Le rhombe
Louise Gauthier
Triangolo
La sonnerie du téléphone trouble le silence réparateur du début de la nuit. Arnaud s’étire pour saisir le combiné qui s’échappe de sa main. Pestant en chuchotis il tatonne dans la pénombre et le ramasse.
Je te réveille!
Un peu…
Je voudrais que tu sois près de moi!
Nous nous verrons demain…
Pour le travail! Ce n’est pas la même chose…
Je sais mais je ne pourrai pas te rencontrer en privé avant samedi.
Mi manchi molto… Tu sais ce que je te ferais subir si tu te trouvais à mes côtés en ce moment?
Raconte-moi.
Arnaud ferme les yeux à l’écoute de la merveilleuse voix de son amant qui lui narre par le menu les tendres attentions qu’il lui prodiguerait. Les deux hommes se masturbent fébrilement s’imaginant que la main de l’autre accomplit ces gestes d’amour. Apaisement silencieux plein de tendresse. Ti amo! Je t’aime! A presto!
Après un brin de toilette Arnaud sombre vite le sourire accroché aux lèvres. Élise ne peut se rendormir. Elle se pelotonne contre lui et il la prend dans ses bras.
M’aimes-tu… encore?
Je t’aime! Tu le sais bien d’ailleurs… Tu veillais!
Je voudrais que tu me parles d’elle…
C’est Pier. Il est merveilleux et parfait! Et je l’aime.
Il? Tu l’aimes?
Élise allume et se retourne sur le côté la tête à demi relevée reposant sur son bras. Elle attend la suite le cœur bondissant. Arnaud lui raconte tout avec des mots se bousculant dans sa bouche : sa rencontre avec Pier, sa première nuit avec lui, l’éveil de leur amour. Il lui fait part de ses hésitations, craintes, tergiversations envers une liaison… homosexuelle, de ses certitudes balayées dès qu’il s’était retrouvé entre ses bras. Le désir d’abord primant sur toute autre considération puis l’amour qui avait transcendé le genre identique. Qu’il avait alors vraiment compris dans ses tripes qu’un tel lien n’est pas intrinsèquement et fondamentalement divergent de celui que d’aucuns qualifient de normal. Quant aux rapports sexuels donner ou prendre du plaisir avec consentement mutuel ne saurait être dégradant parce que c’est un acte amoureux accompli dans le respect entier de l’autre. Qu’il avait puisé dans cette conviction tous doutes envolés le courage de s’accepter sans dichotomie et sans étiquette. Il lui dit aussi qu’une partie de sa vie appartient à son bien-aimé mais que l’autre la plus importante les concerne elle et Solveig ses amours. Élise accuse le coup de poignard; elle ferme les yeux. Le silence se prolonge.
C’est différent de tes conquêtes habituelles! On va faire avec…
Merci. Je t’aime!
Et lui va-t-il comprendre?
Il y viendra s’il m’aime vraiment.
Tu oublies que peu de gens peuvent vivre comme nous; c’est ardu sans certitude… Caresse-moi et raconte-moi comment il te fait l’amour…
Ce samedi après-midi Arnaud et Pier se retrouvent enfin seuls. Ils se jettent goulument dans les bras l’un de l’autre animés d’une soif inextinguible que seul l’aimé peut étancher… Leurs vêtements volent à travers la pièce et leurs corps se rejoignent dans une étreinte fougueuse. Coupant le silence essoufflé de l’apaisement ils se disent leur amour et s’étreignent. En début de soirée après d’autres ébats tout autant passionnés ils se rhabillent pour le diner. Pier avait réservé au restaurant Il Boccalini sur les conseils d’Arnaud qui y avait soupé avec Élise et avait grandement apprécié la fine cuisine italienne. Profondément heureux de se retrouver, de sortir ensemble, de se noyer dans les yeux de l’autre, de converser sur tout et sur rien. As-tu déjà pensé à faire peindre une fresque au plafond de ta chambre et de l’éclairer en veilleuse pour les moments d’insomnie? Intéressante ton idée. Ils savourent la présence de l’autre comme ils le font des plats raffinés qui leur sont servis. Ils rentrent fort tard repus et fatigués. Ils s’endorment mains enliées. S’éveillent dans la nuit pour s’unir encore plus étroitement. Arnaud offre l’accès de son intimité aux assauts d’un engouement plus que passionné de son amour douleur et plaisir en duo désormais familier. Quand son amant l’incorpore ensuite Pier s’abandonne totalement à lui. Ils se rendorment comblés les doigts entrelacés et les cœurs enchassés. Le matin est empreint d’ensoleillement au-dehors et en dedans. Arnaud reçoit sa première leçon de natation de son professore particulier. Ils dévorent ensuite à belles dents un petit déjeuner américain gargantuesque confectionné par le chef Pier. Arnaud s’attarde tout l’après-midi.
