tout accompagné d’une bonne bouteille de piquette. Presque tout est prêt : ton estomac gargouillera de bonheur dans cinq minutes.

Thomas s’affaire pendant que Cíaran dresse la table.

Comment s’est passée la semaine mon amour?

Dimanche jour avec Lori; le soir chez mes parents. Ils comptent nous inviter dans une quinzaine histoire de fêter enfin l’obtention de mon bac. Ils se posent des questions sur mon avenir; moi aussi d’ailleurs; j’y réfléchis intensément. Lundi je suis allé aider mon prof à emballer ses livres : l’enfer! À chacun je devais soit lui demander dans quelle boite les ranger, soit en lire la table des matières pour me rendre compte du sujet traité afin de pouvoir le placer dans le bon carton. Quant au prof il relisait des pages de la plupart et me déconcentrait dans mes recherches laborieuses par ses commentaires bien que fort intéressants par ailleurs. Après trois heures d’un pareil régime et plus que légèrement exaspéré puisque j’estimais que cela prendra au moins deux ans pour accomplir cette tache titanesque j’ai glissé : « L’humain a ressenti très tôt le besoin de répertorier ses possessions. Avec l’écriture est venue la nécessité de classer l’information afin de pouvoir en référer rapidement; un moyen commode et bientot universellement employé a émergé : l’ordre alphabétique! » J’ai eu droit à un cours complémentaire de vingt minutes afin de corriger mes ellipses et imprécisions. Puis il a lâché négligemment : « C’est vrai que cette méthode de classification s’avérerait fort appropriée en contexte… Qu’en pensez-vous Thomas? » J’ai acquiescé, muet. Cela a tout de même pris trois jours!

Thomas sert et ils s’attablent.

C’est délicieux!

C’et impoli de parler la bouche pleine! … Je suis d’accord : je m’améliore. Maman serait fière de son fils. Hors propos…

Non plus tard continue plutot : j’adore t’écouter.

Le quatrième jour et en plusieurs fois j’ai transporté chez lui tous les cartons dument étiquetés par mes soins… J’ai failli m’évanouir : des piles de livres partout et deux fois plus que dans son bureau!

Ne me dis pas que…

Je lui ai offert d’effectuer la fusion puisque je disposais de temps libre : toi travaillant, Lori effectuant des recherches pour son mémoire de maitrise, et moi désoeuvré pour le moment. Les taches manuelles m’aident à réfléchir. Tu devrais voir mon appartement : il est d’une impeccable propreté! Jeudi nous sommes allés magasiner des étagères chez Ikea et vendredi j’ai achevé de les assembler : de quoi attraper la tendinite du vissage de boulons! Durant ces journées j’ai appris des tonnes de choses sur l’anthropologie. Mon prof est un puits de savoir et il adore le communiquer. En fait  c’est moi qui sors gagnant de cet échange. Mes soirs et nuits je les ai passés en compagnie de l’autre amour de ma vie; je t’épargnerai en taisant ces épisodes…

Thomas débarrasse puis se rassoit en face de Cíaran.

… Je ne m’attendais pas à ce qu’elle ait envers moi une attitude aussi ouverte… J’ai ressenti son intérêt sincère… Plus que cela son empathie puisque très vive elle a compris rapidement que Nuala s’adressait particulièrement à moi… J’ai ressenti comme un courant d’apaisement qui émanait d’elle… C’est plutôt bizarre on aurait dit que sa présence harmonisait… Quand tu nous as pris tous les deux, par les épaules je n’ai pas été saisi de jalousie… C’est une fatalité d’une certaine façon tout comme ma maladie : je dois composer avec… Nuala semble éprouver une certaine attirance envers Lori…

Mutuelle. Elles avaient rendez-vous ce soir… J’ai acheté du whiskey irlandais : est-ce que cela te tente?

On pourrait siroter au bain…

Ils s’immergent.

À toi de narrer maintenant.

Fête des Mères dimanche… Mes relations avec la mienne n’ont jamais été vraiment harmonieuses hormis l’amour… Enfin Nuala et moi tentons de lui faire comprendre que l’homosexualité ne constitue pas une maladie mentale… Je lui ai parlé de toi dans ma vie… Quand nous étions enfants Nuala et moi étions relativement proches; à l’adolescence plutot à couteaux tirés; maintenant c’est mélangé… Elle m’a parlé des suites de… son acte de violence… Sur ordre de la cour elle a dû se soumettre à une psychothérapie… Elle est restée dans un centre de détention durant deux ans… Elle rencontre encore sa thérapeute mais à l’occasion… Elle est profondément perturbée par ces événements et présente encore des dysfonctionnements de la personnalité… Si tu veux mon avis elle s’en sort plutot bien; mieux que ma mère en tout cas… On est pas mal poqués dans la famille… Encore un peu?

Volontiers… Laisse-moi servir… Poursuis.

Comme chaque fois qu’il aborde le sujet de sa maladie ou l’état de ses finances personnelles Cíaran hésite.

C’est arrivé lundi en fin de journée; brusquement je n’ai plus été capable de marcher… La poisse : avec des dettes, zéro sou dans mon compte en banque et cinq dollars en poche! Comme d’habitude j’ai agi comme une cigale! J’ai téléphoné chez Olivier dans la soirée pour lui apprendre que je ne pourrais pas le rencontrer le lendemain. Il m’a demandé pourquoi. Je lui ai expliqué mon problème d’invalidité. Il m’a dit : « Cíaran vous agissez comme si je n’avais besoin de vous que comme homme à tout faire! Votre esprit est-il paralysé également? » J’ai répliqué que non. Il a ajouté : « On dirait pourtant! Il existe un moyen de transport très moderne, peu dispendieux, quoique trop verbeux la plupart du temps, et qui abolit les distances spatiales en moins de deux : le taxi! … Vous me manquez, venez quand même, je vous en prie ». Comment refuser? … Si tu t’étires un peu, tu pourras atteindre la pharmacie… Donne-moi un comprimé… Merci.

Tout un programme…

J’ai envie de toi… Une nouvelle façon de chambrer le désir?

D’accord. Je t’aime.

Moi aussi Thomas je t’aime.

Ils s’embrassent, s’assèchent. Thomas transporte son ami jusqu’à la chambre. Ils s’installent confortablement à l’horizontale. Cíaran reprend sa narration.

Quand je suis arrivé chez Olivier j’étais en nage et épuisé. Satanés escaliers en descente et en béquilles surtout! Olivier s’est excusé : il n’aurait pas dû présumer que j’avais les moyens de m’offrir la voiture privée. Je lui ai promis que la prochaine fois, j’en prendrai une. Je lui ai demandé la permission de me rafraichir. Il m’a tendu des serviettes et une robe de chambre précisant que je me trouverais ainsi plus à l’aise pour me reposer à ses côtés tantot. Lui-même portait semblable tenue, ce qui lui arrivait peu souvent… C’est Olivier qui m’a communiqué sa passion pour Callas. Celle-ci s’est mise à chanter divinement. Nous l’avons écouté étendus l’un contre l’autre… Au dernier trille et le sentant réceptif je me suis serré contre lui. Il m’a embrassé ce qui était plutot rare. J’ai commencé à le caresser parcourant son corps par dessus le vêtement puis dessous et ensuite plus directement sur ses organes génitaux. Il a soufflé : « Plus fort… »; puis après un moment : « Vos lèvres? ». J’ai obtempéré. Son pénis est entré en érection. Or Olivier souffre de diabète lequel a affecté sa puissance sexuelle. Il parvenait parfois à l’orgasme mais sans l’afflux sanguin qui permet au membre de se gorger de sang. Depuis quinze ans ce n’était pas arrivé, pas une seule fois m’avait-il appris. J’ai poussé une exclamation de surprise. Puis je me suis concentré sur mon va-et-vient et mes manipulations bien déterminé à satisfaire ses sens dans les règles de l’art. « Cíaran je voudrais vous… enfin vous… », « Me faire l’amour? »… Je suis remonté jusqu’à sa figure. Il a acquiescé. Je nageais dans un insolite très excitant disons. Je me suis dénudé. « Oh! On dirait que… cette perspective… vous excite! » Je n’avais pas besoin de confirmer. Il a effleuré ma verge puis mon entre-jambes… T’ai-je déjà dit qu’Olivier est hétérosexuel? … J’ai coiffé son sexe d’un condom : «L’introduction en sera facilitée ainsi »; puis je me suis étalé sur le ventre. J’ai fait fi de ses dernières hésitations en me portant à sa rencontre. Se rendant compte qu’il semait plaisir plutot que douleur il a pris de l’assurance. Je me suis donné à lui. « Mon Dieu c’est la même chose! », s’est-il exclamé à un moment donné. Comme il était aussi lent que moi à la détente nous avons pu nous rejoindre dans l’aboutissement du désir. Après il était euphorique : « Je vous ai fait heureux Cíaran! C’est merveilleux! » Après une sieste nous avons partagé le repas de midi. Olivier paraissait au moins dix ans plus jeune… Je me suis senti fier de vivre, de le voir ainsi la mine réjouie et mangeant de bon appétit tellement que j’avais envie de pleurer…

Thomas surplombe son ami. Il frotte son phallus érigé sur celui de Cíaran en même état. Les pressions péniennes augmentent en intensité de part et d’autre jusqu’à ce que leur sperme se mélange.

Je veux te sodomiser Thomas.

Pas tout de suite tantot; ce sera plus long et meilleur…

Je suis en forme encore…

Je le vois bien… Une cigarette ?

Ils la consument en silence. Et une autre ensuite.

Maintenant place-toi tête bêche ton pénis à hauteur de ma bouche.

Le majeur et l’index lubrifiés de Thomas s’introduisent dans l’anus. Son pouce effectue des pressions au centre du périnée.

Suce-moi aussi.

Beaucoup plus tard Thomas se déplace sur le ventre en offrande. Ils s’accouplent longuement puis crient au faîte de la montée simultanée du plaisir sexuel.

 

Samedi 16 mai

Au matin venu Thomas fouille mêmement son amant. Ensuite pour le déjeuner Cíaran prépare des « oeufs cassés », des « roties brulées » et du « bacon carbonisé ». Thomas ingurgite le tout sans mot dire.

J’aimerais que tu continues ton récit.

Le reste de la journée s’est passé à toutes sortes d’activités et de discussions. Le train-train habituel en quelque sorte mais plus coloré et plus tendre qu’à l’accoutumée… Olivier a majoré mes émoluments du prix de deux taxis, c’est ce dont je me suis rendu compte en revenant à la maison…On aurait dit qu’un vent de folie secouait la résidence : mercredi et jeudi Robert et Bryan respectivement se sont montrés vraiment entreprenants, alors qu’habituellement ils sont du genre tiède!

Ne serait-ce pas plutôt une tornade de Viagra?

Quoi? Tu crois!

Cíaran emprunte le téléphone de Thomas posé la veille, sur la table.

Georges… Est-ce toi, le responsable? … Ne ris pas : je veux une réponse! … Mais ce n’est pas encore homologué ici! … Ah! Internet… Tu as raison… Ils se sentaient tellement heureux! … Dis-moi est-ce que toi aussi? … Pas de honte à l’avouer! … Je t’adore! … Mais vraiment! … Quoi? Mais c’est super! … Il… Pas sûr, plutôt acariatre le bonhomme… Tu voudrais que j’adoucisse ses moeurs! … Tant que ce ne sont pas celles de la directrice! … J’y réfléchirai… Bye.

Cíaran explique ensuite à Thomas.

C’est Georges le coupable! Tout fier de son coup en sus! En guise de justification : « Pour un homme cela s’avère d’excellente pratique que de vidanger sa prostate de temps en temps; ceci en plus des bienfaits que cela procure à l’ego »!

Thomas se lève pour servir le café; se rassoit. Cíaran devenu intarissable poursuit ses confidences.

Georges mon seul amant vraiment homo n’allait pas bien cette semaine! Je l’ai trouvé dans tous ses états lundi maintenant au lieu de vendredi. « Elle veut que je débarrasse le plancher de Milou Cíaran! ». Milou est une jeune perruche ondulée, un mâle bien entendu, que possède Georges en toute illégalité. Il est devenu très attaché à son oiseau « plus intelligent que la plupart des humains sauf toi mon coeur ». Or la bête avait adopté les habitudes de son oiseleur : six siestes d’une heure durant un cycle de vingt-quatre remplaçant la norme répandue. Ses pépiements pourtant peu bruyants dérangeaient le sommeil de son nouveau voisin immédiat lequel avait porté plainte à la directrice de l’établissement. La dame a menacé de mettre fin au bail si une nouvelle récrimination était portée contre lui et qu’elle viendrait vérifier l’état des lieux dès le lendemain. « Si je n’étais pas aussi lache je me tuerais Cíaran! Quand tu es vieux ils te dépouillent de tout ce qu’ils peuvent puis te donnent ce dont tu as censément besoin en te faisant bien comprendre que tu dois leur en être redevable! » Il pleurait à chaudes larmes. C’est vrai ce qu’il dit Thomas… J’ai fait prendre à Georges quelques comprimés de valium. Je me suis informé des coordonnées des protagonistes. J’ai annoncé à mon ami que je reviendrais dans quelques heures avec au moins des pistes de solution… Suite dans deux minutes.

Cíaran se précipite vers la salle de bain. Thomas prend le rang. Ils se réinstallent.

En premier  je suis allé voir madame Labonté. J’ai dû attendre quinze minutes pour qu’elle daigne me recevoir. Quelle femme désagréable! D’entrée de jeu elle m’a demandé à quel titre je venais me mêler d’un problème entre un résidant et la direction. J’ai répondu que je n’en détenais aucun si ce n’est celui d’ami et mandataire de monsieur Quesnel. Elle a voulu mettre un terme à l’entretien précisant que les conditions de location étaient claires et que celui-ci n’avait qu’à s’y conformer s’il voulait demeurer à cet endroit. Pas grand-chose à faire de ce côté mais j’ai pris soin de mentionner même si elle se montrait exaspérée de ma lente élocution et m’enlevait les mots de la bouche que toute intrusion au domicile de monsieur Quesnel contre sa volonté était illégale et constituait une violation d’intimité et que toute forme d’intimidation que ce soit pourrait mener à des poursuites judiciaires et réclamation de dommages moraux peut-être davantage monsieur Quesnel se trouvant très perturbé par les menaces exprimées. Je lui ai demandé si tout ceci était bien souhaitable pour une entorse si minime au règlement. Elle n’a pas répondu. J’ai avancé : « Si la plainte était retirée et que plus aucune ne vous parvenait? » Du bout des lèvres elle a annoncé qu’elle pourrait prendre ce facteur en considération… Au tour de monsieur Robinson ensuite. À peu près ta stature mais en deux fois plus gros; à donner des complexes d’être moyen et malingre. Au « Qui êtes vous? » et « Que me voulez-vous? », j’ai répondu que je venais de la part de monsieur Quesnel pour lui présenter des excuses quant aux inconvénients qui l’ont affecté. Il m’a demandé pourquoi celui-ci ne le faisait pas en personne. J’ai expliqué qu’il se sentait très affecté par la situation. Je l’ai prié de m’accorder dix minutes. Bien que de mauvaise grâce il a accepté. Je lui ai d’abord narré presque phrase par phrase mon entretien avec la directrice. Puis j’ai parlé de Georges en lui relatant notre conversation d’aujourd’hui. Il a écouté sans mot dire. Un mur. J’ai conclu en lui demandant de reconsidérer sa plainte compte tenu que monsieur Quesnel ferait en sorte que son sommeil ne soit plus troublé. « Je veux la paix entre minuit et six heures. C’est tout. J’y réfléchirai pour le reste. » Je l’ai remercié. Il m’a tendu mes béquilles. « La semaine dernière quand je vous ai croisé vous marchiez à l’aide de cannes… » Je lui ai simplement répondu que j’avais bien hâte d’y revenir. J’ai pris congé… Euh… Est-ce que cela t’ennuie que je raconte tout ceci d’une façon aussi détaillée?

Au contraire j’adore! C’est comme si j’y étais! Je t’écouterais volontiers des heures durant!

Comme le sultan sa Schéhérazade…

Mais pas seulement pour mille et une nuits…

Cíaran effleure les lèvres de son ami avant de poursuivre.

