Le lac du revenant (Spirit Lake)
Louise Gauthier
Chapitre 5 : L’amour, la tendresse
1929 L’appel de la nature – Andrée-Anne
Laurier échange quelques propos polis avec son interlocuteur à distance. Il couvre le récepteur de la main et tonitrue en direction de l’étage.
Andrée-Anne! C’est Régent au téléphone!
Après quelques secondes, ne voyant rien venir, il réitère son appel intempestif. Celle-ci, qui s’était déplacée à partir du salon et se trouvait tout juste derrière son frère, se bouche les oreilles. L’autre sursaute lorsqu’elle lui touche l’épaule. Elle chuchote.
Dis que je ne suis pas là!
… Je lui ai répondu que tu venais tout de suite.
Résignée, Andrée-Anne prend le combiné. La conversation est laconique et pouvait se résumer à un seul mot : non. Elle raccroche.
Laurier regarde sa soeur par en dessous.
Qu’est-ce qui ne va pas avec celui-là?
… Ses mains : elles tripotent partout et n’importe où… C’est désagréable.
… Pour Maurice, c’était les boutons, pour Rémi les « boursouflures », pour Émile le manque de délicatesse, pour Georges la pauvreté du vocabulaire, pour Robert… je ne me souviens plus.
La grossièreté générale du personnage.
Et Vital?
… Il est trop… parfait : cela cache anguille sous roche.
Pour que tu ne coiffes pas sainte-Catherine, on va devoir t’exporter puisque c’était le dernier parti valable des environs! … Que dirais-tu d’un autre séjour chez notre soeur et pas pour te barder d’un nouveau diplôme cette fois-là?
… J’y songerai au moment opportun… Je ne souhaite pas me marier, en tout cas pas à la va-vite… Si ma présence dans ta maison t’incommode, avoue-le donc franchement!
Aucunement ! … Mais il me semble qu’une jeune fille aussi belle que toi mérite un meilleur sort que de finir maitresse d’école!
« Finir »?
… Je voulais dire « devenir »…
J’imagine que contrairement à celle d’Ève-Lyne et la mienne, espérée, tu estimes que la « fin » de Colette s’avère autrement plus noble que celles-là.
Mon épouse est la reine de notre foyer!
De ce genre de trone-là, mon frère, je n’en veux pas!
Elle s’éloigne.
Laurier ajoute, faiblement.
Et le souper?
Andrée-Anne se retourne vivement. Elle réussit à contenir sa colère mais ses prunelles lancent des éclairs meurtriers.
Moi, je n’ai pas faim. D’ailleurs, n’est-ce pas une des prérogatives de ta « reine » que de satisfaire ton palais, ô « roi »?
Colette est occupée avec les enfants! Et je travaille, moi!
Laurier prend subitement conscience d’avoir commis une énorme gaffe.
Pardonne-moi, Andrée-Anne… Je ne voulais pas dénigrer les trop nombreuses tâches que vous accomplissez, Colette et toi.
La flatterie pour minimiser l’insulte, maintenant!
On croirait quasiment que Eugénie t’a contaminée!
Le terreau étant fertile et la femme tellement influençable, n’est-ce pas?
… Euh… Je ne voulais pas…
Mais tu l’as insinué!
Arrête! Ça suffit!
Andrée-Anne gronde sourdement. Les dents serrées, elle assène sa diatribe d’un ton glacial.
Je crois que tous les hommes sont des gorets. Et la dernière chose que je ferai dans la vie, ce sera de devenir une truie!
Des yeux, Laurier suit le sillage altier. Il marmonne.
Celle-là, quelle mégère! Bonne fortune à son Petruchio, s’il existe!
Tu parles tout seul, comme un vieux garçon, maintenant!
… Je me demandais juste, chérie… Qu’est-ce qu’on mange?
Mais je n’ai rien prévu! J’ai eu beaucoup trop à faire avec les jumeaux! Ce matin, nous sommes allés nous baigner, puis nous avons pique-niqué. Durant leur sieste, j’ai dormi aussi : ils drainent beaucoup d’énergie, les petits démons. Après, il y a eu leur repas, leur toilette et, ensuite, leur dodo. Maintenant que tu m’y fais penser, je crois qu’une omelette au jambon conviendrait parfaitement. Tu brasses les oeufs et je m’occupe de la viande, d’accord?
Tout ce que tu veux, mon amour.
Tu es un mari tellement indulgent à mon égard, mon coeur. Je suis bien loin de ressembler à une épouse idéale.
Mais à une mère parfaite, voilà le plus important!
Pas vraiment, là non plus. Je t’aime, Laurier.
Moi aussi, je t’aime, Colette… Et cette « omelette »?
Ça rime! Tu deviens un « poette »!
Ils s’esclaffent.
Tout compte fait, j’adore quand on soupe tard, même si mon estomac proteste fort : toi et moi, seule à seul. Ce sont de merveilleux moments que tu me fais vivre, mon amour.
Il l’enlace. Elle s’esquive, rieuse.
Après, la bagatelle : ce sera encore meilleur du fait de l’attente.
Ah, femme! Que ne saurais-je souffrir pour entendre ton rire!
Fouette fort les cocos.
Oui, Colette… Une récompense et je mets la table aussi…
Coquine, elle soulève sa jupe jusqu’à mi-jambe.
Pas plus! Je meurs!
Toi, d’apoplexie et moi, d’inanition! Aux fourneaux, cuistot!
Oui, maitresse.
Tout occupés par leur souper d’amoureux, ils ne voient pas Andrée-Anne quitter subrepticement la maison. S’enveloppant frileusement dans son chale, elle prend le chemin du rang. La nuit sereine et la myriade d’étoiles apaisent petit à petit ses sanglots. Elle trouve refuge dans le batiment désert. Elle y erre un long moment, se déplaçant aisément dans l’obscurité de ce lieu familier. Lasse, elle s’allonge dans le vestiaire et fait de son drapé un oreiller.
Eulalie arrive peu après l’aube, comme elle le faisait chaque jour d’école depuis quatre ans qu’elle était devenue institutrice en titre. Ses premiers gestes quotidiens étaient invariablement, été comme hiver, de laisser la porte d’entrée béante, pour un moment afin d’aérer les lieux de leurs relents de renfermé. Elle hoquète de surprise quand elle aperçoit la jeune fille, toute recroquevillée à même le sol dans une encoignure et dormant à poings fermés. Elle contemple longuement ces traits angéliques et paisibles. S’agenouillant elle effleure les boucles blondes presque blanches.
Andrée-Anne s’assoit vivement rouge de confusion et se confond en excuses.
Oh, mademoiselle! Je suis tout à fait désolée! Veuillez me…
Appelle-moi par mon prénom : je ne suis pas assez vieille que tu me vouvoies et me vaporises de formules de politesses!
… Cela se dit en français?
… En le prenant au sens figuré… Mais qu’est-ce que tu fais ici?
… Je passais par là… Je me suis arrêtée un moment… J’ai été prise d’une fatigue soudaine…
Voire! Tes paupières sont tout gonflées!
« Toutes »… Bien que généralement invariable, et pour des raisons de prononciation, « tout » s’accorde cependant quand il précède un mot féminin commençant par une consonne ou par un « h » aspiré…
Ah, oui, c’est vrai! … J’ai fait une indigestion de… prépositions, jadis.
… C’est un adverbe.
Oups… Je ferai quelques révisions. Alors?
Je me suis chicanée avec Laurier… J’étouffais dans la maison… Ici, je me sens bien…
… Quel était le motif de votre altercation?
Il trouve que je fais la fine bouche avec la fine fleur de mes prétendants au mariage et que de « finir maitresse d’école » ne constitue pas un sort enviable pour une vraie femme…
Et toi, qu’en penses-tu?
Que je ne dois pas être une « vraie femme »… Ils sont tellement stupides, indélicats et insensibles! Jusqu’à l’idée qu’ils me touchent me répugne! … Pardonne-moi, je dis des insanités.
Mais non! C’est ce que tu ressens : personne ne possède le droit de juger de la valeur de tes sentimensts! … Qu’est-ce qu’il y a d’autre?
… L’étalage de leur intimité… Cela me gêne mais j’ignore pourquoi… Oh! Mais comment se fait-il que je te raconte tout cela?
… Peut-être parce que tu te sens en confiance… Ta présence a manqué cette année. Je t’aime beaucoup, Andrée-Anne.
Le sourire de celle-ci lui confirme la réciproque.
Prenant subitement conscience que la jeune fille grelottait, davantage d’émotions contenues que de froid sans doute, Eulalie va tout de même refermer la porte. Entretemps Andrée-Anne s’était relevée et tentait de défroisser sa jupe. Y renonçant, elle lève ses yeux d’azur vers son ancienne maitresse d’école.
Permets-moi de t’assister, aujourd’hui.
Je ne devrais pas accepter… Viens, les enfants ne vont pas tarder à arriver… Pour toi, dictée avec les grands et moi, arithmétique, les fractions, avec les petits?
D’accord… Les maths, j’en ai fait une indigestion, jadis.
Elle s’esclaffent, puis se mettent au travail.
En fin d’après-midi, les écoliers de tous âges, s’évaporent bruyamment dans la nature. Eulalie soupire de lassitude et s’étire.
Ils sont épuisants!
Goutant le calme soudain, elles rangent la classe. Alors qu’Andrée-Anne termine de nettoyer le tableau, Eulalie, manifestement embarrassée, s’adresse à son dos.
Depuis la mort de mes parents, je vis seule… Ma maison est bien assez grande pour deux… Si tu venais y habiter? … Ma proposition peut sembler étrange mais ceci permettrait de régler à la fois ton problème et le mien.
Qui est?
… Je me sens très solitaire… J’arrive difficilement à supporter ce silence de tous les instants.
Le mois suivant, et malgré le net désaccord de Laurier, lequel trouvait cette cohabitation toute féminine « farfelue », Andrée-Anne prend ses quartiers chez Eulalie. Elles s’en trouvent fort aise l’une et l’autre. Et fort heureuses également de leurs sensibilités convergentes.
Eulalie s’essuie les mains pendant qu’Andrée-Anne vidange à l’extérieur de la maison l’eau de vaisselle. Lorsqu’elle rentre, sa compagne lui annonce qu’elle sort.
Je reviendrai dans deux heures probablement… J’ai décidé d’aller rencontrer madame Beaupré : le comportement agressif de son fils dépasse les bornes.
Bonne chance … Je l’ai vue, une fois… Disons qu’elle est un peu rustre… Réginald est son portrait tout craché. J’ai l’impression que ton intervention va faire long feu, Eulalie.
… Peut-être as-tu raison… À plus tard.
Andrée-Anne suit des yeux son amie.
Soixante minutes après, rentrée faute de protagonistes à la confrontation prévue, Eulalie hausse des épaules désabusées. Elle fait une toilette méticuleuse puis s’allonge en tenue d’Ève. Elle porte ses doigts à son sexe tout humide et se caresse avec volupté très lentement paupières closes. Andrée-Anne, qui venait s’enquérir, écarte légèrement le rideau, prête à retraiter si elle avait dérangé. Fascinée, elle reste sur place, plutot et observe Eulalie longtemps, le souffle court. Elle se dévêt. L’autre, toute vouée à la pratique de l’onanisme, ne la sent pas approcher.
Andrée-Anne écarte la main caressante et se met à laper la vulve exposée. Eulalie hoquète de surprise, puis peu après, d’un orgasme fulgurant. Instinctivement, Andrée-Anne délaisse le clitoris devenu trop sensible et concentre ses effleurements oraux vers le vagin, y faisant pénétrer sa langue à un rythme obsédant et conduisant Eulalie à une jouissance nouvelle.
Oh, mon amour! Fais-moi ça aussi.
Eulalie se penche sur son amante. Elle lèche la fleur sensible qui lui était abandonnée. Elle insère son index dans l’orifice vaginal, prenant bien garde de ne pas heurter le délicat hymen, et son majeur appuie à l’orée de la rosace anale.
Là aussi, je t’en prie.
Eulalie agite les doigts à l’intérieur d’Andrée-Anne, laquelle atteint bientot les cimes d’un plaisir qu’elle n’avait jamais connu auparavant.
Les deux femmes s’enserrent dans les bras l’une de l’autre et s’embrassent. Eulalie s’éloigne légèrement pour réciter sa déclaration solennelle.
C’est mal, ce que nous avons accompli. Nous devrons nous en confesser… Et, surtout, cela ne devrait pas se reproduire.
Andrée-Anne préfère conserver le silence. Toutefois, elles dorment dans le même lit ce soir-là.
Quelques jours plus tard, c’est pourtant Eulalie qui se glisse dans la couche de l’autre, l’enserrant contre elle, la dénudant, puis la caressant par tout le corps. Andrée-Anne, cuisses largement évasées, écarte des doigts ses petites lèvres, dégageant complètement l’organe féminin.
Prends-moi, mon amour.
Faisant de même, Eulalie se couche sur elle. L’accouplement tribadique, instinctif, au rythme brisé, tantot échevelé, tantot lent, les emporte toutes deux vers l’irrésistible raz-de-marée. Eulalie souffle.