Les amants se retrouvent toutes les fins de semaine. Ils « dorment » maintenant dans les quartiers d’Arnaud qui y a entreposé quelques affaires en raison des travaux de rénovation dans l’appartement de Pier. Avides de la présence de l’autre, du cœur de l’autre, du corps de l’autre. À la fin d’une autre merveilleuse soirée Pier le convie à sa chambre rénovée. Arnaud en tombe à la renverse sur le lit feignant l’évanouissement. Une Étude de l’homme d’après Léonardo da Vinci ornemente le plafond…
Tu n’aimes pas?
C’est superbe!
Mais?
Tu as servi de modèle au peintre?
Elle a déploré mon refus. Très flatteurs ton commentaire et sa réaction. Je sens que je deviens narcissique.
En tout cas tu n’es pas « juste un peu » homosexuel et qui plus est obsédé.
Tu te plains de l’un et de l’autre?
Si tu n’étais pas gai ce serait triste puisque nos relations seraient demeurées platoniques. Si tu étais femme je dois t’avouer que je trouve ta poitrine un peu plate et tes hanches manquent des courbures appropriées et l’idée que tu as à te raser le matin… Enfin je te préfère homme tout compte fait. Quant à l’obsession c’est bandant; touche pour constater.
Élise contemple le bristol qu’Arnaud lui a confié quelques semaines auparavant au cas où elle voudrait le rejoindre en cas d’urgence. Elle doit s’y prendre à trois reprises pour composer le numéro puisque ses mains tremblent.
Monsieur Pier Borghese je suis Élise Arsenault l’amie d’Arnaud. C’est son anniversaire samedi mais nous le fêtons vendredi. J’aimerais que vous soyez des nôtres.
Perché?
Notre existence ne constitue pas une menace à votre relation. Je vous en prie Arnaud vous saura gré que vous ne rejetiez pas du revers de la main une partie de sa vie. À dix-neuf heures viendrez-vous?
Si.
Quand Arnaud rentre ce vendredi-là Élise l’accueille d’un baiser et d’un dry martini et Solveig d’une grosse bise sonore mouillée assortie d’un « papa! » clairement gazouillé. Arnaud les entoure toutes les deux de sa chaude affection Solveig dans les bras de sa mère. Bon anniversaire mon amour! Na-ni-ver-sèr papa! Le timbre bourdonne. Un point d’interrogation en tête et au visage Arnaud actionne la commande et ouvre la porte intérieure. Pier monte un paquet enrubanné au bras et l’air très embarrassé. Il lui tend gauchement le cadeau habillé d’un gros nœud violet. Arnaud les larmes aux yeux le met de côté et serre très fort son amour. Pier l’embrasse longuement. Merci! Tanti auguri Arnaud! Pier! Bè-zé à Solveig? Levant vivement les yeux au son de cette voix enfantine Pier aperçoit la bambina qui lui sourit ses petits bras tendus vers lui. D’abord surpris il la prend des bras d’Élise et la gratifie d’un gros baiser sonore et la soulève au-dessus de sa tête. Les éclats du rire argentin résonnent comme une musique à ses oreilles. Il s’émeut de ses tendres fossettes quand elle rit en cascade, de ses doux cheveux, de ses yeux rieurs et intelligents. Ton papa a certainement besoin de ton aide pour déballer son cadeau : il est si maladroit! Solveig approuve d’un vigoureux signe de tête. Pier la dépose devant le paquet. Toute fière elle applaudit. Elle s’empare d’autorité de la boite et s’assoit par terre et s’escrime sur le gros ruban violet sous le regard amusé des autres qui assimilent durant cette pause la présence de chacun. La petite se concentre la langue un peu sortie. Un cri de victoire fuse quand elle réussit à dénouer le ruban; elle court à sa mère brandissant le morceau de soie. Maman Élise regarde! Solveig s’amuse avec son trophée toute la soirée jusqu’à ce que fatiguée elle succombe au sommeil en serrant dans sa menotte son trésor maintenant tout chiffonné. Solveig a brisé la glace; sa présence a fait en sorte que Pier se sente bien d’être là sans amertume et sans arrière-pensées.