Restait mon Georges donc. À peu près calmé. Je lui ai expliqué l’exigence de monsieur Robinson. Je lui ai fait remarquer que s’il trouvait le moyen de faire tenir sa bestiole tranquille durant la nuit le problème serait entièrement résolu compte tenu que la directrice ne souhaitait certainement pas retrouver son établissement sur la sellette et avec chicane pendante. Bien que je ne connaisse strictement rien dans le domaine aviaire ni juridique par ailleurs je lui ai suggéré de la tenir dans l’obscurité durant ce temps. Il a nuancé : il suffirait de couvrir sa cage d’une couverture. Il a ajouté : « Si je peux conserver Milou c’est bien là, le plus important. » Ouf! J’étais épuisé et je me sentais centenaire. Lui tout ragaillardi débordait d’énergie. Il m’a enjoint à me reposer. Il m’a aidé à me dévêtir. Au bout d’une heure ses caresses m’ont éveillé. Nous avons fait l’amour. Jamais je ne l’ai trouvé aussi ardent et attentif que cette fois-là autant dans le don de soi que celui à l’autre. Heureusement que j’avais eu l’idée d’aider la nature juste avant d’entamer ma sieste. Voilà c’est tout.

Thomas presse les mains de son ami entre les siennes.

Tes muscles syncopent; que dirais-tu d’un massage?

Comment refuser! Tes doigts magiques apaisent les douleurs et me font heureux d’avoir un corps qui ressent!

Tu es mon être chair.

Après parfaitement détendu Cíaran ferme les yeux.

Je vais m’attaquer à la traduction de la première lettre; tu corrigeras après.

Tu n’as quasiment plus besoin de moi.

Oh oui mon amour; peut-être moins pour cela mais ô combien plus pour tout le reste. Tu es mon point d’ancrage à la vie. Je t’aime.

Si Destin m’avait donné le choix entre rester sain de corps mais sans toi ou devenir graduellement infirme mais avec toi sais-tu ce que j’aurais choisi?

Te connaissant un peu la première évidemment !

… Je n’en suis plus aussi certain… Mais pas encore pour répondre à la question qui en découle.

 

Vendredi 21 mai

Agenouillé devant lui Thomas embrasse les lèvres de son ami puis scrute ses traits.

Tu sembles moins fatigué que la semaine dernière à pareille heure.

Je m’habitue au rythme, sans doute… Tu m’as manqué, Thomas.

Répète ceci sur le même ton et je me jette sur toi comme le premier homo primitif.

Tu m’as manqué, Thomas.

À l’hallali!

Thomas transporte sa proie hilare et la déshabille en moins de temps qu’un soupir d’aise. Il se dévêt tout aussi rapidement. La douceur de leur baiser contraste. Ils se regardent intensément. Thomas recouvre Cíaran.

J’ai besoin de te prendre maintenant.

Fais-le tout de suite avant que je ne meure étouffé!

Thomas s’agenouille entre les cuisses de son amant. Aussitôt il investit l’intimité offerte.

… Cíaran!

Tu as l’éjaculation précoce! Plutot excitant d’être l’objet d’un tel désir… Tu m’écrases les organes! … Transporte-moi jusqu’à la salle de bain je t’en prie… Prendre un comprimé de puissance pour me mettre au diapason de mon homme m’apparait judicieux.

Cela ne te dérange aucunement de recourir à cette aide?

Pas du tout. Ceci met en accord ma tête et mon corps tout simplement. Un pont chimique en quelque sorte… Toi par contre tu en es affecté…

Juste que tu deviens trop rapide à la détente même si tu te rattrapes ensuite… Quoique je ne devrais rien dire là-dessus!

Une simple question d’ajustement : je n’ai pas cherché à refréner mes ardeurs. Trop enthousiasmé par les sensations retrouvées et profondément égoïste de nature j’ai négligé ton plaisir ce que je compte bien réparer ce soir et tous les autres.

Alors feu vert à mon amant vénéré.

Toilette faite ils retournent au lit. Se consacrent à coeur joie à de très longs préliminaires où doigts, peau et lèvres explorent la chair de l’autre sauf au centre du corps.

Cíaran j’ai envie de ton pénis dans mon cul.

Invite irrésistible…

Thomas s’étire sur le ventre pour que son amant le prenne. Le membre lubrifié glisse aisément dans la profondeur corporelle.

J’aime t’enculer mon homme… Je vais m’arrêter parfois pour faire refluer la marée.

Tais-toi et fouille-moi.

Cíaran s’allonge complètement sur l’autre. Ils s’accouplent silencieusement. Bientôt leur épiderme se couvre de sueur. Cíaran s’interrompt de plus en plus fréquemment aussi. Passif jusque là Thomas se met à ondoyer. Cíaran s’immobilise et le laisse prendre les commandes de leur acte d’amour.

Je t’appartiens Thomas.

En proie au rut ils se déchainent. Simultanément ils parviennent à l’orgasme libérateur. Ils se désunissent pour mieux s’enlacer puis s’assoupir.

Réveillé en sursaut Thomas s’assoit. Cíaran se tord en pressant sa figure. Difficilement Thomas parvient à écarter les paumes et poser les siennes à la place. Cíaran hurle.

Évacue la douleur vers moi… Tente de te concentrer là-dessus…

Il crie et sanglote. Cette fois la recette ne semble pas fonctionner.

Regarde-moi!

Cíaran obéit à l’injonction. Ses yeux ne semblent pas le voir pourtant.

C’est moi qui vais l’attirer hors toi ce satané mal! Maman l’a déjà fait pour moi.

Les traits de Thomas s’altèrent brusquement. Il se met à pleurer lui aussi apparemment secoué par des crampes intenses. Le calme revient lentement.

Si on fumait un joint?

Quant cela t’arrive c’est ce que tu fais? Cela et du Tylenol?

Mais qu’est-ce que tu veux que je fasse d’autre! Je n’ai plus le droit de me flinguer! … Je ne veux pas non plus retomber dans les drogues dures : c’est un enfer encore plus terrible…

Va pour le cannabis… J’en ai besoin aussi, je crois.

Thomas rapporte l’attirail du parfait fumeur.

Depuis que mes mains tremblent c’est Claude qui m’en confectionne d’avance mais elle n’était pas revenu chez elle quand j’ai frappé.

Sur ses indications Thomas réussit un batonnet acceptable.

Qu’est-ce que c’est cet outil bizarre?

Une pince alligator pour ne pas se bruler les doigts… Cadeau de Claude quand elle a constaté les ampoules sur ceux-ci et que j’ai expliqué ma perte de sensibilité digitale.

Ils partagent le batonnet le cendrier entre eux.

Qu’est-ce que ta mère venait faire là-dedans?

Hein?

Tu as dit : « Maman l’a déjà fait pour moi ». Peut-être que ton don de drainer le mal tu en as hérité d’elle?

Pas de réponse… J’ai eu de la difficulté à t’atteindre cette fois.

Les douleurs faciales sont abominables… Ça me rend fou!

C’est ce que j’ai ressenti.

Thomas écrase le mégot.

J’aurais dû aller uriner avant.

Le taxi va te déposer illico à destination… Oh ! Ça tangue…

Tant bien que mal ils parviennent à la salle de bain mais Cíaran atterrit sur le sol à côté du siège de toilette.

Oups! Erreur de navigation mon capitaine!

Saisi de fou rire Thomas s’écroule sur le carrelage.

Thomas aide-moi ça presse! Ne me fais pas rire en plus!

La trajectoire est aussitôt corrigée.

Moi aussi c’est urgent!

Utilise le lavabo tu récureras après usage… Avec du détergent! … Hé! Pour toi c’est avec du savon! … Tu l’as fait exprès! Vraiment!

Après s’être nettoyé soigneusement les mains Thomas finit sa toilette corporelle. Cíaran visiblement ne la trouve pas drôle du tout.

Du calme je ne l’aurais pas réellement fait! … Mon coté garnement qui ressort tout d’un coup… Jadis j’ai fomenté une pitrerie semblable à l’intention de ma mère… J’avais mis du talc dans ma paume et déposé bien en évidence et à portée la poudre à récurer… J’ai attendu qu’elle entre dans la salle de bain suspicieuse du long temps que je mettais à terminer de me laver. La porte s’est ouverte au moment où je me poudrais. Ses yeux sont allés du détergent à ma figure. En situation potentielle d’urgence ma mère conserve un calme olympien mais elle agit très vite et efficacement. J’avais juste oublié qu’elle avait un odorat très fin. Sans dire un mot elle a débarbouillé le gamin de sept ans que j’étais. Elle était aussi pale que la poudre. Je me suis mis à pleurer. Elle m’a serré tout contre son coeur qui battait très fort.

Moi j’aurais écopé d’une de ces taloches!

Ma mère a surement été tentée de faire pareil; enfin c’est ce que je croyais à l’époque et là était le problème : je perpétrais toutes sortes de mauvais coups pour la faire sortir de ses gonds! Cela m’a pris du temps avant de comprendre que ce genre de réponse à un comportement désagréable est acquis souvent par l’exemple mais qu’il y en a aussi d’autres beaucoup plus sains, et qui s’apprennent. J’ai retenu la leçon.

Thomas aide son ami dans ses ablutions.

As-tu assez récupéré ton équilibre pour me ramener au lit sans déviation majeure du parcours ou dois-je me trainer sur le sol comme un vil vermisseau?

Le véhicule sauvera ta dignité et la sienne.

As-tu faim?

Pas vraiment. J’ai sommeil surtout.

Un repas jeuné me fera sans doute du bien également… Bonne nuit mon amour.

Merci Thomas.

On n’a pas besoin de remercier son ange gardien. Il est là c’est tout.

Et c’est beaucoup… Un être éthéré nanti d’un sexe mâle : j’aime!

Cesse de tâter où il t’en cuira! … Non tout compte fait laisse ta main là c’est bon.

La réciproque?

Ils s’endorment ainsi liés.

 

Samedi 22 mai

Thomas commence la journée en exécutant un massage très sensuel sur l’épiderme de son amant alangui. Il apprête ensuite une montagne de crepes.

Une chance que tu en as préparé pour quatre : on a de la visite… Entre Nuala…

Quelle odeur divine! … Thomas tu es bon à marier… À quand la noce?

Il en est au « noui »… Mais je vais certainement finir par découvrir la recette qui le fera flancher!

Thomas ce n’est aucunement une question culinaire!

Mais qui parle de cuisine? … En veux-tu?

Comment résister! … C’est super! … En as-tu déjà cuisiné pour Lori?

Mais oui : c’est végétarien!

Cíaran les regarde incertain.

… Quelques cartes manquent pour que je comprenne!

Je n’ai pas encore eu le temps de le lui apprendre Nuala.

Inutile j’ai compris. Lori et toi vous…

Nous sommes en phase d’exploration rapprochée.

Ciel ma soeur est une lesbienne!

Tu n’as rien à dire là-dessus pédé! Quoique les choses ne sont jamais aussi simples, nettes et tranchées que tu sembles le croire… Une autre s’il te plait… Merci mâle beauté… Décidément j’adore les nuances… Elles s’harmonisent avec le rose de ta robe de chambre… Torse nu tu es encore plus beau… Ne t’en formalise pas Thomas : juste que cela me donne envie de te taquiner!

J’ai conscience que ce n’était pas méchant.

Mais tu n’aimes pas… Désolée je ne le ferai plus… Mais c’est vrai que je te trouve magnifique.

Et moi très attirante.

J’aime ça quand tu t’exprimes sans retenue. Sois toujours ainsi avec moi en pensées et en gestes.

Cíaran fulmine visiblement.

Es-tu venue pour draguer mon chum?

Pas seulement, toi aussi… Mais également je voudrais te proposer l’arrangement suivant, en ce qui concerne mes leçons de poésie : un dimanche après-midi sur deux de trois à six est-ce que cela te conviendrait?

… Idéalement mais je dois fonctionner avec un corps aux ressources limitées.

Alors chaque semaine mais si tu te trouves en forme?

D’accord. Nous allons travailler sur du concret en reprenant les textes de Dissociée… Parlant de…

Non. Pas maintenant… Autour d’un café et au salon.

Vos désirs constituent des ordres maitresse.

Tu anticipes Thomas!

Ah oui? Je n’en avais pas conscience.

Mon oeil. Mais je dois tout révéler avant d’y songer.

Moi ce qui m’intéresse c’est de savoir. Pour le reste : c’est non. N’oublies pas  non seulement ma nature mais aussi nos liens consanguins.

Justement je n’y tiens pas.

Mais que veux-tu dire au juste par…

Elle n’explicite pas.

Nuala se lève et va s’installer dans son fauteuil de prédilection. Thomas aide Cíaran à transiter de sa chaise au canapé. Il apporte le café, les sert et s’assoit en contact rapproché de son ami.

Je parle devant Thomas parce qu’il est inextricablement lié à toi et qu’il sait presque tout aussi. Cela m’est très difficile d’évoquer cette partie de mon passé… Devant vous encore plus… … Je ne suis pas capable Cíaran!

Nuala peut le faire, elle, peu importe comment ça sort.

La jeune femme hoche la tête. Elle ferme les yeux. La voix parfaitement neutre. Nuala raconte.

Nuala a eu des rapports sexuels avec son père dès l’âge de douze ans. C’est lui qui l’a déflorée et lui a fait connaitre les plaisirs de la chair. Leur secret. Ainsi il dispensait à Nuala tout l’amour dont elle avait besoin. Il n’était pas violent avec elle juste tendre. Nuala se sentait l’être le plus important du monde. Il conférait à Nuala le statut d’adulte du moins c’est ce qu’elle pensait alors que c’était le contraire. La complicité a duré six années. Lorsque Nuala avait ses règles ou se trouvait en période fertile il la sodomisait. Il était très doux pour cela aussi. Malgré ces précautions Nuala s’est retrouvée enceinte. Elle était très heureuse de porter Son Bébé. Elle caressait son ventre et lui parlait d’avenir. Elle a tu son état durant huit semaines. Son père a crié qu’elle donnerait naissance à un monstre. Il l’a contrainte à subir un avortement… Puis-je avoir une cigarette? … Merci… Nuala l’a fait jurer qu’il ne la toucherait plus jamais. Il a promis. Un dimanche matin où sa mère se trouvait à l’église et contre la volonté de Nuala il l’a renversée sur la table de la cuisine et a déchiré ses dessous. Puis il a abaissé son pantalon et son caleçon et a pénétré dans Nuala. Nuala répétait « non » mais il la violait quand même. Nuala a saisi le couteau à viande et des deux mains a asséné un coup au coeur. Il a pris l’air surpris puis est tombé. Sans rien faire, Nuala a regardé la vie avorter de lui. Il a fait l’amour avec la mort et a éjaculé. Il puait de ses déjections. Il y avait du sang partout.

Abruptement Nuala se tait. Le silence perdure, dense. Nuala ouvre les yeux. Elle s’allume une autre cigarette puis une autre ensuite de la première consumée.

J’ai été hospitalisée durant de longs mois, complètement perdue. Puis je me suis attaquée à recoller les morceaux dissociés de moi. J’ai pu reprendre ma vie en main l’an dernier, j’ai trouvé un travail de serveuse au Café des povres. J’y ai rencontré des amis. Puis j’ai voulu exorciser mes démons à ma façon. J’ai réalisé Dissociée chaque version plus approfondie que la précédente… La dernière comprendra ce que Nuala vous a raconté…

La jeune femme campe longuement sur les points de suspension.

Lorsque j’ai appris que tu étais atteint de sclérose en plaques j’ai effectué des recherches sur cette maladie. J’ai ainsi découvert qu’en plus d’un facteur environnemental une autre variable pouvait entrer en ligne de compte pour qu’une personne de sexe féminin le plus souvent développe la maladie : la susceptibilité génétique. J’ai interrogé maman. Elle s’est souvenue qu’une tante du coté maternel en a été victime… J’ai considéré que le risque était non négligeable et j’ai fait en sorte de ne plus être en mesure de procréer… Lorsque je serai prête à devenir mère j’adopterai un enfant… la maternité est davantage une affaire de coeur que de descendance.

Nuala reprend, comme pour chasser la peine.

Je vous ai assommé au sens propre manifestement… Souhaitez-vous que je parte?

Ils nient d’un même signe de tête.

Aide-moi Thomas c’est urgent.

Cíaran roule à grande vitesse vers la salle de bain.

Thomas et Nuala se regardent intensément. Il a envie de pleurer. Quelques perles tombent. Elle résonne en écho. Nuala tend la main. Thomas la saisit, tout en reculant pour lui faire une place au milieu virtuel entre lui et l’espace occupé quelques minutes auparavant par Cíaran. Elle lui offre ses lèvres. Thomas l’embrasse tendrement puis un peu moins. Sourcils froncés, Cíaran les contemple un long moment, examine ensuite l’emplacement vide, à côté d’elle. Il retourne vers la salle de bain, mais revient peu de temps après. Il hésite encore. Il réussit difficilement son transfert sur le canapé. Aussitôt Nuala se détourne et s’empare de sa bouche. Cette fois il répond à son baiser. Thomas caresse les seins menus sur puis sous le chandail. Succédant à Nuala il emmêle sa langue à celle de Cíaran.

Je vous désire tellement!

