Pour hommes seulement
Variations sur la nature
Louise Gauthier
Ma belle si tu voulais nous dormirions ensemble…
Armand rentre tardivement encombré d’un carton volumineux qu’il dépose avec soulagement sur le sol. Un machin pour bébé d’après l’illustration sur la boite.
C’est quoi?
Le siège se place sur une chaise. C’est pratique : il pourra ainsi partager nos agapes.
Armand installe l’objet d’appoint à l’endroit présumé à gauche de sa place habituelle soit celle du mâle dominant le taquine parfois Émile et en face de celle du prince consort. Réalise quelques réglages mineurs de position. Évalue son travail et en tire apparemment satisfaction.
Il se dirige ensuite vers le bahut contenant le service des grands jours. Dénombre assiettes, plats, bols, ustensiles, verres, coupes, serviettes et tutti quanti. Passe à la cuisine où il fourrage dans les armoires et le garde-manger. Établit consciencieusement une liste. Son conjoint s’encadre et s’appuie au chambranle de la porte.
Qu’est-ce que tu fais?
Un inventaire. Pour m’assurer qu’on ne manque de rien.
Il continue ostensiblement son examen des choses.
Et en prévision de quoi?
Euh… Je voulais justement t’en parler.
C’est la raison de toutes ces simagrées?
Oui… Je dois ménager les susceptibilités du chef et glisser quelques subtiles allusions…
Aussi aériennes que les entrechats d’un éléphant virevoltant dans un magasin de porcelaines! À ta manière « délicate » tu me fais part de tes humeurs subitement familiales et que tu souhaites offrir le réveillon à notre famille élargie et dont tu désires que j’en orchestre la dégustation?
Veux-tu?
Émile ne répond pas tout de suite, prend le temps de se rapprocher, d’entourer son cou en collier.
Les sparages c’est à cause de l’esclandre de la dernière fois?
Armand acquiesce.
Ce sont tes susceptibilités qu’on devrait ménager! Certain que je le veux! … Mais j’y mets une condition incontournable : un marmiton ou plutôt une; Blanca pourrait m’assister et faire le service.
Je me charge de la circonvenir!
Hum… Je préfère m’en occuper… Espèce de… filou manipulateur!
Un tendre baiser l’empêche de s’exclamer.
… Annonce un menu traditionnel mais des plus savoureux… Et j’ai besoin de plusieurs jours d’apprêt… Combien de personnes?
Doublement d’accord. Et le même nombre que l’autre fois mais on devra confirmer. Je t’aime.
Je t’aime … Je complète ta liste d’achats … Ce sera tellement délectable que j’en serai immortalisé du fait!
Armand a peine de retenir son hilarité.
J’ai été eu!
La vanité te perdra maitre Corbeau…
Ils se chamaillent un peu, ludiques. Et heureux.
Qu’y-a-t-il? Tu sembles à la fois perplexe et surpris…
Bizarre… David a accepté notre invitation. Et il a précisé qu’il sera accompagné sans expliciter davantage… Je me demande bien qui cela peut être…
Une personne de plus donc… Tant que ce n’est pas la brigade au grand complet!
Vas-tu inviter Anthony?
Non.
Te méfierais-tu de moi?
De ta chair faible un peu… Mais c’est surtout que je le connais assez pour savoir qu’il ne se sentirait pas très à l’aise avec tout ce monde. Mon amant se montre un peu sauvage socialement parlant.
Je respecte cela… Quant à la « chair faible »… Tu as tout à fait raison… Il est très très attirant… À trois un de ces quatre?
Hum… Pas certain… Mais je lui en toucherai probablement un mot… « un de ces quatre »… Mais vraiment Émile je n’oserai même pas qualifier tes moeurs!
Glissons sur les tiennes : tu as au moins envisagé la possibilité…
Ciel! Tu déteins! C’est terrible!
En tout cas cela me donne des idées… Pour les connaitre tu dois montrer patte blanche…
Sans plus attendre Armand défait sa braguette et exhibe un organe en intéressant état.
Et ça peut faire l’affaire?
Cela dépend de ce que tu veux en faire…
Armand le plaque sur le comptoir, détache le pantalon et l’abaisse en même temps que le slip.
Te la planter au troufignon.
Ce qu’il fait sans que ne s’élève la moindre protestation. Émile se rend ensuite coupable d’un viol de conjoint sur le carrelage de la cuisine.
Les revoyures matinales sont chaleureuses après ces quelques mois sans d’autres contacts que téléphonique. Car Pierre Alban a repris médecine, Jolaine aussi mais à mi-temps. Plus de moments pour les voyages et pas facile d’être parents. Enfin un peu de vacances fera du bien. Dans les bras de son grand-papa Émilien gazouille à l’instar de sa maman oiselle colorée comme se plait à la qualifier Armand. Ils se retournent aux gémissements. Apparemment les retrouvailles s’avèrent torrides pour certains…
Vraiment Pierre Alban! Et devant ton père! Allez ouste! Ayez au moins la décence de vous isoler!
Ils obéissent toujours siamois. La porte claque derrière eux.
Ne vous en formalisez pas, Jolaine : je négocie bien avec la situation… Et vous aussi à ce que mon conjoint m’a appris…
… Émile est très attachant… Pardonnez-moi c’est incorrect de dire cela!
Non. J’aime assez mon homme pour englober dans mon coeur ceux qu’il choisit. Sans restriction aucune… Je sens qu’on a un vrai problème à régler!
Laissez-moi m’en occuper!
Désolé mais en franchissant ce seuil vous perdez toutes vos prérogatives sur mon petit-fils.
Ils s’esclaffent. Le grand-père procède tandis que la mère assiste.
En début de soirée plusieurs coups impératifs, font sursauter les maitres et leurs invités.
Ouvrez c’est la police!
Armand obtempère en grand. Se fige bouche bée devant le David encadré. Armand le détaille de la tête aux pieds : il arbore une moustache fournie qui lui sied à merveille, un costume certainement sur mesure qui lui enlève au moins une vingtaine de kilos; puis se rend compte que ce n’est pas l’habit mais l’homme qui s’est allégé.
David émet un rire tonitruant. S’efface pour présenter la personne qui l’accompagne.
Armand voici Marie-Reine ma femme.
Il reconnait en elle l’accorte serveuse du restaurant italien mais tout aussi transformée que son homme. D’une beauté que seule confère la certitude de l’amour partagé : radieuse. L’amour métamorphose parfois. Armand l’accueille d’un baise-main cérémonieux. Ils sont bon derniers. Apparemment en plus d’avoir acquis quelques principes de base sur l’amour ainsi qu’une épouse et en moins de démesure corporelle David n’a rien perdu côté manières un tantinet théâtrales. En tout cas la galerie s’affiche béate.
David lui tend un paquet enrubanné. Précise.
Pour votre petit-fils…
Intrigué Armand déballe. Un flottement. Le regard ténébreux rencontre les noisettes yeux rieurs du farceur lequel ajoute de quoi précipiter sa chute.
Tout à fait anodine celle-là… Et un peu moins onéreuse.
Après un court moment, Armand lève les bras en signe de reddition.
Je me rends vous êtes trop fort!
Curieux Pierre Alban lit le titre de la bande vidéo par dessus l’épaule du paternel. Tom & Jerry. Il regardait ces dessins animés quand il était gamin. Pas édifiant mais amusant. Il se promet de la visionner avec son fils quand Émilien aura poussé un peu plus.
Armand prend David par le bras et l’entraine à l’écart.
Ce n’était pas vraiment nécessaire!
Curiosité toute professionnelle bien entendu… Fort instructif par ailleurs… Euh… J’y ai pêché quelques trucs… C’est fou tout ce qu’on peut faire avec la langue et les doigts…
Vous êtes un pervers… Mais vous semblez si heureux!
L’amour. Le premier et le dernier… Et l’imagination pallie les carences… Pardonnez mon geste je n’ai pu m’en empêcher.
De rien, David… Eu égard à la dimension pédagogique…
À table!
On se précipite. Un silence quasiment religieux salue l’entrée : tourtière gaspésienne et marinades Émile. Blanca en robe noire et tablier blanc (Émile était demeuré pantois un bon moment devant la soubrette d’opérette; ils s’étaient écroulés de rire finalement) effectue un service impeccable avant de se joindre aux agapes. Le grand chef est ovationné et son assistante félicitée. Icelui sourit modestement et icelle rougeoit. C’est sublime. La dinde farcie façon Émile dépasse toutes les espérances : jamais ils n’ont rien mangé d’aussi savoureux. Et la couronne Émilienne une vieille recette qu’il tient de sa grand-mère d’identique prénom et qu’il a adapté les transporte hors de ce monde.
Armand réitère sa demande en mariage. David et Marie-Reine songent sérieusement à s’abonner. Aglaé et Gabriella soulignent leur bon voisinage. La première s’enorgueillit en plus de son lien de parenté. Pierre Alban et Jolaine souhaitent déménager dans le coin éventuellement. Adam et Isabelle sont trop occupés à se manger des yeux. Le visage marbré de glaçage au chocolat Émilien conclut la dithyrambe du haut de son nouveau trône.
Ga! Ga! Ga!
Tous sont convaincus qu’il donne son opinion favorable sur le gâteau (ayant boudé tout le reste sauf les marinades). L’amour multiple et multiplie parfois.
Blanca se métamorphose en gouvernante et s’occupe d’Émilien. Elle le baigne, fait sa toilette, le berce en chantonnant d’ensoleillés arias de son pays comme elle le faisait pour Carlos un quart de siècle. Mort depuis près d’une décennie maintenant des suites d’une banale grippe. Un poids éternel au coeur. Le bambino sourit béatement, s’endort le pouce dans la bouche. Elle le dépose environné d’oreillers au milieu du grand lit. Prend congé discrètement harassée. Et le coeur serré. Ce trop-plein de bonheur si tangible met trop en lumière le contraste de ses propres hantises.