Pier offre à Arnaud une élégante robe de chambre noire en cachemire. L’emballage contient cette dédicace : « J’envierai à cette délicate étoffe le bonheur de te caresser. Ti amo! » Élise lui donne des pantoufles pour remplacer ses vieilles mules trouées. Solveig a griffonné des signes cabalistiques en noir sur un papier violet et parafé d’un S tarabiscoté. Élise a traduit en mots : « Je t’aime! » Le souper se déroule cordialement. Élise a prévu en entrée du prosciutto et du cantaloup. Pour le plat principal elle a cuisiné une lasagne sauce bolognaise le plat favori du fêté. Tout est délicieux et bien arrosé d’un très potable Chianti Classico San Felice. Pier est touché aussi par Élise et par ses efforts pour lui ouvrir la porte de leur intimité. Élise accueille Pier comme elle l’a fait avec Arnaud : naturellement et simplement. Après un dernier verre Élise s’éclipse discrètement et les laisse en tête à tête. Arnaud voit qu’elle s’apprête à s’installer auprès de Solveig pour y passer la nuit. Élise je t’aime lui dédie-t-il d’un regard. Elle lui répond d’un petit signe muettement complice. Pier surprend l’échange. D’abord extrêmement sidéré puis infiniment embarrassé il se laisse pourtant volontiers emporter par l’amour…
La porte de la chambre se referme sur eux. Prestement dénudés et face à face ils laissent leur désir grandir sous le regard aimant jusqu’à ce que le besoin de contact devienne insoutenable et se transforme en impulsion puis en obsession. Ce n’est qu’alors qu’ils s’échouent au mitan du lit se ratissant de fond en comble voraces toute audace souhaitée et permise dans une acceptation totale de l’autre. Aucune caresse de la bouche, de la langue, de la paume, des doigts, du corps, de la verge ne reste dédaignée ou frappée d’interdit. Don total sans retenue aucune jusqu’à ce que leur passion se galvanise au diapason de l’autre et obsédé par l’autre. Tour à tour arc-boutés profondément dans les entrailles de l’autre le phallus culminant de secousses orgasmiques puis se déversant liquéfié dans un cri d’amour primal. Bouleversés et dévastés par ce tsunami surgi de profondeurs telluriques ni Arnaud ni Pier n’ont auparavant même soupçonné qu’une telle osmose soit possible et qu’un tel lien puisse se former impliquant chacun si complètement l’un et l’autre l’un à l’autre.
Élise ne peut fermer l’œil qu’au petit matin à cause du raffut : les gémissements, les cris, les sourds feulements sonores en provenance de la chambre voisine et les ébats olé olé qui s’étaient poursuivis jusque dans la salle de bain. Le plaisir singulier était plutôt terne en comparaison. Elle avait souhaité que la masturbation la rende réellement sourde.
Au matin une Solveig enthousiaste saute dans le lit conjugal leur arrachant des exclamations de douleur. Papa! Pier! Crêpes!
Élise réveillée à l’aube par sa trop matinale fille les traits encore flous a préparé avec des gestes d’automate une montagne de crêpes fines et légères qu’ils dégustent inondées d’une rivière de sirop d’érable dans la minuscule cuisine tous en robe de chambre Pier ayant revêtu le cadeau et Arnaud sa vieille trouée. Solveig gazouille collante des pieds aux cheveux. Élise à sa manière douce a fracassé des barrières qui s’apprêtaient à causer drames et déchirements définitifs. Pier devait s’acclimater : en effet c’était incontournable.
Le samedi soir vers vingt-deux heures Arnaud se rend chez son amant à l’improviste. Marialucia lui ouvre. Pier est là? Il vous espérait je crois; vous le trouverez dans ses quartiers. Arnaud escalade quatre à quatre le grand escalier. Pier lit à demi étendu sur une des causeuses de l’antichambre. Apercevant son amour il l’éclabousse d’un sourire radieux. Se redressant il l’invite du geste à le rejoindre. Leurs mains et leurs lèvres se joignent longuement.
J’ai entendu ton appel irrésistible.