Nuala pose ses paumes sur les proéminences certaine pour l’une et en devenir pour l’autre par dessus leur vêtement. Cíaran passe son bras derrière elle et serpente jusqu’à ce que sa main atteigne les fesses lors que Thomas s’aventure à l’entre-jambes. Après s’être débarrassée prestement de son haut de corps elle défait sa fermeture éclair; son jean rejoint le sol peu après. Elle enserre les verges à nu entre ses doigts. Les robes de chambres s’empilent. Cíaran suggère de poursuivre au lit. Thomas se lève. Cíaran s’accroche à lui d’un côté, Nuala de l’autre. Sans effort apparent il les entraine jusque dans la chambre. Le ballet de tendresses reprend aussitot. Constatant au toucher les ardeurs tiédies de son amant Thomas entame une fellation. Nuala le rejoint. Elle colle son bas-ventre contre celui de Thomas et sa bouche sur le pénis de Cíaran. Ils lèchent l’organe à nouveau engorgé. Thomas entreprend des manoeuvres stimulantes sur le clitoris turgescent en même temps qu’elle sur la verge. Cíaran s’appuie sur ses avant-bras pour mieux observer la scène. Soudainement Nuala immobilise le poignet de Thomas. L’orgasme la fait crier longuement, le bassin en mouvement.

Fourrez-moi, tous les deux!

Thomas se couche sur le dos. Aussitôt Nuala s’empale sur l’obélisque. Elle feule. Le dard glissant de Cíaran emprunte l’autre voie. Sur son ordre,les deux hommes cessent leurs poussées. Nuala prend les commandes de leur coït. Ce qu’elle fait à l’un se répercute sur l’autre jusqu’à ce que les deux n’en puissent plus de rétention de plaisir. Ils se déchainent sur elle. Ils gémissent fort. Leur orgasme comme un seul, qui les submerge. Insatiables ils recommencent à se tater partout.

Offre-moi ta vulve maintenant.

Nuala se déplace au-dessus de Thomas.

Suce-moi en même temps.

Ce qu’elle fait. Cíaran se repait de la région postérieure. Il sillonne, pétrit, lèche et pénètre la rosace féminine. Thomas fait fourreau autour de la verge de son amant galvanisant ses sens. Cíaran murmure.

Je veux te sodomiser, mon amour.

Toutes affaires cessantes Thomas s’agenouille en prenant appui sur ses mains. Cíaran le monte aussitôt. Nuala porte la main à son propre sexe et le presse.

Viens sous moi.

Elle s’accroupit. L’épieu de Thomas la fouille alors qu’il l’est par son homme.

Retiens-toi mon amour… Approfondis-moi… Nuala?

Je veux vous regarder.

Thomas se soulève légèrement pour qu’elle puisse se retourner. Son membre retrouve gite. Le regard de Cíaran accroche les prunelles olivines.

Donne-toi à nous Nuala, vraiment.

Elle palit, écarquille les yeux.

Oh! … Prenez ce que je vous offre!

Thomas s’immobilise. Puis se met à raler. Cíaran arrête tout mouvement.

Donne-toi à moi aussi mon amour.

L’union charnelle reprend mais en mouvances quasiment imperceptibles. Leurs regards fusionnent. Le cri de la femme assouvie se fait assourdissant. Ils y font écho. Ils se désunissent à contrecoeur. Cíaran et Thomas s’étirent chacun contre un flanc de Nuala. Elle caresse la joue de son frère.

Ne ressens pas de culpabilité Cíaran. Je voulais que ce soit ainsi et j’ai fait en sorte que cela soit.

… Tu es ma soeur! C’est un lien incestueux, comme l’autre!

Tu ne possèdes pas d’ascendant sur moi. En cela c’est différent. Et dix ans nous séparent d’une relation fraternelle. Et je ne suis pas si fragile. Et si tu penses ainsi c’est que tu n’as pas compris. Thomas?

Ce n’est pas toi ou moi Cíaran c’est nous deux ensemble qui avons éveillé les pulsions de Nuala.

Avant d’être frappée de plein fouet par votre sensualité je n’étais pas capable d’avoir des relations sexuelles pas depuis… ce qui s’est passé.

… Et Lori aussi.

Lori m’a donné des ailes! Lori me libère de la prison de mon corps. Faire l’amour avec elle cela veut vraiment dire s’aimer au complet pas juste de peau. Avec vous je ressens cela aussi.

En ce qui me concerne c’est réciproque.

Bien que nantie de handicaps certains…

Cíaran presse la vulve et embrasse chacun des mamelons.

… Je me rends compte que je les intègre harmonieusement dans notre couple masculin… Nuala… Si tu décides d’approfondir notre lien j’en serai heureux.

Thomas?

Ma réponse n’est-elle pas assez éloquente?

Les deux hommes se resserrent contre elle et s’endorment presque aussitôt. Nuala se tourne de coté les fesses collées au bas-ventre de Cíaran, le sien rapproché de celui de Thomas. Quelques heures plus tard, Nuala se réveille. Elle les embrasse sur la joue. Elle fait toilette, se vêt, puis part sur la pointe des pieds.

 

Thomas réveille Cíaran d’un baiser sur la joue.

La tornade violette nous a quittés.

Quel constat! … Je suis convaincu que tout comme moi tu avais anticipé ce qui allait se passer entre nous trois dans un avenir maintenant avéré…

Pour répondre à la question qui découle de ton affirmation : non je n’en ai pas eu le temps… mais je compte bien y remédier question perfectionnement… D’ailleurs je dois m’y rendre incessamment : nous allons nous trouver à court d’ointement… C’est encore ouvert d’ailleurs; veux-tu venir avec moi?

En chaise roulante… Le regard des gens… Je ne m’y habitue pas. En béquilles je dois sans cesse observer où je pose les pieds ce qui n’est pas évident pour magasiner… Quand je serai à peu près valide plutot… enfin si… Mais j’ai une autre proposition à te faire dans la même veine : une séance de « cybersexe ». As-tu déjà exploré le web en ce domaine?

Je n’en ai pas eu l’occasion. Je n’ai utilisé l’internet qu’à l’université un lieu peu propice à la pornographie!

Cela m’est arrivé de le faire à l’occasion surtout quand j’étais invalide et en manque de chair mâle… Mais je n’ai jamais été tenté de devenir membre d’un site particulier. Quoi qu’il en soit on fait parfois d’intéressantes trouvailles.

Va pour le sexe informatisé… mais après un rafraichissement sanitaire et une collation.

Je n’ai pas faim mais il reste des crêpes.

Les besoins primaires satisfaits, ils s’installent devant l’ordinateur.

Ce n’est pas l’écran qui assure la meilleure des visibilités mais c’est mieux que rien.

Cíaran tape laborieusement une séquence de caractères dans la fenêtre du moteur de recherche. Ils visitent quelques sites.

C’est fort intéressant… J’aime particulièrement les pratiques sodomites… en duos plutot qu’en nombre… J’aimerais que tu me prennes dans cette position… Comme ça par contre…

Plutot acrobatique pour moi actuellement.

Les commentaires de même mouture se succèdent et attisent leurs sens. L’animation virtuelle exerce une fascination indéniable sur Thomas et surtout sur Cíaran qui observe Thomas. Thomas adopte la même posture qu’un des partenaires.

Fais-moi ça maintenant.

Après l’avoir rejoint sur le plancher Cíaran utilise ses doigts préalablement oints pour préparer son amant à l’accueillir. Cíaran ajuste la cadence de son va-et-vient à celle des acteurs. Thomas se masturbe au même rythme. Au bout d’un moment Cíaran s’accroche aux épaules de Thomas.

On va réaliser ton autre fantasme mais en l’adaptant légèrement. Relève-toi à genoux et penche-toi… comme si tu étais ma monture… … Thomas… Je t’aime… Je ne peux plus… me retenir!

C’est tellement bon ainsi… Je t’aime… Moi non plus… Cíaran!

Bien plus tard Cíaran se hisse dans sa chaise roulante. Thomas s’assoit à ses pieds. Essoufflés encore ils se caressent tendrement.

Je préfère quand même les films…

Moi également… À ta prochaine épicerie érotique si tu en rapportais quelques autres : un couple masculin avec dame mais aussi un autre, intégralement mâle?

Vos désirs, mon seigneur… Mais j’en achèterai aussi deux de plus : hétéro pour le premier et lesbien pour le second pour moi et Lori…

… Je les visionnerai aussi histoire de diversifier ma culture…

Le rire de Cíaran s’éteint.

Avec une femme tu dois être là… Je ne peux pas autrement… Cela m’excite de te voir exercer ta puissance tellement virile; par contre… de la traiter comme un homme aussi… C’est bizarre… J’aurais quand même souhaité qu’elle possède un pénis pour me fouiller comme toi tu sais si bien le faire…

Cíaran peigne des doigts la tignasse ébouriffée.

Si on sortait, pour souper?

Comme un seul homme! Je salive déjà!

… Au restaurant grec pas très loin d’ici. Les doners y sont fabuleux; les calmars aussi.

C’est magique de fréquenter le monde en ta compagnie!

… Tu me redonnes le gout de vivre Thomas.

Et toi tu affines la vie!

Cíaran rompt l’enlacement.

Viens on va faire toilette. J’ai faim!

Moi aussi… On se demanderait pourquoi!

Leur repas d’amoureux transis se déroule sans trop d’anicroches : un seul verre renversé, crampes aux avant-bras et douleurs habituelles à la figure aussitôt soulagées pratiquement sans interruption dans le flot de leur communication. Des gestes devenus routiniers, de tendre attention. Sans qu’ils ne s’en rendent compte d’autres clients les observent avec une bienveillante curiosité.

J’ai hâte d’entendre tes péripéties doctorales.

Cela a pris plusieurs jours pour garnir les tablettes des douze étagères. On a parlé d’anthropologie à toutes les sauces. Plus particulièrement il a étudié en profondeur les liens de parenté et quand il part là-dessus… Mais, cette fois j’ai senti que le coeur n’y était pas tout à fait… Je ne me sentais pas capable non plus de l’aborder de front : la distance qu’il met entre lui et les autres m’apparait insurmontable. Sauf que le sentiment de malaise s’est accentué. Inconsciemment je crois il a fait en sorte de ralentir la cadence de mon travail pour toutes les raisons imaginables mais vraisemblables. Vendredi lorsque tout a été finalement terminé je l’ai senti tellement malheureux! J’ai saisi la première perche qui m’est venue à l’esprit : « Comptez-vous communiquer à l’humanité votre énorme savoir par le biais d’un livre? » Je sais que cela sonne alambiqué mais je cite comme c’est sorti. Il m’a regardé l’air ahuri et bouche bée. « Je suis… j’étais un pédagogue Thomas, un enseignant essentiellement verbo-transmetteur… J’y ai pensé vaguement mais je manque d’organisation, de structure et de patience pour la prose… Je… » Il s’est arrêté net sur le pronom personnel. J’ai attendu. Il a repris avec des tremblements dans la voix. « Depuis un demi-siècle ma vie c’était l’Université; les gens surtout, des générations d’étudiants… La retraite ce n’est pas des vacances prolongées jusqu’à la mort, c’est la prise de conscience qu’on ne sert plus à rien socialement… Excusez-moi, je m’égare… » Spontanément, je lui ai proposé ceci : « Si je devenais votre scribe? J’enregistre vos propos, je les régurgite dans l’ordinateur, j’organise et structure l’information et je vous soumets le résultat! » « Vous tenez un discours farfelu! Ce serait un travail de moine et de longue haleine quasiment impossible à réaliser! Et vous devez poursuivre vos études, trouver un emploi! » « Ce que j’ai acquis d’ores et déjà serait certainement utile, ce que je pourrais apprendre constitue l’essence d’une vie entière consacrée à la quête du savoir et à la réflexion sur celui-ci. L’acquisition d’une maitrise puis d’un doctorat m’apparait subsidiaire à la préservation de ces précieuses connaissances. Quant au reste un héritage m’assure une certaine aisance financière jusqu’à la fin de mes jours… Toutefois vous devrez vous adapter à mes disponibilités variables.» Tout au long de ma diatribe j’étais trop intimidé pour le regarder. À la fin j’ai levé les yeux. Il était blême. Je me suis excusé de l’avoir ainsi bouleversé. Il a articulé lentement : « Je vais réfléchir sérieusement à votre proposition Thomas… Viendrez-vous lundi pour en reparler? » J’ai accepté bien entendu!

Thomas commande deux cafés promptement apportés. Cíaran ouvre la bouche puis la referme. Thomas ajoute les crèmes et le sucre pour le sien. Il tient la tasse pour son ami en même temps qu’il trempe les lèvres dans la sienne puis recommence peu après le même manège.

… C’est un projet fantastique, émouvant aussi… « Disponibilités variables » c’est à cause de moi?

Je me suis dédié à toi.

… L’amour ne suffit pas parfois.

Permets-moi d’enregistrer mon désaccord.

Je ne peux pas accepter ça!

Parce que tu ne comprends pas encore! Et malgré In the purple of your eyes! … Excuse-moi.

… Tu as raison je ne comprends pas… Je croyais être capable de conjuguer le verbe aimer.

D’une certaine façon : tu sais donner mais pas prendre!

Mais que veux-tu donner?

Moi. Au complet. Le verbe aimer ne se rationalise pas; il est c’est tout.

… Tu me fais peur Thomas… Je suis totalement impuissant quant à mon destin.

Non tu l’es, puissant avec moi… Si on se promenait? J’adore les couchers de soleil et c’est tellement romantique à deux…

Ça me fait frémir ce que tu dis… J’ai envie de te dire que je t’aime mais je me rends compte qu’effectivement j’ignore ce que c’est.

Parle comme tu ressens : je m’en balance des définitions!

Je t’aime!

Thomas règle l’addition, Cíaran laisse le pourboire. Thomas imprime à la chaise roulante une cadence lente.

La fraicheur de la nuit qui s’installe. Je trouve ce moment particulièrement agréable.

Avec toi ça l’est encore plus… J’ai envie de narrer, veux-tu entendre?

Quelle question : je bois comme du lait au chocolat la moindre de tes paroles!

Thomas s’assoit sur un banc du parc.