Une fois rentrée en taxi une délicatesse de monsieur Émile elle enlève ses souliers. Ses pieds sont douloureux. Rinaldo ronfle comme un soufflet. L’inévitable bouteille de scotch vide git sur le plancher. Depuis pas loin de dix ans. Avant de regagner son lit bienvenu elle effleure sa joue et murmure aux murs.
Je t’aime… malgré tout.
Un borborygme sans signification lui répond. Aussi bien aller dormir. Puisque demain est un autre jour.
Non Madame! Ce soir tu déballes toute la vérité!
Ton père est mort.
Ça c’est toujours ce que tu me réponds en paravent! Je veux savoir! Le qui et le pourquoi de ton silence obstiné et torturé.
Laisse-moi je suis lasse… Et tu as bu trop de vin… À ce sujet d’ailleurs…
Maintenant. Qu’est-ce que tu dissimules?
Ne me demande pas cela!
Et pourquoi?
Parce que… c’est trop… terrible…
Cesse de pleurer maman. Et dis-moi tout. J’ai le droit de connaitre ce lourd secret… même si ça fait mal!
… Nous avons le même père.
Elle se voile la face de ses mains. Accablée et honteuse de son irréparable aveu. La phrase n’aurait jamais dû franchir ses lèvres. Subitement livide Adam devine le reste. L’odieux traitement qu’elle a dû subir aussi avant que ne vienne l’enfant de l’inceste… lui. Comprend trop bien maintenant la répugnance de sa mère envers les hommes. Ce père mythique n’était donc qu’un…
Immonde salaud!
Gabriella tressaute. Un coup de poing au coeur. Le trop-plein de rage de son enfant s’exprime dans un hurlement animal. Et dans la fuite.
Désemparée Gabriella se tord les mains. La présence oubliée des deux protagonistes se manifeste.
Téléphone à Isabelle. Dis-lui qu’Adam est très perturbé par certaines révélations que tu as été obligée de lui faire. Et qu’il va certainement se réfugier chez elle.
Il risque une crise d’épilepsie… Il n’a pas pris ses médicaments…
Préviens-la aussi.
Isabelle avertie, Gabriella s’inquiète davantage.
Et s’il n’y va pas… Et s’il est pris d’une crise au milieu de la rue il peut se blesser voire se faire écraser! Et…
Elle la prend dans ses bras. Son giron absorbe les larmes.
Adam est si jeune encore pour devoir porter ce fardeau. Mais qu’y faire tu n’avais pas vraiment le choix. C’est cela le pire il avait le droit de savoir!
Aglaé?
N’aies pas peur mon amour. Cela arrive parfois quand on est très proches ou très émus que les esprits communiquent sans paroles… Avec mon jumeau c’est quasiment automatique.
Je ne comprends pas.
Mais c’est ainsi.
Gabriella se blottit contre elle sur le futon. Elles attendent en silence. Le téléphone enfin! Il se trouve chez Isabelle. Il se remet d’une terrible crise. Il dort maintenant. Il faudrait passer demain matin pour lui laisser sa médication. Ses parents ne voient aucun inconvénient à ce qu’il reste quelques jours. Il n’a parlé de rien encore. Les confidences viendront probablement. Gabriella raccroche un peu soulagée. Raconte. Aglaé prend soin de sa femme au fond plus vulnérable que son enfant. L’amour est fort parfois.
Armand s’isole. Compose le numéro. À l’autre bout du fil sa voix résonne comme une caresse veloutée et l’interlocuteur frissonne.
Salut mon bel amour…
Quelle surprise et à minuit!
Je te dérange?
Pas vraiment je travaillais. Enfin je lisais question perfectionnement.
Mais quoi donc?
Les Kama Sutra… J’y pêche des trucs…
… Euh… Aurais-tu besoin d’un modèle vivant pour mettre en pratique quelques cas de figure?
C’est une proposition?
Ça y ressemble. Qu’en penses-tu?
Acceptée d’emblée. Rapplique… Vitesse formule un.
Armand se penche à l’oreille d’Émile dont la figure s’égaille vers la fin du conciliabule. Il l’embrasse ensuite pleine bouche et longtemps. Salue la ronde familiale… et file. Pierre Alban s’étonne.
Mais, où va-t-il à cette heure?
Servir de cobaye… Son amant souhaite étudier quelques postures ou attouchements imagés dans les Kama Sutra…
Ton conjoint a un amant?
Émile prend l’air martyr.
Effectivement, ton père me trompe sans vergogne… Et depuis quelques mois déjà…
Pierre Alban affiche une mine compatissante.
Pauvre Émile tu fais pitié! … Mais c’est quoi les Kama machin?
– Les Kama Sutra enfin je crois traitent de la mécanique et des règles de l’amour entre un homme et une femme. Originent de l’Inde ancienne, je pense. T’informerai quand j’en saurai plus.
… Va-t-il te raconter… euh… ses adaptations?
Tous les détails hachés menus (… et illustrés parfois)… J’adore.
Hum… J’espère que tu me feras bénéficier à mon tour de l’enseignement de mon père!
Je me sens investi subitement d’une vocation de pédagogue…
Ton élève bande déjà… C’est pavlovien… On peut anticiper?
C’est de l’indiscipline!
Tout à fait. Héréditaire… Et je vais enculer le prof pour faire bonne mesure.
Ce qu’il fait, séance tenante et pantalons descendus.
Aie! Au secours!
Jolaine pointe le nez hors de la salle d’eau. S’approche pour mieux jauger la situation.
Mon mari use-t-il de violence contre toi mon amant?
Oui… Mais là n’est pas le problème!
Et c’est?
Que mon moineau a déserté ton nid depuis trop long… et veut impérativement y retourner… pour y sangloter…
Sans façon et à demi-nue et très excitée par ce qui est déjà entamé entre eux elle glisse ses jambes de part et d’autre du corps de son amant. Avance légèrement son bassin vers lui. Émile la ceint à la taille, la pénètre. Elle est moite et douce à l’intérieur. Il a brusquement le sentiment d’être un vecteur de transmission de l’amour qui unit le couple. Mais aussi et en même temps d’en faire partie. Pierre Alban enserre ses hanches plus fortement, le fouille plus profondément. Lui aussi approfondit sa pénétration en son amante. L’orgasme de la femme amorce la réaction en chaine des hommes. L’amour partage parfois.
Armand rentre un peu avant midi indéniablement épuisé et courbaturé. Les trois autres en train de siroter languissamment des espressos ne semblent guère valoir mieux. Il s’écrase sur une chaise.
Mais qu’est-ce que vous avez à m’examiner comme si j’étais une bête à deux têtes?
Tu sembles légèrement fatigué papa…
Mais non… Aussi en forme que vous semblez la tenir!
Du café Armand?
Triple Jolaine… Merci.
Pauvre vieux papa!
Je ne suis pas vieux!
Ouf! Je m’inquiétais! Maintenant je te reconnais!
Pierre Alban! Des claques se perdent!
Euh… Peut-être que certains exercices érotiques ne sont plus vraiment de ton âge, conjoint…
Émile tu ne perds rien pour attendre!
Le rire de Jolaine résonne comme des clochettes. Ils s’y joignent en écho. Se chamaillent pour qui ne va pas préparer le petit déjeuner. Émilien s’en mêle. Heureusement que Jolaine se montre d’attaque car les trois mâles vraiment ne sont plus bons à rien. CQFD de la supériorité de la femme sur l’homme le pauvre. Ils admettent tout ce qu’elle veut. L’amour épuise… les hommes parfois.
Maman pardonne-moi… Je t’ai inquiétée.
Rien n’est à regretter hormis cet aveu.
Non. C’était nécessaire que la vérité sorte… J’en ai parlé avec Isabelle.
Était-ce bien nécessaire?
Tu ne dois pas avoir honte… Ce n’est aucunement de ta faute : une cruauté de la destinée… J’aime Isabelle : elle a acquis toute ma confiance.
Adam… Hormis… ta conception particulière tu as été et est l’être que j’aime le plus au monde.
Je n’en ai jamais douté et n’en douterai jamais.
Elle le serre contre elle, fort.
Cela dit de savoir me rassure d’une certaine façon… parce que ceci me permet de comprendre… et de mieux accepter que tu sois… comme tu es.
Lesbienne?
Oui.
Adam ce n’est pas aussi simple. Je ne suis pas devenue homosexuelle parce que j’ai été victime d’inceste!
Mais ça t’a fait au moins considérer la possibilité…
Je concède cela… Mais disons que j’en possédais les prédispositions. Adam ne mets pas d’étiquette ni de poids à l’amour qui unit deux êtres. L’amour est. Point.
… Je comprends ce que tu essaies de me dire… Peut-être que je suis un peu jaloux en fait… Je travaillerai aussi là-dessus… Avec Isabelle…
Gabriella sourit. L’amour aide parfois.
Je suis déçu. J’aurais tellement aimé que tu me racontes!
Pour l’instant je n’ai pas envie de partager ces moments avec quelqu’un d’autre que lui… Tu peux comprendre cela?
Mais oui, que je peux… Mais je peux aussi me montrer désappointé… Tu peux comprendre cela?
Bien sûr… Mais à vrai dire je suis préoccupé… On en est d’une certaine façon à un point tournant dans notre relation… Il m’aime.
Ce n’est fondamentalement pas un problème!