J’ai pensé à toi très fort ce soir; je voulais te voir absolument.
Je suis tout là. Je t’aime.
Ti amo Arnaud!
Pier se départit de la chevalière ornant son doigt et la passe à l’annulaire gauche de son fiancé aussi ému que lui. Ils font l’amour ensuite corps de concert et cœurs au diapason traduisant ce que ressentent leurs âmes.
Élise remarque la bague bien entendu.
Une demande en mariage acceptée en quelque sorte?
Cela veut dire aussi qu’il négocie avec la situation mais à sa façon particulière.
Un tantinet possessive disons! Cette pierre je n’en ai jamais vu de semblable; elle est d’une beauté incomparable!
Cette gemme est une rareté. Et la violane n’a été trouvée jusqu’à ce jour qu’à un seul endroit au monde : dans la Vallée d’Aoste. Pier en a hérité de son grand-père paternel.
Un bijou aussi rare, unique, précieux que toi pour lui et réciproquement.
Oui. Élise je t’aime!
Je sais; je t’aime aussi.
Quinze jours plus tard ils sont invités tous les trois à passer la fin de semaine chez Pier. Entretemps le propriétaire des lieux a fait élever une palissade de treillis blanche autour de la piscine per evitare un infortunio a Solveig. Arnaud a été très touché par sa réponse quand il l’a interrogé la semaine précédente sur les travaux entrepris; Élise l’est aussi. Solveig fait immédiatement des ravages dans le cœur de Marialucia; elles deviennent de grandes amies bavardant de longs moments entre elles sans que personne ne comprenne vraiment ce qu’elles se racontent. C’est con-fi-den-tiel! a déclaré à la ronde Solveig d’un air sérieux quand Pier l’a interrogée sur ses conversations avec Marialucia.
Cet été-là une fin de semaine sur deux ils sont invités tous les trois; autrement Arnaud vient seul et reste durant tout le week-end. Sans que cela pose problème même si toute la famille est présente Arnaud passe toutes ses nuits avec Pier. Élise est tout d’abord considérée par Pier appartenant à une espèce extra-terrestre. Pour Pier le monde se conjugue au masculin mais il déploie des efforts considérables pour vaincre sa misogynie. Il respecte sa personnalité franche et généreuse, simple dans sa complexité, d’une rigoureuse honnêteté. Elle apprend à se repérer dans les méandres de cet être fascinant. Ils se trouvent une communauté intellectuelle certaine ce qui cimente leur relation qui avait commencé du fait mais se poursuit d’accord. Et Élise succombe au charme italien… et déplore les inclinations dudit.
Vers le milieu de l’été un samedi soir Élise se place devant la porte qu’elle vient de refermer. Vos caresses étaient moins retenues qu’à l’accoutumée. Je ne suis pas en bois! Et je n’ai pas fait vœu de chasteté! Je te veux tout de suite et avant que tu ailles le rejoindre. Arnaud s’exécute volontiers. Il aime être le sujet du désir d’Élise et se donner totalement à elle et s’abandonner à ses assauts passionnés. Prestement dénudés préservatif vite enfilé Arnaud s’étend sur le dos. Élise le chevauche dans une plainte à peine contenue au bord de l’orgasme. Arnaud la prend par les hanches retenant parfois ses élans impétueux. Ils sont emportés par la même vague comme cela leur arrive presque toujours. Unis encore elle se réfugie entre les bras accueillants de son amour.
Pier les observe le cœur serré. Arnaud tardait à le rejoindre et lui aussi très émoustillé par les caresses échangées auparavant il venait s’enquérir et le quérir. Il avait entendu des bruits suspects derrière la porte de la chambre d’Élise. Il avait ouvert impulsivement sur le flagrant délit. Il est jaloux mais aussi troublé par ce qu’il voit et devient très bandé à sa très grande surprise. Domptant la jalousie et se décidant finalement il ôte sa vestaglia et s’étend près d’eux se lovant tout contre les amants encore joints. Arnaud tourne la tête et lui offre ses lèvres… Pier l’embrasse. Ses doigts ondoient sur le dos d’Élise et la font onduler de plaisir. Sans hésitation elle lui sourit. Pier renvoie et s’empare de sa bouche. Intimité déroutante; jamais Pier n’avait connu charnellement une femme ni a fortiori souhaité une telle union. Il a l’impression de se trouver sur une autre planète mais il n’y voyage pas en touriste solitaire : Arnaud est là. L’origine et l’aboutissement de son plaisir dépendent de son amant c’est indéniable et incontournable mais dans l’intervalle une infinité de possibilités existent permettant la fusion du couple en triangle. Pier se rend compte qu’il souhaite ardemment que cela se produise et que c’est réciproque. Et il s’y consacre complètement en s’abandonnant au tourbillon de sensations étranges. Ils caressent de concert les rondeurs féminines s’effleurant des mêmes gestes. Et c’est ensemble qu’ils la comblent. Dans une union d’une bouleversante intimité ils s’accordent à travers elle et se donnent et jouissent avec elle.