Tout bien considéré, peut-être que ce serait mieux de commettre quelques péchés véniels supplémentaires d’omission au confessionnal…
Andrée-Anne la fait taire d’un baiser passionné.
À la rentrée des classes, Andrée-Anne se trouve enfin en charge de la sienne dans une école de rang située à plus de trois milles de la maison d’Eulalie.
En plein hiver, tu vas trouver que c’est pas mal loin… Tu pourrais y habiter…
… Le souhaites-tu?
Eulalie enlace son amie.
Tu sais bien que non!
Je t’aime, Eulalie.
… Mon amour pour toi, si immense et éternel soit-il, ne connaitra jamais son aboutissement normal…
Je ne souhaite pas mettre au monde un enfant. Mais, au cours de ma vie, j’en chérirai, tout comme toi, au moins un millier!
Je t’aime, Andrée-Anne.
1929 L’appel de la nature – Aurélien
La femme fardée à outrance mais encore jeune et avenante envoie une oeillade qui se voulait coquine à l’adolescent figé comme une statue se tenant à une courte distance devant elle. D’une voix légèrement éraillée, elle l’interpelle familièrement.
Salut, mon coeur.
Le tout jeune homme avance de deux pas et s’enhardit quelque peu.
Madame… Je voudrais…
Incapable d’exprimer son besoin, il y renonce mais la regarde, implorant.
Je te fais une fleur pour trois dollars… Un deux de plus pour cueillir la mienne… Tu es puceau, on dirait… T’es tellement attendrissant que ça me donne envie de tout te donner gratuit.
Écarlate de gêne, Aurélien s’approche, sort un billet de cinq de sa poche et le remit à la prostituée. Celle-ci le niche dans son corsage échancré.
Il suit la péripatéticienne dans la chambre de passe sordide. Elle le fait asseoir au bord du lit, s’agenouille devant lui et défait la braguette. Le temps passe. Exaspérée, elle s’exclame.
Ça fait une heure que je m’escrime sur toi!
… Désolé, je n’y arrive pas.
Alors, va-t-en! J’ai besoin de gagner ma pitance, moi!
La femme se relève et s’éloigne de son client à la queue flasque. À moitié rhabillé, Aurélien se dirige vers la porte et l’ouvre.
Pédé!
L’insulte l’atteint en plein coeur. Il referme sans faire de bruit.
Eugénie s’assoit sur le bras de la bergère qu’Aurélien avait placée devant la fenêtre du salon et où il rêvassait, l’air morose. Elle entoure les épaules de son fils. Le voile sombre s’estompe légèrement derrière le regard accueillant.
Tu sembles tellement triste, ces temps-ci… Dis-moi ce qui ne va pas, mon grand.
… Mais tout baigne, maman chérie… Je ressens juste un peu de vague à l’âme… Cela va finir par passer, je t’assure.
Il esquisse une caresse, qui se voulait rassurante. Sans trop y croire, toutefois, Eugénie respecte son besoin apparent de solitude.
Le jeune homme s’avance vers le comptoir de la réception d’un pas résolu. Germain se retourne, lève les yeux et en perd instantanément toute contenance. Le verre d’eau se fracasse sur la céramique. Germain réussit à balbutier d’une voix tremblotante.
… Puis-je… vous aider?
Désolé de vous avoir surpris. Je cherche Laszlo Tchoryk… Euh… Nous avons rendez-vous aujourd’hui mais j’ai oublié quel est le numéro de sa suite.
De rien, merci… Le 310… monsieur… au troisième…
Je sais puisque je suis déjà venu ici. Merci beaucoup.
… À votre… service.
D’un regard hypnotisé, il suit la haute silhouette, s’attardant sur le derrière potelé que ne réussissait pas à estomper le vêtement d’une coupe déplorable.
Germain sursaute aux propos de Nadège, laquelle était passée sans qu’il y porte la moindre attention, du même côté que son patron. Elle répète.
Sensible aux attraits du diable et sous la coupe du démon du midi…
Il sourit, l’oeil égrillard.
Cette pomme-là, je me la farcirais jusqu’au trognon, inclusivement!
Ce serait tout à fait étonnant que ce délicieux chérubin se laisse monter par un vieux beau d’au moins trois fois son âge, mon coco.
Hélas! Mais comme tu es cruelle, créature féminine démoniaque, de me rappeler ainsi à la bien trop triste réalité!
Peut-être…
Brusquement, la femme l’embrasse sur la joue. Il devient écarlate jusqu’à la racine de ses cheveux, lesquels se faisaient de plus en plus rares, semble remarquer l’autre.
Merci de m’avoir porté secours hier.
J’ai éprouvé un doute après coup… À cause de ses yeux… Enfin, j’adore me montrer preux chevalier servant : cela rehausse ma virilité.
Comme si tu en avais besoin!
Viens habiter ma carcasse ne serait-ce que quelques minutes.
… Pardonne-moi. Je t’adore.
… Si tu n’étais pas affligée d’une tare congénitale, je te suivrais jusqu’aux Enfers.
Manifestement embarrassée, elle baisse les paupières. Le moment magique passé, ils reprennent une conversation plus anodine.
Nadège partie, enveloppe garnie à la main, Germain revient au sol qu’avait foulé l’archange tombé du ciel. Il soliloque tout haut.
Mais où est-ce qu’il l’a déniché, ce tendron? Chanceux!
Haussant les épaules, il se penche pour ramasser les tessons.
De ma jeunesse, n’en reste aussi que des débris, et ainsi va la vie.
Sans plus tarder, il se remet à ses taches routinières.
Les coups discrets frappés à la porte étant restés sans réponse, le visiteur tourne lentement la poignée et après un instant d’hésitation entre en catimini. Curieux, il examine les lieux, luxueux, et déserts à première vue. Il entre dans la chambre à coucher. Il se déshabille et dépose ses vêtements sur une bergère. Ensuite, il utilise les commodités attenantes à la fois aux deux pièces afin d’effectuer une toilette méticuleuse. Il s’allonge au milieu du grand lit, sa nudité pudiquement couverte. Des bruits soudains le font sursauter mais il ne bronche pas davantage et demeure en l’état. Son attente se prolonge.
En rentrant, d’un geste machinal, Laszlo met en fonction le dispositif de ventilation plafonnier, ferme la fenêtre et tire les rideaux. La chaleur caniculaire qui régnait au-dehors, inhabituelle à l’été indien, le nécessitait. Dans la salle de bain, il satisfait ses besoins naturels tout en se dévêtant. Avec volupté, il s’immerge ensuite dans la baignoire remplie d’eau tiède et odoriférante des cristaux qu’il y avait abondamment ajouté. Il s’endort presque aussitôt.
Beaucoup plus tard, Laszlo surgit flambant nu, frottant ses cheveux ébouriffés d’une serviette. Il statufie en apercevant l’intrus.
Qu’est-ce que tu viens faire ici?
… Euh… Je pare ta couche.
Tu devrais te trouver au collège!
Je fais l’école buissonnière… Pour apprendre une leçon de vie… Je veux que tu m’inities à l’amour charnel.
C’est insensé! Tu es bien trop jeune! Et…
Peu importe! … J’ai seize ans et des envies d’homme chevillées au corps… Juste une fois, et ceci restera notre secret à tous les deux…
Laszlo ouvre la bouche. Aurélien repousse le drap.
Laszlo, paupières à demi closes, prend son temps pour examiner chaque détail anatomique de l’éphèbe étalé sans pudeur aucune qui s’offrait à lui. Un trait de sudation se dessine juste au-dessus de sa lèvre supérieure. Il souffle.
Crosse-toi.
Laszlo se rapproche pour mieux observer le va-et-vient énergique. À l’apogée, il se délecte de la sève jaillissant en geyser.
Leurs langues, puis leurs corps se nouent étroitement. Chaque attouchement de Laszlo trouve écho sur le sien propre. Brusquement, Aurélien effectue un demi-tour. Consciencieusement, il se met à lécher l’entièreté des attributs virils montrés en vision rapprochée. Lorsqu’il tente d’imiter, bien que maladroitement, la symphonie orchestrée sur ses propres organes génitaux, Laszlo s’interrompt brièvement.
Laisse faire la musique, continue comme tantot.
À maintes reprises, Laszlo freine d’une pression, la montée séminale de son jeune amant ainsi que la sienne. Inéluctablement, les caresses se précisent et augmentent en intensité. Laszlo déplace son centre d’intérêt vers d’autres merveilles. Aurélien agit à l’instar.
Soudainement, Laszlo cesse tout mouvement. L’autre aussi. Ils se regardent, le souffle court. Aurélien murmure, la voix tremblante.
Vas-tu m’enculer?
… Je vais te faire très mal, Aurélien.
Je le veux.
Le jeune homme se prosterne. Écartant les globes bien en chair, Laszlo stimule la rosette de sa langue. Aurélien gémit de plaisir.
Allonge-toi de flanc, plutot.
Laszlo enduit son gland de vaseline. Lové contre son dos, il pénètre ensuite son amant. L’autre hurle. Immobile mais fermement ancré à lui, Laszlo forme fourreau à la verge. Les cris d’Aurélien diminuent d’intensité. Tout en le stimulant, alternant douceur et rudesse, Laszlo le possède jusqu’à plus soif. Les manifestations sonores se muent en sourds gémissements, tout à la fois plaintifs et ravis, puis s’écoulent en laitance.
Laszlo s’étend sur le dos.
Viens, maintenant.
À son tour, Aurélien vaseline l’extrémité de son phallus de nouveau gaillard à la perspective. L’autre l’accueille en feulant.
Prends-moi fort!
Ce qu’il fait avec toute la fougue de sa jeunesse et toute la puissance de son mâle désir. Ralant, tremblant, exsudant de plaisir, ils atteignent ensemble le point culminant.
Un peu plus tard, Aurélien se serre davantage tout contre son homme.
Je voudrais que…
Laszlo pose son index sur les lèvres charnues.
… Je préfère que nous nous en tenions aux considérations initiales… Tu te brulerais les ailes… Ce n’est pas un rejet…
Insatiables toutefois, ils refont l’amour, mettant une hâte fébrile à se connaitre dans l’intimité de leur chair. Geignant, Laszlo s’empale sur l’éperon de chair vibrante, puis soumet ensuite Aurélien, criant, à un puissant coït a tergo.
Avant de partir, Aurélien s’assoit au bord du lit. Il se saisit de la main de Laszlo, embrasse la paume ouverte, puis la porte à son coeur.
Je n’oublierai jamais notre union.
De son index, Laszlo parcourt l’arête de la machoire encore imberbe.
… Et moi, j’espère que j’en serai capable… Tu me bouleverses.
Son sourire masque mal sa tristesse. La porte se referme doucement, définitive.
Aurélien adopte un ton confidentiel.
Étienne, mon grand ami, j’ai un secret à te confier. J’ai tellement besoin d’en parler!
Depuis le temps qu’on se connait, tu peux tout me dire.
… J’ai couché avec un homme et c’était merveilleux. Je crois que…
Étienne se lève vivement du lit où ils étaient étendus côte à côte depuis un bon moment en parlant de choses et d’autres.
Désolé, Aurélien mais je me rends compte que je dois partir : j’ai promis à Suzanne de me trouver devant sa porte à huit heures… On causera de tout cela une autre fois, d’accord?
… Comme tu voudras.
Ce soir-là, la tape amicale habituelle est omise.
Quelques semaines plus tard, Eugénie s’informe.
Cela fait longtemps qu’Étienne n’est pas venu souper, non?
… Quand je l’appelle, il a toujours rendez-vous avec la plus belle fille en ville.
C’est tout à fait normal, à son âge… Presque le tien. Tu comprendras bientot, mon amour : à toi aussi, cela arrivera.
1930 Scène de vie
Eulalie entre dans la maison les bras chargés de légumes fraichement cueillis du potager.
Les derniers concombres avant l’automne…
Andrée-Anne lui sourit tendrement.
Tu es très belle ainsi toute rosée par l’effort.
La teinte se nuance davantage. Andrée-Anne les met à tremper dans l’eau pour enlever la terre qui y adhérait encore. Eulalie y ajoute quelques carottes.
Que proposes-tu comme variation sur le thème du cucurbitacée?
« De la » : c’est un nom féminin… En salade? … En rondelles?
Je n’en peux plus! … Je préfère jeuner finalement… Ne dis-t-on pas : « Qui roupille soupe »?
Eulalie se dirige vers leur chambre. Andrée-Anne la rappelle.
L’adage nous apprend plutot que : « Qui dort dine. » Attends! De la ferme, j’ai rapporté du lait, du beurre et des oeufs.
Pourquoi ne le disais-tu pas plus tôt?
Enthousiaste, Eulalie déballe le paquet.
Mais il y a du pain, aussi! Et de la confiture! Quelle fête!
… Colette a du les ajouter sans que je m’en aperçoive… C’est très gentil de sa part : ils ne manquent de rien mais c’est tout juste.
Les temps sont durs… Tu as encore donné ton diner…
Comme toi, j’imagine.
… Je n’avais pas très faim.
Moi, non plus à vrai dire… Mais maintenant…
Une omelette, des carottes en purée, des concombres en batonnets et nappés de vinaigrette… À la moutarde cette fois?