Pour lui, oui justement… Mais je ne possède que des bribes d’informations plus l’intuition pour ainsi déduire. D’après ce que j’en sais par ces quelques dires sa vie a été marquée par la mort de ceux qu’il a aimés. D’abord ses parents alors qu’il était agé de six ou sept ans; ils ont été tués tous les deux en même temps dans un bête accident d’automobile. Son tuteur et oncle qu’il adorait est mort sous ses yeux quelques années plus tard fauché par un arrêt cardiaque foudroyant. Ses grand parents paternels qui l’ont recueilli ont péri eux aussi dans des circonstances tragiques victimes d’un pyromane qui sévissait dans le quartier. Anthony couchait chez un copain ce soir-là. Et la liste continue. Son premier amour avec un gars puisqu’il est intrinsèquement homosexuel a plutôt viré en relation sadomasochiste : il en porte encore les cicatrices pas toutes visibles. Son tortionnaire l’a quitté pour quelqu’un de moins docile. L’autre homme qu’il a aimé est décédé des suites du SIDA.
C’est tragique… Mais j’ignore où tu veux en venir…
Que l’amour fait trop mal inévitablement. Et que s’impliquer entièrement dans une relation constitue un danger à éviter autant que possible histoire de conserver son équilibre. De cloisonner ses liens c’est une façon pour lui de se protéger. Avec moi jusqu’à maintenant il s’est comporté comme avec ses dames : beaucoup de sexe et beaucoup d’affection amoureuse mais entre les murs de sa chambre ou presque seulement.
Mais ton amour l’interpelle… d’autant plus qu’il est partagé.
Oui. Je crois que lui également ressent le besoin de sortir du cadre du lit et d’approfondir…
Le « ça casse ou ça passe » de notre couple de lesbiennes préféré?
En quelque sorte.
Notre galère n’est pas de tout repos…
À qui le dis-tu? S’il choisissait de graviter en orbite de notre microcosme j’en serais profondément heureux.
Ce sera son choix peu importe ce que tu dises ou fasses : tout se passe entre ses deux oreilles…
J’en ai bien peur…
En tout cas tu auras au moins quelqu’un pour te ramasser à la petite cuillère si jamais il décide de s’éloigner… et quelqu’un pour accepter avec joie sa mise en orbite dans le cas contraire… Ton bonheur fait le mien.
Émile que te dire?
Que tu m’aimes!
Je t’aime… Que te faire?
L’amour?
Ils font.
Deux semaines s’écoulent. Sans aucune nouvelle d’Anthony. Il ne répond pas au téléphone. Armand s’attriste au fil des jours. Émile aussi de le sentir si malheureux. Rentré plus tôt le mardi (rendez-vous reporté et pas l’enthousiasme nécessaire pour entreprendre un bouche-trou) Armand opte pour un intermède aquatique. À peine immergé et confortablement installé deux coups secs au loquet de la porte d’entrée le font sursauter. Pestant il ceint ses hanches d’un drap de ratine. Maugréant « si ce sont des témoins de Jéhovah je les assassine! » il entrebaille puis ouvre grand.
Anthony! Quelle surprise! … Enfin!
Je dérange visiblement.
Toi jamais! Entre!
Es-tu seul?
Oui… (Pour une heure, du moins…)
… Je passais dans le coin… Je me suis dit que peut-être je te trouverais au gite… et avec un peu de chance solitaire… En fait j’ignore ce qui m’amène… T’es beau comme ça tout mouillé presque nu…
T’entendre dire cela et sur ce ton-là m’incite plutôt à te proposer un bain au lieu d’un verre…
On pourrait le siroter dans l’eau… Du scotch?
Prends tes aises pendant que je prépare.
Armand les sert doubles. Le rejoint. S’immerge à son tour. Côte à côte, silencieux, se détendent et savourent. Les nectars terminés ils s’embrassent avec passion leurs corps en émoi. N’ont pas envie de préliminaires.
Prends-moi.
Non toi!
Armand le monte en lévrier. Sa fougue fait mal. Il le ressent et modère le fourre plus délicatement. Jusqu’à ce qu’il perde le controle de ses sens. Il crie son amour au paroxysme. Le renverse brusquement. Le chevauche. Enfonce le pénis de son amant à l’intérieur de lui. Se donne totalement. Leurs regards s’accouplent aussi. Anthony le ceinture et le guide jusqu’à sa jouissance explosive. Armand!
Lequel longtemps après émerge de l’onde en premier et s’astique. Il se métamorphose ensuite en valet de chambre parfaitement stylé pour aider Monsieur à s’assécher. S’attarde indument sur les parties génitales. Laisse de côté le drapé. S’agenouille pour rendre hommage. Forme fourreau de ses doigts et embouche le reste et suce. Son autre main caresse les bourses. Son majeur le fouille à l’intérieur. Gout du sperme dans sa bouche. Anthony s’effondre dans ses bras jambes sciées.
Quand ils sortent de ce lieu de toutes les débauches en costume d’Adam quelques changements ont pris cours dans la salle à manger. La table est parée pour trois. Une note est collée soigneusement en évidence sur la porte battante séparant la pièce de la cuisine. Anthony lit par dessus son épaule. « Le repas est retardé d’un quart d’heure! Et tu devines pourquoi? Oui encore! Je songe très sérieusement à demander le divorce! Pour motif de conjoint à tête de linotte! »…
Armand s’esclaffe.
Mais tu m’as dit que…
J’ai oublié d’acheter du beurre… Émile se montre très tatillon pour les peccadilles…
Tu veux, vraiment, affirmer que même sachant ce qui se passait dans la salle d’eau puisqu’il a certainement entendu en plus d’avoir vu l’empilage au sol il te reproche d’avoir oublié encore une fois « d’acheter du beurre »?
C’est ça! Viens on s’habille pour souper.
Très décents quand Émile rentre sourcils froncés et lèvres serrées.
Pardonne!
C’était pourtant sur la liste écrit en caractères gras et soulignés! … Ouais… qu’on ne t’y reprenne plus, sinon…
Je l’ai égarée… Promis!
Émile sourit à Anthony. Se tourne à nouveau vers le tout récemment revenu en grâce.
Tu fais les présentations d’usage?
Urbain Armand présente Anthony Bellomo son amant à Émile Bergeron son conjoint. Lesquels échangent une cérémonieuse poignée de mains.
Tu es nanti d’un nom doublement prédestiné… et fort approprié.
Un clin d’oeil du destin… L’orthographe diffère.
Maintenant que nous avons sacrifié aux incontournables mondanités passons aux choses sérieuses : la préparation du mets… J’imagine que vous avez faim après vos bruyants fols ébats?
= Plutôt oui!
Et vous restez plantés là! Ouste à la cuisine fainéants! Qu’est-ce que vous croyez? Que je suis le coursier-domestique-cuisinier-marmiton-maitre d’hotel?
= Non!
Armand aux pommes de terre et Anthony à la salade. Je me charge de la volaille. Aux rames galériens!
À trois tout est promptement mené. Et du même coup la glace brisée. Ils s’attablent et dégustent. Le Chef succombe sous les éloges dithyrambiques. Ils passent plusieurs heures d’agréable compagnie. Quand Anthony décide de partir il serre longuement la main d’Émile. Armand l’escorte ensuite au seuil le tenant par le bras. À la porte il place les siens autour de son cou et l’embrasse avec effusion et le serre contre lui. Un peu gêné Anthony se laisse faire. Puis rend le baiser en double. Les yeux d’Armand rieurs et graves souhaitent à bientôt. Les siens répondent : je ne sais pas. Anthony effleure sa joue et s’en va. La boule grossit dans la gorge d’Armand. Ne me quitte pas mon amour.
Trois jours plus tard. Émile dégoulinant drape ses hanches d’une serviette. Entrebaille.
Salut.
Anthony. Entre!
Armand est là? Il m’a dit que d’habitude il rentrait plus tôt le vendredi…
Pas aujourd’hui : un rendez-vous de dernière minute. Il sera là dans quelques heures au plus.
… Un usage de la maison les baignades en fin d’après-midi ?
Cela prédispose à une soirée plus détendue la fatigue de la journée s’écoulant avec l’eau… C’est coutume chez toi de débarquer à l’impromptu?
Cela le devient on dirait… T’es beau comme ça tout mouillé et presque nu…
… Je passe une robe de chambre… Et je te sers quoi?
Scotch. Je peux les préparer. Même chose et sans eau?
Oui.
Court vêtu à peine plus décemment Émile s’installe au milieu du canapé et ramène ses jambes sous lui. Anthony lui tend un verre. S’assied. Pas trop proche mais pas trop loin non plus. Il s’excuse de sa précédente inconvenance.
Je trouve ta spontanéité flatteuse…
Sincère surtout.
Anthony ose enfin affronter le regard opposé. S’y perd.
Armand rentre bientôt…
Oui.
Ce vêtement s’harmonise bellement à l’émeraude de tes yeux. Oh!
Ceci aussi c’est sincère…
Oui… Armand…
Sait que tu me plais beaucoup…
Oh! Je crois que je ferais mieux de fuir!
Il ne bouge pas pourtant.
Laisse faire la nature…
Le rayon vert fixé sur lui caresse. Il frissonne.
Je l’aime!
Moi aussi. C’est mon homme, celui avec qui converge ma vie.
Enjoins-moi de détaler illico!
Non.
Voulant échapper au rayonnement il baisse les yeux et focalise sur une protubérance éminente. Laquelle répond à son propre désir.
Nous deux?
En l’attendant…
Anthony gémit de ferveur contenue. Leurs bouches se rencontrent à mi-parcours. Très long embrassement puis embraisement quand des doigts habiles déboutonnent, caressent, déceinturent et dézipent. Touchent ce qui ne demande qu’à l’être.
Viens.
Émile l’entrane vers la chambre, le lit. S’apprête a retirer sa robe de chambre.
Non dénoue seulement.
Il s’étale au mitan virilité brandie. Anthony se débarrasse promptement du reste de ses oripeaux et le rejoint. L’autre amorce.
Non laisse-moi t’aimer à ma manière douce… Avec toi j’en ai envie.
Émile décontenancé s’immobilise l’élan coupé.
