Le lac du revenant (Spirit Lake)
Louise Gauthier
Chapitre 6 : La mort, la renaissance
1944 Aurélina, fille d’Aurélien
Philippe, superbement élégant dans son uniforme tout neuf, embrasse Eugénie sur la joue, s’empare de son sac de voyage réglementaire, jette un coup d’oeil narcissique et approbateur dans la psyché et sort rejoindre Aurélien dans la voiture. Eugénie, jambes sciées, souffle en apnée, livide, s’assoit dans une des bergères du salon et attend immobile le retour de celui-ci. Au lieu du geste affectueux attendu et habituel, Eugénie apostrophe Aurélien, le ton péremptoire et définitif.
Je veux que tu te désenroles!
Je ne ferai jamais ça!
Tu vas te faire tuer!
Mais, nous sommes en guerre, maman! Ces nazis sous la coupe de Hitler commettent des atrocités : on doit les en empêcher à tout prix!
Je me contrefiche de toutes ces « vérités » qu’on nous assène jusqu’à la nausée à la radio et dans les journaux! Ce que je sais par contre c’est que mon fils de coeur va mourir au bout de son sang en terre étrangère! Ça, c’est la réalité!
Cesse!
Négligemment, ton petit général bardé de décorations héroïques va dire : « Envoyons ce régiment de fantassins en éclaireurs.» Tac-tac-tac. Les gars tombent les uns après les autres, transformés en fromages de Gruyère; il en survivra un ou deux pour raconter leur héroïsme à servir de pigeons d’argile. Boum-boum-boum. Voilà nos valeureux soldats fraichement débarqués fauchés comme du foin; il en survivra un ou deux pour raconter leur héroïsme à servir de chair à canon. Quant au reste des héros, ils seront tous morts au champ d’honneur, et toi avec!
Arrête, je t’en prie!
Aurélien, je t’en supplie!
Il s’agenouille devant Eugénie et lui prend les mains. Avec une patience attentive, il attend que sa mère de coeur récupère la maitrise de soi.
Le processus dérape en partie. Ils pleurent tous les deux à longs sanglots désespérés. La voix étranglée, Aurélien balbutie des paroles que Eugénie ne comprend pas. Le ton raffermi, il répète.
Je n’ai pas le choix.
… À cause de Philippe, n’est-ce pas?
… Il n’y consentira jamais : à ses propres yeux, il ne serait plus un homme digne de ce nom… Tu sais comment il est, et pourquoi… Je pars le rejoindre jeudi. J’irai avec lui, pour le protéger du mieux que je le peux. Je ne suis pas un lâche, mais un peureux. Alors, je vais tout faire pour qu’on ne revienne pas les pieds devant et la bouche pleine de terre.
… Ta décision est irrévocable, je le sens, Aurélien.
Elle l’est, maman.
Les traits blafards, Irina se dissimule dans l’encoignure pour qu’ils ne la voient pas en sortant de la pièce. Eugénie, en pleurs, court vers sa chambre et Aurélien, l’échine courbée, monte dans ses quartiers à l’étage. Bouleversée, Irina attend Karol au seuil de leur demeure.
Irina mais qu’y a-t? Tu es si pâle!
Aurélien part se faire tuer dans trois jours… Eugénie vient juste de l’apprendre.
Karol la considère sans comprendre. Elle précise laconiquement.
Il s’est enrôlé.
Exsangue, Karol vacille sur place.
Va rejoindre ta femme : elle a sacrément besoin de toi!
Au matin, les traits d’Eugénie se sont accentués de dix ans : les marques de l’âge. Aurélien arbore des cernes larges comme des soucoupes. Irina, quant à elle, avait au cours d’une nuit d’insomnie muri sa contribution bien personnelle à l’effort de guerre.
Subrepticement, Irina se glisse dans la chambre d’Aurélien. Elle donne un tour de clef. Voyant dans le noir comme une chatte, elle n’a aucune peine à repérer la lampe. Elle éclaire.
Tante Irina! Mais qu’est-ce que vous faites ici? Il est… minuit!
Une heure comme une autre pour parler d’avenir.
Mais… Ceci ne vous regarde pas!
Écoute-moi!
Pudiquement couvert de son drap, l’oeil allant vers l’éclaircissement, Aurélien s’assoit et allume une cigarette. Il tousse, puis s’excuse.
Tu as davantage de chances de mourir à la guerre que d’un cancer du poumon.
… Disons que les probabilités sont plus fortes pour le premier cas de figure.
Tu laisseras derrière toi un monde dévasté, Aurélien.
J’en suis conscient mais je n’ai guère le choix… Philippe…
Il irait droit en enfer que tu le suivrais. C’est l’amour, je crois.
Oui… Ma mère… Ça me déchire! Faire autrement, c’est mourir aussi. Je deviens fou! … Peut-être que nous en réchapperons.
Je comprends ta décision même si je ne l’approuve pas.
Irina s’assoit au bord du lit.
… J’ai besoin de dormir afin de survivre aux prochains jours.
Pas tout de suite puisque nous allons créer la vie pour que se perpétue la tienne.
… Je ne comprends pas!
L’enfant qui naitra de notre union sera ta descendance. Tu ne mourras pas, ainsi. Et Eugénie aura un petit-fils ou une petite-fille à chérir. Je veux le lui donner pour qu’elle ne périsse pas du vide de ton absence.
… Cela se peut que je revienne.
Le crois-tu, vraiment?
… Non.
Alors, on n’a qu’à s’y mettre, et demain aussi!
Quand Irina se rapproche, Aurélien recule.
… Je suis homosexuel.
Moi aussi. Et alors ?
… Je ne suis pas capable de bander pour une femme!
Tu ne le peux pas avec une putain, nuance!
Mais comment ?
Ta mine me le confirme, nigaud! Aurélien, ces basses considérations n’ont aucune espèce d’importance! Dans la noirceur, tous les chats sont gris. Pour toi, je serai Philippe que tu encules avec passion. Pour moi, tu seras Eugénie qui me pénètre de ses doigts phalliques… C’est essentiel que tu ne meures pas… Je ne serai pas une maman idéale pour ton bébé, j’en suis consciente…
… Tu n’es pas folle, Irina… Je suis heureux que tu veuilles devenir la mère de mon enfant.
Éteins.
Irina rejette le drap et ôte sa chemise de nuit. Elle s’allonge de flanc et pose, comme pour l’apaiser, sa main délicate sur le coeur battant la chamade.
… Euh… Qu’est-ce que je suis censé faire?
Laisse-toi aller : le reste viendra tout seul… Bien que de penser à Philippe, pourrait certainement t’aider… à durcir…
Elle caresse le corps masculin comme s’il avait été celui d’une femme, de la sienne en fait. Le pénis devient clitoris. Aurélien se met à gémir sous les drôles d’attouchements. Quand elle le couvre, il ferme les yeux. Irina aussi. Ils fusionnent dans l’amour charnel, le sperme aboutissant dans le creuset féminin secoué d’un raz-de-marée.
Au cours de la nuit, Aurélien triture les fesses d’Irina et la goute au fondement. Peu après, Irina corrige la trajectoire de la verge prête à la pénétrer. Ils s’accouplent ainsi, lui par derrière et elle sous lui. Et au matin aussi, alors qu’il la prend de côté et sans même la caresser.
Le lendemain soir, lorsqu’elle arrive, Aurélien l’attendait depuis quelques heures déjà, au lit, cerné d’un nuage de fumée délétère et toutes lumières allumées.