Georges m’a téléphoné dimanche soir pour encore modifier notre rendez-vous doux du vendredi au lundi. Aucun problème là-dessus s’il m’acceptait en chaise roulante… J’ai de la difficulté à me déplacer en béquilles durant toute une journée. Au cours du week-end ce cher Georges avait fait ami ami avec son acariatre voisin! Celui-ci a d’ailleurs retiré sa plainte et la perruche dort du sommeil du juste entre minuit et six! À un moment donné Georges a pris son air « abordons les choses délicates ». Il m’a dit : « J’ai parlé de toi à Philip. Il m’avait demandé si tu étais de ma parenté. Je lui ai expliqué ce que tu représentais pour moi ainsi que le cadre de notre relation bien que je n’aie pas été très clair quant à l’étendue des échanges. En passant il est très hétéro : j’ai le pif pour ces choses-là. Je lui ai appris également la nature de la maladie qui t’afflige… Ne t’en offusque pas je t’en prie! C’est un état de fait tout comme la vieillesse et l’homosexualité. À ce que je sache ce ne sont pas des tares! … Et je lis trop facilement dans tes magnifiques yeux mon coeur : je ne suis pas un  » entremetteur  » comme Henry paix à son âme! … Bon peut-être un peu je le concède… Philip se sent très seul Cíaran… Et si tu voulais bien le rencontrer demain cela me ferait plaisir… » Je lui ai fait remarquer que le lendemain j’étais déjà pris. « Je me suis organisé avec Olivier, Robert et Bryan pour l’effet domino voulant battre le fer encore chaud… » Je l’aurais battu comme platre! « Ne sous-estime jamais ton apport Cíaran… Depuis que tu es entré dans ma vie j’ai l’impression d’exister! » Je me suis serré contre lui. « Avec toi Georges et avec les autres aussi je me sens… utile… Je t’aime, je vous aime! »… Faire l’amour avec Georges c’est spécial, tellement intense, tellement libérateur, une exultation joyeuse de tout l’être… Georges est très physique; il véhicule plus aisément ses sentiments par le corps. Moi aussi d’une certaine façon, et quand je peux. Il avait donc réussi à me coller un rendez-vous avec monsieur Robinson. Dans la soirée un brin paniqué je me suis rendu chez Claude qui ne s’est pas fait prier pour raviver la teinture laquelle commençait à paraitre délavée histoire d’y grappiller un peu d’assurance… Claude vit d’énormes problèmes mais je t’en reparlerai plus tard… Bref je me suis pointé chez monsieur Robinson à neuf heures précises. Je me suis senti minuscule. Il portait costume trois-pièces et cravate épinglée en plus! Si j’avais pu j’aurais pris mes jambes à mon cou! Il s’est exclamé : « Vous roulez maintenant! » Que répondre à une telle évidence! Il s’est effacé pour me laisser passer. Très urbain il m’a offert du café ou du thé. J’ai accepté un verre d’eau. Puis il a commencé à poser une tonne de questions sur moi. J’ai éprouvé la nette impression d’être candidat à un emploi particulièrement convoité dans une grande boite internationale! Avec une louable patience j’ai répondu avec franchise. Ainsi il a pu cerner l’étendue limitée de ma culture, mes capacités physiques diminuées et intellectuellement moyennes, ma scolarité presque secondaire, mon cadre familial, soigneusement épuré toutefois, mes aspirations tièdes quant à l’avenir, et j’en passe! Tout au long de l’entretien il me regardait droit dans les yeux. La vivisection d’un insecte! J’ai commencé à bouillonner. J’ai laché spontanément : « Je ne crois pas monsieur Robinson que je constituerais une excellente recrue pour votre entreprise ». Il est resté la bouche ouverte sur la prochaine interrogation. Puis il a souri mais amèrement. « Pardonnez-moi… J’arrive difficilement à m’ajuster à tout ça… » m’a-t-il confié en balayant l’air de ses bras. « J’ai vécu ces dix dernières années par et pour ma compagnie… depuis que mon épouse est décédée… Enfin j’ai toujours été malhabile en dehors des cadres… enfin sauf avec elle et les enfants… Ils demeurent à Vancouver maintenant, mariés et tout ça… » Il s’est tu. L’histoire d’une vie en quelques phrases! J’ai attendu mais rien d’autre n’est sorti. « Mais qu’est-ce que Georges, enfin monsieur Quesnel vous a dit à mon sujet? » Il a ri brièvement : « Georges puisqu »il a en horreur qu’on l’appelle monsieur Quesnel, m’a-t-il fait remarquer inlassablement, jusqu’à ce que j’y réussisse, s’exprime en parabole; il possède une vision très personnelle et toute colorée de la réalité; j’aime l’écouter, il ressemble à son minuscule oiseau… mon commentaire n’est en rien péjoratif  mais plutôt admiratif en fait… Sa facilité à communiquer surtout… Je me sens tout à fait désolé pour l’esclandre. » J’ai glissé : « Attention il vous contamine on dirait… » Il a ri franchement cette fois. Et il a desserré l’objet de strangulation. J’ai repris : « Vous aimez que les choses soient claires. Moi aussi. J’offre un service; ce service c’est moi. Une journée par semaine entre neuf heures et dix-sept heures. À l’intérieur de ce cadre vous pouvez tout me demander… Enfin je dois maintenant y mettre certaines restrictions : pour faire la cuisine, les courses ou le ménage, je ne suis pas très efficace. Par contre je peux vous accompagner lors de vos visites médicales si tel est le cas, tenter de régler des problèmes administratifs, vous réciter des poèmes, les grands classiques ou certains de mon cru, vous apprendre le gaélique irlandais, jouer aux échecs, faire l’amour aussi, selon vos désirs du moment et dans le respect de votre intégrité mais et surtout vous écouter. Votre histoire, votre expérience de vie, vos connaissances, tout m’intéresse et c’est là ma façon d’apprendre. De moi vous prenez tout ce dont vous avez besoin. Il n’y a de frais que parce que je dois assurer ma subsistance et je n’ai d’autres revenus certains que ceux-là. En raison de ma maladie je ne peux pas promettre la constance bien que je tente de le faire. Toute relation humaine étant extrêmement complexe, c’est important de mentionner que la période d’ajustement de l’un à l’autre peut durer plus ou moins longtemps. L’assurance que je peux donner c’est celle de tout mettre en oeuvre pour que vous soyez satisfait de notre échange lequel pourra se rompre à votre gré. Pour finir je ne confie jamais à l’un d’entre vous ce qui se passe avec un autre. » « C’est effectivement très clair sauf sur un point : qui est-ce que je préviens si brusquement vous vous trouvez incapable de communiquer ou éprouvez toute autre incapacité majeure? » « Je n’y avais pas pensé mais vous avez raison… Si je suis pris de crampes le problème peut la plupart du temps être résolu par un massage; pour les douleurs je préfère m’isoler et vous ne pouvez rien y faire sauf me donner du Tylenol puisque je suis allergique à l’aspirine, et vous boucher les oreilles; elles finissent par s’estomper. Quant à l’autre éventualité vous prévenez Thomas mon chum. » J’ai ajouté le numéro de ton cellulaire à mes coordonnées. « Je ne suis pas homosexuel. » « Ce n’est pas une tare… Aucun de mes vieux amis ne l’est sauf Georges, lequel ne s’en cache pas, plutôt le contraire à vrai dire, et avec une grande ostentation ». Il a souri : « J’ai cru remarquer! » Il m’a invité à partager son repas. Il déteste prendre son diner à la cafétéria. Il a préparé des biftecks, du riz minute et une salade verte. J’ai contemplé les ennemis un long moment. J’ai pu dignement m’en tirer avec la laitue et la fourchette mais quand j’ai tenté de couper la viande… Philip a enlevé mon assiette et a artistiquement tranché des morceaux d’égale grosseur avant de me la rendre; juste avant que je ne tente d’entamer l’accompagnement il m’a apporté une cuillère. « Une simple question d’ajustement » a-t-il mentionné en enlevant veston, gilet et cravate. « Je suis un peu trop sensible sur ces vétilles je crois. » Après le repas est venu le moment le plus délicat. « C’est vrai que je me sens très seul, inutile aussi… mais je ne souhaite rien de particulier non plus. » « Donnez-vous le temps d’apprivoiser la situation mais aussi durant cette semaine de réfléchir. Ce que j’offre vous pouvez fort bien ne pas l’accepter; je n’impose rien et vous n’êtes pas nécessaire à ma vie. Je le souhaite seulement car vous m’intéressez; vous représentez aussi un défi pour moi puisque vous m’effrayez et je me sens dans mes petits souliers en votre présence. » «  Vous êtes franc je le ressens. » « Je le suis toujours et quand cela ne va pas je l’exprime; l’inverse est aussi vrai. » « Comme avec le petit prince et le renard… Je ne sais pas comment amorcer… » « Un ami m’a montré à jouer aux échecs et je crois être devenu très fort en la matière… » « Faut voir! » Je n’ai pas été cherché très loin à vrai dire puisque deux échiquiers, aux parties entamées décoraient la table basse du salon. Il en a installé un troisième et nous avons commencé. « Effectivement vous êtes excellent mais désolé c’est échec et mat… » En six coups, seulement! J’étais sonné et ma figure s’est allongée. « Il vous faudrait quelques leçons supplémentaires je crois… » « Je serai enchanté de profiter de votre expérience… mais quelle déception! » Nous avons parlé stratégies durant toute l’heure suivante! C’est vraiment un pro même s’il se qualifie lui-même de dilettante. De fil en aiguille il s’est mis à jaser de sa vie passée, m’a parlé de ses enfants. J’étais suspendu à ses lèvres : il raconte tellement bien quand il ne pense pas à comment ça sort! Il en a pris conscience soudainement. « Mais pourquoi est-ce que je vous assène tout ça : un vrai moulin à paroles tout d’un coup! » « Parce que vous en sentez le besoin sans doute. J’aime vous écouter cela me donne envie de vous connaitre davantage! Excusez-moi mon commentaire était malvenu. » « Non car il était spontané je le ressens Cíaran. » C’était la première fois qu’il prononçait mon prénom de toute la journée! « Je vais partir maintenant : vous me ferez signe si vous souhaitez que je revienne… Quoi qu’il en soit, je me sens très heureux d’avoir échangé avec vous aujourd’hui. » Alors que je me trouvais près de la porte il m’a dit, très doucement : « Ne pourriez-vous encore rester un peu? Il n’est pas tout à fait dix-sept heures… ». Il était toujours assis dans la causeuse; ses yeux s’intéressaient obstinément aux échiquiers. J’ai cru errer dans mon interprétation au début mais l’évidence s’est imposée d’elle-même : ce qui prenait six mois à d’autres se produisait dès maintenant! À la recherche d’une confirmation j’ai tenté d’accrocher son regard mais en vain. J’ai rapproché ma chaise puis je l’ai abandonnée pour le sol à ses pieds. J’ai attendu qu’il défasse sa braguette ce qu’il n’a pas tardé à faire… Je suis très sensible à la taille du pénis je crois… Il est membré comme toi; j’aime. C’était hautement excitant que de lui faire une fellation et je m’y suis adonné avec enthousiasme son besoin étant devenu le mien. Tout au long il a trituré ma mèche colorée. Le plaisir d’absorber le fruit de sa jouissance. Il s’est rendu compte je crois de mon excitation, bien que cela ne soit vraiment pas important dans le type de relation que je souhaite établir…

Une fois rentrés ils s’installent au salon côte à côte. Thomas effleure la fermeture éclair de son ami.

La nature t’a plutôt bien gréé toi aussi… Mais même s’il avait été minus cela n’aurait rien changé sauf peut-être le degré de la douleur au début du moins.

Je ne te dis pas que c’est important juste un peu plus excitant… Ça me faisait très mal moi aussi au commencement… Est-ce que tu ressens de la jalousie?

Une minuscule pointe je dois avouer. Cela se soigne… Couches-tu avec ton voisin? M’acceptes-tu dans ton lit ce soir aussi?

Tu m’as tellement manqué! Jusqu’à dimanche midi ça te va?

Mieux que rien…

… Si tu nous rapportais de quoi boire et fumer ?

Thomas apporte les deux verres, généreusement remplis de whiskey irlandais et coiffés de pailles. Ils partagent une cigarette.

Parle-moi de Lori… Tu passes le plus clair de ton temps avec elle mais tu n’en dis rien.

… Je croyais que le sujet ne t’intéressait pas… ou plutot te perturbait alors j’évitais.

Puisqu’elle fait autant partie de ta vie c’est normal qu’elle m’intéresse.

… Disons que c’est un changement majeur d’attitude…

… Sans doute…

Je lui raconte de toi, aussi, et pour les mêmes raisons.

… Pas en détail, quand même!

Pas nos nombreuses baises débridées c’est certain. Mais toi tel que je te perçois puisqu’on ne peut jamais vraiment connaitre une personne. Je lui ai résumé ton histoire de vie. Elle voulait comprendre aussi, à cause de Nuala probablement mais aussi à cause de moi.

C’est une femme étrange que ta princesse colorée. Trace-moi son portrait.

Il n’en faut pas plus pour que la digue se rompe. Thomas parle longtemps. D’elle comme demandé mais aussi d’eux : sa rencontre avec Lori, leurs champs d’intérêt communs, leurs affrontements et pourquoi ils se sont avérés, l’amour naissant puis se batissant au fil des jours, son histoire de vie, les tenants et les aboutissants de leur rupture puis de leur réunion finissant par l’intrusion de Nuala dans son existence et dans la leur forcément.

Maintenant Lori prend ses déjeuners au Café des povres. Elle apprend à connaitre Nuala dans son environnement de prédilection ainsi… Je crois qu’elle en est amoureuse sans oser se l’avouer encore.

Cela te fait mal.

Un peu mais c’est normal, elles se découvrent mutuellement. Accepter l’autre tel qu’il est n’est pas exempt de souffrance mais je sais qu’elle m’aime. Pour elle aussi c’est ainsi quant à ma relation avec toi.

… Mais en même temps tu as peur n’est-ce pas?

… Oui. L’équilibre est très fragile.

Je te sens malheureux.

Non pas vraiment. Juste une différence entre ce que comprend ma tête et ce qui secoue mon coeur. L’harmonie ne se fait pas sans heurts ni efforts.

Disons que je comprends très bien! Je suis fatigué mon amour.

Moi aussi.

Thomas soulève prestement son ami et le porte jusqu’à la salle de bain puis jusqu’au lit. Ils échangent des caresses entrecoupées de mots d’amour.

 

Un coup sur le mur éveille Thomas en sursaut. Il entend crier et hurler.

Cíaran, réveille-toi!

Je crois que ça ne va pas à côté.

Le bruit se répète. Des éclats de voix. Un appel au secours.

Vite donne-moi ton téléphone.

Thomas obtempère. Cíaran signale 9-1-1.

Il semble y avoir un problème de violence conjugale chez ma voisine.

Il fournit les coordonnées puis les siennes. Il raccroche. Thomas amorce un mouvement. Cíaran le retient.

Non. Intervenir nous-mêmes risquerait d’aggraver la situation voire faire d’autres victimes… Thomas c’est ce que Claude et moi avons convenu en cas d’urgence et c’est ce que les policiers ont conseillé!

Thomas piaffe sur place comme un cheval rétif. Il enfile sa robe de chambre. Cíaran insiste. Tout est redevenu silencieux à côté. Rien de rassurant.

La sirène s’arrête. Beaucoup de remue-ménage. Des voix inintelligibles. Puis on frappe à la porte.

Ciaran Milne?

Thomas corrige par habitude la prononciation. Demande quelques minutes. Il apporte la chaise roulante, aide son ami à s’y installer et le conduit au salon.

Est-ce que Claude est sauf?

L’agente, une jeune femme ne répond pas immédiatement.

Il est blessé. Les ambulanciers sont auprès de lui.

Ce n’est pas « il » mais « elle »…

Euh… Il était nu…

Claude est un transsexuel. Elle doit subir la transformation ultime la semaine prochaine.

Ah… Est-ce qu’il… Est-ce qu’elle a un proche pour s’en occuper?

Son frère mais je ne connais pas le numéro… Peut-être en consultant son carnet d’adresse.

Et son… euh…

Conjoint?

C’est le terme que je cherchais.

Elle m’a dit qu’il était devenu passablement violent et se montrait d’une jalousie extrême. Elle en avait peur… Sa vie est-elle en danger?

Je ne suis pas médecin… Il l’a sérieusement amochée toutefois… Pardonnez-moi je suis confrontée pour la première fois à… cette étrange ambiguïté.

Ce n’en est une que de temps. Dans sa tête à elle c’est clair. Et elle n’a jamais été un homme. Elle ressentait ses attributs masculins comme des aberrations de la nature. Sa quete de bonheur à elle passe par un changement de sexe pour que son identité colle au cerveau comme au coeur. Avec ceci en tête les ajustements deviennent plus faciles à réaliser.

… Merci, pour ce que vous m’avez dit. Je veillerai à transmettre cette information pour son dossier médical… Elle ne sera peut-être pas en mesure d’en parler immédiatement… Vous serez sans doute appelé à témoigner… Ne reste que quelques formalités à remplir.

Ils s’affairent. Thomas rapporte des verres d’eau.

Si vous ne trouvez pas… Rolland je crois auriez-vous l’obligeance de me prévenir : je viendrai au plus tôt…

La policière acquiesce puis prend congé.

Nous pourrions…

Non Thomas ce n’est pas son souhait. De cela aussi, nous avions parlé.

Tu crois qu’il a blessé ses parties génitales?

Je ne le crois pas j’en suis certain. Claude m’a dit que cela le mettait en rage quand elle bandait.

… Spécial disons… Cet homme a grand besoin d’aide.

Crois-tu qu’on la fournit en prison?

Le téléphone sonne. Cíaran répond puis raccroche au bout d’une trentaine de secondes.

Ils ont retrouvé son frère. Il accourt.

Thomas leur prépare deux doubles whiskeys irlandais.

Cela aidera à passer la nuit.

 

Dimanche 23 mai

À sa demande Lori lui tend l’appareil inaccessible sans contorsions. Thomas signale le numéro de Cíaran.

Salut mon amour, des nouvelles de Claude?

On lui a recousu le pénis. Elle a jeté de hauts cris quand elle s’en est rendu compte. Mais ce n’était pas possible de procéder à l’autre intervention immédiatement. Enfin sa vie n’est pas en danger. J’irai la voir demain soir…

Qu’est-ce qui se passe?

… C’est avec le mien que j’éprouve des problèmes… Nuala et moi avons tenté vainement d’avoir un rapport sexuel digne de ce nom… J’en avais le désir tout autant qu’elle. Même avec l’aide médicamenteuse… Enfin j’arrive à bander mais dès que j’essaie de la pénétrer… Bref nous nous apprêtions à dormir!

… J’ai peut-être un moyen pour régler tes problèmes de stimulation et de frustration. Attends une minute, je reviens au bout du fil.

Thomas met l’appareil sur le mode attente. Il explique la situation et son idée à son amie laquelle accepte d’emblée et à sa grande surprise de se prêter au jeu. Thomas retourne au téléphone.

Je vais faire l’amour avec ma princesse en te racontant en détail ce que je ressens et en y ajoutant mes fantasmes sur toi et autres commentaires qui me sembleront pertinents en contexte. Qu’en penses-tu?

Oh! Elle sait donc!

Nuala lui avait fait part de ses intentions avant même qu’elles ne soient réalisées…

Ah… Je me sens plutôt frustré actuellement.