Anthony prend son temps, attend que s’accalmisse l’ardeur. Commence par l’effleurer du regard seulement et partout. Quand il obtient l’excitation prévue il enfouit sa tête au creux de l’épaule de son presque amant. L’extrême pointe de sa langue se concentre sur le lobe de l’oreille et dessous. Puis sur une section d’à peine un centimètre carré du cou. Chaque terminaison nerveuse de l’entièreté du corps d’Émile devient zone très érogène. Anthony interprète en virtuose sur sa harpe humaine laquelle vibre, tremble, se lamente en crescendo. Sur soie ou peau nue ses lèvres, sa langue, ses phalanges, ses paumes, son pénis, son être au complet compose la symphonie érotique et sensuelle. En aucun temps il n’accorde son attention au phallus en érection de son partenaire.
Lorsqu’il le sent à l’extrême limite de son endurance sexuelle, il se prosterne, cul en évidence, forme de sa main un fourreau autour de sa propre verge.
Avec Armand, te protèges-tu ?
Plus maintenant avec les autres seulement. Utilise du lubrifiant.
Émile se dénude. Le tube n’est pas loin. Il le couvre enfin. Parvient à se ressaisir juste avant de jouir. Prolonge en le mettant, très doucement. Anthony se masturbe au rythme et du fait du va-et-vient de l’autre. Émile ressent le plaisir à l’état pur. Un cri jaillit de sa gorge précédent de peu la sève. Anthony. Lequel éjacule en geignant.
Émile emplit de l’eau du pichet le broc posé sur la table de chevet. Fait usage du gant de toilette sur leurs sexes encore sensibles. Ils s’entremêlent leurs langues aussi. Puis languissant Anthony s’abandonne. De tous ses sens Émile le savoure. S’imprègne de son odeur corporelle fruitée et acidulée. Il hume et lèche ses aisselles, ses mamelons, son nombril et son ventre, ses doigts, ses orteils, ses testicules et dessous. Son parcours se jalonne des feulements du sujet de ces dégustations passionnées. Émile s’attaque au dessert. Trop excité Anthony l’enjoint à s’arrêter. Son amant exécute ses ordres.
Empale-toi dos à moi… Couche-toi… doucement… Écarte davantage les jambes… Ne bouge plus.
Les mains d’Anthony enserrent le scrotum puis l’organe viril. Les mouvements de son bassin au même tempo qu’il le masturbe. Ils s’attendent et se rejoignent dans leur commune jouissance. Émile. Ils retournent au lit après toilette, leurs corps assouvis pour un temps mais leurs coeurs en émoi. Ils songent à Armand…
Lequel s’encadre, trente minutes plus tard et s’appuie au chambranle. Lequel contemple un bon moment marmoréen les nudités intégrales alanguies et accoudées qui se font face. Il interrompt d’un toussotement leur discussion animée.
Mon conjoint et mon amant… au lit et en même temps.
Nous t’attendions… tout en devisant…
Après avoir fait l’amour auparavant histoire de tromper l’attente?
Vrai pour la première partie… Nous avons laissé libre cours à la nature…
… Vous pourriez au moins manifester un certain repentir de rigueur!
Ils prennent un air coupable. Mais répriment indéniablement un fou rire.
Viens t’étaler entre nous… Nous allons agir en sorte que tu nous pardonnes… et en redemandes…
Il sourit finalement.
Tout un programme!
Mais où va-t-il?
Accrocher « ne pas déranger » à la porte d’entrée.
Aglaé possède ses êtres privilégiés. En tout temps sauf à certains moments tels ceux réservés aux mâles…
Oh! Avec elle aussi vous… Spécial.
Armand revient. À la demande générale, il exécute un effeuillage. S’insère entre eux, flambant dépouillé. Il bande haut. Eux aussi. Une tête sur chaque épaule, ils se collent à ses flancs. Quatre mains jointes sur son ventre, doigts enliés. Armand défait le noeud pour les entourer de ses bras autour de leurs cous. Tour à tour, ils tendent les lèvres. Armand fourre les bouches. Deux mains unies le caressent aux pectoraux, fourragent dans sa toison luxuriante. Plus tard, leurs langues complices sillonnent l’obélisque. Armand râle du plaisir ressenti. Jusqu’au besoin de pénétrer, et de l’être. Maintenant. Le réclame crûment. Galvanisés par sa soif animale, le rituel d’ointement vite expédié. Émile se love au long du côté postérieur, l’encule sans ménagement. Côté antérieur, Anthony, recroquevillé, offre son cul. Armand l’enfile brutalement. Sa main en tube accueille le pénis engorgé. Ils s’attriplent au même rythme d’enfer. Leurs cris résonnent en escalade. Jusqu’au commun summum qui les dévaste. Demeurent arrimés jusqu’à l’apaisement de leurs coeurs, palpitant et de leurs queues, vibrant au-dedans de leurs fourreaux.
Affamés ils dégustent la pizza géante au lit. Se partagent à la régalade un litre de rouge.
Savais-tu que notre amant exerce un art qu’il t’a dissimulé jusqu’à maintenant?
Émile! Tu es vraiment bavard!
Anthony?
Et toi trop curieux! … Euh… J’écris… des nouvelles pour le moment…
Précise à mon conjoint.
Euh… À saveur érotique… inspirées autobiographiques et qui paraissent chaque mois depuis six dans le magazine Le Plus Bel Âge… Et des histoires pornographiques… oserais-je mentionner qui est ma Muse… pour Entre Hommes…
Pourquoi cette gêne à m’avouer ces talents? D’autant plus que je connais ta profession et ton orientation! Pourtant tu le confies d’emblée à Émile que tu connais à peine!
Tu as mis le doigt dessus je crois… Enfin… Toi Armand, à cause de ta profession, de ta réputation de poids lourd du Barreau et de ta culture tu possèdes un vocabulaire sans commune mesure avec le mien… Pourtant le sens émerge de tes propos. Un exemple : au procès d’Émile dans ta plaidoirie tu as employé le terme « praxis » sans l’expliciter pourtant tout le monde en a compris la signification de fait le seul mot qui convenait dans le contexte!
… Et tu te sens « obnubilé par ma facilité langagière »?
Un peu… D’une certaine façon en infériorité intellectuelle… De là mes cachotteries…
Armand ne sait trop comment réagir à ce surprenant aveu. Émile secourt.
Anthony quand tu m’as aimé tantôt tu m’as fait bénéficier de ton expérience acquise au contact de tes dames… Tu m’as caressé à la manière sensuelle qu’emploie le plus naturellement du monde un homme très sensible avec une femme.
Ton corps appelle ce genre d’attouchements… Je l’ai ressenti très fort… Euh… et j’ai pu vérifier quelques hypothèses…
Offres-tu des abonnements à vie ?
Anthony sourit.
Armand voit où son conjoint veut en venir. Merci, mon amour transmettent ses yeux. Émile poursuit.
Je pourrais me sentir en situation d’infériorité sexuelle écrasé par cet art que tu pratiques en virtuose. Franchement je préfère en profiter… Et je songe à raffiner mes pratiques à ton contact… D’ailleurs mon conjoint est devenu beaucoup plus habile avec son corps depuis qu’il entretient des liens avec toi… Sauf lorsqu’il est animé d’un désir très animal de rut… tout aussi grisant par ailleurs… Cela dépend du moment.
J’aime comme tu me fais l’amour… Ce qui compte c’est d’être en harmonie avec ses propres envies et celles que l’on ressent de l’autre.
C’est la même chose pour l’écriture ce qui fait une bonne histoire a peu de rapport avec la richesse du répertoire. Ceci aide certainement à exprimer plus clairement le propos, à le varier et à le porter mais cela réfère à l’expérience qu’on acquiert. Et ce n’est qu’un des ingrédients. Que tu écrives une nouvelle épicée ou sensuelle elle ne sera bonne que si tu procures l’effet souhaité sur la libido ou la sensualité. Et tu l’obtiens puisque tes lectrices et lecteurs en redemandent…
Maitre je m’incline… Armand je vais me mettre à profiter de toi!
Enchanté! … En commençant par les plus intéressantes pour la bête sexuelle qui sommeille en moi?
Une bonne idée. Je serai ton lecteur… et vérifierai de visu et de facto l’effet obtenu… Tu pourrais me faire quelques suggestions… après évidemment étant par ailleurs assuré du résultat!
Moi aussi, j’aime les histoires! Et je suis bon critique!
Je commencerai par les sensuelles avec toi. Tu pourrais facilement transposer au masculin à cause de ta partie féminine plus prononcée que celle d’Armand…
Les autres aussi des fois?
Hum… Cela peut se négocier… Tu devras montrer patte blanche!
Moi je meurs d’envie de vous voir procéder à des négociations plus musclées!
= Voyeur!
Exhibitionnistes! Mon désir vous fait bander dur.
Le carton vide débarrasse le terrain pour leurs jeux olé olé.
Très pornos trouve Armand qui a du mal à ne demeurer que spectateur. Beauté de ces corps masculins à fleur de peau dont la virilité est exacerbée par l’intensité de son regard. Ces deux hommes qu’il aime font l’amour pour lui et avec lui. Se faisant face en position assise, jambes emmêlées, phallus en érection rapprochés, ils se tâtent et se caressent partout. Leurs mains convergent bientôt vers l’épicentre de l’autre gémissant, puis feulant. Les bleus yeux clairs l’air étonné rejoignent le noir absolu alors qu’Anthony agenouillé derrière Émile et le pénis enchassé au-dedans de lui jouit en criant. Le rayon véronèse fait partager aux abysses, amour et jouissance exultante alors que chevauché il éjacule au tréfonds d’Anthony. Les deux convergent vers Armand ensuite. Pénétration digitale rythmée et fellation sensuelle. Il se répand de leurs actes conjugués d’amour. Moments de tendresse languide. S’endorment.