… J’ai réfléchi à ce que nous avons fait, hier… Je t’ai toujours aimé mais comme ma tante chérie… Tu me bouleverses, Irina… Cet enfant qui, peut-être, naitra de notre union, les motifs altruistes qui te guident! Notre dernière nuit ensemble, je veux que tu sois ma femme.
… Notre amour ne résisterait pas au temps. Si tu reviens de la guerre, tu retrouveras ta « tante chérie », grosse ou pas de ton fils… non, de ta fille, plutôt… Par toi, j’ai connu l’amour d’un homme, le seul et unique qui surviendra dans ma vie… Aurélien?
Viens tout proche, mon amour.
Irina se blottit contre lui.
Aide-moi à devenir ton homme.
Suis ton instinct puisque c’est la même chose!
Oh, oui. Je comprends!
Sa passion, dévorante, l’enveloppe. La mince chemise rejetée au loin, il fourrage sur et dans son corps féminin. Elle aussi, sur et dans le corps masculin. Il éjacule dès qu’il la pénétre.
Durcis encore, mon homme… Aurélien!
Oui! … Irina, ma femme!
Le pénis s’active à l’intérieur de son fourreau de chair vibrante. Elle s’ouvre encore plus pour que se répande en elle la semence fertile.
Les deux femmes s’enserrent, essoufflées de leur joute d’amour, laquelle avait été initiée par Irina pour « changer les idées noires » d’Eugénie. Elles échangent des mots tendres.
Je te sens inquiète mais pour une raison de plus…
… Pour ta santé… D’habitude, tu as tes menstrues, à cette date… Et tu goutes différemment… Peut-être devrais-tu consulter un médecin…
La consultation est inutile, du moins pour le moment. Ce qui m’arrive ne constitue pas, à proprement parler, une maladie : je suis enceinte.
Une bombe aurait éclaté tout près qu’elle aurait provoqué le même effet. Impavide, Irina reste silencieuse. Eugénie se redresse et s’assoit, consternée.
« Enceinte »?
Je porte ton petit enfant.
Tu dérailles!
Contrairement à l’accoutumée, aucunement ! Ainsi, la descendante de ton fils de coeur sera effectivement ta petite-fille.
… Je ne comprends pas !
C’est pourtant simple : Aurélien est le père de mon bébé.
Mais c’est un non-sens, une impossibilité! … Tu as fait ça?
Irina acquiesce.
Pour qu’il continue à vivre à travers elle, et toi aussi… J’étais la seule en mesure d’agir ainsi… J’ai pensé que tu m’aiderais à devenir mère… Elle naitra d’une folle.
Jamais je ne t’ai cru « folle », Irina. Instable serait plus juste… Ce que tu as accompli constitue un acte d’amour, extrême.
Eugénie éclatae en sanglots irrépressibles. Irina la serre dans ses bras, manifestement dépassée par la réaction provoquée. D’une voix tremblotante, elle l’appelle.
Eugénie…
Ma femme, mon amour, ma fille!
Dès l’aube du 6 juin, les troupes alliées débarquent en sol de France. La division canadienne de vingt mille soldats avait pour mission de prendre d’assaut la plage Juno, puis de s’avancer à l’intérieur des terres.
En état d’alerte, le bataillon s’aventure en terrain découvert. Il était midi, environ puisque la tension se trouvait au zénith. Philippe échange un regard avec Aurélien, puis il le perd des yeux. Un éclair de souffrance le vrille et il se plie en deux. À nouveau, il tente d’apercevoir son ami, mais en vain. Ses prunelles se portent vers le soldat le plus près dans la direction approximative où se trouve Aurélien. Avant que l’homme ne tombe, face contre terre, Philippe a le temps d’apercevoir le paysage par là où le coeur s’accroche au corps. Il hurle. Il urine dans son froc. Un bras sans corps le heurte. Il cesse de regarder autour de lui et oblitère ses paupières un moment. Pour la première fois de son existence, il prie sincèrement.
Si vous existez, mon Dieu, préservez la vie d’Aurélien… La mienne aussi, si ce n’est pas trop vous demander.
En proie à la panique, il se met à courir comme les autres et dans n’importe quelle direction. Le bruit montait à l’assourdissant. Les armes, les hommes qui se mouraient dans d’atroces souffrances. Le projectile le frappe à la jambe droite, juste à la hauteur de la rotule. Il tombe nez au sol. La douleur l’envahit, térébrante. Il hoquète. S’appuyant sur ses coudes et ses avant-bras, il réussit à se trainer sur quelques mètres. Quelqu’un s’enfarge sur lui et murmure incongrument : « Excuse, vieux », juste avant de s’écrouler, fauché par une grenade. Des morceaux de crâne et de cervelle s’éparpillent un peu partout.
Aurélien!
Son cri, lancé avec l’énergie du désespoir, atteint miraculeusement sa cible. Aurélien le prend dans ses bras et, aussitôt, se précipite vers nulle part. Bien piètre course, tellement ralenti qu’il se trouvait par son fardeau. Philippe s’en aperçoit.
Avant de mourir, je veux te dire que je t’aime.
Crétin! Si tu t’étais rendu compte avant que seul l’amour vaut, nous ne serions pas ici! Je t’aime.
Laisse-moi, maintenant.
Jamais.
Aurélien redouble d’ardeur, détalant comme un dératé pour leur survie à tous les deux. La rafale d’une mitraillette ennemie fait une ligne trouée sanglante dans son dos. Dans sa chute, il entraine Philippe. Tant bien que mal, celui-ci le repousse légèrement. Aurélien, les prunelles exemptes de vie, contemple le néant. Il le laisse retomber sur lui.
Toujours. Toi et moi.
Se tortillant, Philippe atteint son arme et appuie le canon contre sa tempe. Il n’hésite pas un instant à en user.
Dans l’obscurité, jusque-là parfaitement silencieuse, se fait entendre un cri inhumain, qui se répète et se répercute en écho ailleurs dans la maison. Laszlo éclaire la pièce et prend Eugénie dans ses bras. Karol se serre tout contre eux. Eugénie hurle sans discontinuer, masquant l’autre, terrible, à l’étage au-dessus. Ivana s’empresse auprès de sa fille. Ni Karol, ni Laszlo, ni Ivana, d’ailleurs, ne posent de questions, ni ne cherchent à rassurer. Ils savaient, aussi, que les déchirements aux entrailles du coeur sont irréparables et que le cordon ombilical unissant la mère à son enfant n’est véritablement tranché qu’au moment de la mort.
La confirmation, inutile, leur parvint une semaine plus tard.
Laurier?
C’est Colette… Karol?
Oui.
… Mon Dieu! … Aurélien est mort!
… Apprends-le à ton mari, je t’en prie.
Eugénie?
En enfer… Pardonne-moi, je ne peux pas.
Karol raccroche. Il contemple son époux, affalé sur le canapé, virtuellement absent. À son regard hanté, Laszlo aussi, s’y trouvait.
Eugénie reprend vie, forcément, mais vieillie, les cheveux blanchis et toute cassée à l’intérieur, irréparable. Laszlo également émerge, mais changé, comme si s’était éteint le feu sacré.
« À monsieur Jérémie de Vries,
Je prends aujourd’hui la plume au nom de ma femme, laquelle se trouve dans l’incapacité de vous apprendre le terrible drame qui afflige notre famille : Aurélien, son frère, son fils, a été tué par les balles ennemies en votre pays. “ Mort au champ d’honneur ”, disent-ils. Que ces mots creux nous hantent!