Tant mieux tu vas pouvoir te concentrer sur son plaisir d’abord… Demande-le lui.

… Nuala accepte de tenter l’expérience… Elle aussi est… tendue.

Thomas s’installe plus confortablement.

Lori aime de longs préliminaires… Nuala se détendra aussi en même temps que toi… Ne pense pas au but à atteindre mais aux gestes que tu accomplis… Je caresse ses seins en promenant mes doigts tout autour… … Ses pointes se dressent et semblent frémir; cela me donne envie de les sucer et de les mordiller doucement comme je le fais souvent sur tes mamelons… … Sa vulve m’attire irrésistiblement. De l’index je cerne délicatement son clitoris, mais sans le toucher encore…

Elle me guide différemment… Elle préfère des pressions délicates et directes…

… Lori aussi, aime… … Elle me masturbe… J’imagine que je te le fais…

… Nuala également… … Comme toi…

… J’ai envie de pénétrer à l’intérieur d’elle… Son sexe étreint le mien tout au long… Je veux lui donner encore du plaisir avant de penser au mien… Elle aime que je la prenne lentement… très longuement… Elle est toute moite et chaude… accueillante et mobile… Son vagin se creuse sous mes poussées viriles…  enveloppe mon pénis en un fourreau très étroit… comme ton cul mon amour… … Son orgasme me projette tout au fond d’elle et de profonds spasmes l’agitent… Non pas maintenant… Elle comprend mon envie de la sodomiser… Elle se déplace pour m’offrir son derrière, accroupie…

… Nuala aussi…

… Ma verge enduite de ses sucs glisse facilement… Je t’encule en pensée ainsi et aussi mon amour… … Cíaran?

Je suis synchro… Laisse-toi aller…

Thomas accélère le tempo. Ils entendent des cris de plaisirs. Les leurs s’y mêlent. Un long moment après Thomas reprend le combiné.

= Je t’aime.

Cíaran raccroche. Lori se glisse entre ses bras.

Je t’aime déesse.

Moi aussi… J’aime Nuala également je crois…

… Elle t’aime?

J’espère… Faire l’amour ainsi…

Je me suis senti en symbiose avec lui et avec toi en même temps.

Et moi avec elle et avec toi… C’est complètement fou ce que je vis!

T’en plains-tu vraiment?

Non.

 

Vendredi 29 mai

En sortant de l’ascenseur Cíaran trouve Thomas assis, sur le sol en travers de la porte d’entrée. Ce dernier se lève péniblement, ankylosé, ouvre et pousse la chaise roulante.

Je n’ai pas attendu que tu me téléphones puisque tu me manquais trop.

Cíaran renverse la tête en arrière et envisage son ami. Thomas arbore une barbe de deux jours et ses yeux paraissent éteints. Thomas caresse l’arete lisse de la mâchoire glabre. Cíaran saisit la main entre les deux siennes et frotte sa joue au revers.

Ça ne va pas.

J’ai envie de te faire un massage…

C’est plutôt toi qui en nécessites un on dirait…

J’ai besoin de te toucher.

Thomas se penche. Cíaran encercle ses bras autour du cou. Thomas le soulève et le serre contre lui à l’étouffer.

Vers la salle de bain d’abord.

Ils se dénudent. Thomas installe un drap de ratine sur l’autre. Il oint l’épiderme de son amour. Il commence par les jambes mortes.

Tu t’es négligé cette semaine… On doit éviter que ta musculature s’atrophie.

J’avoue… Cette routine devient astreignante quand c’est moi qui la répète ad nauseam. À mardi j’ai cessé.

Je ne me lasserai jamais de ce contact de mes mains avec ton corps… C’est davantage un besoin physique qu’érotique.

Thomas j’ai peur de ne plus pouvoir marcher définitivement.

… Si tu prenais les moyens pour cela aiderait peut-être à… minimiser les séquelles.

… Nous lisons le même journal.

Ce n’était qu’un entrefilet qui donnait peu d’information au fond.

Peut-être pourrais-tu te renseigner sur ce nouveau traitement.

De quoi te mêles-tu? C’est mon corps!

Tu as raison… Mais j’aimerais que tu prennes en considération quand même le fait que tu n’es plus seul à vivre avec la SP…

J’en suis tout à fait conscient Thomas… Tout n’est pas si simple!

Cíaran se met à pleurer. Thomas désolé s’étend contre lui et l’enserre entre ses bras. Des larmes coulent sur ses joues aussi.

Pardonne-moi mon amour je ne voulais pas te heurter.

Tout doux Thomas… Tu manques de paramètres c’est tout… Je ne me sens pas prêt à aborder le sujet de front… Je voudrais que tu me fasses confiance même si cela nécessite du temps… Mais c’était plus important que tu sortes cet abcès de toi. Alors ne te désole pas. La sincérité envers l’autre implique que parfois on le blesse. C’est correct ainsi… Mais certaines choses je dois les régler seul même à nos dépens… Ce qui m’est arrivé de plus merveilleux dans la vie c’est de t’avoir rencontré.

Pour moi aussi Cíaran.

Thomas reprend le massage.

Comment as-tu appris à si bien masser?

Ma mère. J’étais un hyperactif. Tout petit je me trainais partout : je voulais découvrir le monde. Je ne laissais pas une seule minute de répit à mes parents. Aussitôt que j’ai commencé à marcher cela a empiré : on devait littéralement me suivre à la trace. Et même m’y précéder puisque j’étais plutot casse-cou. Maman m’a raconté que le pire est venu quand je me suis mis à parler intelligiblement. Je n’arrêtais pas. Du matin au soir je pérorais constamment toutes les interrogations, états d’âmes et réflexions qui m’animaient. J’étais curieux de tout. Aussitôt que je maitrisais un jeu ou comprenais un concept j’étais avide d’entamer l’autre. Si ma soif de curiosité était contrariée je faisais des crises épouvantables. Essayer de calmer un tel bolide pour le dodo relevait de la mission impossible. Alors le soir elle me massait tout en me narrant l’histoire qu’elle avait inventée. Son imaginaire était fantastique. Je buvais ses paroles. Ses mains caressantes m’apaisaient en même temps. Je glissais vers le sommeil le pouce dans la bouche les yeux fixés sur mon père assis dans la chaise berçante et qui l’écoutait tout aussi captivé que moi. Un répit pour eux puisque le lendemain dès l’aube le cycle infernal recommençait.

En classe aussi tu devais l’être!

Au primaire je suis allé dans une école alternative où les enfants pouvaient fixer eux-mêmes leurs objectifs d’apprentissage, déterminer ce qu’ils souhaitaient apprendre et mener leurs projets à terme. Cela m’a montré la persévérance en plus de ne pas tuer mon avidité de savoir. Dans le cycle régulier j’aurais certainement éprouvé d’énormes difficultés d’attention et de comportement. J’ai étudié au secondaire traditionnel mais mon hyperactivité n’était plus vraiment un empêchement à cette époque… Assez parlé de mon enfance… Tourne-toi.

Cíaran obéit mais il saisit les poignets de Thomas l’empêchant de poursuivre. Celui-là s’étire sur le flanc un coude sous la tête.

Qu’est-ce qui ne va pas?

Je suis simplement épuisé. Je me sens tout croche, à fleur de peau. La revanche du destin se nomme Gérard Perrier. Il a accepté ma proposition. Nous avons convenu pour le moment de nous rencontrer durant trois heures par jour du lundi au jeudi. Cet homme est un puits sans fond de connaissance, d’une intelligence à la profondeur vertigineuse. Pour pouvoir le suivre là où il m’emmène, j’ai dû atteindre un degré de concentration que je n’avais jamais effleuré auparavant même dans ses cours les plus ardus lesquels nécessitaient déjà un investissement considérable. Après ce martèlement j’ai passé le double du temps parfois davantage pour retranscrire, vérifier les références, trouver le fil conducteur puisqu’il s’éparpille souvent sur plusieurs niveaux de pensée mais sans jamais s’égarer par contre et produire finalement une première mouture, « très courte », de dix pages bien tassées laquelle serait critiquée impitoyablement le lendemain. Je dois dire que je m’en tire excellemment. Son enthousiasme est tellement communicatif! C’est tout à fait passionnant!

Mais ça te secoue l’intellect jusqu’à l’épuisement.

CQFD. Mais je vais m’adapter.

Lui aussi doit le faire!

Mais il le fait déjà! D’une certaine façon c’est comme lorsque tu as recommencé à travailler.

Je me suis endormi comme un loir ce vendredi-là… Thomas?

Ce denier avait rejoint Morphée. Cíaran sourit. Il caresse tendrement la joue de l’être aimé. Il s’insinue entre ses bras et pose la tête sur sa poitrine. Il murmure « je t’aime », juste avant de le rejoindre.

 

De l’index il chatouille la joue barbue.

La paix Cíaran.

Écoute… Ton estomac émet d’incongrus borborygmes.

Je bande, aussi…

Alors on va satisfaire les besoins de base avant les primaires.

Cíaran surplombe et Thomas soulève les jambes et le bassin. Cíaran le sodomise avec fougue et Thomas en gémit de plaisir. Soudainement Cíaran cesse ses poussées et se redresse les cuisses appuyées mais remplissant toujours le conduit intime. Thomas se soulève légèrement et Cíaran le ramène davantage vers lui approfondissant sa prise de possession et faisant geindre l’autre de douleur. Il s’immobilise et reste en l’état. Au bout d’un long moment Thomas l’interroge du regard. Cíaran se contente de le fixer intensément.

Mais qu’est-ce que… Oh! Ton pénis… on dirait qu’il… vibre! … Inerte à l’intérieur de moi mais tellement vivant! … Ah!
Restant stationnaire et maniant avec délicatesse le membre de son amant Cíaran entame un lancinant va-et-vient tout en caressant le gland du bout des doigts et en rotations lentes. Thomas retient son souffle. Ses prunelles s’accrochent à celles de son homme. Tout son corps se tend vers lui. La sueur perle sur leur front puis dégouline en rigoles. Le temps s’étire. Brusquement Cíaran pousse un cri étranglé. Il s’abat sur son amant et le pilonne violemment. Les plaintes augmentent avec une intensité proportionnelle à celle de leur rut. Ils sont secoués d’un orgasme en raz-de-marée. Tremblants ils se tatent comme s’ils se découvraient pour la première fois. Thomas murmure.

Qu’est-ce que tu m’as fait?

L’amour… En te faisant profiter aussi d’une leçon de l’expérience… Et je viens d’en apprendre une autre…

Je n’y comprends rien!

Je n’en suis pas trop sûr non plus… Notre fusion…

C’est cela : nous avons fusionné… Je ne me suis jamais senti aussi proche de toi même quand je me suis donné à toi la première fois.

Cíaran approuve. Il pose sa tête sur la poitrine de son amant. Thomas le cerne de ses bras. Leurs paroles d’amour se teintent de la solennité d’un serment.

Ils prennent une douche avant d’apprêter leur souper de minuit des biftecks servis sur du pain à l’ail et accompagnés d’une salade verte.

J’adore le rythme du temps qui passe avec toi Cíaran.

Je ne croyais plus le bonheur possible Thomas.

Je veux savoir quelle est cette « leçon de l’expérience ».

Celle donnée par un homme de soixante-quinze ans qui a appris le corps de sa femme durant cinquante! Monsieur Robinson me désarçonne complètement. Un tel mélange de retenue et de spontanéité à l’intérieur d’un même être! La dichotomie entre ce qu’il veut paraitre et ce qu’il est se vit à l’extrême. Je découvre sous ses dehors rébarbatifs un être assoiffé de tendresse mais aussi capable de donner la sienne. Il est un contraste vivant, le pur produit d’une société qui n’accorde de l’importance qu’à l’apparence de vérité plutôt qu’à son essence… Mardi je me pointe mais en retard de deux minutes. « Ah! Je ne vous attendais plus… » « En général je suis à l’heure pointilleuse. Déduisez ces instants de mon enveloppe ou encore je pourrai partir un peu plus tard! » « Ne vous fâchez pas… Ce sont des séquelles de ma vie passée… » Il avait l’air désolé. Je l’étais encore plus. J’ai dit : « On reprend la scène d’entrée d’accord? » Il a souri. « Ciel monsieur Robinson où sont passés vos vêtements d’apparat? » Il a éclaté de rire. Puis son visage s’est congestionné. « On s’assoit dans la causeuse? » Il m’a aidé à m’extirper de ma satanée chaise. « Puis-je vous offrir… » Il s’est tu parce que je l’ai embrassé. Il m’a rendu mon baiser mais profondément. Je ne m’attendais pas à une évolution aussi rapide de nos relations. Il m’a accueilli en pantalon et veste d’intérieur très seyants. C’est ce qui avait guidé mes avances préalables. Pour comparer Bryan a mis six mois avant d’en arriver là avec moi et les autres hétérosexuels, un peu plus. C’est tout dire mon étonnement. « J’ai envie de vous faire l’amour y consentez-vous? » « Ceci constitue une excellente façon d’entamer une journée… Si nous allions au lit? » J’ai noué mes bras autour de son cou. « Vous êtes aussi léger qu’une plume! » Il m’a déposé au milieu. Il s’est installé non loin hésitant quant à la suite à donner. Il m’a observé en silence très concentré sur mes mains malhabiles qui déboutonnaient, dézippaient et enlevaient mes oripeaux. Du coin de l’oeil j’ai aperçu les condoms placés symétriquement à l’angle de la table de chevet. J’en ai sorti un de l’emballage puis je l’ai déposé entre les deux oreillers. Il a focalisé sur mon membre en érection, décontenancé. « C’est aussi sensible qu’un clitoris… » Il a effleuré mon gland de son index. « Vous êtes un homme et pourtant  je vous désire! » « Prenez ce que je vous donne et là se trouve mon plaisir ». Je me suis rapproché de lui. J’ai dénoué, difficilement et il a dû m’aider le cordon de sa veste. Il s’est mis à nu. La beauté du corps n’a pas d’âge. « Votre regard sur moi… » « Vous êtes magnifique! » Il m’a regardé fixement. J’ai soutenu ses yeux perçants. Son souffle s’est raréfié. Il a soufflé : « Vous êtes sincère.» Il a crié quand j’ai encerclé de mes doigts son membre engorgé. Il a agi à l’instar. Avec une telle habileté! Quand il en a été temps j’ai gainé son sexe du préservatif. Je me suis ouvert à lui étendu sur le dos et cuisses relevées. Aussitot il m’a couvert et investi. Pour un long moment il a perdu la maitrise. Il m’a fait mal mais c’était bon aussi. Il s’est repris tout d’un coup. « Vous êtes féminin aussi! » Une évidence. Depuis la semaine passée je prends du Viagra avant de partir au travail : on n’est jamais trop prévoyant. Grâce à cette précaution élémentaire j’ai pu savourer la légèreté de ses attouchements. Mon organe mâle demeurait masculin et il le manipulait comme tel; mais ses arabesques à l’extrémité étaient nettement « clitoridiennes ». Et son phallus démesuré pulsant de vie. Et ses prunelles qui me transperçaient aussi. Son va-et-vient sur mon sexe se répercutait à l’intérieur de moi. Ce n’est que lorsqu’il a senti que j’atteignais le point de non retour qu’il s’est laissé aller et moi aussi. De là mon envie de te prendre ainsi…

Et la leçon que tu en as tirée?

Ce que j’ai ressenti en te faisant l’amour… Je ne m’y attendais pas… Tu t’es… abandonné, complètement ouvert à moi… C’était comme atteindre ton âme.

J’ai éprouvé le même sentiment.

Ils se regardent amoureusement.

Avec monsieur Robinson c’était les tendresses qui s’effleuraient… Je sens qu’avec Philip je vais en apprendre beaucoup sur l’art de l’amour.

Toujours prêt pour consolider tes nouvelles connaissances.

Pas tout de suite quand même! … Ne prends pas ton air martyr s’il te plait!

Continue Schéhérazade.

Avec la marée bleue ils sont devenus de jeunes vieillards pimpants, heureux de vivre! Tout d’un coup les rhumatismes font moins mal! Le docteur Pinel qui soigne trois d’entre eux pour divers bobos dus à l’usure du corps n’en revenait pas parait-il, et ils me l’ont raconté, en termes variés chacun de leur côté. Sur mon conseil ils l’ont toutefois prévenu de la prise du petit supplément de vitalité. Pour aucun il n’y a de contre-indication semble-t-il. Pour eux le temps qu’on passe ensemble se colore de tendresse amoureuse. Pour moi aussi. Après l’amour la routine mais plus légère…

Ils débarrassent la table, tout en continuant à deviser.

Veux-tu agrémenter ma nuit d’une autre de tes belles histoires, mon amour?

Avec un double whiskey irlandais : j’en ai beaucoup à narrer.