Anthony passe une partie de la nuit sur le canapé : la locomotive. Se dit que la prochaine fois il trainera ses tampons pour les oreilles facilement offensées. La prochaine fois. Se lève puis fait un arrêt machinal à la salle d’eau. Dérange quelque peu l’emmêlement pour s’intégrer entre eux. Émile se love tout contre lui. Sa paume englobe le sexe au repos. Anthony frissonne du geste involontaire du bel endormi. L’autre enserre à la taille. D’Armand émane la chaleur. Impulsivement il effleure la ride accusée qui démarque sa joue. Beauté bouleversante de ce visage aux traits francs qui reflète l’intérieure.
Armand ouvre les yeux sur les siens. Ce regard aimant le captive à l’âme. Il s’y abandonne. « Je t’aime » souffle-t-il. Armand accueille comme il se donne : entièrement. « Prends-moi » chuchote encore Anthony. Il se dégage et bascule sur le ventre. Armand ému le couvre de son corps. Sa verge pénètre en lui et leurs mains se joignent en amour. Émile contemple cette fusion amoureuse d’une intensité tangible. Armand dégage un bras qu’il passe autour de son conjoint. Émile tresse ses doigts à ceux d’Anthony. Le regard d’azur se donne tout autant à lui comme son corps en suite de celui d’Armand.
Ses amants lui procurent le plaisir de l’amour charnel celui qui traduit des sentiments là où les mots s’avèrent insuffisants. Fouillé analement par la langue d’Émile, la queue enfouie complètement dans la gorge d’Armand. Ses cris de jouissance assourdissent et émeuvent. L’amour triomphe parfois.
« Entrée prohibée à la Grâce faite Femme »… C’est toujours valable?
Plus maintenant j’ai oublié de retirer l’interdit (quoi que cela ne sert pas à grand-chose de l’y avoir mis manifestement !)…
Je me disais aussi… D’où sort le magnifique spécimen de l’espèce mâle que je viens de croiser?
Tu le trouves plus beau que moi!
Mais non! Disons que… vous n’avez pas le même type…
Et que moi aussi?
Je pourrais difficilement dire oui étant donné notre identique gémellité… C’est votre amant?
Celui d’Armand et depuis hier le mien aussi…
Où l’as-tu pêché cette incitation au péché?
Une longue histoire de voisinage…
Suis-je en retard pour le petit déjeuner?
Elle veut se faire inviter!
La Grâce n’a nul besoin d’invitation… Elle se sert.
Ceci veut dire : fais-le toi-même Aglaé?
Cela se voulait plus délicatement amené… Je consens à préparer le café.
Émile?
C’est bien parce que tu es ma soeur! … Des oeufs brouillés comme mon cerveau?
Excellente initiative… As-tu vraiment fait travailler cette partie de ton anatomie depuis hier soir?
L’amour chère jumelle c’est davantage entre les deux oreilles que cela se passe même si la tête se repose parfois sur l’oreiller!
Ouais… Tu as trimé réellement dur alors à se fier à son air béat de félicité! … Je fais griller des saucisses et prépare les rôties?
Tant que tu ne fais pas rôtir des pénis ma douce amante!
Ou frire des langues de vipères ma charmeuse de serpents!
Je suis la voisine pas La Voisin !
Ah! Ah! L’humour matinal…
Mon organe cervical n’est pas « brouillé » par le sperme moi! Même si…
= Même si?
… Très stimulant votre raffut… Cela a donné des idées… à ma femme…
= Seulement?
… Et à moi encore plus… Bref elle dort encore…
Et toi?
Je suis venue prendre le petit déjeuner : l’amour donne faim!
Ils s’activent. Aglaé est belle sous l’éclat du soleil matinal. Sa robe de chambre largement échancrée attire des oeillades concupiscentes. L’étoffe colle à sa peau comme une seconde. Bonheur de se sentir Femme et désirable par ses Hommes aimants. Mais l’heure n’est pas à la bagatelle. Ne sait pas comment amorcer. Renonce pour le moment. Ils savourent gourmandement ce délicieux repas. En silence. À la toute fin Armand formule ce que pense Émile.
Qu’est-ce qui ne va pas?
… Tout baigne au contraire! … En fait je ne trouve pas comment…
Dis comme ça sort alors.
Gabriella et moi… souhaitons procréer…
Même avec des connaissances des plus rudimentaires en physiologie humaine j’oserais avancer que c’est une impossibilité. Le clonage peut-être?
Laisse à ton fils de telles considérations. Nous savons fort bien que c’est impossible au premier degré!
Pardonne-moi c’était déplacé.
Pourrais-tu dissiper un peu l’opacité de ce qui te tient lieu de cervelle et penser?
Abruti! Elle te demande d’être le père de leur enfant!
La sécheresse du ton claque comme un coup de fouet. Aglaé sursaute à la douleur transmise involontairement. (Par Armand cet enfant sera aussi le nôtre…) (J’ai mal!) (Faut-il te rappeler ce qui est mort né?) Elle émet la vision de ses propres cauchemars. (Et une non-possibilité!) (… Pardonne-moi… C’est une réaction plus instinctive que réfléchie…) (L’enfant de notre amour; Armand en serait le lien physique!). Émile hoche la tête. Le regard d’Aglaé se fixe sur Armand. Les prunelles reflètent des profondeurs abyssales. Et il semble peu surpris du temps suspendu. (Il sait pour le bébé!). Émile acquiesce. (… C’est sans doute mieux ainsi…) Émile opine.
Précise Aglaé : je ne peux accepter d’emblée cette responsabilité.
… C’est une pulsion irrésistible ce désir de maternité. Comme un appel impératif de la nature. Et ce souhait que notre couple le vive ensemble s’avère tout autant. Pour moi, pour nous en fait puisqu’Ella est entièrement d’accord tu nous apparais le père idéal pour notre enfant… De même qu’Émile en tant qu’oncle. Ainsi va pour les modèles masculins dont il ou elle aura nécessairement à faire référence. Et je vous aime ceci n’étant pas la moindre considération…
La logistique?
Vous serez les père et oncle. Nous serons les mère et femme. L’enfant serait sous notre responsabilité première bien entendu. Votre contribution relèverait du soutien d’amour ceci sans autre obligation. Notre voisinage favoriserait les échanges.
… L’avocat qui sommeille en moi hésite… Je le fais taire. L’homme accepte mais sous réserve de l’accord d’Émile.
C’est oui.
Le frère s’approche dangereusement.
Quand commence-t-on? Tout de suite?
Bas les pattes! … Armand?
Pas le bilan de santé et tous les tests de grâce!
Armand était passé par là quand Marcelline et lui avaient vainement tenté de concevoir un second enfant. Aucune explication clinique n’avait été trouvée. Ils y avaient renoncé finalement répugnant d’avoir recours à des moyens non naturels.
Oui.
Misère! … Connais-tu tes périodes d’ovulation?
À l’heure près… La prochaine dans huit jours en début de nuit.
Ce qui nous amène à dans sept journées mais le soir.
Fort en calcul… Ce qui laisse le temps de recevoir les résultats des examens.
J’inscris sur mon agenda.
Il fait sur l’électronique cadeau d’anniversaire de son conjoint sous les yeux ahuris du futur oncle.
Aglaé explique.
On calcule les moments propices à la fécondation…
Ce qui veut dire plusieurs jours de chasteté avant histoire de reconstituer les réserves très largement dégarnies conjoint…C’est pour la bonne cause!
Mettre toutes les chances de notre côté dès le début pourrait m’épargner bien des frustrations…
C’est bien parce que tu es ma soeur!
Aglaé leur saute au cou. Émile devient furibond.
Non seulement elle réglemente notre vie sexuelle en plus elle nous provoque!
Il reluque dans l’échancrure. Armand également se rince l’oeil.
Aglaé heureuse s’esquive en volant.
Toi au moins tu pourrais commencer à rester abstinent plus tard…
Non maintenant en solidarité à la bonne cause.
Les larmes perlent. Armand le prend dans ses bras.
Sans toi je ne pourrais pas. Cet enfant tu en seras aussi le père et tout autant que moi. Je donne la semence mais toi seul peux la faire jaillir à coup sûr.
Émile tente de sourire.
Je suis loin d’être certain qu’elle comprend vraiment dans quelle galère elle s’embarque…
Gabriella n’est pas dépourvue d’expérience et Aglaé saisit rapidement. De toutes les façons une fois le cataclysme arrivé on n’a pas le choix!
Ouais… Surtout s’il est doté de ton caractère!
Ou si elle est une copie de ta jumelle et toi réunis!
Comment ça?
Leur fou rire en exutoire. L’amour partage parfois.
Un baiser sur la joue. Ella entrouvre des paupières gonflées.
Au feu!
Ils ont accepté!
… Ils?
… Le futur oncle également…
Mais nous…
Émile est le conjoint d’Armand en plus d’être mon jumeau et mon amant.
… Ces rapports incestueux…
Te choquent je sais.
Ce que je trouve le plus grave, c’est…
Je croyais t’avoir confié… le sacrifice d’Émile… pour que nous puissions vivre aussi cet amour siamois défendu mais essentiel : il est devenu volontairement stérile! Sachant cela peux-tu comprendre que notre enfant aura deux pères?
… Je ne sais pas…
D’autant plus que hors mon frère la garantie de succès s’amenuise… Armand est homosexuel! Certes il m’aime et me désire… mais… ça ne réussit pas toujours à lever quand Émile n’est pas à proximité.
… Tu veux dire que j’assisterai à ça aussi?
Quoi?
Étant la femme de la mère de notre futur enfant ma présence lors de la conception est tout à fait normale. En spectatrice évidemment!
Mais Ella!
Thérapie de choc… Peut-être salutaire je ne le sais pas.
Émue jusqu’à l’âme Aglaé se tait, la scrute. La boule grossit dans sa gorge.
Non mon amour n’aie pas peur : je surmonte ce traumatisme. Adam a été capable de le faire lui. Depuis qu’il sait il s’est épanoui et a pu passer à autre chose et ses crises même se font de plus en plus rares! C’est le moment pour moi aussi.