Karol Rilsky »
En faisant machinalement le ménage, Eugénie bute sur un fourre-tout, à moitié dissimulé sous le lit de l’adolescent. Intriguée autant que curieuse, elle l’ouvre. Ce qu’elle en tire la laissa exsangue. Le souffle court, elle dispose soigneusement les vêtements de manière à former la silhouette d’un homme. Puis, elle s’assoit dans un fauteuil et attend, les bras croisés.
Salut, maman! Tu n’avais pas le droit de fouiller dans mes affaires!
… Mon but n’était que de changer les draps et j’ai trébuché sur l’obstacle… Un enfant de seize ans ne part pas à la guerre!
Je ne suis plus « un enfant », mère!
… Je viens de perdre mon fils de coeur, vais-je perdre également celui par le sang?
Je dois venger Aurélien! Sa mort ne doit pas rester impunie!
Tu n’occiras point, Solime.
Oh, oui, je les tuerai tous, ces Boches responsables de son sacrifice! … Je pars la semaine prochaine et tu ne peux rien y faire!
… Tu as menti sur ton âge!
Ne t’avise pas de me dénoncer! Je m’enfuirai pour ne plus jamais revenir!
Au moins, tu resterais vivant! … Ce chantage n’est pas digne de toi.
Mon frère de coeur est un héros tombé au champ d’honneur!
… Est-ce bien nécessaire que tu ravives ma douleur à ce point?
Solime ne répond pas, s’assoit à l’extrême bord de sa couche. Sa tentative pour recouvrer son calme échoue et son trop-plein de frustration trouve un exutoire.
J’essaie de te faire comprendre la situation! Cette guerre est noble! La gagner permettra de préserver des milliers de vies humaines, fauchées seulement parce qu’elles sont juives, ukrainiennes, aussi, homosexuelles, également. Ceci et cela, tu devrais y être sensible, puisque mes « deux pères » en sont, et toi avec, pour le dernier cas de figure!
… Pourquoi cela résonne-t-il comme des insultes dans ta bouche?
… Je veux savoir lequel.
… Ne les aimes-tu pas autant l’un que l’autre?
Là n’est pas la question! … J’ai les cheveux noirs de Karol…
Mon père naturel possédait également cette caractéristique, je m’en souviens très bien… L’acte d’amour qui a mené à ta conception a été accompli à trois. Jamais tu ne sauras, ni moi non plus. Je l’ai voulu ainsi, également. Parce que nous nous aimons… J’admets que ce n’est pas un modèle courant, mais notre union t’a porté, aussi et t’a protégé, autant que possible, contre toutes les vicissitudes de la vie… Les pulsions affectives et sexuelles sont, je crois, innées. Qu’elles soient déviantes par rapport à la norme n’entache aucunement la valeur intrinsèque de l’individu. Que les tiennes te forcent à tourner autour de tout ce qui porte jupon et d’âge nubile ne peut que me réjouir : j’aurai des petits-fils à chérir… Enfin, si…
… Pardonne-moi, maman… Je ne voulais pas faire injure à mes parents. C’est difficile parfois de ne pas vivre à l’intérieur d’un foyer…
Différent, simplement… Comment pourrais-je accepter que mon fils unique aille se faire tuer pour des considérations philosophiques?
Mais, au contraire, je viens de t’expliquer…
Parce que de la vie, tu n’en connais encore que l’ABC!
Alors, apprends-moi ce que j’ignore!
Je ne peux pas!
… Au sujet de quoi?
Eugénie ne répond pas. Elle se met à pleurer et sortt de la pièce.
Le lendemain durant la nuit Eugénie entre dans la chambre de Solime et s’assoit au bord du lit. Elle le secoue sans ménagement.
Écoute, mon fils. Premièrement, je veux rétablir la vérité au sujet de la mort d’Aurélien. Même si ma révélation te fera mal, tu comprendras, du moins je l’espère, que celle-ci est bien plus humaine et encore plus tragique… Une douzaine d’années auparavant, Philippe est venu vivre avec nous lorsque ses propres parents l’ont jeté hors de sa maison en raison de son inversion. Réfléchis un peu et tu comprendras les conséquences d’un tel rejet sur un être humain… Philippe croyait, aussi, fanatiquement, à son idéal humanitaire, fort légitime, incontestablement. Aurélien également, mais ce n’était pas ce qui le guidait dans ses actes puisqu’il était davantage pragmatique qu’idéaliste… Philippe s’est enrôlé. La semaine suivante, Aurélien aussi… Je l’ai prié de ne pas partir, tout comme je te supplie, toi… Il m’a dit ceci : « J’irai avec lui afin de le protéger du mieux que je le peux. Je ne suis pas un lâche, mais un peureux. Alors, je vais tout faire pour qu’on ne revienne pas les pieds devant et la bouche pleine de terre »… Peut-être as-tu compris, maintenant, que ce n’était pas seulement une noble amitié qui unissait Aurélien et Philippe, car ils formaient un couple depuis de longues années… Ton frère est mort par amour, pas pour des considérations philosophiques. C’est en cela qu’il a été un héros, ou un idiot : c’est une question de point de vue et probablement la même chose. Pour moi, c’est une tragédie, même si je comprends la force de l’amour… J’aurais voulu que le mien soit le plus fort et le retienne…
Eugénie s’interrompt brièvement.
Secondement, j’ignore pourquoi nous existons et je crois que je n’obtiendrai jamais de réponse concluante même en vivant centenaire. Ce qui m’a toujours guidé, au long de mon existence, c’est l’amour, toutes les sortes d’amour… Je ne comprends pas la haine, ni la méchanceté, ni la vengeance, ni le fanatisme, ni tout ce qui peut détruire volontairement la vie… Tes pères, ta tante, ta grand-mère paternelle ont souffert plus que de raison des exactions humaines. Pourtant, jamais je ne les ai vus en proie au désir de se venger. Je suis tout à fait ignorante de la politique mais je suis convaincue qu’il y aurait eu moyen d’empêcher cet holocauste, au sens où lorsqu’un membre est gangrené, on doit l’amputer pour éviter que l’infection se propage et anéantisse la vie. Les extrémités nécrosées, ce sont les bourreaux, les tyrans, les tortionnaires, ceux qui sont capables de commettre des atrocités tellement innommables qu’ils ne peuvent être rachetés. Ceux-là sont des individus, certainement pas des nations entières. À mon sens, rien ne justifie la guerre contre d’autres peuples dont la plus grande partie est innocente de crimes… Troisièmement, et je me répète, je crois, tu es mon fils unique, le seul capable de continuer notre lignée. Les animaux vivent et se perpétuent. Les humains, aussi, même s’ils y mettent du raffinement et des complications. C’est l’instinct qui m’a guidé lors de ta conception, un besoin irrésistible de créer la vie et un idéal noble, aussi, tout autant, sinon plus, que le patriotisme. Tu as été mon unique progéniture puisque mon corps n’était pas fait pour en engendrer plusieurs. Que notre toute petite radicelle ne pousse plus dans l’arbre de la vie rend la mienne caduque et aussi bien mourir, malgré l’amour qui me lie à mes époux, car ma vie aura été inutile… Ce n’est pas du chantage, Solime, c’est juste comme je me sens, actuellement… Voilà, c’est tout ce que j’avais à te narrer, mon testament, en quelque sorte… Tu es assez âgé pour exercer ton libre arbitre et je n’interviendrai pas autrement… Tes pères ne sauront rien de ce qui s’est dit entre nous deux… Le reste dépend de ta décision. Bonne nuit, mon fils bien-aimé.