Ajoute aussi du thym. Je salive juste à l’énoncé de ce royal festin! … Pour demain midi, j’aimerais apporter des galettes de sarrasin et de la mélasse.
J’allais te le proposer. Je m’en occupe… Il reste du lard salé.
Partage-le en deux parts.
Silencieuses, elles vaquent aux préparatifs de leur repas.
Vas-tu enfin me le reprocher?
Andrée-Anne la fixe l’air ahuri.
De quoi est-il question au juste?
Mais d’avoir dilapidé mon héritage en morceaux de papier envolés en nuages et de nous avoir mises dans la gadoue!
La phrase est bien tournée mais l’expression consacrée fait disparaitre les actions en fumée et nous place dans le ruisseau… Quoiqu’il reste l’usufruit de la terre et le chateau des altesses : nous ne sommes pas devenues des va-nu-pieds, quand même!
Andrée-Anne!
Cesse de battre inutilement ta coulpe! Nous travaillons toutes les deux! Pas la mer à boire mais on ne crève pas de faim! Dans la grande ville, c’est bien pire puisqu’ils doivent tout acheter et beaucoup se sont retrouvés au chômage!
Si…
Un simple concours de circonstances! … Quand la situation se rétablira, j’aimerais aussi faire quelques placements modestes : tu m’apprendras à trafricoter avec la Bourse.
Eulalie considère bouche bée sa compagne.
Je ne te comprends pas!
Parce que tu as tendance à mettre tous les oeufs dans le même panier!
C’est vrai que je manque de jugement.
Eulalie se rembrunit. Andrée-Anne l’enlace.
Et te voilà blessée maintenant! Ce n’est pas ce que j’insinuais. J’aime ta manière d’être, toute émotive. Ta fantaisie alimente mon esprit trop cartésien. Je n’ai jamais été aussi heureuse que depuis que nous vivons ensemble. Avec toi, j’existe!
Émue, Eulalie cache ses larmes au creux du cou de son amie. Andrée-Anne murmure.
J’ai envie de te caresser…
J’ai trop faim!
Elles sont prises d’un fou rire irrépressible.
La paix retrouvée, les deux femmes se remettent à la tâche.
Non, pas ceux-là, ni celles-là. On en aura assez, de toutes les façons.
Eulalie essuie soigneusement les légumes pointés, taille les extrémités des autres et place le tout dans une assiette. Andrée-Anne la regarde faire.
Une bonne idée… Merveilleux avec des crêpes…
Incongrument, Eulalie rougit violemment.
Te sens-tu mal, mon amour?
… Je suis vraiment affamée.
Le tout prêt, elles festoient. Repues, elles partagent une pipe, s’amusant à chasser les ronds de fumée évanescents : les actions.
Brusquement, Eulalie se lève et apporte sur la table le chaudron d’eau tiédie qui avait servi à la cuisson des carottes. Andrée-Anne l’interroge du regard.
Pour faire ta toilette. Ta peau deviendra toute satinée.
Quelle curieuse fantaisie! … J’adore l’idée que tu me laves…
Andrée-Anne se dévêt et Eulalie en fait autant. La première s’assoit sur la chaise et la seconde s’agenouille devant elle. Sensuellement manipulé, le linge imbibé remplit son office.
Soulève-toi, maintenant.
Eulalie bisse au long des fentes. Andrée-Anne gémit. Elle se lève complètement et écarte les jambes. De la langue, Eulalie satisfait à la demande explicite.
Allonge-toi sur la table, mon amour.
Andrée-Anne verse un filet aqueux entre les seins. C’est avec ses mains caressantes qu’elle nettoie à son tour le corps de son aimée. Eulalie évase les cuisses.
Pénètre-moi, je t’en prie.
Andrée-Anne le fait.
… Pas avec tes doigts…
Après un bref moment, Andrée-Anne revient auprès de son amante. Aussitôt, elle engage l’extrémité la plus étroite dans le vagin.
Oh, oui! Jusqu’au fond… Ah! … Plus vite! … L’autre également.
Le légume plus fin mouillé de salive comble l’autre issue. Eulalie se pame sous les assauts réguliers. Elle crie sa jouissance féminine. Andrée-Anne se penche sur elle.
Je le veux, aussi.
… Tu es vierge.
Fais de moi ta femme, alors.
Viens au lit.
Elles s’allongent et s’étreignent passionnément.
La première fois, c’est douloureux… Au fondement également.
La douleur que tu m’infligeras, je l’accepte et je la souhaite puisque je t’appartiens.
Andrée-Anne, mon épouse.
Un moment après, celle-ci n’est plus pucelle. Elle geint faiblement. Eulalie engage la carotte dans le conduit rectal.
Pénètre-moi, sodomise-moi, prends-moi toute!
Eulalie le fait.
1931 L’union épineuse d’Aurélien
Eugénie interpelle son fils de coeur revêtu pour sortir.
Oui, maman?
Mais où vas-tu, mon chéri?
Me promener. Je ne rentrerai pas trop tard, promis.
Le jeune homme plante un rond baiser sur la tête d’Eugénie et s’esquive, rieur, avant qu’elle ne proteste quant à l’heure tardive.
Mets ta casquette au moins!
La recommandation maternelle, habituelle en cette saison automnale, se perd dans le claquement de la porte d’entrée. Eugénie hausse des épaules résignées et reprend ses activités de lessive.
D’un bon pas, Aurélien se dirige vers le Mont-Royal. La nuit fraiche était tombée et les lieux se trouvaient parcimonieusement éclairés par les lumières falotes des peu nombreux réverbères. Quelques rares promeneurs arpentaient les sentiers; des couples d’amoureux, des hommes seuls aussi. Aurélien entend, bien avant qu’il ne le voit, les sabots heurtant la rocaille. Il juge plus prudent de se dissimuler derrière un gros chêne. L’officier de la police montée en uniforme écarlate juché fièrement sur son noir destrier disparait au détour d’une sente sans détecter la présence immobile. Quelque temps après, Aurélien se remet à la promenade. Il semble chercher quelque chose, ou plutot quelqu’un.
L’objet de sa quête était accoté à un érable centenaire, l’attitude nonchalante, dans la vingtaine, frêle, d’apparence agréable, d’après ce qu’il pouvait en juger par le faible éclairage. Aurélien lui tourne autour plusieurs fois, puis s’arrête à une demi-douzaine de pieds. L’autre gardait les paupières aux trois quarts baissées, les bras en anses et les doigts sauf les pouces dissimulés dans ses poches. Aurélien place sa main sur sa braguette et la caresse un long moment, très lentement, les yeux fixés sur le visage triangulaire. À l’instant où il s’apprêtait à partir, l’autre se décide finalement, et s’éloigne vers le sous-bois. Aurélien l’y suit.
Le choc violent des corps. Leurs dents s’entrechoquent. Ils se pressent l’un contre l’autre, l’envie mutuelle dévorante. Vitement mis à nu, le pénis d’Aurélien est happé par une bouche gourmande et ses testicules empaumés. Aurélien le guide en maintenant la tête et, peu après, l’étouffe des giclées séminales. Il s’agenouille devant son partenaire, relevé. À son tour, il gobe la verge tumescente. D’un index mouillé, il titille l’anus de son amant gémissant. Aussitôt assouvi, celui-là se détourne et s’incline. Les fougueux assauts virils le font pleurer. Aurélien crie en déchargeant. L’autre l’enjoint à se taire. Aurélien se place en levrette. L’homme le monte. Hoquetant, Aurélien se laisse saillir. Ayant joui, son rude éraste le libère. Ils se rajustent, s’embrassent et se quittent.
Aurélien rentre en catimini mais Eugénie veillait.
As-tu fait une bonne promenade?
Excellente, maman chérie. J’ai marché longtemps.
Mais tu es tombé, aussi! Tes pantalons sont tachés aux genoux d’herbe et de terre!
… Au parc à côté, j’ai trébuché sur une branche morte.
Tu es encore bien jeune pour te promener dans les rues seul le soir…
Vraiment, maman! Je ne suis plus un gamin!
Allez, va dormir, mon grand. Au moins, l’air frais t’a fait du bien au teint.
… Surement. Bonne nuit.
La tête sur l’oreiller, Aurélien sanglote. De se savoir différent de la plupart de ses semblables et dans un domaine aussi intime que la sexualité ne se vit pas avec la gaieté chevillée au coeur. Et les passades laissent souvent des relents d’amertume… ainsi que parfois des séquelles…
Impatient, Aurélien interroge le praticien trop lent à son gout qui se savonnait à n’en plus finir, le dos tourné et marmonnant dans sa barbe.
Alors, docteur?
Le médecin s’essuie interminablement et énergiquement.
Une gonorrhée indéniablement. Rhabillez-vous.
Ensuite, Aurélien s’assoit dans le fauteuil désigné.
Vous auriez dû vous montrer plus prudent dans le choix d’une péripatéticienne, jeune homme. Pendant deux semaines, évitez tout contact de nature charnelle… Masturbez-vous, au besoin : cela ne donne pas de boutons et ne rend pas aveugle, quoi qu’on en dise. Et, surtout, lavez-vous les mains avec du savon et fréquemment.
Aurélien tente de déchiffrer l’ordonnance hativement griffonnée. Il y renonce. Il ne comprend pas non plus les explications nébuleuses données en termes spécialisés.
Est-ce que le remède guérira tout autre foyer d’infection?
Le sulfamide traitera également votre pharyngite, laquelle est aussi une manifestation du mal… Éprouvez-vous d’autres problèmes?
… De la difficulté à évacuer sans douleur les matières fécales.
… Revenez à côté pour que j’examine la région.
Ganté, le médecin procède au toucher rectal sans que son patient ne bronche. Il s’absorbe ensuite dans d’autres ablutions méticuleuses.
… Une simple rectite… également une conséquence du rapport sexuel incriminé… J’ai dénoté en plus un certain relâchement du sphincter anal mais ceci est probablement causé par… vos pratiques récurrentes… Une dernière chose. Une maladie vénérienne concerne… deux personnes. Vous devriez encourager votre… partenaire à se faire soigner dans les plus brefs délais.
Deux semaines sont nécessaires à Aurélien pour retrouver son comparse d’aventure. Le jeune homme était adossé à un arbre non loin de l’endroit où ils étaient entrés en contact. Sans sacrifier au rituel, Aurélien se dirige directement vers lui. L’autre recule.
Mais qu’est-ce que tu veux?
Te prévenir que tu m’as refilé une chaude-pisse.
Tu dérailles! … Je ne ressens aucun symptôme!
Je ne te crois pas!
Fiche-moi la paix!
… Le docteur que j’ai vu sait se montrer très discret, tolérant aussi… Pas chérant non plus… Cela ne me dérangerait pas de payer la consultation…
… Pourquoi ferais-tu ça ?
Pour éviter que la maladie soit transmise à quelqu’un d’autre… C’est désagréable.
À qui le dis-tu?
Viens-tu prendre un café?
… Pourquoi, au lieu de me mettre ton poing sur la gueule, m’invites-tu à « prendre un café »?
Aurélien hausse les épaules. Ils cheminent côte à côte, silencieux. Longtemps, aussi.
D’un commun accord, ils s’attablent dans un estaminet de la rue Sainte-Catherine. Ils commandent plutot des Coke. Aurélien règle les consommations.
Je me nomme Aurélien Gaboriau. Et toi?
… Philippe Thibodeau… Est-ce que ça prend du temps à passer?
Quinze jours, et sans baiser… C’était bon, avec toi. Je ne regrette rien.
… Pour moi aussi… Est-ce que tu peux m’avancer aussi le cout des remèdes?
Sans problème… Tu ne travailles pas?
Je termine mes études en administration cette année… Mes vieux ne délient pas facilement les cordons de la bourse… Mais aussitot que j’aurai un travail, je te rembourserai.
Est-ce qu’ils savent?
Jamais de la vie! Assez pour me faire foutre à la porte, et avec des coups de pied au cul en prime!
Est-ce que tu as déjà essayé avec une femme?
… Je n’éprouve pas de désir.
C’est la même chose pour moi… Je n’ai pas envie de vivre ça toute ma vie!
Le moyen de faire autrement
Je parle des étreintes clandestines et sans lendemain!
Quel idéaliste! … Est-ce que tes parents sont au courant?
… Je crois que ma mère s’en doute un peu, intuitive comme elle est… J’aimerais que tu viennes chez moi… J’ai envie de te serrer fort contre moi.
Tout interloqué, Philippe consent néanmoins. Ils prennent le tramway. Ils s’ignorent durant le long trajet qui les mène à destination.
Philippe siffle entre ses dents.
Notre maison a couté une bouchée de pain et elle a été entièrement rénovée au fil du temps par mes oncles. Ils ont réalisé des merveilles. Ma chambre se trouve à l’étage.
Aurélien donne un tour de clef dans la serrure. Il s’installe sur le lit en tailleur et par-dessus les couvertures. Il tapote l’espace à côté de lui.
Mais viens donc : je ne te mangerai pas!
Philippe le rejoint, incertain.
Ça fait tout bizarre de me retrouver ici et maintenant.
Aurélien caresse l’arête de la machoire imberbe.
… Euh… T’es-tu lavé les mains?