Avant la fin de l’été Arnaud, Élise et Solveig viennent habiter la Grande maison qui s’anime au vibrant rythme de la vie. À la rentrée scolaire son congé de maternité prolongé terminé Élise reprend son poste de professeure d’informatique. Marialucia refuse que Solveig aille à la garderie durant les heures de travail d’Élise : je suis la meilleure des bambinaia la preuve est là! Elle désigne fièrement Pier lequel approuve! Élise lui saute au cou : Solveig est encore bien petite pour la garderie et elle n’éprouve pas encore le besoin de socialiser avec d’autres enfants.
Ne conduisant pas Élise prend un taxi matin et soir. C’est comme cela qu’elle fait la connaissance d’Eunice Simon chauffeuse de taxi de son état. Eunice a la mi-trentaine, communique facilement, adore parler des frasques de ses deux ados un garçon de treize ans et une fille de quinze ans et se dit dotée d’un mari « pas si pire ». Élise la trouve très sympathique et très attirante Vénus callipyge à la chair d’onyx généreuse et aux seins opulents mais cela elle se refuse à le lui faire sentir. Finalement c’est Eunice qui l’adopte venant d’elle-même la chercher tous les matins à la même heure et la ramenant à la fin de la journée.
Côté travail Arnaud continue à collaborer pour d’autres contrats avec la firme de Pier et de ses associés et une relation de confiance s’établit avec ceux-ci. Arnaud déménage son étude dans le même édifice du centre-ville la porte à côté. Marielle est engagée à plein temps. Elle et Arnaud poursuivent leur relation épisodique. Ils étaient devenus amants il y avait peu sur la moquette de l’ancien bureau d’Arnaud. Marielle le sait marié et père; elle tente difficilement de taire les élans de son cœur. Certes Arnaud l’aime beaucoup mais juste beaucoup et la respecte tout autant. Jusqu’à récemment ils se rencontraient chez elle le jeudi soir. Sauf depuis deux semaines il la visite maintenant le vendredi après-midi congé qu’elle a obtenu en négociant ses déjà très bonnes conditions de travail; il part au commencement de la soirée sans fournir l’ombre de la moindre parcelle d’explication sur cette modification unilatérale. Il n’a pas changé pourtant; c’est toujours aussi merveilleux avec lui. Il est si affectueux, entreprenant, ludique en même temps, amant si délicat et passionné à la fois. Elle se dit que ce serait préférable de regarder un peu ailleurs tout en poursuivant parallèlement du moins encore un peu ses amours torrides avec Arnaud.
Pier Borghese travaille fréquemment avec Arnaud. Son charme italien ne laisse pas insensible la belle Marielle. La secrétaire de Pier et de ses associés la très gentille et jolie Martine Bastien vient parfois donner un coup de main. Les deux jeunes femmes se sont liées. Elles vont souvent diner ensemble au restaurant. Marielle est expansive et au cours d’une conversation animée où il est question de la gent masculine elle confie à Martine son attirance envers Pier Borghese. Martine abasourdie lui explique délicatement qu’elle-même très sensible à son charme italien lui a jadis fait des avances discrètes. Très gentil comme il l’est toujours Pier lui a précisé qu’il préfère la similarité des genres. Marielle émet un « oh! » surpris et déçu. Dommage pour la gent féminine; Martine opine dans le même sens.