Dès leur entrée dans la librairie, l’un des deux hommes se dirige immédiatement vers la femme enceinte occupée à lire.
Bonjour, madame. Je voudrais rencontrer le libraire, s’il vous plait.
Monsieur Rylski ne devrait pas tarder : une dizaine de minutes, tout au plus.
Il remercie aimablement Irina. Pour patienter, il entreprend un examen du contenu des rayonnages. Son compagnon se contente d’examiner les lieux, immobile. Irina, désoeuvrée, s’intéresse d’abord au premier. L’aspect anonyme. Ce qui l’intrigue, toutefois, est sa façon, systématique, de parcourir les rayons de livres. Comme s’il cherchait quelque chose. Elle amorce un mouvement, mais se rassoit. L’autre individu, son jumeau par l’apparence couleur muraille, balayait du radar, yeux plissés, impassible, mais attentif.
En franchissant le seuil, le maitre de céans se dirigea aussitôot vers Irina, qu’il embrasse fraternellement sur les deux joues.
Merci, ma soeur, de m’avoir rendu ce service, malgré ton état.
Quand je le peux, c’est avec grand plaisir. Tu as des visiteurs…
Le promeneur vient vers Karol et se présente.
Mon nom est Rodolphe Martin. Un ami m’a parlé de votre établissement éclectique. Il m’a notamment vanté, et ce sont ses paroles, « la richesse de sa sélection particulière »…
Karol sourit.
Irina, s’il te plait, donne-moi la… Irina?
La jeune femme s’était évanouie. Précipitamment, Karol s’agenouille et se penche sur elle. Les paupières closes, Irina murmure quelques mots,à peine audibles. L’autre survient à la rescousse. Irina bat des cils et, l’air ahuri, les considére.
Tu as eu un malaise, ma chère. La chaleur ambiante, sans doute.
Ils l’aidèrent à se relever, puis à s’asseoir.
Merci… Je suis confuse… Karol, tu allais me demander la clef de la salle privée, la voici. Ne te préoccupe pas de moi, je me sens tout à fait remise.
Karol entraine son client vers l’arrière-boutique et ouvre. L’acolyte s’avance également mais demeure en attente, encadré au chambranle.
Que je suis heureux lorsque je rencontre un véritable amateur! Venez, vous allez découvrir une collection d’oeuvres fascinantes!
Montrant une ferveur indubitable et affichant un enthousiasme ostentatoire, Karol fait office de parfait cicérone, énumérant et détaillant avec emphase les plus belles pièces de son antre des merveilles.
Vous comprendrez que je ne puisse exposer ces raretés au grand public… Ces contes illustrés des frères Grimm semblent particulièrement vous intéresser, me tromperais-je?
L’autre considère le vieux bouquin choisi au hasard et qu’il tenait négligemment. Visiblement décontenancé par la tournure des événements, il balbutie.
Oh! … Oui, bien sûr… Quel en est le prix?
Comme je vous comprends : j’aurai du mal à me départir de ce chef-d’oeuvre, tellement bien conservé de surcroit! Mais hélas… Il se vend vingt-cinq dollars et cinquante cents, une affaire en or puisque, à ma connaissance, c’est l’unique exemplaire qui subsiste. Attention! … Pardonnez-moi, monsieur, ce livre est extrêmement fragile… Il convient toutefois de vous avertir que cette version intégrale contient des détails bien trop crus pour l’oreille de jeunes enfants. Il me semble néfaste, je crois, qu’un être en devenir soit opposé à la violence. Ne trouvez-vous pas?
… Que me conseillez-vous alors… euh… pour mon fils?
Tous les ouvrages de madame la comtesse de Ségur, indéniablement : les jeunes en raffolent. Mais ils se trouvent à côté. Toutefois, avant que nous sortions de ma caverne des mille et une nuits, j’aimerais vous montrer quelques autres raretés…
Résigné, le client suit. Toutefois, au bout de vingt autres minutes assenées de manière quasiment identique, il lève les bras en signe de reddition.
Je regrette mais je devrai revenir une autre fois… Je suis attendu.
Et pour la sélection dont je vous ai parlé?
… Euh… Faites-moi un paquet.
L’homme s’en va délesté d’une somme rondelette, son double à la remorque. Irina se rapproche de son demi-frère.
ette fois, tu t’en tires avec des pirouettes,mais la flicaille va finir par revenir… Tu te montres beaucoup trop confiant, Karol.
À l’avenir, je promets de devenir davantage circonspect. Merci, Irina, sans ta perspicacité, j’étais fait comme un rat!
Ce soir-là à la maison, Eugénie, dans tout ses états comme suite au récit circonstancié de sa femme, attendait son homme « avec une brique et un fanal ».
Nous avons à parler, monsieur!
Sur son quant-à-soi, Karol s’assoit à l’extrême bord du canapé. Eugénie attend patiemment qu’il entame.
… Je constate que, fidèle à elle-même, Irina a laché le morceau.
J’exige que la salle particulière soit condamnée!
Cette activité rapporte beaucoup. Je serai encore plus prudent à l’avenir.
Les policiers t’ont dans leur collimateur et ils se montreront aussi tenaces que des bouledogues. Avec toi en prison, nous ferions une croix sur ce revenu et encore plus, de toutes les manières! … Nous ne sommes plus au bord de la ruine, comme il y a quinze ans! Je t’en prie, Karol, je ne veux pas te perdre!
Je ne risque pas la corde, quand même!
Ton esprit résisterait-il à un nouvel enfermement?
Karol ne répond pas.
Je t’en supplie, mon amour, pour notre enfant, pour notre famille… Entrepose les livres à l’Index au sous-sol, et dès demain.
La meilleure façon de confirmer les soupçons et de vous compromettre, si nous sommes,effectivement surveillés!
Se mordant les lèvres, Eugénie se met à réfléchir à toute allure.
Un certain nombre à la fois, alors! … Et si nous conservions, ici même, un exemplaire de chacun…
… Où veux-tu en venir?
Ce qui reste, tu pourrais l’offrir à tes clients fidèles, en guise de compensation pour la cessation de tes activités parallèles, ceci en même temps que tu leur accordes, du même souffle, un rabais de dix à quinze pour cent pour tout achat effectué à la librairie, ce qui permettrait probablement d’en augmenter l’achalandage, idéalement dans la même proportion.
Tu te mêles de mes affaires, en sus! … Ce que tu suggères ne semble pas dénué de sens… Mais pourquoi en garder, alors?
… Une perte sèche, mais pas inintéressante…
Tu veux aménager une « salle particulière » dans notre sous-sol!
… Les toiles d’Irina pourraient être mises en valeur par un judicieux éclairage…
Je suis renversé, ma femme !
… J’ai envie de découvrir cette littérature interdite… Le sexe constitue un bien piètre exutoire à la douleur mais c’est mieux que rien.
Eugénie…
Serre-moi fort, Karol : j’ai eu très peur!
Moi aussi, à vrai dire. Je vais faire comme tu dis, mon adorée.
… J’ai besoin de ressentir ton pénis vivre au-dedans de moi.
Ils dénudent juste ce qui était nécessaire. Sur le plancher, il se couche sur sa femme et la prend, à la fois tendre et violent.
Quelques mois sont nécessaires pour vider complètement la pièce secrète du libraire et autant pour aménager le sous-sol en nef de l’érotisme familial.