Mais oui, quand je suis allé aux toilettes tantot! Mais pourquoi…
Aurélien pose l’index sur les lèvres entrouvertes sur un point d’interrogation. Il se saisit de la paume à portée. Très lentement, il suce longuement chacun des doigts, tout en le regardant dans les yeux. Le souffle court, Philippe ferme les siens. Il gémit, frustré.
J’ai envie!
Aurélien le couvre de tout son corps, la bouche nichée tout près de l’oreille.
Je vais te raconter ce que je voudrais te faire, là, tout de suite…
Ce disant, il presse son bassin sur celui de l’autre.
Je suis agenouillé entre tes cuisses nues. Tes aines sont douces sous ma paume. Tu frémis de l’attente, que je prolonge en te caressant les bourses et en dessous. Ta verge brandie semble animée d’une vie propre. Mon index mouillé agace le pourtour de l’anneau, qui se contracte et se dilate. Prenant mon temps, je te prépare à me recevoir. Tu soulèves les cuisses, insistant. Tu accueilles mon pénis durci au-dedans de toi et je m’enfonce profondément dans ton intimité. Tu cries alors que je t’ouvre davantage. Ta douleur m’excite et je vais et je viens, très lentement, dans ton intérieur mis à mal que je modèle comme de l’argile. Et puis tu t’abandonnes tout alangui. Tes gémissements de plaisir galvanisent mes ardeurs à te posséder tout comme les tiennes à te donner. Collé maintenant contre ton ventre, je te prends. Ton phallus tressaute… Ma laitance se répand au tréfonds de toi, tout comme la tienne sur nos épidermes épousés… Ah! Philippe!
Celui-ci le renverse, inversant les rôles.
Raconte, toi aussi.
C’est tout comme tu dis, exactement… Ah! … Euh… Aurélien. Ouche! Ça fait mal!
Essoufflés encore, ils partagent une cigarette. Aurélien tousse à répétition.
Ma mère insiste pour que je cesse de fumer car elle trouve que j’ai les poumons trop fragiles… Enfin, c’est pas évident… J’aimerais qu’on se revoie…
… Je ne dispose pas de beaucoup de temps libre… Je m’arrangerai pour la semaine prochaine… Ici?
Nous y sommes à l’abri des moustiques ainsi que des intempéries… et seuls.
… T’es vraiment spécial, toi!
Avant que l’autre ne parte, Aurélien inscrit sur un bout de papier le nom et l’adresse du docteur Desrosiers, les siens propres ainsi que son numéro de téléphone.
Si tu ne peux pas venir, préviens… Je ne veux pas souffrir d’attendre en vain.
… Tout ce que tu dis, ça résonne comme de la poésie… Et pour…
Un billet de cinq dollars change de main.
Je ne te ferai pas faux bond.
Je l’espère.
La semaine suivante au souper, Eugénie dépose sa fourchette et, visiblement exaspérée, regarde Aurélien de travers l’oeil sévère.
Mais enfin, cesse!
Qu’est-ce qu’il y a?
Tu n’arrêtes pas de te gratter!
L’autre l’envisage, mi-figue mi-raisin.
Parce que ça pique!
Alors, laisse-moi voir!
Voyons, maman!
Ne bouge plus!
L’ordre péremptoire le fige net et il se laisse examiner le cuir chevelu.
Mais tu es pouilleux! À ton âge, je n’en reviens pas! Cours vite chez l’apothicaire avant qu’il ne ferme boutique. Rapporte ce qu’il te conseillera pour éradiquer ces parasites. Et quelques peignes fins, aussi. Ouste!
On verra demain : ce soir, j’attends Philippe !
Ce pourrait être le pape Pie XI que je m’en fiche : il patientera! Au galop!
La mine plutot basse, Aurélien obtempère. Eugénie, mains sur les hanches, se tourne vers ses époux. Karol rit dans sa moustache et Laszlo a peine à contenir le sien.
Au lieu de rester plantés là, à ricaner comme des hyènes, rendez-vous utiles! C’est sérieux, les poux! Allez défaire le lit d’Aurélien. Et rapportez même les oreillers.
Ils se grattent la tête.
Oh non!
Ils pouffent en choeur.
À vos ordres, patronne!
Hilares, ils s’éloignent vers l’étage.
On sonne à la porte alors qu’Eugénie a tout juste terminé une première brassée.
… Euh… Bonsoir. Est-ce qu’Aurélien est là?
Absent pour une courte course. Entrez : il m’a prévenu de votre arrivée prochaine… Philippe, je crois.
Enchanté, madame…
Eugénie se présente. Elle lui sert du café. Il garde les yeux baissés sur sa tasse. Eugénie reprend son travail tout en l’observant à la dérobée. Consternée, elle se rend compte que, lui aussi, se grattait.
Aurélien dépose distraitement le sachet sur la table. Il n’a d’yeux que pour son visiteur, qu’il contemple le regard illuminé.
L’autre sourit timidement.
Salut.
Viens, on va jaser dans mon antre.
Eugénie, le coeur subitement serré dans un étau, réussit à articuler à peu près normalement alors qu’ils sont rendus au milieu de l’escalier.
Aurélien!
Ledit redescend, Philippe à la remorque. Eugénie désigne d’un doigt péremptoire la bouteille de shampoing.
Mais maman!
Ça urge. Et pour vous, aussi.
Aurélien explique le problème à Philippe, interloqué.
Tu m’as refilé des poux…
Il n’ajoute pas « aussi », mais c’était tout comme. L’autre s’empourpre violemment et commence à balbutier des excuses.
Eugénie l’interrompt.
Une heure et c’est fini. Aurélien, va chercher une robe de chambre pour ton ami… Ne vous en faites pas, Philippe, ce n’est pas bien grave.
Eugénie se concentre sur le mode d’emploi spécifié en très petits caractères sur l’étiquette. Elle doit le relire plusieurs fois.
Les deux jeunes gens subissent chacun leur tour un épouillage méticuleux au peigne fin suivi d’un énergique lavage de cheveux dans l’évier de la cuisine.
Mets de nouveaux draps. Et prends les coussins du salon comme oreillers. Les tiens sont en train de se faire lessiver… Vous devrez faire subir le même traitement à votre literie, Philippe.
J’y veillerai… Merci.
De rien. Allez en paix, maintenant.
Sans mot dire et l’air penaud, Philippe aide Aurélien à garnir son lit. Ils s’y assoient, chacun d’un côté et dos à dos.
Tu es dangereux à fréquenter!
Je suis désolé… J’ai commencé le traitement depuis six jours, en fait.
La moindre des choses!
… Veux-tu que je parte?
Non. Je veux que tu me prennes dans tes bras.
Philippe fait le tour et l’enlace étroitement. Aurélien accepte l’étreinte. Un peu plus tard, il murmure à l’oreille de l’autre.
Je t’aime.
Tu es fou! Ça n’existe pas, l’amour… J’ai envie de toi… Saleté de maladie! … J’aimerais bien entendre une autre histoire…
Pas la tête à ça.
Étends-toi à côté de moi.
Ils s’allongent.
Les doigts de Philippe accoudé de flanc caressent le torse resté à nu. D’abord fébriles, ses gestes ralentissent et se raffinent au fur et à mesure. Sa langue s’enroule successivement sur les mamelons érigés. Aurélien insinue sa main dans l’échancrure de la robe de chambre. À la hâte, Philippe se débarrasse du vêtement, puis de son pantalon et de son caleçon.
Mais…
Enlève-le aussi. Aies confiance.
Aurélien obéit.
Il est magnifique, ton pénis ainsi dressé par ton désir de moi!
Chaque cellule de mon corps s’érige quand tu me regardes ainsi.
… Je vais te raconter comment je vais te faire l’amour, la semaine prochaine… J’aimerais qu’on se masturbe mutuellement et en même temps… Euh… On se lavera les mains après.
Aurélien empoigne la verge dure. Philippe agit à l’instar.
Comme une bête affamée se précipitant sur sa pitance, je me jetterez sur toi et arracherez tous tes vêtements, et les miens. À pleines mains, je fourragerai sur ton corps, et toi sur le mien. Ventre contre ventre mais à contre-sens, je happerai ta verge dans ma bouche et la sucerai jusqu’à ce que ta liqueur étanche complètement ma soif, et toi aussi. Je te lécherai ensuite partout, pour te mettre à nouveau en désir, puis je me soumettrai à toi, comme tu l’as décrit, déjà. Puis toi à moi ensuite dans une posture identique et je te ferai jouir encore de ton abandon à mes virils assauts…
Râlant, ils éjaculent sur le torse de l’autre et en même temps.
Le délai imparti achevé et après le souper pris en famille, Philippe téléphone à la maison pour avertir qu’il ne rentrerait que le lendemain, étant donnés l’heure tardive et le mauvais temps. Il précise qu’il se trouvait chez un ami. Les deux hommes s’enferment dans les quartiers d’Aurélien. Ils réalisent leur fantasme.
Encore ensommeillée, les cheveux dénoués en désordre et en robe de chambre, Eugénie pointe le nez à la porte de la cuisine et fronce les sourcils.
Salut maman chérie.
Tu fais une lessive! Et à six heures du matin!
… Mes draps étaient souillés.
… J’aurais pu… Pardonne-moi.
Eugénie entame les préparatifs du déjeuner, le dos tourné. Aurélien la force à se détourner et à l’envisager. Il essuie du doigt les larmes qui coulaient.
Cesse de te culpabiliser : tu n’es responsable de rien. C’est comme ça, point… Que Laszlo soit plutôt homosexuel, comme on dit bizarrement maintenant et Karol, à moitié, m’a juste permis d’accepter ma nature sans trop de heurts… et d’espérer que tu serais capable de comprendre sans me rejeter.
Je ne te honnis pas, mon fils… Mais jadis j’ai manqué de vigilance à ton endroit et peut-être que cela t’a… sensibilisé…
Avec ce que ce salaud m’a fait subir, rien qui ne prédispose, je t’assure! Cela aurait dû être le contraire, en fait … J’aime Philippe.
Et lui?
Il est écorché vif… Un jour, peut-être qu’il en sera capable… Je meurs de faim!
La prochaine fois, mets seulement la literie au panier : c’est gaspiller l’eau que de remplir la machine pour une si petite brassée… Viens m’aider pour préparer le repas.
N’y tenant plus de deux longues semaines d’inquiétude, Aurélien compose le numéro de téléphone. Après nombre d’avertissements mécaniques sonores, une femme, le ton nettement rêche, répond.
Bonsoir madame, puis-je parler à Philippe? C’est son ami, Aurélien.
Je regrette, notre fils est mort.
Quoi?
La dame raccroche. Aurélien contemple le récepteur, incrédule. Il rappelle. La voix masculine cette fois se fait véhémente.
Vous et tous ceux de sa sorte, allez pourrir en enfer!
Aurélien avait très bien saisi.
Comment retrouver Philippe, maintenant? De soir en soir, Aurélien fait plusieurs fois le tour des lieux clandestins, du bar au lupanar qu’ils fréquentaient à l’occasion. Sa recherche noctambule dans les parcs des alentours se révèle également infructueuse. Idem pour les hôpitaux ou la morgue.
Eugénie hèle son fils qui rentrait d’une autre vaine incursion.
Aurélien! Ton ami a téléphoné. Il a dit qu’il rappellerait dans la soirée ou encore demain.
Soulagé, celui-ci monte se coucher.
Aurélien passe la semaine suivante à se morfondre à côté de l’appareil de malheur.
Aurélien saisit vivement le récepteur.
Philippe?
… Aurélien.
Où es-tu?
Je ne sais pas. Aucune importance…
Le reste se perd dans le sifflement aigu et persistant d’une sirène.
Répète, je n’ai rien entendu.
… Tu es la seule personne au monde qui m’a témoigné de la tendresse vraie. Alors j’ai éprouvé l’envie de te dire adieu avant de partir.
Où vas-tu? … Je t’aime!
Ça n’existe pas, l’amour, et rien ne mène nulle part.
L’interlocuteur raccroche.
Aurélien prend quelque temps avant d’identifier les lieux d’après le bruit strident : il ponctuait la fin d’un quart de travail à la raffinerie de sucre située tout près du canal Lachine et où ils étaient allés se promener quelques fois l’automne dernier.
Laszlo, j’ai besoin de cinq dollars. C’est urgent. Je t’expliquerai plus tard.
Celui-ci lui tend un billet. Aurélien enfile son manteau et sort au pas de course. Il hèle un taxi en maraude. Le chauffeur, ressentant l’urgence qui animait son client, force sur l’accélérateur. Au terme de la course quinze minutes plus tard, Aurélien lui demande d’attendre un quart d’heure. Il lui donne son argent en dépot.
Aurélien scrute les alentours. Le froid était mordant et il fourre les mains dans ses poches. La nuit resplendissait, belle de toutes ses étoiles. La neige immaculée brillait. Ainsi, il peut repérer facilement une silhouette sombre gisant au milieu de la voie d’eau gelée. Il se met à courir sur la surface glacée, dérapant puisqu’il avait omis de mettre ses bottes.
Philippe!
L’autre ne réagit pas. Aurélien le secoue. Philippe entrouvre les paupières et murmure faiblement.
Laisse-moi mourir en paix.