Mais comment vais-je leur faire avaler cela?
Tu leur as appris donc…
Pour qu’ils relativisent la situation.
J’intègre cela… Tu n’expliques rien : laisse simplement la porte déverrouillée… J’agirai au mieux.
… C’est acceptable… Je t’aime, ma femme!
Moi aussi! … Quelles moeurs! … Mais copule allègrement : puisque c’est pour la bonne cause!
… Tu peux toujours revenir en arrière. Je m’inclinerai.
Non. Je souhaite cet enfant autant que toi.
Aglaé l’enserre, fort.
Au fait, avaient-ils de la compagnie hier?
Oui. Et il est beau! Je l’ai croisé. L’amant d’Armand maintenant aussi celui d’Émile. De quoi changer d’allégeance… presque! … Je te taquine… Mais c’est vrai qu’il est superbe… pour un homme s’entend… Ne mets jamais en doute mon amour Gabriella!
C’est ma seule certitude, Aglaé… Cela aide!
Adam je voudrais te parler…
Tu disposes de dix minutes : je sors!
Où vas-tu?
Maman!
Aglaé et moi… euh… songeons à nous perpétuer… enfin… Aglaé portera notre descendance…
Adam éclate de rire devant son embarras manifeste.
Dans mes cours d’éducation sexuelle on nous apprend qu’un bébé se conçoit effectivement à deux mais ceux-ci de genres opposés! … Je parierais qu’Armand est l’heureux élu étant donné les liens amoureux qu’ils entretiennent lui et son conjoint avec la tienne…
… Tu sais!
Je devrais être devenu aveugle pour ne pas m’en apercevoir! Sans l’afficher ils ne s’en cachent pas. Ceci en plus des allées et venues noctambules pas si furtives de ta belle… Je respecte beaucoup Armand. C’est un homme intègre et un pilier. Ce sera le père idéal pour votre rejeton. Émile lui aussi est correct; en tant qu’oncle je présume?
Euh… Oui.
Cool : une quasi-soeur-cousine ou un quasi-frère-cousin, pour t’occuper! Tu vas peut-être enfin me ficher un peu la paix! … Laisse-moi prendre la mesure de mon espace maman. Je ne suis plus un gamin!
… Je suis désolée… Je ne croyais pas te brimer…
Tu fais mal la différence entre une attention aimante et un envahissement intempestif!
… Je travaillerai là-dessus…
Et je vais pouvoir arrondir mes fins de mois…
Comment ça?
Je suis un excellent gardien de poupon…
Assisté d’Isabelle sans doute?
… Oui… Nous ne vous chargerons qu’un salaire et demi… Mais tout mon amour filial garanti…
Adam… Je t’aime… J’aime l’homme que tu deviens… Il est digne de respect…
Bye! Je t’aime!
Armand ouvre à la volée, cloue l’intrus au sol d’un poignard d’onyx et l’apostrophe d’une voix de stentor.
Qu’est-ce que tu veux?
… On dirait que je tombe mal…
Des conjoints possèdent le droit inaliénable et légitime de se quereller! Cela te pose-t-il problème?
Entre Anthony… Je crois que j’ai besoin d’un protecteur!
Comment ça? Tu n’as pas à te protéger de moi Monsieur tu n’as qu’à cesser de m’asticoter pour tout et rien!
Et toi qu’est-ce que tu fais alors?
Belle scène de ménage! … J’adore me trouver aux premières loges! … Vous semblez toutefois avoir besoin d’un tampon : j’offre le service gratuit… À moins que vous ne vouliez absolument poursuivre l’algarade : je pourrais arbitrer le combat sans frais non plus.
Les deux belligérants contrits s’excusent. Se jettent toutefois des oeillades belliqueuses.
Trois scotchs Armand en hôte obligeant…
Les dents serrés le requis procède. Anthony soucieux de ses récentes fonctions s’installe entre eux sur le canapé, allonge ses interminables jambes sur la table basse. Ils sirotent en silence. Sa présence apaise. Il passe un bras autour de chaque épaule.
Armand?
Une fois sur deux il laisse la satanée baignoire avec des cernes : ça m’énerve!
Et lui, chaque fois que c’est son tour d’aller à l’épicerie il oublie, au moins, un truc! Et il a une liste en plus!
C’est tout? … Vous vous chicanez juste pour ça?
= Euh… Oui.
Au lieu de régler ces peccadilles sur l’oreiller ou ailleurs dans la maiso?
= On ne peut pas!
Comment ça?
= …
Allez on explique à Anthony le vrai problème d’accord?
Les deux s’esclaffent : viennent de réaliser ce qui leur arrive.
Armand, Anthony t’offre une oreille attentive… Cela peut aider… J’expliciterai si nécessaire.
Euh… Je ne sais pas comment aborder…
En m’expliquant pourquoi vous ne pouvez pas désamorcer ces différends vétilleux sur l’oreiller ou ailleurs dans la maison!
J’ai fait voeu de chasteté pour encore trois jours…
Tu souffres d’une maladie vénérienne?
Mais non : je refais mes réserves!
Et moi aussi par solidarité.
… Mais la seule raison qui peut motiver… Hein?
Aglaé et Gabriella souhaitent procréer… et nous serons les pères. Gabriella et Émile de coeur, Aglaé et moi en tant que parents biologiques.
Spécial!
Armand a dû subir une batterie d’examens… ce qui n’a pas amélioré sa convivialité!
On taira ton accompagnement irrespectueux!
Arrêtez!
Ils cessent.
Vous voulez le diagnostic du psychiatre de salon que je suis?
= … Oui.
C’est simple pourtant : vous transposez dans vos altercations votre frustration sexuelle exacerbée par le fait de trop y penser!
Nous sommes des êtres pensants mais raisonnables!
D’accord. Ta plus longue période d’abstinence c’est combien?
Deux ans, avant Émile. Enfin pas tout à fait fermes mais ponctués de… enfin presque si je considère que ma vraie vie sexuelle a commencé avec toi…
C’est normal quand on goute à moi rien n’est plus jamais pareil ensuite… Et depuis?
Prétentieux mais avéré. Euh… Deux-trois jours au maximum… Sauf la première semaine de notre relation.
Et cela fait combien de temps que vous êtes à couteaux tirés?
Deux-trois jours…
Et il en reste combien avant le grand soir?
= Triple fois vingt-quatre heures!
CQFD.
Et qu’allez-vous faire pour remédier au problème?
= …
Nous allons nous distraire Messieurs… Comme par hasard j’en ai besoin aussi…
= ?
Plus tard peut-être. Pour l’heure, faites-vous beaux : on sort.
Où va-t-on?
Bouffe gaie, déambulations gaies, bar gai… et retour gai mais épuisé avec dodo à la clef.
Toilettes faites l’un après l’autre ils sortent donc bras dessus bras dessous, hèlent un taxi en maraude, lequel passe tout droit. Un autre s’arrête en freinant brusquement.
Salut, les tapettes!
Bonsoir Robert!
Nouvelle conquête?
Non c’est mon conjoint!
Commode de lier les deux : cela évite les scènes de ménage et limite les crises de jalousie en tout cas! Vous cherchez un quatrième?
Vous?
Ciel non! Ce genre de rapports…
On ne fait pas que ça : on joue au bridge aussi!
L’autre s’esclaffe la trouvant hilarante. Armand rit jaune. Sans rancune.
Vous allez au Village?
Y bouffer et se distraire innocemment!
Anthony précise l’endroit.
Excellente boustifaille, il parait.
Rendus à bon port.
Bonne soirée, les tapettes! À la revoyure!
D’autres du même genre se retournent courroucés. Le trio rit de bon coeur.
Anthony possède ses entrées privilégiées au restaurant italien. Pas d’attente et la meilleure des tables. À tu et à toi avec l’hôte. Même le Chef bedonnant et entre deux âges se pointe pour lui « faire la bise ».
Ma famille choisie… Ils m’ont ramassé à la petite cuillère à une certaine époque… Marrant ce besoin que j’éprouve de vous amalgamer à cette vie que j’ai toujours jalousement préservée contre toute intrusion…
Les yeux d’Armand répondent. Ceux d’Émile en écho. L’amour intègre parfois.
Après l’antipasto, les plats arrivent odoriférants et différents sans qu’ils n’aient commandé quoi que ce soit. Anthony rieur explique.
Giovanni connait mes gouts. De fait il les a formés… Quant aux vôtres j’avoue ma surprise ! Mais j’ai l’impression que son intuition ou son sixième sens appelez cela comme vous voulez tombe pile.
Surf and turf pour Armand, langoustines grillées pour Émile, tortellinis sauce rosée avec frais Parmigiana Reggiano pour Anthony. Ils conviennent de l’excellence de la sélection. Le sommelier apporte le vin au verre, trois différents, selon le mets. Renouvelle un peu plus tard alors qu’ils dégustent. Les espressos doubles suivent.
Raconte, maintenant.