Durant la nuit, des cris déchirants se font entendre. Eugénie se vêt à la hâte d’une robe de chambre et accourt à toute vitesse. Debout au milieu de la pièce et apparemment redevenue calme, Irina contemple, muette, une importante mare sanguinolente.
Tu as perdu les eaux! Déjà! Étends-toi, j’appelle le médecin tout de suite!
Elle se retourne mais Irina la rappelle.
Demande Laszlo, plutot. À l’hopital, on pourra la sauver.
Eugénie, livide, obéit. Elle aide ensuite Irina à se préparer.
Rendue folle par la souffrance, Irin accouche de sa fille sur la banquette arrière du véhicule. Elle s’évanouit au dernier effort. Eugénie pose le bébé sur le sein maternel et les couvre d’un chale. Peu après, Irina sort de son inconscience.
Elle est née! Une belle enfant même si elle est minuscule!
Irina sourit faiblement.
Écoute… Tu l’appelleras Aurélina Levytsky-Gaboriau… Je sais que tu en seras la mère la plus aimante qui soit… Maman?
Elle est avec Karol. Ils suivent en taxi.
… Dis-lui que je l’aime… … Ma vie aura au moins eu son utilité.
Irina! Mais de quoi parles-tu? Nous l’élèverons ensemble, notre petite! … Et voilà que nous sommes arrivés, enfin!
Avant de perdre conscience à nouveau, Irina murmure.
Je t’aime, Eugénie.
Les secours s’empressent autour de la mère et de l’enfant.
Une éternité plus tard, un médecin les rejoint dans la salle d’attente. Il les conduit dans un réduit situé à l’écart. Ivana pose la main sur son coeur.
Ma fille est morte!
… Hélas, madame… Nous n’avons pu faire cesser l’hémorragie.
… Et l’enfant?
La fillette se porte à merveille, ce qui est passablement étonnant étant donnée sa naissance prématurée… Le Très-Haut a accompli un miracle.
Ma bru et moi prendrons soin d’elle. Pouvons-nous voir mon enfant?
Sans mot dire, il les conduit à la chambre qui abritait la dépouille et sortit de la pièce. Irina était pâle, les yeux clos, sereine.
Elle m’a chargée de vous transmettre tout son amour… J’ai eu l’impression que, depuis le début, elle appréhendait l’issue fatale et pourtant…
Irina a choisi sciemment d’accomplir ainsi son destin, Eugénie.
Laszlo et Karol entrainent les deux femmes accablées de douleur vers le corridor.
Venez, laissons-la reposer en paix.
Une soeur-infirmière les attendait pour les mener auprès de la miraculée.
Eugénie demande à parler à Laurier. Elle doit patienter puisque celui-ci se trouvait sous la douche « une acquisition récente et tout à fait moderne ».
Salut, ma soeur chérie. Comment…
Écoute. Il y a quelques mois, Irina a donné naissance à la fille d’Aurélien. Avant de mourir au bout de son sang elle m’en a confié la responsabilité. Je l’ai fait baptiser ce matin. Elle se nomme Aurélina Levytsky-Gaboriau.
… Notre descendance… Juste avant qu’il ne parte à la guerre… Ta petite-fille, en quelque sorte.
Et ta nièce par le sang.
1946 Oncle Jérémie
Eugénie, les mains enfarinées, peste contre le sort qui faisait que seul Laszlo se trouvait au foyer mais dans la baignoire, depuis une éternité, en sus, et après s’être rincée, répond résignée à l’appel insistant d’un neuvième timbre exaspérant.
Bonsoir, puis-je m’entretenir avec madame Eugénie?
Empreinte de douceur, un rien mielleuse, la voix surprend davantage par son accent prononcé, indéniablement français.
C’est moi-même.
Jérémie de Vries, à l’appareil.
Ahurie, Eugénie considère le récepteur, puis le recolle à son oreille.
… Oncle Jérémie! C’est vraiment vous?
Son interlocuteur rit brièvement.
En chair et en os, comme on le dit, parfois.
Mais d’où m’appelez-vous?
Je me trouve à l’aéroport de Dorval… Brusquement, j’ai éprouvé le besoin de connaitre ma famille si lointaine… De nos jours, voyager est devenu beaucoup plus facile.
Et vous voilà! Mon mari va vous ramener à la maison.
Euh… Étant donnée mon arrivée impromptue, je songe à m’installer à l’hôtel afin de ne pas vous déranger. D’ailleurs, c’est à ce sujet que je souhaite solliciter votre avis éclairé.
Notre demeure est bien assez vaste pour que vous y séjourniez en toute tranquillité d’esprit et confort. Précisez-moi l’endroit où vous vous trouvez.
Avec force détails, Jérémie lui fournit les indications demandées et y ajoute une description fort colorée de sa personne.
N’ayez crainte, avec ces précisions, Laszlo vous repérera facilement. Vraisemblablement, vous devrez patienter pendant une petite heure, tout au plus.
Grommelant, Laszlo doit écourter son bain à cause du « cas de force majeure, je t’en prie, mon homme ». Celui-ci parti, Eugénie termine bien vite la pâte à pain et la met au réfrigérateur. Elle fait aussi quelques courses à l’épicerie et se change.
Une heure cinquante neuf minutes et des poussières plus tard, le vieil homme gravit lentement les marches. Âgé d’au moins trois quarts d’un siècle, de haute taille, droit comme un I, tiré à quatre épingles, les sourcils fournis. Les yeux azurés, lesquels paraissaient immenses derrière les lunettes à monture dorée, pétillaient. Cérémonieusement, il baise les doigts d’Eugénie.
Comme je suis heureux de connaitre, enfin, la fille ainée de ma soeur!
Et moi, de rencontrer, enfin, mon oncle mythique!
« Mythique »!
Je ne sais de vous que vos présentations critiques, savoureuses et que maman nous lisait en souriant, des oeuvres que vous nous envoyiez! Durant nombre d’années, elles ont constitué la plus grande partie de notre imaginaire, à tous les quatre! … Si vous vous sentez en forme, nous aimerions vous emmener en Abitibi, la semaine prochaine, peut-être?
Mon pèlerinage m’y mènera de toutes façons mais, en votre compagnie, j’en serais enchanté!
Je vous préviens, toutefois : pour y arriver, cela prendra près d’une demie journée de train déroulant son ruban de fer au milieu de la forêt dense de conifères.
« Les grandes étendues sauvages du Canada » : dans l’avion, quelqu’un en parlait en ces termes… Émilie m’a déjà décrit le trajet dans une de ses lettres.
Ah, oui… Souhaitez-vous vous reposer?
Je me sens las, en effet, et le décalage horaire n’aide certainement pas.
Alors, venez, que je vous mène à votre chambre.
Vous êtes très aimable de m’accueillir ainsi, alors que je surgis à l’improviste.
Mais non, juste très heureuse! Laszlo, je t’en prie.
Obligeant, celui-ci suit, très lentement toutefois, lourdement lesté qu’il était de deux valises de grandes dimensions et monsieur de Vries ne voyageant pas léger.
Rafrachi et reposé, Jérémie descend alors qu’ils apprêtent le souper. Eugénie fait les présentations des hôtes présents et encore inconnus de lui de façon fort peu protocolaire.
Voici Karol.
Enchanté, monsieur.
Et Solime, notre grand fils.
Vous ressemblez à votre mère.
Et à mes pères, aussi.
Solime!
Oui, maman?