Non! Tu n’as pas le droit de t’enlever la vie!
Va te faire mettre.
Aurélien le prend plutot dans ses bras et le porte jusqu’au véhicule, où il l’installe tant bien que mal sur le siège arrière. Il referme la portière et fait le tour pour monter à côté du gisant.
À l’hôpital?
Non, au point de départ : ma mère sait quoi faire pour soigner les engelures et les gelures.
À mi-course, Philippe se met à geindre. Aurélien déboutonne la canadienne. Il prend les mains glacées entre les siennes. Le chauffeur accélélère autant que faire se peut.
Attendez quelques secondes, mon oncle va régler la course.
Mais ce n’est pas…
Reprenant Philippe dans ses bras, il l’amène jusqu’à la porte d’entrée. Inquiets, Eugénie et Karol, avertis par Laszlo du départ précipité d’Aurélien, attendaient son retour.
Karol, donne cinq dollars pour le taxi. Maman, aide-moi : il est quasiment congelé!
Emporte-le dans ta chambre. Déshabille-le et toi aussi. Prends-le avec toi sous les couvertures, jusqu’aux oreilles, et réchauffe-le : c’est la chaleur humaine qui s’avère le plus efficace pour bien des maux, pas seulement celui-là. Ah, Karol, Ce serait mieux que tu fasses office de calorifère toi aussi. J’oubliais Aurélien : place ses mains sous tes aisselles et ses pieds entre les tiens.
Dix minutes plus tard, Eugénie arrive munie de son attirail de premiers soins.
J’ai encore mis de l’eau à bouillir. Karol, va préparer du chocolat chaud. Et rapporte la bouilloire, aussi… Remets au moins ton caleçon, c’est indécent!
Karol obéit, une lueur malicieuse dans le regard.
Ok, patronne.
Eugénie sourit et lui envoie un baiser. Puis revient au blessé. Philippe gémissait de douleurs mais le grelottement avait cessé.
Eugénie requiert l’aide de son fils.
Remets au moins ton caleçon, c’est indécent!
Aurélien obtempère, rouge de confusion.
Enfin, j’aurais dû préciser le degré de nudité… L’idée, maintenant, c’est de chauffer les extrémités. Ce ne sont que des engelures heureusement. Applique des compresses tièdes sur et entre les orteils et les doigts. Je me charge de la figure.
Philippe se laisse manipuler les yeux clos, mais la figure crispée par la douleur.
Mais qu’est-ce…
La question meure sur les lèvres d’Eugénie lorsqu’elle rencontre le regard d’Aurélien. Elle se concentre sur sa tache. Karol arrive opportunément pour réchauffer l’eau. Aurélien et Eugénie appliquent ensuite des compresses stériles. Celles au nez et aux oreilles sont maintenues par du ruban adhésif.
Individuelles, Aurélien… Fais des noeuds légers… Pour vous remettre de vos émotions et terminer le réchauffement, prenez un chocolat chaud. Bonne nuit.
Elle et Karol les laissent seuls.
Ils boivent le nectar à petites gorgées sans rien dire. Ensuite, Aurélien interroge doucement son ami.
Ça va mieux?
Philippe acquiesce, le regard baissé.
Veux-tu dormir? On parlera demain.
L’autre approuve muettement.
Au cours de la nuit, Philippe se love au long d’Aurélien.
Réchauffe-moi à l’intérieur, je t’en prie. J’en ai tellement besoin!
Il se place sur le ventre. Aurélien retire son caleçon, le couvre de son corps et au-dedans.
Je ne veux pas que tu meures! Vis pour moi, je t’en supplie!
… Aurélien!
Après, ils s’endorment enlacés.
Aurélien demande à Philippe de lui raconter ce qui s’était passé. L’autre hésite. Aurélien insiste. Philippe cède finalement.
… J’en ai eu marre qu’elle m’asticote avec des évaluations de toutes les filles du quartier agées entre seize à dix-huit ans. En plus, elle m’avait collé un rendez-vous avec Alice, soi-disant l’idéale pour moi! Exaspéré, j’ai lancé : « Maman, je ne me marierai jamais, alors cesse! » « Que veux-tu dire? Pourquoi? » Je n’ai rien ajouté. «Voyons, Phil, tu sais que tu peux tout me confier. Qu’est-ce qui ne va pas, mon chéri? »… J’ai craqué : « Je ne ressens pas d’attirance pour les femmes… J’ai un ami… » Elle est devenue blanc-jaune comme un drap javellisé et est sortie de ma chambre. Dès le lendemain, elle avait trouvé un psychiatre traitant « ce genre de déviation. » Je n’en revenais pas! Je ne suis pas anormal! Juste différent! … J’ai tenté de le lui expliquer… Papa, qu’elle avait mis au parfum, y est allé de son ultimatum… J’ai choisi de partir…
Pourquoi n’es-tu pas venu te réfugier ici?
… C’était mon problème, pas le tien… Comment m’as-tu retrouvé?
… Un éclair de génie, disons.
… C’était pourtant la plus belle des morts… Le froid te fouaille mais ensuite t’engourdit, puis tu t’endors tout doucement vers le néant. Je n’ai pas plus de raisons de vivre aujourd’hui que j’en avais hier.
Nous deux, ça ne compte pas?
Je ne t’apporte que des ennuis et tu tombes amoureux!
L’amour par définition est totalement irrationnel. Tu es plutôt du genre fléau, en effet!
Mais tu en redemandes!
Oui.
Je ne te comprends pas.
Donne-toi une chance de guérir!
Aurélien, certaines blessures ne se cicatrisent pas et se nécrosent… Je ne veux pas te contaminer avec mon mal de vivre.
Ne m’ampute pas de toi. Si tu meurs, je me tue.
Tu dis des insanités! Tu es le versant clair de la vie, tu existes avec la lumière. Et moi, le côté sombre, je ne vis que dans les ténèbres.
Nous sommes complémentaires, donc. Nous n’aurons pas d’enfants mais cela ne devrait pas nous empêcher de connaitre un certain bonheur.
Mais de quoi parles-tu, au juste?
De notre union, de fait, puisque nous ne pouvons pas nous marier.
… Aurélien, je ne…
Si tu choisis de vivre, je vivrai. Si tu veux mourir, je mourrai. Là où tu iras, je t’y suivrai. J’en fais le serment.
Après un passage à la salle de bain, Aurélien retourne se coucher. Il prend Philippe entre ses bras. L’autre se colle tout contre son amant et entreprend des attouchements ciblés. Aurélien éloigne la main baladeuse.
Philippe… Ces semaines où tu as disparu, comment as-tu survécu?
… J’ai fait quelques passes…
Misère! … Nous sommes dus pour une petite visite au docteur Desrosiers, mon amour.
… Euh… Je voulais justement t’en parler.
Les investigations achevées à tour de rôle et après quelques séances rituelles d’ablutions, le médecin les invite à s’asseoir devant son bureau. Les lunettes sur le bout du nez, il rédige deux ordonnances. Il ôte ensuite ses besicles et les considère l’un après l’autre.
Pendant quinze jours, abstinence de tout contact physique. Revenez me voir la semaine prochaine pour un examen de contrôle et afin de connaitre les résultats des analyses que j’aurai commandées… Mon rôle ne consiste pas à vous faire la morale mais à vous soigner, et aussi à vous mettre en garde : un microbicide n’est pas une panacée et, d’après mon expérience et bien que cela soit contesté, l’organisme semble avoir tendance à s’y habituer, de sorte que le médicament devient au fil du temps moins efficace. La blennorragie est une maladie vénérienne, bénigne lorsqu’elle est traitée, mais il en existe d’autres, mortelles, comme la syphilis, impossibles à éradiquer puisqu’on n’en connait aucun traitement efficace…
Son regard s’appesantit sur Philippe et il reprend, après avoir griffonné fébrilement au verso d’un bristol et qu’il lui avait tendu.
Lorsque vous avez un rapport sexuel avec… un partenaire d’occasion,ce serait important de vous protéger avec un condom, accessoire qu’on appelle également « capote anglaise », allez savoir pourquoi, et qui, bien que prohibé par l’Église, est vendu en quelques endroits, dont celui-là. Sans protection, ce serait préférable, soit de vous abstenir, soit de limiter vos relations à quelqu’un qui vous est très proche… Vous semblez amoureux l’un de l’autre… La fidélité dans l’amour vous éviterait bien des maux désagréables mais ce ne sont pas là mes affaires. Allez en paix.
Aurélien aborde Eugénie avec l’air de marcher sur des oeufs.
Maman… Euh… Est-ce qu’on pourrait héberger Philippe pour quelques jours à une semaine de plus, enfin je veux dire, le temps qu’il se trouve un logis et un travail?
Tu n’as qu’à l’installer dans la chambre à côté de la tienne et à déménager mon barda de couture dans le solarium : il y fait chaud même en hiver… Je songeais à le faire justement… « Un logis et un travail »?
Il laisse tomber ses études… Il est parti de chez lui et se cherche un boulot.
Dis m’en plus, Aurélien.
… Tout comme moi, Philippe a éprouvé le besoin de révéler sa nature… Sa mère n’est pas comme toi… Elle est moderne, qu’elle dit. Et elle croit son fils atteint de maladie mentale et veut le forcer à rencontrer un psychiatre. Il n’est pas fou! Ni moi non plus! On est juste d’un genre différent, c’est tout! Comme ils sont un couple « moderne » le père s’en est mêlé : « Tu fais traiter cette déviation ou tu sors de la maison. » Évidemment, il a choisi de s’en aller.
Philippe sera le bienvenu dans notre foyer et le temps nécessaire pour se retourner.
Curieuse, Eugénie s’informe.
Aurélien… Combien de temps restait-il à Philippe pour finir ses études?
Quelques mois.
J’en ai parlé à tes oncles et cela me semble judicieux qu’il les termine : ainsi, il pourra trouver un meilleur emploi… La maison est grande et sa présence légère… Il contribuera à la maisonnée quand il le pourra.
Aurélien s’agenouille devant Eugénie et l’enserre avec fougue.
Aurélien attire l’attention de son ami, songeur.
Qu’est-ce qui se passe, Philippe? Tu arbores une de ces mines!
… Rien.
Laisse-moi deviner… Tu as surpris Karol et Laszlo en train de se tripoter.
Comment le sais-tu?
Une intuition.
Quelques jours plus tard, Aurélien sourit intérieurement devant l’air béat de son ami.
Qu’est-ce qui t’étonne, Philippe? Non, ne me le dis pas : comme par un fait exprès tu as vu Karol et Laszlo en train de tripoter Eugénie.
… Pas exactement… Elle et Irina.
Disons qu’on forme une famille un peu spéciale.
Philippe se blottit contre le flanc d’Aurélien.
Quand tu as compris que tu étais homosexuel, as-tu ressenti un sentiment de perte?
… Je rêvais d’avoir des enfants à chérir… Dans mes rêveries, j’étais à la fois le père et la mère… Et toi?
… Quand j’ai réalisé que ni papa ni maman ne me diraient jamais : « Je t’aime, mon fils » ou « Je suis fier de toi, mon garçon »… J’ai téléphoné, hier… Ils m’ont mis au monde mais maintenant, pour eux, je suis décédé… Mon âme est morte, c’est pour ça que je ne peux pas t’aimer.
Philippe s’écrie de frustration.
J’ai envie de toi!
Non. Abstinence pour presque une semaine encore.
Je deviens fou!
Prends une douche froide! … Mais reviens-moi quand tu auras calmé tes ardeurs.
Mais l’autre fois…
Pas envie de sexe et imagination à zéro. Tu me fais suer, Philipe!
L’autre s’en va, la queue basse.
Il retourne dans la chambre une demi-heure plus tard, grelottant.
M’acceptes-tu dans ton lit?
Quelle question! … J’ai pris gout à te réchauffer, je crois… Nous avons cinq sens et il reste quatre jours…
… Où veux-tu en venir, au juste?
Commençons par l’ouïe… Crosse-toi.
Je viens tout juste de le faire!
Aurélien s’éloigne et ferme les yeux. Philippe, émoustillé, obtempère. Au fur et à mesure de la progression de l’acte, le silence se meuble de soupirs, puis de gémissements. À l’écoute exacerbée, le va-et-vient de la main sur la hampe émet un chuintement mouillé. L’hésitation et le froissement des draps, suivis d’un feulement suggèrent un anneau pénétré. Un bref silence précède l’accelerando débouchant sur des râlements essoufflés. Le cri étranglé d’Aurélien fait écho.
La nuit suivante est dédiée à l’odorat. En préliminaires, toutes les odeurs corporelles, des pieds à la tête ainsi qu’envers et avers, sont humées, les paupières closes et sans se toucher. Des tampons d’ouate obstruent leurs oreilles. Ils se placent à l’opposé, chacun se masturbant, le nez tout proche du membre turgescent de l’autre.
Le soir d’après, le regard est privilégié. Sensualité des gestes destinés à séduire l’autre. Faire l’amour à soi tout en le faisant des yeux à l’élu.
Ils attendent l’obscurité pour le toucher, procédant cette fois l’un après l’autre. Philippe en premier, explorant en aveugle l’entièreté du corps de son amant. C’est simultanément, toutefois, que l’un stimule l’autre et en jouit.
