Nouaisons
Précédé de Trop tôt… Suivi de … Trop tard
Louise Gauthier
Épilogue au printemps
Le temps qui s’étire à l’éternité.
L’absence de l’autre ou le rejet anticipé ou l’empêchement réel ou supposé exacerbe le désir amoureux d’une puissance et d’une intensité auprès desquelles la résistance est un fétu de paille emporté par un cyclone. Cette tornade émotionnelle dévaste l’être dans son intégralité. Échapper à cette tourmente existentielle relève de l’utopie. Le rêve qu’existe une parcelle d’espoir permet de surnager au quotidien. La terreur que cette étincelle soit anéantie comprime la gorge et le cœur et obnubile la raison et donne l’impression d’exister sur une plaque tectonique instable. Et de ne valoir que la valeur du rejet c’est-à-dire pas grand-chose. Zéro infini et inexistant sur tous les plans de l’être. Cris de souffrance primaire lâchés dans la solitude en réponse à ce cancer de l’âme et du cœur et du corps qui mine la vie et l’étiole et l’enferme dans une geôle sans lumière.
Le temps qui s’écoule à l’éternité.
Trois mois. Sans Louis et son sourire soleil. Sans lumière. Sur l’incontournable répondeur professionnel le message laconique exprimé d’un ton neutre me fixe rendez-vous l’après-midi même à quatorze heures au café-bistro A. L. Van Houtte à proximité du collège.
Je m’y rends à treize. Deux cafés corsés plus tard arrive Louis. Je manque d’air et mon cœur bat la chamade en réaction à son intense proximité. Un trop court sourire qui se veut probablement neutre. Il s’affale sur la chaise en face de moi et pose le roman entre nous deux sur la table. Il rompt le très long silence cotonneux qui s’était installé.
C’est intéressant… En filigrane mon ersatz constitue un portrait taillé au scalpel de ma personne. Magnifié par certains côtés et diamétralement divergent par d’autres mais ressemblant dans l’ensemble résultant. Avec peu d’information tu as « intuitionné » beaucoup. Bien sûr les évènements sont fictifs et mes amours autres mais certaines situations émanent partiellement du réel et elles sont plausibles dans le développement et le dénouement compte tenu du contexte. J’ai identifié aussi certains autres modèles physiques ou amalgames surprenants parfois pour les derniers. J’ai ajouté quelques annotations en marge que je crois pertinentes. Je l’ai relu plusieurs fois…
Le monologue laborieux laisse augurer un fond orageux à l’orée de la suite. Il poursuit en diésant.
J’ai fort bien compris également tes hésitations à me confier la lecture de cette version et pourquoi en long et en large et en profondeur tu me considérais étant le lecteur idéal. Sous le couvert du roman tu dévoiles beaucoup de toi principalement en ce qui concerne tes sentiments à mon égard. Et nous sommes en plus les seuls « personnages » dont les prénoms sont demeurés les mêmes. Et tu voudrais également faire en sorte qu’en ce qui nous concerne la fiction rejoigne la réalité puisque tu m’interpelles dans l’écrit directement… pas la création mais moi d’une question qui résonne et raisonne et arraisonne tel un défi. Regarde-moi!
À son ordre péremptoire je rive mes yeux aux siens prisonnière de ce regard magnifique mais insondable. J’ai l’impression de me liquéfier autour du noyau d’émotions contradictoires et inextricablement emmêlées. Aucune parole ne peut franchir le halo de silence et de solitude qui m’encercle soudain l’œsophage ainsi que tout le reste. L’orage s’abat dru.
Un hommage plutôt flatteur mais un obstacle majeur et qui me bouscule pas mal!
Je ne te demande rien Louis.
Ce n’est pas si clair!
J’ai cru naïvement qu’écrire ce roman agirait en catharsis et m’aiderait à me libérer de ce manque et annihilerait par le fait même ce que j’éprouve pour toi… C’est un pat sur toute la ligne mais c’est mon problème. J’ai quarante et un ans Louis. C’est tout juste vingt ans de plus que ta jeunesse. C’est tout un monde pour toi. Je peux vivre avec cela et réussir à être relativement heureuse. C’est possible de l’être même sans soleil… Je parviendrai certainement à force du temps qui suit son cours sinon à t’oublier du moins à confiner étanche cet amour (au sujet absent) dans le creux de mon cœur pour que cela fasse moins mal et que la vie continue (malgré la douleur de vivre qui tenaille).
Bien peu restait à ajouter pour conclure cette impossibilité (pour lui) mais j’hésite à terminer là cet échange pourtant si dur à vivre (pour lui aussi sans doute). La porte à peine entrouverte d’une molécule allait se refermer hermétiquement et définitivement.
Louis… Réponds à ma question d’origine.
C’est oui.
Je te remercie d’accepter la dédicace…
Je reprends la chose et je pars.
Au parc à proximité un banc à l’écart m’accueille. Parce que je ne peux plus contenir la digue les larmes se mettent à sourdre d’abondance en piètres exutoires de l’âme à cette vie qui déborde mal. L’apaisement viendrait peut-être un jour mais pour l’heure c’était trop difficile…
Louise…
Il s’assoit près de moi en substance ou inventé. Il reprend doucement le dialogue.
Tu as idéalisé bellement une relation que nous pourrions avoir et ça me fait peur. La réalité ne pourrait jamais atteindre cela. C’est trop en attendre…
Je sais fort bien faire la distinction entre l’imaginaire et le réel. Je n’aurais pas pu écrire ce roman si cela n’avait pas été le cas : je l’aurais plutôt vécu en cellule capitonnée mais c’est mon unique privilège de le terminer à mon gré…
Et qu’imagines-tu?
Que tu me prends dans tes bras et que tu m’enserres fort et que tu ne répugnes pas d’au moins essayer de conjuguer le verbe communiquer (et peut-être un tout petit peu aimer en mode mineur) avec la (vieille) femme que je suis. Le reste méritant la discrétion du secret d’alcôve…
En cœur et corps d’accords tu règnes royal.
Tu illumines cette âme étale.
Roi-soleil! Au creux de ma vie je t’aime…
L’Éternité retrouvée du Poème.
La dame de cœur, fragment de L’amour est .