… Va mettre la table, mon grand. Asseyez-vous, je vous en prie.
D’une pièce de la maison leur parvint les pleurs d’un bébé. Aussitôt, Karol s’empresse. Eugénie place un biberon rempli de nectar lacté sur le réchaud et met à chauffer au bain-marie un bol de purée. Elle y ajoute, après y avoir gouté, une noisette de beurre et une pincée de sel.
Voilà qui est mieux. Notre petite-fille réclame sa pitance…
… Votre « petite-fille »?
Aurélina, l’enfant d’Aurélien et Irina, laquelle est… était la demi-soeur de Karol et Laszlo, eux-mêmes frères à moitié…
… Et vos époux, à ce que j’ai compris.
Mais comment?
Le premier m’a déjà écrit en mentionnant « ma femme ». Vous avez parlé du second comme étant « votre mari ». De plus, Solime a précisé qu’il ressemble, également, à « ses pères »…
… Ce sont des faits. Que cela vous choque, j’en suis sincèrement désolée, mais…
C’est ainsi. Je ne suis pas venu pour vous mal juger. Et je suis mal placé pour jeter la première pierre.
Jérémie se lève et, familièrement, prend Aurélina des bras de Karol, surpris. La petite fronce les sourcils, puis fait risette et se met à gazouiller. Elle tente de saisir les lunettes et y parvient presque. Opportunément, Ivana vient à la rescousse.
Quelle belle enfant … Madame?
Ivana Levytsky.
… Jérémie de Vries, l’oncle d’Eugénie.
Ils se regardent, semblant tout étonnés de leur rencontre.
Ah, Ivana, puis-je vous demander de nourrir Aurélina?
Le privilège de l’autre grand-mère… Une fois sur trois, au moins!
Jérémie observe, fasciné, le repas de l’enfant.
Jérémie s’absorbe dans la contemplation de la toile miniature négligemment posée sur la table de la salle à manger. Il la tient à bout de bras pour mieux en admirer tous les détails. Dans un parc de quartier, durant une journée ensoleillée, un homme, à la chevelure drue poivre et sel, allongé de flanc, surveillait un bébé assis au centre de la couverture de laine blanche déployée sur l’herbe, et à l’ombre du feuillage fourni d’un chêne centenaire. La fillette, vêtue de rose de la tête aux pieds, riait aux éclats et semblait tenter de saisir la grosse moustache de son grand-père, par l’âge, du moins.
Celle-ci est destinée à mon fils ainé. J’en peindrai une autre pour vous : j’en vois déjà une esquisse.
Pris de court et de justesse, Jérémie réussit à rattraper le tableau avant son atterrissage sur le dur carrelage de céramique.
Pardonnez-moi, madame. Vous êtes un Maitre d’oeuvre.
Ivana sourit. Cérémonieusement, il baisea ses doigts. Manifestement embarrassée, Ivana ébauche un mouvement de recul mais se retient.
… Je suis désolée : je ne suis guère accoutumée aux manières françaises.
Mais non! C’est moi qui ai manqué de sensibilité…
Laissons là le protocole : avez-vous faim?
À vrai dire, je dévorerais certainement un festin de huit plats et sans en laisser la moindre miette, mais plus modestement un bol de café au lait et un quignon de pain suffiront à contenter mon estomac, lequel répugne, désormais, aux excès.
Rôties tartinées de beurre, salé, ainsi que des cretons ou de la confiture de fraises, le tout accompagné de lait, pour s’adapter aux coutumes de la maison?
Excellente idée. Laissez-moi vous aider.
Ensemble, ils vaquent aux préparatifs d’un petit déjeuner plantureux et se régalent, « à la bonne franquette » tout en devisant à bâtons rompus.
Après le breuvage insipide, servi dans des tasses, Ivana l’invite à sa promenade quotidienne. Visiblement enchanté, Jérémie se rend à l’étage pour s’y préparer et redescend, quelques minutes plus tard, élégamment habillé pour sortir en ville, nanti d’un chapeau de feutre et muni d’une canne. Ils déambulent dans les rues d’Outremont, Jérémie s’émerveillant de ses découvertes architecturales, Ivana s’amusant de ses réactions, lesquelles s’apparentaient aux siennes plus de vingt ans auparavant. Brusquement, Jérémie s’arrête et regarde tout autour de lui. Ensuite, il se penche, un peu difficilement, et, après s’être relevé, sans souplesse, mais l’air crâne, tend à sa compagne la rose encore en boutonqu’il venait de subtiliser. Elle s’exclame mais accepte le présent. Ils rentrent tellement exténués qu’ils doivent, chacun dans ses quartiers, se reposer de nombreuses heures.
Les livres, environ la douzaine, empilés en équilibre précaire sur des bras tremblants sous leur poids conjugué, choient sur le plancher. Promptement, Eugénie devance Jérémie, qui se penchait.
Laissez-moi faire.
Je vous ai apporté quelques ouvrages susceptibles d’éveiller votre intérêt… Mais nous en reparlerons une autre fois… J’aimerais tellement vous entendre parler d’Émilie, telle qu’elle subsiste dans votre souvenir.
Eugénie ressentt très fortement l’émoi du vieil homme.
Ils s’installent confortablement sur le canapé. Après quelques moments de réflexion, pour Jérémie, suspendu à ses lèvres et durant plus de deux heures, à petits traits de vie quotidienne, Eugénie retrace le portrait de sa mère adoptive.
… Mais je vous sens si attristé…
… Je dois, nécessairement, vivre ce deuil… afin de mourir, l’âme en paix, et ce récit en fait partie intégrante…
… Pourquoi maman est-elle venue vivre ici?
Jérémie ferme les yeux. Bien plus tard, il murmure.
Après que je me serai recueilli sur sa tombe, je vous le révélerai. Veuillez me pardonner, Eugénie, autant de vous voir émue par ce retour en arrière, que de ne pouvoir répondre, immédiatement du moins, à votre légitime interrogation.
Jérémie s’arrache avec peine à sa contemplation.
Manifestement, cela vous plait.
Bien plus! … Je n’ai jamais été aussi touché par une oeuvre d’art! Votre vision de la vie, incisive… Du banal, vous faites ressortir l’extraordinaire, le vrai, aussi. Vous avez saisi le bref instant où je me suis trouvé transporté par tant de formes, de couleurs, de sensations…
Chaque être nait avec la capacité de vivre des moments de bonheur.
… Mais cette rose à la boutonnière… Ah, j’y suis : comme le photographe, vous vous trouvez absente de votre représentation… Je ressens autre chose, aussi, impossible à définir…
En quête de réponse, il lève les yeux. Le visage d’Ivana s’ombre d’un sourire, énigmatique.
Comme suite à une brève consultation familiale est décidé que seules Eugénie et Ivana accompagneraient Jérémie en Abitibi. Juste avant le départ, les deux grand-mères, chacune à tour de rôle, rabattent les oreilles des récemment nommés gardiens quant aux soins ponctuels à prodiguer à la petite Aurélina, comme si ceux-là n’avaient jamais ni changé une couche, pourtant une tache effectuée presque quotidiennement par Karol, ni préparé un biberon alors que Solime s’en acquittait régulièrement ou une purée, spécialité de Laszlo, lequel se targuait de réussir les meilleures, c’est-à-dire celles qui font sourire le bébé de contentement. Manifestement ulcérés, les trois hommes restent toutefois stoïques et solidaires. Les dames accompagnées de l’oncle hilare parties en taxi, ils s’autorisent quelques jurons sonores et bien sentis. Aurélina éclate en larmes. Contrits, ils s’empressent autour de la princesse.