Je suis tout ouïe.

Je t’ai déjà tout dit sur ma semaine de travail. L’après-midi j’ai quand même pu travailler aux côtés de Lori à la bibliothèque. Nous nous sommes aperçus que le labeur commun nous avait à tous les deux énormément manqué. C’en était de même pour notre repas de midi. Certaines habitudes deviennent chères. Nos soirées par contre sont plus espacées à cause de Nuala.

Cela semble t’attrister encore plus.

Ce n’est pas leur lien qui se trouve en cause c’est mon rapport à la solitude. Bien sûr à certains moments je la recherche : quand je souhaite faire le point, réfléchir à un problème, ou me plonger dans l’introspection; mais en dehors de ces périodes je deviens survolté, incapable de rester en place. Alors je sors, je me promène à pied ou en voiture jusqu’à ce que la fatigue domine. Je peux ainsi m’écrouler sur le lit et me laisser aller…

Ils s’installent sur le canapé serrés l’un contre l’autre.

Est-ce que cela t’arrive qu’elle te pèse?

Rarement. Quand mes yeux me le permettent, je lis : Wilde, Joyce, Shakespeare, Tolkien, Lovecraft, King, Kafka, Poe ou Proust pour ne mentionner que mes auteurs préférés; je navigue sur Internet; parfois je ne fais rien ou plutot je médite comme un moine bouddhiste. Je suis un anachorète naturel. Mon besoin d’être seul à certains moments devient même vital… Toutefois je souhaiterais vivre parfois cette solitude à deux.

… Qu’est-ce que tu veux dire exactement?

Si tu avais envie de venir travailler sur le manuscrit ou de t’occuper à n’importe quoi d’autre d’individuel certains soirs je pourrais m’adonner quand même à mes activités personnelles. On pourrait souper ensemble, vaquer à nos occupations respectives, puis dormir du sommeil du juste… Cela réglerait une partie de ton problème… et du mien…

Ne me fais pas languir!

Quand tu dors avec moi je fais peu de cauchemars : j’éprouve un tel sentiment de sécurité! Quelquefois la nuit je me réveille et je te regarde, à l’abandon. Cela me bouleverse. Cela arrive que tu me cherches et te colles à moi. Tu grognes de contentement puis tu soupires et replonges dans un profond sommeil. Ces instants-là pour moi c’est du bonheur à l’état pur.

Tu es un aimant pour tout mon être Cíaran.

Aussi, je ne me sens pas… handicapé.

Tu ne l’es pas Cíaran et ne le seras jamais. Viens au lit pour que je te raconte la suite.

Thomas le soulève prestement et Cíaran s’abandonne. À l’initiative de celui-ci ils s’embrassent. Thomas en perd l’équilibre et se rétablit de justesse. Après leurs apprêts ils s’étirent de flanc et face à face. Thomas affiche une mine lugubre et adopte un ton compassé.

Hier soir un sordide complot féminin a été ourdi et exécuté…

J’imagine que Nuala et Lori en sont les sinistres instigatrices…

Tu l’as dit! La nuit était tombée. La pauvre victime innocente, se trouvait en pleine crise « frotter, frotter » histoire d’évacuer un peu la tension de la journée. Au son du timbre j’ai ouvert la porte chiffon et nettoyant à la main revêtu en tout et pour tout d’un caleçon genre boxeur celui-là même qui un jour a fait pouffer Lori à cause de sa couleur! Mais j’aime le rose moi! Quand on sonne j’ai le réflexe de répondre immédiatement; cela donne lieu à des situations souvent cocasses je crois.

Pas toujours… Disons que je me souviens aussi d’un certain jour…

Ces dames m’ont examiné des pieds à la tête l’air élogieux. Elles ont pouffé en considérant mes outils ménagers; pas le sous-vêtement heureusement! Un brin outré malgré tout de cette intrusion inopinée et en nombre j’ai tout de même daigné les inviter à entrer… Qu’est-ce que tu trouves drôle?

Rien, mon amour. Continue.

Naturellement spontanée Nuala s’est avancée en premier et s’est serrée contre moi. Elle a tendu ses divines lèvres. Comment résister? J’ai laissé choir les articles à récurer. Lori s’est insinuée aussi entre mes bras. J’ai accueilli son profond baiser. De caresses en attouchements pléthoriques sur mon épiderme et le leur bien entendu nous nous sommes retrouvés au lit et flambants nus… J’aime tes manoeuvres préliminaires…

Pauvre victime innocente?

Plutot coq dans un poulailler j’avoue… Au début, du moins. Je n’ai bientot plus su où toucher : tant de chair féminine tellement désirable! Ma bouche a complété mes mains sur leur corps frémissant. Mes yeux non plus n’ont pas chomé. Les attentions qu’elles se prodiguaient entre elles à fleur de peau tellement excitantes! C’était comme une danse moderne où tous les sens étaient sollicités. Elles sentaient et goutaient les femelles en chaleur et moi le mâle en rut. Les gémissements de plaisir envahissaient aussi mes oreilles. J’ai crié aussi… Plus vite… Nuala s’est empalée sur mon épieu lequel ne demandait que cela. Elle s’est penchée vers moi. J’ai empoigné ses seins petits à pleines mains. Lori nous a pénétrés avec ses doigts. Nuala et moi étions déchainés. Alors que nous étions encore reliés Lori a enjambé ma tête tandis que les muscles pelviens de Nuala sont entrés en action. Lorsqu’elle a senti que j’étais à nouveau gaillard Nuala m’a libéré. Lori s’est accroupie… Plus doucement… Je l’ai montée illico. Nuala a léché ma rosette et m’a fourré avec sa langue. Ses doigts m’ont stimulé, ensuite et pendant que je possédais ma princesse… Accélère… Oh! Cíaran ! … J’ai eu du mal à attendre son paroxysme… Ah! … Ma jouissance a provoqué un nouvel orgasme… J’adore quand tu t’abreuves de mon sperme mon amour.

J’en aime l’odeur et la texture et la saveur.

Après un bref repos elles se sont liguées à nouveau sur ma verge. C’est leur cul qu’elles ont donné en pature à ma convoitise alignées et tour à tour enculées gaillardement. Je ne me souviens plus dans lequel j’ai joui… Oh!

… Ta narration… était particulièrement… palpitante… Bois à ton tour.

Thomas lèche chaque goutte de la sève de l’amour.

 

Samedi 30 mai

Ils en reparlent au déjeuner le lendemain.

Tu ne m’as pas semblé surpris de la tournure des événements…

Je m’y attendais mais pas si tôt. L’effet Nuala.

Ma soeur cherche d’emblée l’essence d’un être. Elle se donne complètement à ceux qui savent la prendre. Faire l’amour n’en est qu’une manifestation concrète.

J’avais compris!

Elle m’a dit qu’elle a trouvé en nous trois le point d’ancrage qui lui manquait tant pour pouvoir voler de ses propres ailes. Elle se posera quand elle éprouvera le besoin de se nourrir de notre amour puis repartira. Nuala est désormais libre comme l’oiseau.

Elle transforme les êtres qu’elle touche. Lori, toi, moi, on a changé. Aussi elle nous fait nous ouvrir davantage les uns envers les autres.

C’est son apport. Et j’en suis heureux Thomas.

Est-ce que tu…

La sonnerie du téléphone interrompt ce qui s’annonçait comme une autre grande demande, étant donnée la solennité du ton. Cíaran lui tend l’appareil et se rend à la salle de bain. Thomas attend impatiemment son retour.

Je dois réparer un regrettable oubli…

Cela se produit de plus en plus rarement pourtant!

Je fais des efforts en conséquence!

Ne te fache pas : ce n’était qu’un constat!

Excuse-moi. Je m’en veux d’avoir perdu de vue l’invitation de mes parents pour ce soir…

Mais en ce qui me concerne je ne vois aucun problème! Lori peut-elle se libérer?

Heureusement! … Je confirme tout de suite

Thomas rappelle Michelle et lui demande l’heure d’arrivée prévue. Il retéléphone à Lori afin de lui préciser qu’ils passeront vers dix-neuf heures.

Thomas mon amour tu t’es rendu coupable d’un autre regrettable oubli…

L’autre le regarde perplexe et incertain.

Il ne reste pratiquement plus de lubrifiant, une larme à peine.

… J’irai aussitôt décemment vêtu.

Achète aussi des condoms de la marque Exclusivement pour lui : ils sont faits d’un latex plus résistant puisqu’ils ont été conçus pour les rapports d’homme à homme; tu prends les lubrifiés… C’est ce que Philip avait acheté et j’en ai été fort satisfait à l’utilisation.

J’imagine une pub dans le genre « témoignage »… Quelques films « exclusivement mâles » aussi?

En plus de ceux destinés au « perfectionnement ».

Ils rient de bon coeur. Thomas s’agenouille et prend les mains de Cíaran.

Tout à l’heure…

Non. Pas encore. Thomas quand je serai prêt c’est moi qui te relancerai. D’accord?

Thomas acquiesce. Sa tristesse est palpable.

On n’en est pas si loin, mon amour… Thomas je t’en prie.

Il cerne le cou de son ami. Ils s’embrassent passionnément. Thomas se relève à contrecoeur.

Dès que tu auras terminé ta douche ajoute ta robe de chambre et tes accessoires de rechange à la pile de vêtements sales : je lessive.

Viens la prendre avec moi; j’ai envie de te laver.

Cíaran frissonne. Il tend les bras.

Ils se dévêtent et passent sous l’eau. À genoux Thomas se retrouve à même hauteur d’yeux que Cíaran. Avec un gant de toilette savonné il astique son amant des orteils au cou puis va derrière lui pour récurer le côté dorsal.

Voilà c’est fait.

Tu as oublié certains endroits stratégiques…

Ces parties, je les gardais intentionnellement pour la fin…

Thomas se repositionne devant.

Soulève-toi un peu.

Le gant de toilette insiste entre les fesses. Cíaran se laisse retomber immobilisant la main.

Frotte encore.

Thomas s’exécute obligeamment.

C’est vraiment propre!

Dommage…

Cíaran le libère. Le gant de toilette s’attarde ensuite dans la région du scrotum.

Voilà. Je n’ai rien oublié cette fois.

Sauf l’essentiel!

Ah oui? Je croyais pourtant…

Le gant de toilette atteint « l’essentiel » et procède. La main s’affermit et les mouvements se font vifs et réguliers.

Surtout ne t’arrête pas.

Pas mon intention : on doit nettoyer en profondeur.

Ils se rejoignent par les yeux. Thomas observe captivé  la montée du plaisir sexuel sur le visage de son amant. Le regard de celui-ci se noie dans le sien. 

Vas-tu m’enculer après?

J’en ai la très ferme intention. Regarde ce qui va ramoner ton cul mon amour.

Le sperme rejaillit sur le pénis de Thomas. Celui-ci s’agenouille derrière Cíaran.

Déplace-toi vers moi.

L’autre obéit. Thomas le sodomise sans retenue. Ouvert Cíaran s’abandonne. Thomas l’enserre par devant le torse. Criant itérativement le prénom de l’aimé il se laisse emporter par la jouissance de sa chair.

J’adore ta conception d’un nettoyage complet…

Ils terminent leurs ablutions. Thomas essore son ami, le geste tendre, puis lui-même. Assis au bord du lit Cíaran le regarde couvrir ses charmes.

Finalement c’est plutôt séduisant, les caleçons rose bonbon…

Super! Lori m’a dit la même chose justement hier! Dorénavant j’en achèterai sans me faire de complexes.

… Thomas ne pas t’aimer constitue une impossibilité!

Je ne suis pas certain de bien comprendre ta remarque.

Ce n’est pas important. File et reviens-moi vite.

 

Thomas gare Rossinante dans un espace de stationnement payant mais moins dispendieux que le cout d’une contravention. À son entrée la jeune femme le salue d’un signe discret. Thomas sourit et sa figure s’illumine en même temps que sa carnation prend une délicate teinte pivoine. Il trouve facilement le lubrifiant, en prend deux tubes, puis en ajoute un troisième dans le panier. L’étagère des préservatifs le laisse songeur. Elle s’approche, souriante.

Recherchez-vous une marque particulière?

Exclusivement pour lui… ceux qui sont lubrifiés.

Juste devant vos yeux.

Elle le laisse à ses errances mais de loin l’observe attentivement sans qu’il n’en ait conscience.

Le préposé aux productions pornographiques le salue familièrement. Thomas aussi mais teinté dahlia.

Voulez-vous consulter le catalogue? Le classement s’est raffiné et les icones pourront vous guider selon vos gouts. Le nombre d’étoiles en exposant augmente avec la qualité de la production… et le prix soit dit en passant. Les indices précisent des particularités.

Intéressant… Ceux-ci aussi se raffinent.

Le jeune homme rit franchement et l’autre fait écho.

Thomas entame ses recherches. Il choisit un film dans la catégorie ++****, deux portant la mention !!****, un autre avec ++,++!*** écartant ++, ++!SM****, trouve un unique !!,!!+** et, finalement un ++,!!,++!!*****, dédaignant ++…,!!…,++…!!…******. Il consulte la légende pour certaines abréviations hermétiques. Thomas referme l’épais document et lui donne le feuillet où il a soigneusement retranscrit ses choix. Les six bandes lui sont remises promptement. Thomas lève les yeux.

Merci beaucoup… euh…

Olivier… Au plaisir de te servir encore…

Il soutient le regard mordoré. L’autre rougit de plus belle. Il sourit en même temps.

Thomas.

Le commis examine longuement la haute silhouette s’éloignant.

Thomas effectue quelques autres acquisitions. Il règle ses achats à la caisse. Se remémorant sans doute les commentaires échangés lors de sa précédente visite la jeune femme glisse à voix basse.

Vous diversifiez votre culture…

C’est également une question de perfectionnement.

… Vous êtes très rafraichissant… … Ils sont jolis… Bonne journée et à la prochaine.

Merci… Vous êtes très gentille… euh…

Melissa…

Voici votre reçu… Thomas…

Leurs mains s’effleurent. Thomas lève les yeux. Tout rosé il sourit. Elle baisse les siens et dit très vite.

Tu plais beaucoup à mon ami Thomas et à moi aussi.

Les derniers mots sont murmurés. Elle affronte son regard hardiment toutefois. Thomas vire au coquelicot.

C’est réciproque dans les deux cas… Je téléphonerai.

Elle lui confie une carte de visite. Plutot de bonne humeur sur le chemin du retour : Thomas sifflote allègrement.

 

Cíaran et une jeune dame sont attablés autour d’une cafetière à demi vide.

Tu avais omis de préciser qu’il était beau comme un dieu grec!

Bas les pattes : c’est le mien… Je te présente Claude, Thomas.

Enchanté madame.

Elle éclate de rire, puis soupire.

La nature et le destin se montrent injustes… Tu es chanceux Cíaran!

Et très jaloux.

Cesse! Je ne toucherai qu’à ses cheveux!

Thomas perplexe observe l’échange. Cíaran explique.

J’ai confié à ma coiffeuse favorite que tu te trouverais fort heureux d’orner ta crinière chérubine d’une mèche à la teinte délicatement rosée.

J’adorerais!

Alors assieds-toi sur le carrelage : je ne peux pas encore travailler debout… J’ai tout ce dont j’ai besoin à ma portée sauf toi beauté… Ah un homme à mes pieds : j’adore!

Ils rient de bon coeur. Tout en procédant elle explique.

Premièrement je vais décolorer l’épi… Cíaran apporte-moi du papier métallisé s’il te plait.

Celui-ci obtempère. Claude s’active.

On doit patienter quarante-cinq minutes environ… Ne te sens pas obligé de te relever quand même!

Du café Thomas?

Ils devisent de choses et d’autres. Aux quarts d’heure Claude vérifie l’état de son traitement.

Maintenant on doit rincer abondamment mais localement. Cíaran va t’aider…

Chose faite à peu près correctement elle applique la teinture suivant le même procédé.

Autre pause de même durée.

Claude parle de son déménagement prévu dans moins de deux semaines. Puis les deux amis potinent allègrement sur des connaissances communes.

Voilà, le tour est joué… Tu sais comment appliquer le fixateur Cíaran… Sois généreux puis rince, abondamment… Encore une fois.

D’accord, patronne!

Elle rit de la maladresse manifeste de son ami. Lui aussi. Il l’éclabousse. Elle s’exclame.

La vengeance est douce au coeur du travailleur qui sait attendre son heure!

Il tend une serviette à Thomas.

Ça, tu peux le faire toi-même!

Thomas s’admire dans le miroir qu’elle lui tend.

C’est super! Merci énormément!

Cela a été un plaisir de jouer dans ta chevelure, mon coeur!

Claude!

Je vous laisse les amoureux!

Elle rassemble ses instruments et grimaçant de douleur se lève.