Avec Berthe et Marie mes dames favorites nous allions parfois effectuer quelques manches. Je les affrontais toutes les deux. Malgré ma grande forme elles me battaient à plate couture de leurs efforts conjugués. Le rire dans leurs yeux. Je n’ai jamais rencontré personnes aussi altruistes qu’elles. Je suis certain qu’elles ont comploté pour me présenter Régine. Sous prétexte d’une quatrième pour éviter l’épuisement et le déshonneur de la défaite assurée à ce « pauvre Anthony qui ne fait vraiment pas le poids au tennis s’entend ». Régine donc. La cinquantaine aux trois quarts, orgueilleuse, altière, fantasque, Femme d’une extrémité à l’autre. Artiste elle peint des états d’âme : spécial, et noir la plupart du temps. Veuve depuis un an au moment de notre rencontre deux années auparavant. Et un désespoir profond dans le regard. Cocktail irrésistible pour que j’aie envie d’elle et d’en savoir plus sur elle et ainsi découvrir comment faire briller la joie dans ses yeux. Je croyais savoir parler aux femmes mais, avec Régine je me suis heurté à un mur d’indifférence glaciale. Je ne sais pas ce qui m’a poussé à persister et à faire en sorte que nos trajets se croisent plus souvent. Jusqu’à l’exaspérer de ma cour assidue ceci étant le but recherché. Finalement elle m’a enjoint à préciser pourquoi je la pourchassais de mes assiduités. Je lui ai expliqué que je la désirais, que je souhaitais la connaitre davantage et qu’elle m’intriguait. Elle m’a annoncé qu’elle savait que j’entretenais des liaisons avec Berthe et avec Marie. J’ai confirmé mes liens privilégiés avec elles tout en ajoutant que cela ne la concernait point. Elle m’a traité de gigolo. Je lui ai indiqué qu’elle pouvait en penser ce qu’elle voulait mais que je trouvais qu’elle réduisait la situation d’une vue plutot simpliste. Méprisante elle m’a demandé quels étaient mes tarifs. J’ai riposté qu’ils étaient forts au-dessus de ses moyens (je ne parlais pas des financiers). Elle a réitéré sa question. Devant son incompréhension manifeste j’ai explicité davantage : mes dames m’accueillent parce qu’elles se trouvent heureuses de nos relations, et que s’est sous le signe de la réciprocité que leur chaleur humaine, leur amour parfois importait beaucoup plus que l’apport monétaire laissé en fait à leur discrétion et sans condition d’aucune sorte pour elles du moins. À mon tour j’ai retraité et je l’ai plantée là au milieu de la rue. Je l’ai fui systématiquement durant quelques semaines. Elle m’a relancé au téléphone chez Berthe. Je lui ai fait savoir sèchement qu’elle troublait notre précieuse intimité. Elle a présenté ses plates excuses que j’ai transmises à ma dame. Discrètement icelle s’en est allée nous laissant converser librement. Régine a requis mon indulgence pour ses indélicatesses. Mais que je ne devais pas récidiver parce que… Elle a raccroché. Ma dame m’a donné congé à sa manière délicate et m’a enserré très fort entre ses bras. De fait je me suis attardé une heure de plus. J’adore Berthe, elle est si chaude, et douce comme le satin. Je me suis donc pointé chez Régine histoire de compléter le « parce que ». En me voyant elle a blêmi, s’est effacée pourtant pour me laisser entrer. Elle m’a avoué qu’elle ne pouvait pas entretenir de lien avec qui que ce soit et que je devais la fuir comme la peste. J’ai laissé tomber : « pourquoi? ». Elle a répondu la voix blanche et sèche : « j’ai le SIDA ». Je n’ai pas bougé malgré une irrésistible envie de fuir ventre à terre. « Nous prendrons les précautions nécessaires. » « Vous êtes fou! » « Non. Ce facteur ne modifie en rien ce que je vous ai déjà déclaré. » Des larmes que j’ai eu envie d’étancher. Elle a crié : « pourquoi? Mais laissez-moi donc mourir en paix! » J’ai rétorqué : « parce que vous savez que votre vie cessera dans un délai plus ou moins rapproché, vous ne voulez plus aucune intrusion dans votre solitude. À ce compte-là c’est dès la naissance que l’être humain devrait éviter ses semblables! Pourtant les gens s’aiment et se détestent, se trouvent et se quittent avec cette fausse impression que la vie est éternelle! Le virus a-t-il atteint aussi votre coeur? De vous laisser aimer est-il devenu une impossibilité? La soif de vivre s’arrête-t-elle parce que l’on sait avec une plus grande certitude le moment où la mort va faucher? » « Que cherchez-vous Anthony à travers ces dames que vous assurez aimer? » « Chacune à sa façon fait vibrer une sensibilité. L’amour est composite d’une multitude d’essences. Vous Régine j’ai envie de voler dans vos yeux cette étincelle de bonheur que j’y sèmerai. Vous peignez des états d’âme et ce faisant vous les concrétisez. Moi, je compose un duo d’amour avec ma dame et c’est la même chose. » « Un seul fait me persuade de votre folle sincérité : vous avez été fortement tenté de détaler .» « Je suis resté. » « Oui. » Nous sommes devenus amants séance tenante. Des parcelles de bonheur partagé à corps d’une beauté ardente et à coeur qui l’était tout autant. Quelques années volées à la mort. Jusqu’au mois dernier. Ce jour-là elle m’a amené devant sa dernière oeuvre. M’a demandé de l’interpréter comme elle le faisait souvent. Le fond d’un azur estival était traversé de stratus effilés et diaphanes. Une petite tache plus dense dans le nuage le plus élevé côté coeur a attiré mon attention. Y flottait une silhouette émaciée, en apesanteur, toute blanche, chevelure aussi sauf les yeux immenses en proportion qui se mariaient au fond azuré. Elle. En bas et au centre du tableau de respectable dimension une autre représentation à peine distincte. Je me suis agenouillé pour mieux l’examiner. Une silhouette lilliputienne peinte avec une précision hallucinante, nue, de dos. Ses bras étendus vers la forme évanescente en haut. De ses doigts émanaient des notes de musique les cinq toutes porteuses d’une lettre dorée : A-M-O-U-R. Moi. Je suis demeuré silencieux. « Vous comprenez? » « Oui. » « Je vous offre cette toile… en cadeau d’adieu. » Elle s’est assise sur le sol de l’atelier toute proche. Je l’ai serrée fort. « Je pars demain… pour un autre lieu. » « Je pourrais vous accompagner plus longtemps. » « Je sais. Mais cette terminale étape je dois la vivre seule. » « Je comprends. » « Anthony composez sur moi votre ultime symphonie. » C’est ce que j’ai fait en pleurant. Quand je l’ai quittée définitivement ses yeux étaient remplis d’étoiles qui m’éclaboussaient. Elle est morte ce matin dans l’apaisement, je l’ai appris de Berthe.
Ils sortent après avoir réglé l’addition salée. Anthony cherche à dénouer sa gorge vainement. Armand et Émile s’emparent d’un bras. Ils déambulent au hasard des rues. Rien n’est à dire. Juste être là. L’amour est présence silencieuse parfois. Ils terminent la soirée à La Traque. Anthony arrose copieusement son chagrin. Ils le font aussi, solidaires. Ils rentrent passablement éméchés.
Anthony s’arroge le canapé. Émile s’écrase sur le lit de la chambre d’ami. Avant de s’endormir, Armand contemple son amant la gorge entravée. Tant de beauté à l’intérieur du coeur, de l’âme. Lui aussi se sent éclaboussé. Je t’aime Anthony, murmure-t-il. Un ronflement lui répond. Il sourit. Dépose un baiser sur son front. Le borde. Il agit à l’instar avec son bien-aimé. Va se coucher finalement. Le tournis finit par s’apaiser. Gueule de bois gigantesque et triple le lendemain.
Anthony s’annonce alors qu’ils entament leur repas du soir. Il refuse leur invitation empressée. Émile lui sert une coupe de vin. Il remercie d’un signe de tête et d’un sourire crispé. N’y touche pas. Il attend patiemment qu’ils en aient terminé avec les contingences triviales. Émile l’examine, perplexe.
Tu as l’air ébahi, dépassé, fébrile, malheureux et j’en passe et tout ceci en même temps.
Je me sens spaghetti…
Inextricablement emmêlé donc conclut platement son autre chum.
Oui. Je viens d’apprendre que j’hérite d’un quart de million de dollars.
… Disons que la plupart des gens seraient plutot heureux qu’une telle manne leur tombe du ciel… glisse Émile.
Pas moi. Je ne veux pas de tout ça.
Régine… avance Armand.
Avec elle c’était l’amour uniquement. Vous comprenez?
Tu ressens qu’elle te rétribue a posteriori?
Je crois… J’ai mal en tout cas! Je me sens comme… comme…
Un gigolo?
Oui. Cet argent c’est une pesée sur le coeur… L’autre moitié de sa fortune elle l’a légué à une fondation qui oeuvre dans la recherche sur le VIH/SIDA. Pourquoi pas la totalité?
C’était une décision qui lui appartenait. Pas de parenté ou descendance?
Aucune… Régine était très seule. Mère tardive, son fils unique est mort en bas âge d’un cancer au cerveau. Marquée en profondeur elle n’a pas voulu, comme le souhaitait son époux d’un second enfant ni en adopter un. Elle disait qu’elle ne survivrait pas à une autre perte.
Comment a-t-elle été contaminée par le virus?
Son mari ne l’a trompé qu’une seule fois. Avec un prostitué. Rapport non protégé. L’hécatombe homosexuelle.
Savait-elle ton orientation majeure?
Consternés ils le voient rougeoyer. Émile s’excuse de son indiscrétion.
Inutile. Juste que tu es tombé pile sur une limite fort embarrassante et avec laquelle j’ai un peu de mal à transiger compte tenu de l’art que j’exerce. Cette jouissance que je provoque amorce le contraire pour moi. Le désir est présent mais la mécanique bloque au quart de tour…
Quand mes fantasmes se sont concrétisés sur ta magnifique personne j’ai éprouvé le même problème avec ma femme. Elle n’y a vu que du feu croyant nos tièdes orgasmes confondus.
Régine a été la seule à soupçonner que quelque chose clochait… et à me permettre d’y remédier. La première fois avec ma dame cela a été plutôt brut. Elle avait envie d’un sexe d’homme, du mien en elle et ça pressait. Pour moi aussi. À ma très grande surprise : jamais je n’avais éprouvé un tel désir pour une femme. Je me suis dévêtu devant elle. Son regard fiévreux galvanisait mes sens. J’ai repêché un condom dans ma poche. Son peignoir a chuté à ses pieds. Elle s’est agenouillée dos à moi a appuyé sa poitrine sur le fauteuil. Je l’ai possédée séance tenante. J’en avais une telle envie que j’ai cru un moment qu’il n’y aurait pas de court-circuit. Elle a joui mais a ressenti que notre union n’était pas sous le signe de la réciprocité. « Anthony? » « … Pour avoir un orgasme, je dois te… sodomiser. » « Alors fait! » J’ai obtempéré. Disons qu’on a trouvé une façon de régler le problème d’échange… Pourquoi est-ce que je vous parle de ça?