Les jumeaux de Laurier et Colette, Amédée et Armand, maintenant dans la vingtaine, accueillent les voyageurs visiblement exténués sur le quai de la gare de Spirit Lake. Le couple avait deux autres enfants, des jumelles également âgées de quinze ans, Carmen et Jeanne, toutes pimpantes et rieuses. Laurier et Colette font faire aux visiteurs un bref tour des propriétaires, puis, les deux vieillards montés se reposer, réservent le grand à Eugénie afin de lui montrer toutes les « innovations modernes », selon l’expression employée par Colette : l’électricité, un réfrigérateur, une machine à laver dernier cri, munie d’un tordeur, l’onde courante, chaude aussi, la baignoire, la douche « mais cela, tu le savais déjà » ainsi que la toilette avec chasse d’eau.
Eugénie lorgne son frère, l’air mi-figue mi-raisin. L’autre grommelle dans sa barbe, nouveauté fournie qui lui seyait bien.
On change…
Tout ceci, en plus de la Ford et du nouveau tracteur à moteur! En économisant sur « l’aide trop cher payé » ou en grugeant sur le « patrimoine familial »?
Ils éclatent de rire. Colette ajoute son grain de sel.
Mais il est toujours aussi pingre pour les cossins!
Ils redoublent d’hilarité. Un peu plus tard dans la journée, Laurier prend Eugénie en aparté. Il adopte le ton de la confidence.
J’ai aussi bouché les trous d’aération…
Frère et soeur s’embrassent avec affection.
Dès le lendemain, Eugénie et Jérémie se rendent au cimetière situé non loin de l’église et de l’école afin de se recueillir sur la tombe d’Émilie. Celui-là y reste deux longues heures, agenouillé. Eugénie, jambes en capilotade, doit l’aider à se relever puis le soutient durant le court trajet jusqu’à la ferme. Le vieil homme, les traits creusés, s’excuse de leur faire faux bond pour la soirée.
Le jour suivant, il semble redevenu lui-même. En charrette, Laurier amène tout le monde faire le tour de ses terres et de ses bois. Ils font une promenade en forêt, puis s’arrêtent afin de se rafraichir à la cabane qu’Amédée et Armand avait bâtie l’année précédente. De retour au bercail et après le diner, la famille s’occupe à des taches diverses. Ivana s’endort, assise sur la chaise berçante d’Idola, toujours dans le grand passage.
Jérémie effleure les touches d’ivoire jaunies par le temps. Il referme doucement le couvercle de l’instrument à cordes.
Presque trente ans que ce piano est devenu muet, tout comme ma mère.
Je vous remercie de m’avoir permis de réaliser mon voeu le plus cher. En retour, je tiendrai ma promesse en vous révélant notre histoire.
Je n’ai jamais considéré que c’en était une et mes agirs n’ont eu d’autre motivation que celle de vous accommoder!
Vous m’avez mal interprété. Cet engagement tient davantage à moi-même.
Veuillez me pardonner : je prends la mouche trop facilement.
Venez vous asseoir au salon, ma chère.
Ils s’installent sur le canapé, lequel datait du dernier séjour d’Eugénie, quelques années auparavant, recouvert d’une cotonnade vert sapin.
À dix-huit ans, Émilie était déjà une fée égarée par quelque hasard malencontreux dans notre misérable monde. Je me souviens comme si cela s’était déroulé hier de cette nuit fatidique de mon vingtième anniversaire… La fraicheur nocturne contrastait avec la chaleur caniculaire qui régnait dans ma chambre et, torse nu, je suis sorti sur le balcon. La lune parfaitement ronde semblait occuper tout le ciel. À quelques mètres de là, Émilie la contemplait et sa longue chevelure dénouée semblait en émaner. Elle a levé les bras vers la voute céleste comme pour l’étreindre. Le souffle du vent collait sa légère tenue tout contre son corps parfait. Mon gémissement, presque un cri de souffrance, a attiré son attention apeurée. À ce moment précis, nos prunelles agrandies se sont rencontrées et ce regard a scellé à jamais notre destin… Les choses ont repris leur cours normal. Je suis allé à Paris pour terminer mes études, puis j’ai voyagé à l’étranger. Je ne suis retourné au manoir qu’au mois de mai de l’année suivante. Le jour de mon arrivée, elle m’attendait au portail, dans une tenue d’amazone à la nuance de ses iris. Je suis tombé à genoux devant elle et j’ai pleuré. Elle m’a rejoint au sol, toute aussi émue que je l’étais. Serrés l’un contre l’autre, nous nous sommes avoués l’inavouable, c’est-à-dire ce que nous avions en vain tenté de nier : nous nous aimions… Mais notre amour impossible ne pouvait pas être, et nous le savions, aussi. Pour comprendre la suite, vous devez savoir que, dès son plus jeune âge, Émilie a été en rébellion ouverte et constante contre nos géniteurs. Quant à moi, j’étais plutot pusillanime. À cette époque et dans notre milieu bourgeois, les mariages étaient arrangés et motivés par des considérations telles que l’appartenance sociale, la fortune ainsi que les intérêts de toute nature que les parties parentales pouvaient y trouver. Émilie s’est vue imposer un fiancé. Le refuser signifiait devoir s’enfuir vers la grande ville avec peu de possibilités d’assurer sa subsistance autrement que par le truchement du commerce de ses charmes. Vous ne devez pas oublier qu’alors l’éducation d’une jeune fille de famille aisée ne préparait aucunement à l’exercice de quelque métier que ce soit. En désespoir de cause, elle a sollicité mon appui concret. La mort dans l’âme, j’ai accepté d’organiser son départ maritime à destination de l’Amérique. Elle m’a dit ce jour-là : « Épouser le premier paysan qui voudra bien de moi constituera un sort enviable à celui qui m’attend, identique à l’autre, à Paris ou ici ». Puis, devant mon désespoir, elle a ajouté : « Lorsque je serai au loin, sur cette terre étrangère, seule la mort pourra nous séparer. Par nos écrits, je vivrai ta vie et tu vivras la mienne. L’union de nos âmes transcendera notre amour coupable »… La veille de son départ, elle est venue me rejoindre dans ma chambre… Sa chevelure lunaire m’a enveloppé… Veuillez me pardonner, je m’égare…
Eugénie chasse l’offense dans l’air.
Je vous en prie, continuez : j’ai compris tellement mieux ainsi ce qui l’a tissée. Et je veux connaitre ce qui vous guide dans la quête que vous avez entreprise, puisque c’en est une.
… Vous avez raison, les êtres se forment au fil et à la trame de leur existence… D’une certaine façon, Émilie et moi avons vécu heureux… Cela fait presque trente ans maintenant que je vis dans les limbes… La vie s’est déroulée en mon absence. En bon fils, j’ai pris soin de mes vieux parents, devenus amers de chagrin, j’ai géré les avoirs de la famille… Il y a quelques mois, je me suis trouvé opposé à un choix très simple : m’abandonner à la mort, qui avait pris l’aspect d’une grave maladie et la rejoindre, si le Paradis existe, ou lutter pour survivre. Mon instinct a choisi l’ombre à la lumière et voilà pourquoi je suis venu.
Apparemment, Ivana dormait toujours sur l’immuable chaise berçante. Alors que Jérémie montait pour se reposer, Eugénie l’arrête sur sa lancée.