… Je suivrai ton conseil, Cíaran… Merci, mon ami.

Ne me laisse pas dans l’ignorance de ton sort mon amie.

Elle se sauve littéralement les larmes aux yeux. Curieux, Thomas questionne.

D’oublier la contre-culture homo et après son opération de partir à la chasse d’un gentil hétéro… Elle a un charme fou : elle trouvera certainement une jolie bague pour son annulaire et peut-être l’amour en prime.

Mais elle devra avouer sa transformation.

Cela dépendra de la relation de confiance qui s’établit.

Veux-tu dire que c’est à s’y méprendre?

Oui. Sauf qu’elle ne pourra jamais enfanter et qu’elle devra prendre des hormones toute sa vie. Mais n’oublie pas une chose : elle est femme, dans sa tête et pour la majeure partie de son corps. Cette chirurgie ne sera qu’une manière humaine de réparer une erreur de la nature. Sans plus.

Cíaran nettoie la table.

As-tu fait le lavage?

Je n’ai pas eu le temps!

Je m’en occupe; je voudrais ajouter quelques effets à la brassée.

Je vais faire une sieste. Réveille-moi vers dix-sept heures s’il te plait.

En tout cas je vais tenter de le faire.

En douceur. Et les caresses ne sont pas frappées d’interdiction…

Trente minutes avant?

Cela dépend de ce que tu comptes en faire…

Te montrer mes acquisitions… Après t’avoir « fait heureux ».

 

C’est plutot Cíaran qui l’éveille de tendre manière littéralement couvert qu’il est de petits baisers. Thomas s’alanguit sauf là où c’est souhaité.

Tourne-toi sur le côté mais ramène un genou sous le menton.

Cíaran l’embrasse partout s’attardant autour de l’anus et sur les bourses. Agenouillé il use de lubrifiant. Le pénis érigé trouve gite accueillant dans le conduit intime de son amant. Passant sa main sous la cuisse il s’empare de celui de son homme.

Regarde-moi.

Leurs yeux font l’amour comme leur corps. Lorsqu’il le sent à l’orée du plaisir Cíaran cesse tout mouvement. Thomas plus ou moins actif jusque-là s’immobilise. Quelque temps plus tard des cris, poussés à l’unisson s’échappent de leur gorge. Cíaran se raccroche à son amour.

Je voudrais mourir en jouissant dans tes entrailles, mon amour.

Tant que je vivrai tu ne mourras pas, je le jure!

Un légume qui pourra bander j’espère… Comme une carotte!

Cesse de penser comme un… concombre anglais enfin irlandais! … Pourquoi?

Parce que je ressens les signes avant-coureurs d’une exacerbation majeure, et que je suis terrifié.

… Je croyais que c’était imprévisible.

Les douleurs et les crampes le sont mais j’éprouve d’autres malaises, diffus ceux-là… devenant de plus en plus fréquents.

À quel endroit?

Aux avant-bras surtout. Trêve je veux juste penser à l’immédiat. Montre-moi tes achats.

Thomas est de retour cinq minutes plus tard, arborant fièrement un caleçon de boxeur rose bonbon orné de pulpeuses lèvres écarlates. Cíaran fixe le dessous bouche bée.

Aimes-tu?

C’est très joli. Approche, je veux voir si elles embrassent à l’endroit stratégique.

Cíaran s’assoit au bord du lit. Il tâte. Puis il presse son oreille tout contre le ventre de son ami et l’enserre à la taille. Thomas caresse ses cheveux. Les sanglots s’apaisent.

Cela s’agence très bien à ton épi coloré.

Cíaran embrasse les lèvres imprimées.

Juste au centimètre près.

Ils s’immergent dans la baignoire, Thomas à demi étendu et Cíaran sur lui la tête sur son épaule.

Dans notre maison on en aura une très vaste.

Cíaran place un doigt sur les lèvres. Thomas l’étreint fort. De retour dans la chambre ils se vêtent.

Wow! C’est superbe!

Cette chemise a été confectionnée en Côte-d’Ivoire… C’est un cadeau de Philip… En fait c’était destiné à son fils mais ils ne se sont pas revus depuis dix ans; ils se téléphonent parfois… Philip a beaucoup voyagé; il gérait une entreprise d’import-export… Il m’a dit que la prédominance du vert jungle profonde s’harmonisait divinement avec mes yeux et ma fantaisie capillaire… Il souriait en me racontant cela mais j’ai senti toute la tristesse qu’il tentait de masquer… Je ne peux pas baumer ces plaies-là.

Peut-être que s’il lui avouait franchement son manque?

… Qui sait? … Je vais tenter une subtile allusion…

Thomas consulte sa montre.

C’est l’heure de partir.

Apporte-moi mes béquilles s’il te plait.

Thomas amorce une protestation mais se tait. Il l’aide à se lever et à s’y appuyer.

J’ai besoin de me trouver à la même hauteur que tout le monde. Comprends-tu?

Thomas acquiesce.

Cela va aller : je dois juste observer où je place les pieds.

Thomas stationne devant chez Lori. Personne. Il descend pour sonner. Il l’attend à l’entrée de l’immeuble.

Ne bouge plus!

La jeune femme un sourire modeste aux lèvres se laisse examiner des orteils laqués aux cheveux ornés.

Que tu es Belle!

Cérémonieux, il lui offre son bras. Ils rejoignent la voiture. Cíaran les observe, Lori particulièrement. Elle porte sur des pantalons étroits de même teinte une tunique de soie grège ornementée de fils d’or traçant des motifs tarabiscotés. Ses cheveux à la longueur démesurée flottent librement. Une mèche où s’étalent horizontalement divers francs coloris accroche le regard. Lori s’installe à l’arrière et Thomas prend le volant.

Tu ressembles à une princesse des mille et une nuits, Lori. Et cette écharpe d’Iris révèle ta parenté avec les cieux.

Merci Cíaran; c’est une idée de Nuala. Une vraie sorcière avec ses potions végétales… Quant à mes vêtements : ma mère a rapporté d’Inde des tonnes de fanfreluches, qu’elle a par la suite fourrées pêle-mêle dans une malle. Je vais parfois y repêcher quelques trésors.

À dix-neuf heures vingt-cinq Thomas gare son véhicule dans l’entrée. Hugh et Michelle s’encadrent sur le seuil. Lori descend la première et ouvre la portière avant. Cíaran lui tend les béquilles et se tourne sur le côté. Thomas l’aide à se redresser et Lori lui remet les soutiens. L’accueil est médusé mais chaleureux.

Je manque de vocabulaire Lori… Vous resplendissez! Le commun et mortel ne peut que vous vénérer.

Hugh la gratifie d’un baise-main teinté de timidité.

Comme vous avez fière allure Cíaran! Ces couleurs éclairent votre figure… Et l’amour sied à votre teint.

Ému Cíaran l’embrasse sur les deux joues. Michelle presse son épaule. Elle cherche ensuite du regard. En se retournant elle tombe dans les bras de l’objet de sa quête.

Enfin toi!

Thomas l’enserre contre lui et baise ses cheveux.

Vous êtes la plus belle entre toutes madame.

Michelle touche à la fantaisie rose.

C’est très joli. Cela te donne l’air tendre et taquin; plus jeune aussi.

Thomas étreint Hugh aussi, lequel considère ensuite sa chevelure perplexe.

N’essaie pas papa : tu perdrais la moitié de ta clientèle!

Hum… Peut-être une occasion de la rajeunir… Bordeaux, qu’en penses-tu Michelle?

Elles sont pourtant très seyantes tes mèches grises! … Conduis nos invités au salon pendant que j’effectue les derniers préparatifs.

Puis-je vous aider Michelle?

Volontiers, Lori. Ouste les hommes! Je sonne l’hallali dans douze minutes.

Les représentants masculins de l’espèce s’esquivent. Cíaran s’échoit visiblement soulagé.

Que prendra Lori comme apéro : j’ai omis de le lui demander?

À coup presque sûr un Pineau des Charentes sans glace.

Hugh s’affaire puis sort de la pièce. Thomas entoure les épaules de Cíaran lequel tend les lèvres pour un baiser.

Ça va?

Maintenant oui. J’avais mal aux aisselles, à force de stationner debout. Je me sens bien de me retrouver ici avec toi et Lori.

Un toussotement discret les interrompt.

La même chose Cíaran?

Pourquoi pas : je n’y ai jamais gouté.

Moi aussi papa.

Ils sirotent en silence. Les lieux dégagent une atmosphère d’harmonie.

La santé?

Au beau fixe en ce qui me concerne… Ta mère éprouve certains problèmes… Nous attendons les résultats des analyses mais je soupçonne fort une hyperthyroïdie.

Est-ce grave?

Non. Cela occasionne un déséquilibre hormonal… Bouffées de chaleur, palpitations cardiaques, états de fatigue et de déprime… Elle se sent à fleur de peau… Après quarante-cinq ans le corps commence à se déglinguer un peu… Enfin de savoir que son problème présente une origine organique l’aide d’une certaine façon.

Est-ce que c’est relié à la ménopause?

Probablement les prémisses lesquels peuvent durer plusieurs années… Pardonnez moi Cíaran, quel mauvais hôte je fais!

Au contraire! Cela fait tellement chaud au coeur de vous entendre ainsi vous préoccuper de celle qui vous est chère à tous les deux!

À table!

Père et fils se lèvent comme un seul; l’autre avec de l’aide mais promptement.

La meilleure façon de combler un homme c’est de dresser son estomac et vice-versa croyez-en mon expérience!

Ils rient et s’empressent de s’installer. Thomas rapproche davantage son couvert de celui de Cíaran. Lori leur fait face. Michelle et Hugh tronent aux extrémités.

Qu’est-ce qu’on mange?

Michelle sourit à l’habituelle question.

De quoi satisfaire vos gouts « particuliers » : des agnolottis aux trois fromages et pour faire bonne mesure vous avez également une triple possibilité d’accompagnement : pesto, sauce aux fruits de mer et alla bolognese.

Maman, si tu n’existais pas on devrait t’inventer!

Hugh sert les pâtes pour tout le monde. Suivant leurs desiderata Michelle garnit celles de Lori de pesto aux trois quarts, la portion restant de fruits de mers, celles de Cíaran de pesto et alla bolognese en quantités semblables pour une moitié de celles-ci et complétées avec les fruits de mer, puis celles de Thomas, en trio équivalent, imité en cela par les deux autres.

Maman j’aimerais beaucoup que tu me donnes des leçons de cuisine. Je connais bien quelques recettes mais je m’aperçois que c’est insuffisant. Si tu me montrais à réaliser des mets de tous les jours simples à faire et savoureux, comme ceux-là, comme d’autres, dont je me souviens avec délice.

Bien sûr Thomas j’en serai ravie!

Le dimanche soir une fois sur deux?

D’accord… Je constate que tes amis se frottent l’estomac…

J’adore servir de cobaye!

Moi aussi!

Je pourrai agir comme marmiton…

… Désolée Hugh… J’aurais dû y penser.

Ils se sourient. L’amour tangible. Ils trinquent pour les bacheliers. Ils savourent le repas dans un silence religieux. Du coin de l’oeil Michelle observe son fils et Cíaran. Les attentions du premier sont constantes et légères : un verre redressé, une crampe soulagée par un contact rapproché, une pression au coude, pour que la fourchette ne dévie pas de sa trajectoire; ceci accompli tout en s’empiffrant gourmandement. Il en redemande d’ailleurs. Lori les regarde aussi, attentive et le geste ralenti. Elle hoche la tête. Elle croise les yeux de Michelle laquelle déplaçait son champ d’observation. « C’est difficile » semble vouloir transmettre ses prunelles. Michelle acquiesce.

Après le repas Thomas et Cíaran se permettent une cigarette. Thomas raconte ses contacts avec le professeur Perrier et résume leur projet commun et à longue échéance.

… Cela m’apparait fort intéressant…

En fait c’est extraordinaire Michelle : la quintessence d’une vie passée à réfléchir sur l’anthropologie; et Thomas recueillera le savoir oralement transmis par un ainé, ce qui renoue avec des traditions parmi les plus anciennes!

En ce qui me concerne c’est l’unique façon d’apprendre du moins quand une technologie ou un ensemble de connaissances trop pointues ne sont pas en cause. Et puis si jamais Thomas souhaite obtenir un diplome cela ne posera aucun problème!

Lori et Cíaran, on dirait que vous essayez de défendre le point de vue de Thomas!

Ils ne vous connaissent pas encore suffisamment.

Nous avons toujours fait confiance à notre fils, quant à ses décisions également, bien que cela lui ait pris du temps à le comprendre.

Le plus important c’est de se rendre compte que ceux avec qui tu partages ta vie t’épaulent dans tes réalisations.

Le regard amoureux de Thomas envers Lori et Cíaran est éloquent. Leur muette réponse émeut aussi. Après le café ils passent au salon pour siroter un digestif. Le trio se colle dans la causeuse, Thomas au milieu. Hugh et Michelle s’installent dans l’autre. Michelle replie ses jambes sous elle et s’appuie sur l’épaule de son époux.

J’aimerais beaucoup Lori, que tu élabores sur ton projet de maitrise.

Lori tente d’expliquer brièvement mais bientôt  son enthousiasme perce puis se communique aux autres.

Je m’aperçois que je pérore! Toutes mes excuses!

Ne soyez pas embarrassée! Et vous racontez tellement bien … J’ai l’impression que vous vous destinez à l’enseignement…

Lori confirme. Thomas la regarde, bouche bée. Michelle se tourne vers Cíaran.

Vous parliez tantot que vos connaissances ont été et sont acquises grâce à l’enseignement des ainés…

Je suis… parti de la maison à seize ans juste un mois avant la fin des examens du secondaire V. La vie que j’ai mené ensuite ne prédisposait pas tellement à la poursuite de mes études. Henry un professeur de français à la retraite m’a pris sous son aile. Il se sentait très seul et moi plutot paumé mais disposé à sortir de la rue en tout cas. Par lui j’ai découvert la poésie, française particulièrement. J’ai absorbé avec une véritable boulimie toutes les lectures qu’il choisissait pour moi. Un jour je lui ai présenté, imbu de la plus grande fierté, mon premier poème. Il m’a complimenté puis m’a suggéré que ce serait important, pour mon apprentissage de le corriger et de le retravailler « un peu ». Il s’est servi de mes vers bourrés de fautes d’orthographe, de grammaire, de style et de conjugaison pour m’apprendre ce qu’il savait. Jusqu’à sa mort survenue récemment, il aura été un maitre exigeant et impitoyable mais tellement enthousiaste et communicatif! C’est Henry qui a eu l’idée de mon travail actuel lequel n’en est pas un vraiment au sens strict. Je rencontre des retraités chacun une fois la semaine pour échanger et baumer la solitude. D’eux j’apprends la vie puisqu’ils me transmettent ainsi ce qu’ils ont de plus précieux en héritage : leur expérience. Récemment j’ai repris contact avec… ce qui reste de ma famille. Pour plusieurs raisons ma soeur Nuala n’a pu non plus s’engager dans des études supérieures mais encouragée par un groupe d’entraide et d’amis, tous artistes elle a trouvé la forme d’expression s’apparentant à la danse, au théâtre, à la musique et au récit poétique, qui lui a permis de laisser libre cours à son tempérament artistique. Et à mon tour je l’aide à raffiner l’aspect discursif de son oeuvre…

De les voir ainsi suspendus à ses lèvres le fait brusquement sursauter. Lori émet un petit rire.

Si cela peut te rassurerCíaran, j’ai ressenti exactement la même chose!

Cíaran lui sourit. Thomas se tourne vers son ami.

J’aimerais vraiment que tu me donnes la permission de faire entendre à mes parents In the purple of your eyes.

Mais Thomas c’est bien trop cru!

Mais l’amour, la vie, la mort, c’est universel! Le prisme du poète accentue la réalité et les émotions, nous les réfractent avec une intensité percutante!

Mais où veux-tu en venir?

Puis-je répondre Thomas?

Lori. Bien sûr!

Parce que c’est la première démarche complète celle qui a nanti ta vie d’un sens. Une clef aussi, qui donne la mesure de ce dont tu as été capable de réaliser et fait pressentir que tu peux t’envoler vers une oeuvre encore plus achevée si tu y intègres ce que tu as appris depuis. Quand j’ai écouté et lu et vu, tes poèmes, avec Thomas nous avons été profondément bouleversés. D’une certaine façon cela nous a forcés à nous interroger et nous a confrontés avec des sentiments et des émotions dont nous ne soupçonnions même pas la profondeur qu’ils pouvaient atteindre ni même l’abc pour certains…

Certes toi et Lori êtes devenus importants parce que vous êtes les élus de mon fils mais ceci ne constitue que l’entrée en matières si l’on peut dire. Hugh et moi sommes des amoureux de l’humanité. C’est au contact des autres que nous évoluons en tant que personnes mais aussi en tant que couple. Nous partageons lui et moi cette soif de connaitre et de comprendre pour mieux savoir aimer.