Martine trouve Arnaud fort à son gout mais n’en pipe mot à Marielle d’autant plus qu’elle a surpris un baiser brulant alors qu’elle venait rejoindre son amie légèrement en avance sur l’heure du midi. Martine trouve la situation distrayante étant donné que Marielle ignore que Pier et Arnaud habitent maintenant à la même adresse et répondent de ce fait au même numéro de téléphone : c’est comme cela qu’elle a découvert le pot aux roses en téléphonant à Pier chez lui Arnaud a répondu avant de lui passer la communication; de plus sauf le vendredi ils arrivent dans la même voiture. Martine sait très bien additionner; un vrai feuilleton!
Un soir Marielle ne part pas à cinq heures pile : elle a fait une erreur et reste afin de la corriger conscience professionnelle oblige; cela lui prend une heure. Arnaud et Pier étudient un dossier ensemble depuis le début de l’après-midi; elle peut les apercevoir penchés sur des documents de part et d’autre de la table de travail en ombre chinoise par la vitre givrée qui sépare le bureau d’Arnaud du sien. Le regard attiré par un mouvement soudain elle voit l’athlétique silhouette passer de l’autre côté de la table. La silhouette longiligne se lève du même mouvement. Bouche bée elle les voit s’étreindre puis s’embrasser très longuement. Pier se dirige ensuite vers la porte, l’ouvre, se retourne, dit après avoir consulté sa montre : on rentre? Cinq minutes et je te rejoins. Cinq pas plus! Arnaud rit Pier aussi. Marielle est si immobile que Pier ne la voit pas quand il sort. Elle va se réfugier dans les toilettes et sanglote. C’est donc la raison du changement : un homme dans sa vie! Elle sait qu’Arnaud a déménagé récemment; elle se rappelle qu’il a pris congé pour le faire et que Pier aussi s’était absenté ce même jour Martine le lui avait dit et Marielle a une excellente mémoire. Arnaud demeure donc maintenant avec Pier! Cet « on rentre? » est sans équivoque. Leur étreinte l’est aussi. Et sa femme? Et sa fille? La tête chaotique Marielle rentre chez elle laissant tout en plan. Plus de cinq minutes étaient passées mais Arnaud en prenait toujours dix ou quinze de plus pour s’ébranler et elle ne veut pas le rencontrer pour le moment.
Le lendemain Marielle se pointe une heure à l’avance puisqu’on ne règle pas les problèmes pendant les heures de travail sachant qu’Arnaud entre vers huit heures. Les deux hommes arrivent ensemble à bord de la Mercedes-Benz de Pier − Arnaud possède une magnifique BMW bleu profond mais il ne la prend pas souvent. Pier dépose Arnaud à l’entrée de l’immeuble avant d’aller garer la voiture. Marielle l’attend debout dans son bureau regardant encore l’entrée en contrebas. Elle se retourne pour lui faire face; elle lui indique qu’elle veut obtenir certains éclaircissements sur sa situation « matrimoniale ». Oui il aime Pier. Non il n’a pas quitté Élise pour aller vivre avec lui. En fait tous les trois restent ensemble. Oui vraiment ensemble. Effectivement c’est la raison qui a amené le changement dans la durée et la périodicité de leurs rencontres étant donné que Pier n’aime pas beaucoup qu’il prenne une soirée de « congé » − il l’avait fait une fois; Pier n’avait pas commenté mais Arnaud avait trouvé la porte de sa chambre verrouillée et Pier l’avait boudé plusieurs jours durant se confinant dans un silence outré et rageur qui avait attristé le fautif. Pour le moment il préfère éviter une confrontation. Oui il l’aime plus que beaucoup et la désire toujours autant. Non il n’est pas devenu subitement homosexuel et elle l’attire plus que jamais elle en a eu la preuve ces derniers vendredis. Il le lui prouve à nouveau à la hussarde − quelques préservatifs trainaient toujours dans ses poches − et elle en est très convaincue. Oui c’est pareil avec un homme à peu de chose près et il pourra lui montrer une partie de la différence vendredi si elle le veut bien. Oui il veut vraiment poursuivre leurs relations. Oui il sait que c’est très difficile pour elle. Oui il sait qu’elle éprouve plus qu’une grande affection pour lui mais lui aussi. Il regrette de ne pouvoir y répondre davantage. Non il ne sera pas jaloux si elle regarde ailleurs il comprend. Oui elle veut encore continuer avec lui pour un temps et ne voit aucun inconvénient à ce qu’il lui consacre une soirée supplémentaire de temps en temps disons en plus du vendredi après-midi un jeudi sur deux? D’accord. Ceci crée un peu de vagues mais Pier s’adapte.