Un mystère subsiste : comment diable est-ce que le piano s’est retrouvé ici?
Rien de bien mystérieux, pourtant : j’ai envoyé l’instrument auquel elle tenait comme à la prunelle de ses yeux, censément brisé, en réparation chez le facteur, mais, en réalité, à destination du navire qui emporterait Émilie vers le Nouveau-monde… Mon père et ma mère se sont bien rendus compte de la disparition de l’objet, mais quelques mois plus tard seulement.
Après le petit déjeuner, des tartines garnies de sucre d’érable et du liquide qu’on appelait pompeusement café, Ivana invite son vis-à-vis aussi matinal qu’elle à effectuer une dernière promenade avant de rentrer « à la maison ». Jérémie accepte d’emblée. Ils marchent jusqu’au lac Beauchamp, autrefois connu sous le nom de Spirit Lake, imposant de magnificence silencieuse. Ils frémissent de voir tant de splendeur ainsi étalée. Tant bien que mal, ils s’assoient sur un gros rocher patiné posé à fleur d’eau. Le bras de Jérémie entoure les frêles épaules féminines. Elle ne le repousse pas.
Jérémie rompt leur silence paisible.
Émilie, ma soeur et bien-aimée, a péri par cette nature majestueuse… D’Eugénie, j’ai appris que ce lieu a été pour vos fils, un endroit maudit.
Certes mais aussi l’endroit qui a été le théâtre de leur réunion ainsi que de leur union avec la seule femme qui leur convienne à tous les deux.
Comme une renaissance, en quelque sorte.
Bien des années ont été nécessaires pour le comprendre… Pour pouvoir revivre, j’ai, tout comme vous, dû faire mon deuil du passé et me délester du poids des souffrances qui m’ont façonnée.
Et maintenant?
Ne bougez pas. Regardez attentivement cette libellule posée sur votre genoux.
Quelle perfection naturelle! Et quelle beauté complexe!
L’insecte s’envole gracieusement. Le plus longtemps possible, ils suivent du regard son vol errant. Ivana reprend doucement le dialogue.
Le bonheur, ce sont des instants fugaces, difficiles à saisir, comme ce moment, ici et maintenant. Ils sont rares. En connaitre quelques-uns constitue un privilège. Et je me sens privilégiée par la vie, malgré les deuils qui ont assombri mon existence et qui ont miné mes oeuvres vives.
Jérémie resserre son étreinte. Leurs lèvres se rencontrent à mi-parcours et se soudent.
Amédée, mandaté par une Eugénie inquiète, et qui parcourait les alentours depuis une bonne demi-heure, sourit en apercevant le couple. Il attend qu’ils terminent leur échange avant de les héler familièrement, ses mains en porte-voix.
Hé, les amoureux! Vous allez rater le train!
Les tourtereaux s’empressent mais lentement, si bien que le jeune homme a le temps de communiquer à sa tante, avec moult détails, sa découverte.
Tu sembles surpris.
Ils sont vieux!
Ce n’est que le corps qui vieillit, pas la tête. Et l’amour véritable ne s’encombre pas de considérations aussi superficielles que celles du déclin physique dû à l’âge.
… Pardonne-moi, Eugénie : j’ai parlé sans même penser plus loin que le bout de mon nez.
Ne t’en fais pas : tu as encore bien du temps avant de t’en rendre compte par toi-même!
Ils s’embrassent avec affection.
Ivana se contemple dans la psyché installée dans le vestibule. Elle avait séparé ses cheveux et les avait enroulé autour de sa tête du devant vers l’arrière de manière à former une couronne. Sa robe ajustée confectionnée dans un taffetas bleu nuit chatoyait et mettait en valeur son teint pâle et sa silhouette de jeune femme.
Tant de beauté!
La figure de Jérémie apparait par dessus son épaule.
Ne bougez pas et permettez-moi.
Le rang de perles de la plus belle eau orne aussitot son cou de cygne mais elle doit aider Jérémie, malhabile, à l’attacher. Elle se retourne. L’homme se trouvait tout proche. Ses larges mains enserrrent la taille fine.
Ivana… Où allons-nous, ma chère?
… Dans un restaurant étonnant sis au neuvième étage du grand magasin Eaton au centre-ville de Montréal. Son décor rappelle celui d’un paquebot luxueux.
Je vous suivrai jusqu’aux Enfers.
… Jérémie… Venez, le taxi klaxonne.
Ils rentrent plusieurs heures plus tard, ravis et repus. À la porte de sa chambre, Jérémie enlace Ivana. Elle tend ses lèvres. Il les baise longuement.
… … Bonne nuit, ma chère.
Elle le suit du regard. Jérémie n’ose pas se retourner.
Ivana lève les yeux et regarde l’intrus par dessus ses lunettes de lecture. Elle sourit, les ôte et referme son livre. Jérémie caresse tendrement sa joue et s’assoit auprès d’elle.
J’aimerais que vous m’accompagniez à Paris.
Soyez plus clair, je vous en prie.
Au moins quelques semaines me seront nécessaires pour mettre en ordre mes affaires. Après, nous serions libres pour voyager tant que vous le souhaiterez… … avant de rentrer ensemble, du moins si vous m’acceptez dans votre vie, Ivana.
Il conserve les yeux baissés et son souffle se suspend en attente de la réponse cruciale, laquelle ne tarde que le temps nécessaire à maitriser l’émoi que ladite ressent.
Je le veux tout autant que vous, Jérémie… N’avez-vous pas une autre requête à me présenter?
… … Je me trouve incapable de la formuler.
Tout comme vous, je souhaite notre rapprochement intime…
Ils s’embrassent jusqu’à en perdre le souffle. Ivana murmure.
Dans une heure, venez me retrouver…
Après des ablutions méticuleuses et parfumées, suivies d’une séance de rasage soigné, Jérémie revêt une tenue d’intérieur seyante en brocart. Il enfile les mules coordonnées et sort dans le couloir. La porte de la chambre se trouvait entrouverte. Il la referme derrière lui. À la lueur de la veilleuse, il se rend compte qu’Ivana dort. Sans faire le moindre bruit, ni perturber le sommeil de sa dulcinée, Jérémie se glissa sous le drap. Peu après, il s’endort à son tour.
Ils s’éveillent au même moment et dans les bras l’un de l’autre. Jérémie baise longuement les lèvres offertes. Ivana love sa langue tout contre la sienne. Il resserre son étreinte et approfondit leur baiser. Avec des gestes empreints de timidité, il enhardit sa main sur la poitrine, qu’il caresse. Ivana détache les boutons de sa chemise de nuit. Les doigts s’attardent sur les mamelons érigés. La bouche complète. Ivana déboutonne la veste et effleure le torse velu. Jérémie presse la vulve. Elle relève son vêtement.
Très délicatement, comme si vous touchiez une fleur, en formant des cercles tout autour du bouton… en alternant avec des frottements doux, au centre.
Attentif et patient, Jérémie amène son amante sur les cimes du plaisir. Ivana se dénude complètement. Lui aussi se débarrasse de tout ce qui entrave leur contact. Peau à peau. Le pénis se dresse de tant d’attentions digitales délicates. Il renverse sa femme et s’incruste au dedans d’elle. Ils s’unissent avec lenteur, les prunelles de l’un noyées dans celles de l’autre. Ils crient d’extase partagée.
Plus tard, il murmure, la bouche tout près de son oreille.
Avec vous et pour toujours.
Elle souffle, presque imperceptiblement.
Je vous aime.