Pour le gout, seul l’usage de la bouche est permis. Le sucré, le salé, le doux et l’amer des corps léchés et sucés.
C’est au moyen de tous leurs sens qu’ils s’unissent le lendemain.
1933 Service de nuit
Sans faire le moindre bruit, Aurélien s’approche du comptoir de la réception et s’y accoude nonchalamment. Après que son « oncle » eut mis fin à sa conversation téléphonique, urbaine, le jeune homme l’apostrophe familièrement.
Salut, Laszlo. J’ai besoin de te parler.
Le dénommé sursaute et se retourne vivement d’un quart de tour pour faire face à l’intrus. Manifestement pris de court, il balbutie.
Mais qu’est-ce que…
Le ton de la voix se raffermit.
Va dans mon bureau, la porte immédiatement à gauche. Attends-moi, juste le temps de trouver un remplaçant au pied levé.
Aurélien examine le saint des saints, exigu, austère, en contraste avec le luxe ambiant. Il enlève son veston, l’accroche à la patère et s’installe. Il tasse quelques paperasses empilées sur le pupitre et y appuie ses longues jambes tout à son aise.
Un quart d’heure plus tard, Laszlo le rejoint. Après s’être assis dans le fauteuil du patron, il envisage son « neveu » d’un oeil sévère.
Je t’accorde quinze minutes.
La peau d’Aurélien prend une teinte d’un rose délicat.
Si je viens te déranger ici, c’est pour une raison… liée à ton travail… Euh… Philippe m’a avoué qu’il éprouvait parfois l’envie de vendre son corps à qui le voudrait, ceci même s’il se trouve fort heureux de notre union… J’ai pensé que, si tu pouvais l’employer de temps à autre pour un « service de nuit », cela comporterait un triple avantage, à savoir : concrétiser son fantasme, augmenter l’épaisseur de son portefeuille et lui faire courir moins de risque que dans la rue de choper une chaude-pisse ou pire.
La paleur de Laszlo s’était accentuée au fur et à mesure de la déclaration surprenante d’Aurélien. Il conserve un long silence.
… Mais comment as-tu appris?
Cela fait plusieurs années que je suis au courant des activités clandestines de la maison. Adolescent, j’aimais bien jouer au grand détective… Ainsi, je me suis senti plus à l’aise pour te demander de m’initier à l’amour… Ne fais pas cette tête! Jamais, mon… affection pour toi n’a été altérée par le fait d’apprendre que tu exerçais une profession bien particulière… Au contraire et tu le sais bien!
… … Je vais voir ce que je peux faire… Philippe a beaucoup de charme.
J’y ai succombé.
Aurélien n’ajoute rien mais il reste assis les paupières baissées. Une courte hésitation plus tard, Laszlo le relance.
… Je sens qu’autre chose te préoccupe…
Je l’avoue… Depuis cet aveu, une fois passés les affres de la jalousie, je rêve de façon récurrente que… qu’un autre le caresse et le prend sous mes yeux… Est-ce qu’il arrive qu’un hote souhaite faire l’amour avec deux hommes?
… Pas très souvent mais cela s’est déjà produit… Tu es encore mineur…
À ce que je sache, ce facteur ne t’a jamais vraiment préoccupé… pas très longtemps du moins…
La voix de Laszlo s’altère de façon perceptible.
… Tu ferais mieux de partir tout de suite… Je garderai en tête tes requêtes.
Aurélien se lève et se dirige vers la porte. La main sur la poignée, il y donne un tour de clef, plutot, et se retourne.
Tu oublies ton…
Le jeune homme consulte sa montre de gousset.
Il reste huit minutes.
Laszlo ne dit plus rien. Aurélien remarque l’apparition d’un trait de sueur juste au-dessus de la lèvre supérieure, naturellement gonflée.
Aurélien fait le tour du bureau et s’agenouille. Laszlo n’émet aucun signe de protestation lorsque le premier défait sa braguette. Aurélien en dégage le membre en érection et le met dans sa bouche. Tout en le suçant, Aurélien se libère de ses souliers, de son pantalon, puis de son caleçon. Lorsqu’il sent aux mouvements de Laszlo, que celui-ci ne se dominait plus, il se détourne et présente son postérieur. Laszlo n’y résiste pas. Son pénis s’enchasse aussitot à l’intérieur du rectum accueillant.
Oh, mon amour, prends-moi tout au complet, j’en rêve depuis si longtemps!
Les mains de Laszlo s’insinuent sous la chemise et s’égayent fébrilement sur l’épiderme imberbe, doux comme de la soie, passant du dos et des fesses au torse, puis au sexe durci. Aurélien écarte davantage les jambes, approfondissant la puissante sodomie, laquelle acquiert de l’ampleur. Devenu incapable de se maitriser, Laszlo monte carrément sur lui. Aurélien s’abandonne et son sperme jaillit sur la moquette. Laszlo répand sa laitance à l’intérieur de son amant.
L’hôte du 406 ouvre la porte au premier coup de loquet et s’efface derrière pour laisser entrer son visiteur précédé d’un chariot.
Ah, mon repas. Merci beaucoup.
Un billet de banque change de main, puis un deuxième. Laszlo, inhabituellement obséquieux, remercie et se détourne.
Restez, je vous en prie.
Ils se retrouvent dans les bras l’un de l’autre, rieurs, tendres.
Notre scénario comporte quelques trous. Que je suis heureux de te voir! Cela fait un an, au moins!
Le patron fraye avec la clientèle maintenant?
Si l’on me demande avec cette lueur dans le regard, comment résister? Mais soupons avant que cela ne refroidisse.
Ils s’embrassent tendrement. Laszlo s’empresse, ensuite.
Non, cette fois, c’est moi : j’ai appris depuis le temps.
Laszlo l’observe s’acquitter d’un service impeccable.
Mes leçons involontaires ont porté fruit!
Ma femme n’en revient pas!
Ils s’esclaffent, puis s’attablent.
Tout en devisant, ils entament leur souper plantureux.
Tu sembles rajeuni de dix ans! Plus mince, plus élégant, aussi. Surtout, bien dans ta peau : cela se voit dans tes gestes.
Tu as toujours été perspicace. L’élégance, c’est à ton contact qu’elle s’est raffinée. J’aime t’observer. Quant au reste, j’ai négocié avec mes démons et ma démone…
Raconte-moi.
Il y a de cela six mois, cela n’allait vraiment plus. Le poids de mon lourd secret m’étouffait, littéralement. Sous son conformisme de bon teint, Marie-Berthe est une personne très sensible. À vrai dire, je ne m’en étais jamais rendu compte jusque-là. Un soir, elle a prolongé indument notre souper. Les enfants étaient partis je ne sais trop où. De sa petite voix pointue, que j’ai toujours trouvée particulièrement agaçante, elle a lancé : « Gustave, nous devons parler, vraiment. » Je l’ai regardé bouche bée. « Cela me déplairait monsieur que nous en arrivions à envisager un divorce déshonorant. Quoique vous semblez en douter, j’éprouve une grande affection pour vous. Je trouve désolant que vous vous soyez enfermé dans votre forteresse sans égard pour votre entourage. Vos affaires périclitent, vous vous négligez et nos fils cherchent en vain votre attention. Ils sont encore sous votre responsabilité et ont besoin de votre amour… Et moi de votre soutien, ce dont vous n’avez jamais été avare pourtant. Qu’est-ce qui vous hante, mon époux. Que dire, sinon la vérité? Je crois qu’elle s’attendait à tout mais surtout à apprendre l’existence d’une maitresse, comme le laissaient supposer mes absences fréquentes et non justifiées hors du foyer et aucunement à l’aveu que je lui ai fait, à savoir que j’ai rencontré une personne, mariée également, pour qui j’éprouve de tendres sentiments et que je n’avais nulle intention de cesser de fréquenter Grégoire, malgré ce qui nous liait, elle et moi. Je subodorais un éclat, son dégout, certainement, mais pas son soupir de soulagement! « Votre confidence me prouve que nous pouvons au moins communiquer. Je me sens très seule depuis que vous m’avez sorti de votre vie. Quand nous nous sommes mariés, nous avons connu une certaine bonne entente. Nous avions des projets communs. Vous me donniez l’élan nécessaire pour aller de l’avant… Ceci atténuait d’une certaine façon votre… manque d’imagination au plan intime. Je crois que je n’aurais pas toléré d’être laissée pour compte par une jeunesse affriolante, alors que je me suis usée à tenir votre foyer. Que vous soyez inverti me choque, certes, mais c’est sans commune mesure avec le fait que vous ayez été capable de me le confier. Accepteriez-vous de perpétuer notre mariage, même si je vous apprends que j’ai la ferme intention de vous être infidèle? » Je me suis agenouillé devant elle et j’ai pleuré de joie… Désolé, je m’aperçois que je prends toute la place.
C’est merveilleux de t’entendre. De te savoir si heureux, surtout.
Sans toi, ceci n’aurait jamais été possible, Laszlo.
Le moment d’émotion passé, autour d’un café, ils reprennent le dialogue.
À toi, maintenant.
En ce qui me concerne, rien d’aussi fertile en émotions! L’ancrage que mes amours me donnent fait pousser mes ailes. Parfois, au beau milieu d’une activité, je cesse de respirer de peur que tout s’écroule autour de moi. Notre fils, Solime, pousse comme une belle plante, saine! Aspect travail, je suis passé de l’autre côté du comptoir, en quelque sorte, Germain ayant pris sa retraite. J’aime bien jouer à l’entremetteur, finalement. Ceci me fait penser à…
Gustave attend le résultat de la cogitation des idées de son ami avec sa patience attentive.
J’ai envie de te demander un service qui peut s’avérer franchement agréable… J’ai une recrue potentielle. Je côtoie le jeune homme tous les jours mais il reste pour moi une énigme. Certes, il est séduisant : charmeur, longiligne et avec tout aux bons endroits, écorché vif, aussi, cela se voit dans son regard… intériorisé, je dirais. Il est aussi à fleur de peau. La qualité qui m’apparait la plus importante dans notre exercice, c’est l’empathie… Bref, je me sens perplexe et dubitatif. Ton opinion m’aiderait à décider de son sort.
Si j’ai bien compris, tu me proposes « d’étrenner » ce garçon en même temps que toi!
C’est crument dit mais exact.
Je crois que je deviens libidineux avec l’âge… Et toi aussi.
Laszlo s’abstient de commenter mais sourit.
Sers-nous un cognac pendant que je téléphone.
Philippe répond à la troisième sonnerie impatiente.
C’est Laszlo. Je t’attends à la suite 406 dans une demi-heure et en tenue de rigueur. Nous sommes approximativement de la même taille.
J’y serai.
Aurélien, qui s’apprêtait à se coucher, lève des yeux surpris en le voyant.
Mais où vas-tu ainsi fringué avec un costume de Laszlo et à cette heure?
Devine!
… Me raconteras-tu?
En détail, si tu le souhaites.
C’est le cas. Je t’aime.
… Bas les pattes! Demain, Aurélien.
Laszlo accueille Philippe dès qu’il frappe à la porte. Attentivement, il l’examine des pieds à la tête, manifestement approbateur.
Viens, je veux te présenter à un ami très cher.
Il le prend par la main et le mène vers l’homme d’âge mûr, replet mais plutôt avenant, élégamment habillé, qui sirote une boisson.
La même chose?
… Euh… non… juste de l’eau.
Laszlo la lui apporte. Il l’invite à s’asseoir entre eux. Philippe le regarde, implorant et incertain. Laszlo s’absorbe dans la contemplation de ses ongles manucurés.
Philippe termine son verre à petites gorgées et met ce temps à profit pour ajuster son diapason. Au lieu d’entamer une prévisible et laborieuse conversation, il effleure la joue barbue. Il prend la main de son hote et l’amène sur son sexe, lequel saillait sous le vêtement. Il saisit également celle de Laszlo et la juxtapose au même endroit. Instinctivement, les deux hommes se rapprochent et le serrent de près. Philippe offre ses lèvres à Gustave, puis à Laszlo, tout en se laissant complaisamment peloter.
J’ai envie de vous sucer, monsieur. Me le permettez-vous?
Philippe s’agenouille. Gustave défait sa braguette. Philippe en sort le membre dur comme du marbre. De l’autre main, il s’attaque au pantalon de Laszlo, lequel se laisse faire. La douceur prodiguée avec un enthousiasme indubitable excitait visiblement Gustave et en était de même pour Laszlo sous les attouchements presque timides.
Dévêts-toi, mon coeur.
Philippe se relève. Ses narines frémissent.
C’est donnant, donnant, messieurs.
Le regard hypnotisé, ils imitent chacun des gestes posés avec une lenteur délibérée. Lorsqu’il se trouve nu comme un ver, Philippe se rapproche d’eux en même état. Gustave accapare le centre frontal et, Laszlo, le dorsal. Leurs mains s’égaillent sur son corps parfait, s’égarant sur son torse ou son dos. Laszlo écarte les fesses minces pour le lécher et le pénétrer de la langue. Gustave lui prodigue une fellation tout en jouant avec les testicules petits et fermes. Philippe se pame sous ce double hommage à sa chair juvénile. Il pousse un cri en éjaculant.