Nous sommes les parents de votre ami, soit. Je souhaiterais que ceci aussi ne soit qu’un point de départ sans plus.
Mon père et ma mère mais aussi Michelle et Hugh, donc.

La conclusion limpide de Thomas les fait sourire.

Ceci dit, ouste, les jeunes!

Les effusions du départ sont empreintes de chaude affection.

Thomas démarre puis s’arrête avant de s’engager sur la route.

Qu’est-ce qui se passe?

Je ne sais pas où je vais.

Tu me raccompagnes chez moi et tu décides avec Cíaran pour la suite.

Ou tu me reconduis et tu vois ensuite avec Lori.

Le faites-vous exprès?

= Un peu.

Souhaitez-vous que je choisisse ?

= Non.

Alors tirez à la courte paille ou je ne sais quoi mais arrangez ça entre vous!

Lori?

Je préfère me retrouver seule ce soir vraiment Cíaran.

Thomas redémarre.

Et moi j’ai besoin de dormir contre lui s’il le veut bien.

Je veux!

Je n’éprouve pas de jalousie envers toi Cíaran.

Moi un peu encore mais Je me soigne… Lori ton commentaire au sujet de mon livret puis de l’évolution de ma démarche… J’aimerais que tu m’en dises davantage mais à un autre moment… Si tu acceptais de venir souper avec nous samedi prochain j’en serais enchanté.

Si Thomas le veut bien aussi, certainement.

Je veux!

Mais qu’est-ce que tu as?

… Rien. Je vous aime, tous les deux… Je trouve difficile de me partager ainsi.

La tristesse transparait. Impulsivement ils pressent son épaule, la même. Les mains ne s’écartent pas l’une de l’autre. Cíaran tourne la tête. Le sourire qu’ils échangent est timide mais sincère. Ils reprennent leur position première. Le reste du trajet s’accomplit en silence. Thomas accompagne Lori jusqu’au seuil de l’immeuble, lui fait face et l’attire contre lui. Leur baiser passionné se prolonge. Lori se dégage.

Va, maintenant. Je t’aime Thomas.

Thomas la suit des yeux, puis regagne la voiture. Ils rentrent. Sans parler non plus, ils font toilette, puis se couchent. Cíaran se love contre son ami. Thomas l’embrasse longuement et avec ferveur.

Je te sens épuisé et moi aussi : on dort. Je t’aime Thomas.

Cíaran, comme à son habitude, sombre très vite. Thomas se dégage doucement. Il s’assoit au salon, un verre très généreusement rempli de whiskey irlandais, d’une main, une cigarette, de l’autre. Il termine l’un et l’autre en même temps, puis retourne au lit. Il se colle au côté verso de Cíaran, un bras passé par dessus sa taille. L’autre sourit, puis se rendort. Ils s’unissent avant l’aube, ventre contre ventre, torse contre torse, pénis contre pénis, bouche contre bouche, bras contre bras et doigts noués.

 

Dimanche 31 mai

Thomas examine la carte de visite envers et avers. Ses joues se colorent légèrement. Il compose le numéro.

Les Accessoires d’Éros bonjour!

Melissa?

Oui.

C’est Thomas. Je… J’aimerais vous inviter à souper ce soir si cela vous convient.

Je ne sais pas Thomas… Puis-je te rappeler dans dix minutes?

Thomas donne ses coordonnées. Melissa tient parole.

Nous terminons à dix-sept heures…

Je vous attendrai devant la boutique.

 

Thomas passe les deux heures suivantes à se faire beau. Après maintes tergiversations il se vêt entièrement de denim noir. Le temps frais s’y prête d’ailleurs. Soixante minutes à l’avance il gare son véhicule non loin puis patiente en fumant à répétition. Lorsqu’ils sortent, il leur fait signe. Olivier s’installe devant, Melissa à l’arrière. Thomas les interroge du regard.

Trop tôt pour manger. Un apéro?

D’accord.

Je connais un café-bar-resto espagnol sympathique bien qu’un peu dispendieux sur l’avenue du Parc.

Et tu ne nous invites pas, on s’y rencontre.

Comme vous voudrez… Mais j’ai besoin d’un copilote : je ne possède pas un sens de l’orientation très développé.

Olivier le guide. En cours de route Melissa remarque l’aiguille.

Est-ce que la jauge d’essence est brisée?

Oups!… J’ai encore oublié!

Une station niche au coin de la prochaine rue à gauche…

Indécis Thomas contemple le panneau annonçant un libre-service.

Est-ce qu’il y a un problème?

De taille Melissa… C’est que je n’ai jamais fait ça moi-même…

Viens, je vais te montrer.

Olivier descend tout comme Thomas. Il lui apprend comment procéder.

C’est si simple que cela!

La première fois, ce n’est jamais évident…

Je me sens intimidé.

Nous aussi.

Les sourires s’accentuent. Thomas règle puis ils repartent.

Stationne ici, on ne trouvera pas plus près.

Euh… Je n’ai pas de petite monnaie…

— Nous sommes dimanche… C’est gratuit la fin de semaine.

Ils s’attablent en façade. Melissa commande avec l’accord de Thomas un pichet de sangria.

C’est bon!

Attention quand même, c’est alcoolisé même si cela ne parait pas.

Fumes-tu?

À l’occasion.

Olivier allume trois cigarettes en même temps et lui en tend une. Leurs doigts s’accrochent un moment. Melissa effleure. C’est elle, aussi, qui brise le flottement.

Puisque c’est nous qui t’avons manifesté notre intérêt aussi bien commencer par un bref « Qui suis-je? Que sais-je ? Où vais-je? » qui aura au moins le mérite de briser la glace entre chacun d’entre nous. Puisque je suis la moins timide de notre couple je vais donc verbaliser et Olivier complétera. D’accord?

Mes oreilles béent.

Nous venons tout juste de dépasser la vingtaine, nous sommes amis très proches, nous étudions en sciences humaines au cégep. D’ici deux ans nous rêvons de pouvoir commencer une formation universitaire tous deux en communication. Après on verra les possibilités. Nous ne pouvons nous engager à plein temps dans nos études en raison de nos responsabilités…

Nous sommes les heureux parents du plus délicieux bambin qui soit né en ce bas monde.

Ludovic a quatre ans et toute notre vie est centrée sur lui.

C’est normal. J’ai bien hâte moi aussi de tenir dans mes bras mon premier poupon.

… Pour nous, ce n’était pas aussi évident disons… Il a été un « cadeau » inattendu…

Conçu un soir de stupre et de beuverie alors que nous venions tout juste de faire connaissance et que nous n’étions ni l’un ni l’autre en état de penser à utiliser des préservatifs.

… Je n’aurais pas dit ça aussi crument mais c’est ce qui s’est passé… Nous ne nous sommes plus revus de trois mois… Je pensais, vaguement à me faire avorter mais remettant chaque jour la décision au lendemain… Mais je me sentais bien, le ventre ainsi comblé… Je demeurais dans la rue avec une bande de filles tout aussi paumées et droguées que je l’étais le plus clair du temps. Nous vivions d’expédients disons… Nous partagions le fruit de la vente de nos larcins dans les magasins…

Je travaillais à la boutique depuis quelques mois déjà et faute de mieux… Je l’ai prise la main dans le sac. J’étais seul en poste, ce jour-là… J’avais comme consigne d’appeler la police. Quand je l’ai reconnue, je n’ai pas pu.

Moi, j’ai eu du mal à le replacer en contexte. Quand j’y ai réussi, j’ai voulu m’enfuir mais il m’a fermement retenu par la taille. Je me suis débattue et on s’est retrouvés par terre. Il s’est assis sur mon ventre. J’ai crié : « Non ça fait mal au bébé! »

Je l’ai relachée illico. J’ai répété : « Au bébé! » Elle a voulu s’échapper à nouveau. Je l’ai agrippée par les poignets. Je lui ai demandé : « Est-ce moi, le père? »

Je n’ai pas voulu répondre. Je voulais juste m’en aller. Il m’a libéré. Au moment de franchir le seuil, je me suis détournée. Il me regardait comme s’il avait compris, et ses yeux… Je suis retournée sur mes pas… Je n’ai jamais connu d’autre homme qu’Olivier, et je le lui ai avoué.

Je lui ai demandé son prénom : Melissa. Tout bêtement je me suis mis à pleurer. Je ne savais pas pourquoi.

Et j’ai eu envie de le consoler.

Je l’ai ramenée avec moi dans mon sous-sol sans fenêtre.

Nous ne nous sommes plus quittés… Que dire d’autre?

Que l’amour pour notre fils a fait naitre le nôtre.

Ils se regardent brièvement, puis reposent leurs yeux sur Thomas visiblement ému. Melissa se mord les lèvres.

Je suis désolée… Je ne croyais pas que nous irions aussi loin dans les confidences…

Thomas pose ses paumes sur le revers de deux mains dépareillées.

Et moi je suis honoré de les avoir reçues… Parce que l’envie que j’ai de vous connaitre dépasse l’attirance que j’ai ressentie au premier abord… Avez-vous faim?

Après consultation de la carte, Olivier propose.

Trois entrées au choix, une paella valenciana et on partage tout?

Avec de la sangria et deux comme tu dis. Et c’est moi qui règle les à-côtés.

Ils se régalent jusqu’à la dernière bouchée du dernier plat. Les cafés suivent.

J’ai envie de vous raconter mais je ne sais pas comment commencer.

Nous avons déduit que dans ta vie, il existait au moins deux personnes très importantes…

Lori et Cíaran… Nuala aussi : elle nous transforme… Mais je vais utiliser la chronologie puisque je me sens plus à l’aise ainsi… Tout a commencé avec Lori : dès que j’ai aperçu ma princesse mi-indienne j’ai été ébloui…

Son portrait de Lori, vivant, intimiste, captive. Thomas relate ensuite les circonstances de sa rencontre avec Cíaran.

Dès que je l’ai aperçu, j’ai été ébloui… Je ne m’étais jamais posé de question sur mon orientation sexuelle. Elle allait de soi en quelque sorte puisque j’étais avec Lori. Ce n’était pas aussi simple…

Je m’en suis aussi rendu compte récemment…

Le contact de leur paume. Thomas cherche également celle de Melissa et la trouve. Thomas poursuit avec l’évolution de ses relations avec Cíaran, sa maladie, omniprésente.

Je me suis dédié à lui, aussi.

Il narre, en plus quelques événements marquants, quelques faits saillants. Parle de Nuala, également. Et enfin de la situation présente, compliquée.

Formerons-nous une famille un jour? Je l’ignore. Mais j’y travaille… Je m’aperçois que je cause depuis près de deux heures sans interruption je suis désolé.

Peu importe… Ces choses-là devaient être dites, comme nous tantôt…

Ils se regardent, soudain timides, incertains.

Que cherches-tu, avec nous Thomas?

Je ne sais pas… Vous m’attirez, tous les deux… C’est très fort… Je ne comprends pas vraiment ce qui m’arrive… Pourquoi souris-tu Melissa? … Et toi Olivier?

Parce que je crois que, tout comme nous, tu as envie de créer des liens… Et que l’amitié n’en exclut pas nécessairement certaines formes…

L’addition réglée suivant les arrangements préalables, ils cheminent main dans la main, Thomas au milieu. Ils reviennent à bon port grace aux indications judicieuses de la copilote.

Gare la voiture ici… C’est sans frais jusqu’à demain matin…

Sans mot dire Thomas obtempère. Melissa et Olivier habitent dans les hauteurs au troisième étage d’une maison au cachet ancien qui comporte trois logements. Deux longs escaliers intérieurs aux marches raides y mènent.

Enlève tes souliers s’il te plait… Le locataire du dessous n’est pas très commode.

Thomas les imite. Melissa entraine la gardienne vers la cuisine. Olivier s’isole dans la salle de bain. Thomas l’entend uriner. Curieux, il examine les lieux. Quatre pièces à ce qu’il peut en juger. Le plafond haut donne une impression d’espace plus vaste. Propre. Peu de meubles, le strict nécessaire seulement. Les murs sont peints en blanc. Ici et là des fresques colorées sont en cours de réalisation. Le style un peu naïf dénote une fraicheur d’être. Quelques gribouillis aux couleurs vives : les chefs-d’oeuvre de Ludovic. Thomas succède à Olivier. Il le cherche, ensuite.

Sans faire de bruit, Thomas referme la porte de la chambre. Penché, Olivier défait le lit. Silencieusement il s’approche et appesantit sa main exactement au centre entre le bas du dos et les fesses. L’autre s’immobilise, retenant son souffle. Thomas accentue la pression puis relache et attend. Lentement Olivier se redresse et vient, tout près. Leurs lèvres s’accrochent et leurs corps entrent en contact étroit. Ils gémissent sourdement. Melissa témoin de toute la scène se rapproche des deux hommes. Ils l’incluent dans leur étreinte. Thomas l’embrasse et elle lui rend son baiser. S’éloignant légèrement, elle déboutonne sa chemise. Thomas et Olivier l’imitent mais sur le vis-à-vis. Elle caresse ses seins nus, plantureux. Thomas agit à l’instar mais sur le torse de l’autre, et réciproquement. Elle se colle à eux. Le contact intime de leur peau. Assis au pied du lit, Thomas les attire vers lui, de chaque côté, mais debouts. Il détache les ceintures, s’attaque aux fermetures éclair. S’appuyant sur les larges épaules, ils se contorsionnent pour enlever ce qui désormais encombre. Thomas presse doucement la vulve et empoigne fermement la verge bandée. Sa bouche parcourt alternativement les ventres, plat ou légèrement bombé. Melissa et Olivier le font tomber à la renverse. Son jean est dézippé. Il se meut vers le centre pour s’en extirper. Olivier embrasse la pointe de la nouvelle fantaisie rose; Melissa remplace, lors qu’il se déplace un peu plus bas. Thomas râle. Caleçon enlevé, ils poursuivent sur le tendre épiderme, puis remontent vers la tête. Ils insinuent la langue dans sa bouche, alors que leur main enserre le pénis vibrant. Thomas se dégage, puis fait demi-tour. Il introduit son majeur gauche dans le vagin mais le retire aussitôt mouillé pour le faire disparaitre dans l’anus d’Olivier. Le même, de l’autre main, s’enfonce dans la chaude intimité féminine. Les doigts restants se logent aux endroits stratégiques, clitoris et périnée. Il les enfile avec lenteur. Ils se laissent aller au plaisir, couchés sur le dos, jambes relevées. L’orgasme de Melissa. Elle émet de longues plaintes. Olivier se redresse et se serre contre son amant. Puis, il gaine un préservatif sur la verge de Thomas, lequel coiffe celle d’Olivier avec un condom. Exclusivement pour lui. Thomas surplombe Melissa, laquelle relève haut les cuisses.

Oh oui.. Thomas!

Melissa… Olivier, encule-moi! … Place-toi un peu plus haut… Ah! … Reste immobile.

Le flux et le reflux, en elle et sous l’autre, régulièrement, très doucement. Olivier prend la relève. Le rythme accéléré qu’il adopte les fait crier.

Je n’en peux plus, Thomas… Ah!

Les deux autres, non plus. Thomas introduit sa langue dans la bouche de Melissa et la fourre, lors qu’ils s’abandonnent au paroxysme du plaisir sexuel. La phase de résolution se fait tendre et caressante et nonchalante. Ensuite, complices, Olivier et Thomas se déplacent vers le pied du lit. D’un geste, Thomas fait tourner Melissa sur le côté. Olivier lèche la vulve et Thomas le cul. D’un bras en anse, elle maintient haut la jambe. Les deux hommes s’accolent, excitent leurs sexes en se frottant l’un à l’autre. Melissa, gémissante, se défait pourtant de leur emprise. La posture qu’elle prend, accroupie, galvanise particulièrement Olivier, lequel pousse un cri étranglé. Sitôt agenouillé, il enfonce son organe à l’intérieur d’elle. Thomas grée son membre d’un condom.

Je vais te sodomiser, Olivier.

Thomas écarte les globes et met en évidence la rosace. Olivier crie fort lorsque Thomas le pénètre.

Accepte mon pénis dans ton cul mon amant… Je ne bougerai pas. Si tu veux prendre ta femme, tu devras te donner à moi.

Olivier, gémissant, amorce de timides mouvements, retenus.

Plus vite mon amour, je t’en prie!

Olivier serrant les dents obéit à la prière de Melissa. Petit à petit, le plaisir remplace la douleur et ses plaintes se muent en gémissements.

Prends-nous, maintenant.

Thomas se laisse aller sans égard à la souffrance qu’il inflige. Mais l’extase l’emporte et les porte tous trois vers la détente puis le sommeil.