Je voudrais que vous m’enculiez, monsieur.
Philippe repousse Laszlo et s’agenouille devant lui. D’un regard, celui-ci donne son accord. Philippe se penche sur le pénis. L’énorme verge, plantée rudement au tréfonds de lui, le fait hurler et interrompre ce qu’il avait entrepris. Il se reprend et creuse les reins. Gustave caresse la croupe écartelée avant de commencer son dur martèlement. Laszlo appesantit sa main sur l’échine gracile. Le temps s’étire de plaisir douloureux. Au faîte atteint presque simultanément, les deux hommes se déversent à l’intérieur des orifices comblés.
Pendant que Philippe prenait une douche, Laszlo et Gustave, essoufflés, font toilette. Dans la chambre, ils s’allongent et fument. Philippe, cheveux mouillés et beau à damner, surgit devant eux. Il s’assoit au bord du lit, du côté de Gustave.
J’ai envie de vous aimer à ma manière et complètement… Euh… j’aimerais que vous demeuriez passif, monsieur.
Dans l’état où il se trouvait, Gustave aurait même consenti à se faire battre comme platre, pourvu que ce soit tout de suite et par lui. Mettant à profit ses expériences avec Aurélien, Philippe explore le corps, rondelet et désirable, sous toutes les coutures. Laszlo s’accoude et suit du regard le lent ballet très sensuel, lequel connait son apothéose avec une douce sodomie qui emporte les partenaires vers la volupté. Laszlo examine ensuite la chair fraiche de Philippe. Puis ils interprétèrent, ensemble, une symphonie sensuelle et festive. Laszlo s’abandonne aux assauts très virils de son amant. Leur coït atteint le paroxysme beaucoup plus tard. Tous trois s’endorment ensuite paisiblement.
Philippe était parti lorsqu’ils s’éveillent.
Veux-tu vraiment mon opinion? Laisse faire l’empathie.
Ils rient.
T’en vas-tu aujourd’hui?
Je reste encore ce soir. Pourras-tu te libérer?
Après souper, seulement : nous fêtons les cinq ans de Solime.
Juste toi et moi, cette fois.
Cela m’a manqué, aussi.
Ils se rendorment dans les bras l’un de l’autre.
Avant de signer la fiche remplie par le maitre d’hôtel, le client hésite un long moment. Laszlo attend patiemment.
J’aimerais bien avoir de la compagnie, ce soir…
… Je suis désolé de ne pouvoir vous aider en ce domaine, monsieur.
… Évidemment, je vous serais très reconnaissant de trouver ce que je cherche, genre sirène flamboyante… Vous devez bien détenir quelque source…
La réputation de cet établissement est sans tache, monsieur.
… Même avec ceci?
Le billet de banque reste sur le comptoir. Laszlo consulte son registre.
Je regrette mais après vérification, je m’aperçois que nous affichons complet.
L’homme en rajoute deux autres.
Veuillez quitter les lieux.
Laszlo se détourne, emportant le feuillet d’inscription qu’il met ostensiblement à la corbeille. L’ex-client l’interpelle avec grossièreté. Imperturbable, Laszlo l’envisage. Il se retourne, saisit le combiné et compose le numéro de l’opératrice.
Mademoiselle, s’il vous plait, passez-moi le service de police…
L’autre, abandonnant la partie, lève les bras en signe de reddition et, après avoir empoché son argent, s’éloigne vers la sortie.
Philippe, témoin de toute la scène et qui venait toucher son enveloppe ainsi que s’informer d’un éventuel rendez-vous, parait fort intrigué.
Mais pourquoi l’as-tu refusé,celui-là?
Je soupçonne qu’il est en réalité un agent de la brigade des moeurs. Mais même s’il n’en fait pas partie la simple prudence ainsi que mon intuition me dictaient de me méfier de ce personnage patibulaire. D’autant plus qu’à l’accoutumée et si sa tête m’est inconnue, c’est moi qui prends l’initiative d’offrir ou non le service de nuit. Très souvent, cela arrive que l’on me fournisse au préalable une recommandation prenant la forme de : « Votre hôtel m’a été vivement conseillé par monsieur Untel »; mais même avec un répondant, mon sixième sens entre en ligne de compte dans mon acceptation ou mon refus poli. Je me trompe rarement sur la sincérité des êtres, ce qui s’avère primordial pour votre sécurité… Une seule fois, j’ai erré : le jeune homme a subi des violences dégradantes, l’individu l’ayant pris en exutoire à son trop-plein de frustrations. Je me suis juré qu’une telle situation ne se représenterait plus. Ici, le client est roi, certes, mais aucun d’entre vous n’est tenu d’accepter ce qui menace son intégrité. Malheureusement, je ne peux pas vous offrir d’assurance tous risques, bien que je tente d’y parvenir.
Je n’avais pas saisi l’importance de ton rôle… J’ai tout à apprendre, je crois.
Pas tout, certainement… Peut-être un peu plus de sensibilité aux autres, en plus d’acquérir une teinte de vernis social… Par ailleurs, mon ami est reparti fort enchanté de son séjour… En ce qui me concerne, tu l’as fort bien compris, déjà… Je devrai éviter de partager souvent ton intimité : je comprends trop bien l’engouement d’Aurélien.
… Un code de vie, là aussi.
Je dirais que c’est une question de survie.
Aurélien insiste encore une fois.
Alors, vas-tu me raconter enfin?
… J’hésite parce que ton « oncle » est directement impliqué.
Tu as couché avec Laszlo?
Ainsi qu’avec un autre homme d’âge mûr.
… C’était comment?
Raide mais jouissif.
Je veux tout savoir!
Pourtant, je ressens ta douleur, bien plus profonde que pour une simple… Hein? ! Laszlo et toi?
… Je l’avoue… Une sorte d’amour latent, quasiment incestueux et que ni lui ni moi ne souhaitons approfondir, mais qui existe malgré nous, bien que tout nous sépare et même s’il y a toi dans ma vie…
… Je me rends compte que je ne connais pas grand-chose de toi…
Mets cela entre parenthèses, mon coeur puisque pour le moment, je suis obsédé… Mime leurs gestes tout en me narrant.
Au milieu du récit, Aurélien l’interrompt pour satisfaire sur l’orateur ses bas instincts. Celui-là, complaisant, le laissa faire et en jouit. Il renoue le fil, ensuite.
Au sortir de la douche, j’ai ressenti qu’était venu le temps du vrai test. J’ai mis à profit tes leçons : j’ai procédé à ta manière sensuelle… Je vais te le faire au lieu d’en parler.
… Ah! … Philippe…
Celui-ci délaisse le lobe de l’oreille pour embrasser les lèvres et gouter la langue. Chaque terminaison nerveuse de l’épiderme d’Aurélien, de la pointe des cheveux jusqu’au bout des orteils, se dresse du désir d’être effleurée, caressée, léchée, sucée. La demi-heure y passe et tout l’avers aussi. À la dernière note, la bouche de Philippe se referme autour de la couronne pénienne pour recueillir la sève d’homme. Languissamment, Aurélien se retourne. Il connait semblable traitement. À l’ultime arpège, Philippe prépare son réceptacle. Sa verge remplace ses doigts. Il se couche sur son amant qu’il fourre à petites poussées légères et jusqu’à ce qu’ils en jouissent. Philippe demeure ancré à Aurélien. Ils s’endorment, mains jointes.
La nuit dérange leur inconfortable posture. Au matin, à peine les yeux ouverts, ils se masturbent avec fébrilité sous le regard de l’autre.
Est-ce que Laszlo t’a mis au cul son gros pénis dur comme le marbre?
Durant la nuit pendant que… Gustave dormait, Laszlo est monté sur moi et m’a sailli aussitot… C’était indicible!
Les geysers jaillissent simultanément.
L’oeil sévère, Laszlo considère le jeune homme qui se tenait accoudé au comptoir de la réception et lui souriait de toutes ses dents éclatantes.
… C’est préférable que tu évites de me retrouver ici.
Je viens pour réserver une suite…
… Je ne crois pas…
À partir de maintenant et jusqu’à demain. Y aurait-il quelque inconvénient à ce qu’un souper pour deux, me soit servi vers dix heures?
… Je veillerai à ce qu’il en soit fait selon vos désirs… Voici la carte.
Prenant tout son temps, Aurélien compose un menu recherché que Laszlo note avec une conscience professionnelle admirable.
… Je souhaiterais prendre ce repas en bonne compagnie…
… … Puis-je vous demander de préciser vos préférences?
… Elles vont vers un homme d’expérience, certainement plus près de votre âge que du mien… Et j’ai un faible pour les beaux blonds…
Jusque-là se fuyant, leurs yeux se rencontrent. Ceux d’Aurélien, limpides, ceux de Laszlo, tourmentés. Ce dernier perd contenance.
Aurélien… Je ne crois pas…
Je t’en prie, Laszlo.
Celui-ci cède finalement. Il baisse les paupières et, la voix tremblante, il se réfugie dans son rôle de maitre d’hôtel.
Veuillez remplir les fiches suivantes, monsieur Gaboriau… Votre signature est nécessaire sur les deux… La dernière note sera détruite après acquittement, bien entendu.
Aurélien signe sans presque sourciller les notes salées, particulièrement celle du « service de nuit ».
Karol raccroche et transmet le message à Eugénie.
Laszlo a téléphoné : il ne rentrera pas ce soir.
Ah… Aurélien est parti à Québec une journée à l’avance : il a envie de visiter les lieux avant de se consacrer au travail. Il a dit qu’il reviendrait mardi… Karol, je me pose des questions sur les absences fréquentes de Philippe… Je n’ai pas osé interroger mon fils à ce sujet… Mais, je me demande… Ses sorties nocturnes… Aurélien ne semble pas en prendre ombrage, pourtant… Au contraire, quand son ami retourne au bercail, il lui colle au train que c’en est quasiment gênant! … Un commis dans une banque ne travaille généralement pas à l’extérieur des heures ouvrables… En examinant les comptes, je me suis aperçue que sa contribution s’est mise à excéder de beaucoup ce dont il gagne réellement…
Et où te mènent tes déductions, ma chère épouse?
… À l’occasion, Philippe travaille pour Laszlo.
… C’est probablement le cas mais notre époux ne l’avouerait même pas sous la torture… Philippe est un chaud lapin, c’est évident… Ceci l’aidera à trouver un exutoire.
Une question de point de vue!
Aurélien est un être sexué, tout comme toi et moi!
… Tu as raison… Et les deux moineaux semblent se trouver fort heureux de la situation… À ton air, j’imagine à quoi tu penses!
Des similitudes se présentent…
Eugénie éclate de rire.
Aurélien laisse entrer son visiteur, puis ostensiblement, verrouille la porte. Sans mot dire, Laszlo les sert. Ils s’attablent.
… J’ai souhaité de la « bonne compagnie »…
… Veuillez me pardonner… Excellent choix, ce rosé.
Laszlo, je sais que tu m’en veux, mais…
Non. Je n’aurais jamais dû accepter de venir, même et surtout à tes frais. Soupons et restons-en là.
Je refuse! Cesse de me traiter comme si j’étais encore un adolescent attardé! … C’est toi qui m’obliges à employer de tels moyens discutables. Et je vais payer chaque sou que me coutera ce séjour, « bonne compagnie » ou pas!
… Je ne suis pas certain de bien comprendre ton comportement.
Aurélien pose son avant-bras sur la table, paume ouverte.
Mets ta main sur la mienne et ferme les yeux. Ne pense à rien d’autre qu’à ce contact.
Laszlo hésite mais obtempère. Le souffle coupé, il geint. Aurélien presse doucement les doigts, puis mont dans creuset enserre légèrement le poignet. Le plaisir irradie par tout leur corps et s’épanche en laitance séminale. Aurélien rompt leur brève étreinte. Ils tremblent tous les deux.
Comprends-tu?
Laszlo hoche la tête. Mais il tente de faire abstraction de son émoi en poursuivant le service. Aurélien l’observe en silence, attentif au moindre geste. Il rattrape de justesse l’assiette ainsi que la coupe qui vacillait sur sa base. Ils terminent sans parler.
Aurélien entame doucement.
Philippe, c’est l’air que je respire, la terre qui me nourrit et la source où je m’abreuve. Sans lui, je n’existe pas. Toi, tu es le feu qui embrase mes reins, enflamme mon coeur et illumine mon âme. Sans toi, je ne vis pas… Est-ce que mon inclination est réciproque, Laszlo?
Tu le sais depuis longtemps!
Et je souffre, « depuis longtemps », d’une fin de non recevoir!
Mais…
Cesse de te réfugier derrière Karol et Eugénie! Rien de ceci ne les concerne! Il n’y a que toi et moi ainsi que des instants de vie que nous pouvons partager si seulement tu sors de ta coquille, de temps en temps! … Je t’aime, Laszlo.
Je t’aime, Aurélien.
Ils nouent leurs doigts, se perdant dans les prunelles de l’autre.
Viens, j’ai envie de…
Te serrer d’un peu plus près.
Ils se sourient.
Les deux hommes se blottissent dans la causeuse, savourant paupières closes le contact rapproché de l’autre.
Je suis tellement ému que mon coeur va éclater!
Laszlo pose la main à l’endroit approximatif de l’organe de vie.
C’est merveilleux qu’il batte ainsi pour moi. Et le mien, pour toi : touche.
Leurs lèvres se joignent, aussi.
Promets que ces secondes ne seront pas les dernières.
Chaque fois que tu iras à l’extérieur de la ville, pars une journée à l’avance, mais pour ici. Mes bras te seront toujours ouverts, je le jure.
Ce sera notre secret. J’en rêve depuis si longtemps, mon amour!
Aurélien.
Ils s’embrassent encore, éperdus d’une passion mutuelle qui ne voulait que s’épancher. Leurs mains se heurtent à mi-chemin de l’entre-jambes de l’autre. Ils emmêlent leurs phalanges un moment avant d’atteindre leur cible.
Fais jouir mes yeux d’abord.
La rupture de leur étreinte ne se fait pas immédiatement. Puis, le regard devenu fiévreux, paupières à demi closes, Aurélien, haletant, suit le déroulement du lent effeuillement sensuel, caressant des prunelles chaque centimètre de peau récemment découverte. À l’instar et un à un, ses propres vêtements disparaissent, mais il reste assis, toutefois.
Un doigt de cognac?
Par habitude, Laszlo s’acquitte du service. Ils sirotent lentement le nectar, verges toujours brandies mais sans se toucher. D’un va-et-vient visuel, Aurélien masturbe son amant. Les giclées lactées atteignent son thorax en même temps que les siennes celui de l’autre.
Allons dans la chambre, mon amour.
Main dans la main, ils s’y rendent et s’allongent après avoir repoussé hativement le couvre-lit. Leurs dents comme leurs corps s’entrechoquent. Subitement voraces, ils tatent et goutent tout ce que l’autre offre, se bousculant ou se complétant puisque c’est la même chose. Laszlo le fait s’agenouiller pour vandaliser son derrière, de la langue d’abord, puis du sexe, mais brièvement. Aurélien le renverse et fait de même. Il se retire de lui, s’interdisant de jouir dans l’immédiat. Les brèves pénétrations alternées se font de plus en plus fréquentes. Brusquement, presque au faîte, ils cessent leurs attouchements. Laszlo allume une cigarette. Ils la partagent. Aurélien se met à tousser.
Laisse faire les commentaires sur l’état de mes poumons.
Ils éclatent de rire.
Après, je vais te défoncer les entrailles, mon amour.
Laszlo hocha la tête et frémit.
Ensuite, je te prendrai fougueusement, tant et tant que tu hurleras à la fois de douleur et de plaisir, tout en jouissant encore.
Ils fument sans plus parler, les yeux dans les yeux.
Aurélien écrase le mégot et se brule les extrémités. Laszlo lèche les brulures. Ensuite, il s’étire sur le ventre, jambes en V. Aurélien écartèle les fesses. Il joue avec l’anneau, en provoquant de sa langue le resserrement ou la dilatation.
Mets-moi ta queue, je t’en supplie!
Aurélien obtempère sans coup férir et s’allonge sur lui. Il se hisse de manière à le dominer à la verticale. Laszlo crie sa douleur, puis son plaisir à se donner ainsi captif. Bien plus tard, assouvi, tremblant, Aurélien le démonte et retombe sur le côté.
Agenouille-toi et appuies-toi à la tête du lit.
Laszlo se place derrière Aurélien et s’incruste au dedans de lui. Il le saisit d’abord à bras le corps, venant bien près de l’étouffer, puis il appuie sur les hanches pour l’approfondir. En lieu et place du va-et-vient attendu, Laszlo le caresse partout, devant et derrière. Il empoigne le pénis à nouveau bandé et forme un fourreau. Avec des gestes lancinants, il emmène son amant à l’orée du paroxysme. Ce n’est qu’alors qu’il se déchaine sur lui. Ils se rejoignent dans l’aboutissement de l’oaristys. Ensuite, ils se reposent, mains jointes et fort émus.
Ils se baignent, puis recherchent le plaisir des sens, l’un en virtuose de l’archet, tirant de son instrument les plus subtils arias, l’autre animé par la fougue d’une passion trop longtemps contenue. Et encore au matin, avant et après leur petit déjeuner d’amoureux. Des élans du corps, en accord avec ceux du coeur et à l’unisson de la fusion de leur âme.
1935 Les risques du métier
La soirée allait bon train malgré des débuts assez guindés, principalement en raison de l’inexpérience relative d’Aurélien et de la minceur de la couche de vernis social chez Philippe dans ce genre de contacts préliminaires, et pour lesquels Laszlo était passé maitre. De l’autre côté du balancier, ce manque d’expérience et cette fraicheur brute, mêmes, ajoutaient un certain piquant à la situation. Les hôtes, un couple masculin dans la quarantaine épanouie, cherchent d’abord mine de rien à se faire une idée de ceux à qui ils avaient affaire. Les réponses désarmantes des jeunes gens, manifestement sincères à ce quasi-interrogatoire camouflé en conversation les laissent pantois. Durant le café, Rénald continue seul à s’entretenir avec son vis-à-vis. En même temps, Aurélien et lui se rendent compte de ce qui se passait à côté : Paul et Philippe se mangeaient du regard, littéralement. Rénald, étrangement décontenancé, propose de prendre un verre. Aurélien les sert.
D’emblée, Paul et Philippe s’assoient côte à côte dans une causeuse. Ils prennent l’autre siège. Aurélien détaille Paul tandis que celui-ci, à un fil de distance de Philippe, accrochait les yeux de celui-là. Rénald, quant à lui, observait attentivement l’objet de la flamme de son ami. Philippe termine son cognac d’un trait, imité en cela par Paul. Un instant plus tard, ils s’embrassaient. Aurélien passe un bras derrière Rénald, effleurant la nuque au passage, et presse la large épaule. Il ressent un léger recul. Il laisse sa main en l’état, incertain. Puis, comme il le faisait souvent lorsque Philippe rentrait tendu, il masse très doucement les vertèbres cervicales. L’autre abaisse ses paupières un moment, les soulève.
Les protagonistes s’enhardissent. Malgré la différence d’âge et leur absence de lien de parenté, les deux hommes se ressemblaient, autant physiquement que dans les manières de faire, délicates, sensuelles, anticipant intuitivement les caresses plaisantes pour le partenaire. Petit à petit, les corps se mettent à nu, s’explorant mutuellement. Philippe s’agenouille devant Paul et happe le sexe tumescent entre ses lèvres. Celui-ci s’étend à demi. Philippe l’enjambe à contresens. Ils suçaient le pénis offert comme un sucre d’orge.
Rénald n’émet pas la moindre protestation quand Aurélien extirpe du pantalon le membre viril, moite et doux au toucher. Les légers effleurements au long de la hampe lui fait prendre rapidement un intéressant état. Aurélien amène la main voisine jusqu’à son propre organe, qu’il avait dégagé entre-temps. À ce moment-là, Rénald semble prendre conscience de ce qu’il était en train de faire. Il ouvre la bouche, puis la referme. Et ses doigts, aussi. Aurélien gémit et accentue également la pression. Ils se zyeutent l’entre-jambes mais reportent bien vite leur attention voyeuse sur le couple en mal d’aimer.
Paul se dégage.
Donne-moi ton cul que je le ramone.
Philippe ne se fait pas prier davantage : il s’accroupit à hauteur du visage de son amant et maintient ses fesses écartées. Le souffle d’Aurélien se suspend.
Empale-toi, maintenant.
Philippe obéit, tout en lui faisant face, le laissant ainsi libre de le manipuler à sa guise. Paul s’y adonne avec un enthousiasme indéniable que Philippe doit modérer.
Mollo! … Je veux te fourrer aussi.
Paul éjacule aussitôt.
Agenouille-toi… Penche-toi…
Debout, Philippe appuie une jambe repliée sur le dossier. Voluptueusement, longuement, il prend son plaisir, caressant la croupe et l’échine de sa monture complaisante. Rénald pousse un cri retentissant. Aurélien, main en creuset, recueille la laitance. Il l’avale. Son propre sperme se répand sur les doigts caressants. Ils s’embrassent.
Alors que les deux autres faisaient toilette dans la salle de bain, Aurélien les nettoie sommairement et entraine Rénald dans la chambre. Tout en le caressant, il le dévêt, puis se déshabille ainsi que le lit. Il persuade son partenaire d’adopter l’horizontale. À leur arrivée, Paul s’insinue entre eux et Philippe se love derrière Rénald. Le couple échange un long baiser. Aurélien fait signe à Philippe de s’écarter et agit à l’instar. Il contourne leur couche et le rejoint. Eux aussi font l’amour, homme sur homme, les yeux dans les yeux, très lentement ainsi que complètement, et pour chacun.
La nuit bien entamée, Paul se lève et effectue des ablutions. Rénald le rejoint. Il urine, puis se lave à son tour. Il regarde son ami par miroir interposé. L’autre soutient son regard.
Machiavel n’aurait pas mieux imaginé!
Paul baisse les yeux.
J’ai joué ma vie sur un coup de dés, Rénald.
… Que veux-tu dire?
Dix ans que je te regarde aller, six jours par semaine. Dix ans que nous faisons équipe émérite. Dix ans que je hume ton odeur mâle à pleines narines. Dix ans que mes amants possèdent ton visage… Ta promotion allant nous séparer, je me suis trouvé devant un choix très simple : soit je me déclarais, soit je me tirais une balle dans la tête… Compte tenu de ton rejet probable, c’était du pareil au même.
… Plutot tordu, ton plan!
Je suis un client régulier de cet hôtel. Ce qui s’y passe la nuit, n’a rien à voir avec la prostitution mercantile et personne n’exploite personne. L’établissement en retire une clientèle fidèle, certainement plus importante qu’ailleurs, et les créatures conservent l’entièreté des émoluments demandés pour obtenir leurs délicieuses faveurs.
Pourtant, tu as tablé là-dessus pour m’entrainer dans ton piège!
Quand j’ai souhaité une compagnie masculine, double en sus, tu as failli te trouver victime d’une attaque d’apoplexie! …
Pourquoi as-tu accepté de jouer le jeu?
L’équivalent d’un mois de salaire brut! … Parce que je t’ai toujours fait confiance!
Et là, maintenant, vas-tu sortir ton insigne?
L’autre ne répond pas
Paul le relance après un long moment.
Pourquoi es-tu resté célibataire?
… Je ne sais pas. En fait, je n’ai jamais rencontré une femme avec qui j’aurais voulu passer ma vie… J’ai pris conscience, ce soir, que le même sexe existe…
Tu as failli brandir ton mandat lorsque je baisais avec Paul!
Je ne l’ai pas fait… Il te plait?
Beaucoup… Cela ne change en rien ce que j’éprouve pour toi. Je t’aime, Rénald.
Tu m’aimes! … Les policiers sont censés combattre le crime sous toutes ses formes… L’homosexualité, pour ne mentionner que celui-là, en est un… Du moins, je l’ai toujours cru!
Et maintenant?
… Nous avons fait l’amour…
… Le regrettes-tu?
Comment le pourrais-je? … Je ne sais pas si je suis capable d’aimer… Je me sens tout chamboulé à l’intérieur!
Retournons nous coucher.
Mais…
J’ai envie d’un contact rapproché avec l’autre beauté, tellement virile. Aurélien… Rien de mieux que la fornication pour asseoir les certitudes.
… Et après?
Rien. On les laisse tranquilles. En plus, ils s’aiment, c’est évident.
Assez, oui… Philippe te ressemble… J’étais très stimulé quand tu l’as… sodomisé, tantot… Te voir exercer ta puissance… Quand il t’a… monté… je me suis vu à sa place…
Paul se rapproche de très près.
Et pour ce que nous avons fait?
C’était assez « évident », non?
Un baiser d’amoureux conclut leur étreinte. Rénald murmure.
En passant, cette promotion, je l’ai refusée… pour pouvoir cheminer encore un bout avec toi…
Paul ouvre une bouche stupéfaite. Rénald en profite pour l’embrasser profondément.
Ils retournent dans la chambre, dans le lit, dérangeant l’emmêlement de la chair tout étalée et ensommeillée. Paul se love tout contre Aurélien, lequel le serre contre lui. Rénald s’allonge derrière Philippe et passe son bras autour de lui, à hauteur du sexe. Aurélien encule Paul en levrette, et Rénald, Philippe, dans la même position. Aurélien et Rénald se sourient, complices et raffermissent leur emprise respective. Ils s’observent mutuellement et de plus en plus excités. Aurélien libère son partenaire. Il se déplace devant lui, adoptant une posture de soumission au mâle de l’espèce. Paul le couvre. Philippe effectue le raccordement de la chaine. Paul assouvi, Aurélien se dégage et boucle la boucle en enculant Rénald.
Ils se reposent, languides. Les hotes s’enferment dans la salle de bain.
J’ignore pourquoi mais j’ai la très nette impression que Rénald n’avait jamais connu la férule d’un homme, auparavant…
Philippe hausse les épaules. Aurélien se blottit tout contre son amour.
Quelle nuit! J’en ai savouré chaque minute!
Moi aussi… Pour en revenir à mon intuition… Peu importe, ils s’aiment, c’est évident.