Peut-être parce que la question d’Émile t’a piqué au vif…
Laquelle? Ah oui! Elle s’en doutait certainement étant donné la longue parenthèse précédente.
Quels étaient ses rapports relativement à l’argent?
Je croyais qu’elle vivait du produit de la vente de ses toiles. Elle exposait beaucoup. Reconnue à ce que j’en sais. Elle était fantasque et compulsive, écoutait ses envies. Je suivais. J’aimais ça. Pour elle un souper au McDonald ou le festin gastronomique très haut de gamme s’équivalaient en plaisir. Cela dépendait du moment. Elle me racontait des tonnes d’anecdotes. J’étais l’oreille amie qui écoutait ce qui me convenait. En général, je préfère ouïr que dire… Sauf avec vous on dirait!
Ce soir en tout cas un vrai moulin à paroles : j’adore. Mais continue.
Quand nous sortions c’est elle qui réglait les additions. Elle s’en faisait un point d’honneur. Et moi je n’ai jamais été complexé sur ce genre de questions avec mes dames du moins. Je suis conscient que je ne suis pas très cohérent là-dessus finalement. J’agis par impulsion la plupart du temps…
Tu emmêles les spaghettis au lieu de chercher le point de départ et de suivre le fil. Tu fais de cet héritage une question existentielle propre à te et tout remettre en question!
Effectivement je crois que c’est ce que je suis en train de réaliser… Tu trouves cela négatif ?
Oui dans une certaine mesure. J’ai l’impression qu’à partir de fausses prémisses, tu te juges et te dévalorises. Se remettre en question de cette façon je pense que ce n’est pas sain… stérile en tout cas!
Qu’entends-tu par « fausses prémisses » Armand?
Tu as conclu tout de suite qu’elle voulait te rétribuer…
C’est assez évident!
Justement pas tant que cela. Tu la décris comme une personne seule, sensible, fantasque, peu soucieuse de l’argent, vivant selon ses besoins relativement frugaux… Bien loin de la riche oisive aux deniers chèrement accumulés qui se paye un gigolo tu ne trouves pas?
… Ce qui ne cadre pas tellement tout compte fait.
Je vois au moins deux autres explications encore plus crédibles du geste de Régine et qui correspondent davantage par le fait même à ce que tu nous as dépeints de sa manière d’être… Un petit exercice intellectuel Émile?
Facile en apparence celle-là : tu lui as apporté un immense bonheur et le tableau que tu nous as décrit en témoigne… Et elle te savait sincère dans tes relations avec elle… Beaucoup plus intenses qu’avec les autres « dames » sans conteste. Quelqu’un qui rédige un testament songe d’abord à ses proches. De ce côté tu constitues le choix logique… Quant à l’autre… euh… je ne vois pas.
Le manque de sexe t’affaiblit conjoint… L’autre interprétation ne relève pas de la logique… C’est un pied de nez…
= Hein?
À quelqu’un qui a osé mentionner que ses tarifs habituels étaient forts au-dessus de ses moyens… Dans le fond peu importe les motivations; c’est clair que pour Régine tu n’as jamais été un gigolo ou un prostitué. Pas avec ce que vous viviez, pas avec la Mort à relativement brève échéance! Elle t’aimait et toi aussi tu l’aimais. Et ce qu’elle t’a légué te laisse un choix que peu de gens disposent : celui de pouvoir décider de ce que tu fais de ta propre vie.
Je crois que je vais dormir là-dessus… C’est ce soir, le grand moment?
= Oui.
Spécial… Vous n’affichez pourtant pas un enthousiasme débordant…
Nous avons quand même réussi à nous rendre jusqu’à aujourd’hui sans nous trucider! De fait, nous avons passé ces dernières journées à nous persuader mutuellement que le sexe était tout à fait accessoire dans notre vie conjugale. Et que seul l’amour compte. Et nous avons réussi! Nous en sommes arrivés à sublimer le désir!
Ouais… Brillant comme prospective de performance à court terme…
… Tu trouves que ce n’était pas une bonne idée?
Peut-être pas…
Vois-tu le problème c’est Émile : il est trop porté sur la Chose. Sa chair est extrêmement faible…
Saint-Armand n’est-ce pas?
Je n’en reviens pas messieurs! Quelques jours sans baiser ce n’est quand même pas la fin du monde!
Émile est…
Vraiment Armand! Anthony retiens-moi je vais l’étrangler!
Tout compte fait j’ai l’impression que la jumelle va déguster cette nuit…
Anthony reparti ils se regardent en chiens de faïence un bon moment. Puis ils tombent chastement dans les bras l’un de l’autre.
Icelle se pointe vers vingt-deux heures à peine et à peine vêtue. Souriante et enjôleuse. Accueillie dans l’indifférence polie.
Vous êtes aussi gais que des croque-morts!
Certains sont gais d’autre pas.
… Vous faites de tristes gais. Je peux savoir pourquoi?
L’abstinence sexuelle a affecté le cerveau d’Émile. Et je suis solidaire.
C’est tout faux. C’est lui qui a un problème!
Tu vois comme il est devenu soupe au lait!
Vous êtes à cran tous les deux! Besoin d’un exutoire peut-être?
Souper tardif au restaurant. J’ai faim!
Moi aussi. Du chinois?
… Vous ne vous rappelez plus le pourquoi de la chose?
= On est censés concevoir un enfant.
Elle s’assoit au milieu du canapé; ils perchent aux deux extrémités.
Ce souhait pose un problème?
= Non.
Alors qu’est-ce qui se passe? D’habitude je pointe le bout du nez et vous me sautez littéralement dessus!
= On manque de pratique.
… On pourrait peut-être commencer par se rapprocher?
Ils s’approchent. Émile un peu plus.
Embrasse-moi…
Il embrasse.
Pas comme un frère!
Il s’empare de ses lèvres. Y prend gout. Récidive. Armand pose la paume sur la nuque de son conjoint. Investit goulument de sa bouche celle de l’autre. S’en repait passionnément. Réitère avec Aglaé. La distance s’amenuise. Le regard véronèse sombre dans l’abme.
Fécondez-moi.
Leurs yeux rivés. Il la renverse. Ses jambes s’ouvrent pour l’accueillir. Elle remonte davantage son vêtement. Émile se plaque au dos de son conjoint. Sa verge se loge entre les fesses. Les peignoirs gênent. Ils n’en ont cure. Armand pénètre en sa femme au moment où Émile s’enfonce à l’intérieur de son homme. Il accorde son rythme à celui du couple. Leur coït ralentit soudain. Aglaé accentue la cambrure de son bassin en passant ses jambes aux épaules d’Armand. Son vagin se resserre en fourreau autour du pénis au moment où Émile se déploie de nouveau au tréfonds de l’antre. Aglaé tend les bras vers l’arrière. Gabriella animée de troublantes sensations. Qui s’empare de ses doigts et les porte à ses lèvres et suce chacun d’entre eux. Je t’aime murmure-t-elle. Les hommes intègrent sa présence légère. Le va-et-vient reprend lent et profond tout comme celui d’Émile à l’unisson. L’extase en raz-de-marée les submerge. Ils crient leur jouissance simultanée au plaisir impossible. Les rayons verts fusionnent. Ils demeurent amalgamés pour toute l’éternité. Jusqu’à l’ankylose. Font toilette et convergent vers le lit.
Aglaé, Armand, Émile et Gabriella, rougissante. Qui cramoisit quand elle se rend compte de ce que sa femme a la ferme intention de lui faire. Elle geint des assauts amoureux d’Aglaé sur sa poitrine dénudée en un tournemain. Le bourgeon de ses seins saille sous la langue aimante. Bientot le vêtement ne cache plus rien de ses charmes plantureux. Les deux mâles reluquent très intéressés par l’évolution des choses. La bouche d’Aglaé se colle à la vulve de Gabriella. Émile ne peut résister à l’envie de caresser les fesses de sa jumelle mises en évidence par sa posture. Il se redresse. Ses doigts affleurent au clitoris érigé. Il sillonne. Son autre paume enceint la hampe de son conjoint. Qui s’active de même sur la sienne. Les halètements s’intensifient. Il connait bien son homme et sa soeur, accorde leur rythme. Leur fusion se renouvelle. Aglaé en Ella, Armand en Aglaé, Émile en Armand. Semences réelle et virtuelle atteignent l’utérus fertile de leur amante. Donner la vie ajoute une dimension à leur amour. Tout leur être participe à cette osmose.
Au milieu de la nuit Gabriella tourmentée se lève. Aglaé dort profondément entre les bras d’Armand. En confiance. Leurs actes d’amour n’étaient pas bestiaux. Ni violents. Ni dégradants. Leur enfant en sera un de l’amour. Son coeur en étau. En d’autres temps, en d’autres lieux, un bébé a été conçu. Dans la haine. Tout l’amour du monde pour effacer cette tare. Elle tombe sur le sol, sciée aux genoux. Des sanglots la secouent tout entier. Non papa ce n’est pas bien! Tu me fais mal! Tu me déchires! Ne me frappe pas! Je ne dirai rien à personne! Je te le jure! Je t’aime! Le viol de son enfance, de son adolescence, de sa vie de femme en perpétuation. Émile marmonne dans son sommeil. Dos tourné à son conjoint. Ils s’aiment à l’évidence. Les pénétrations rectales auxquelles ils se livrent n’avilissent pas, ne dégoutent pas. Contrairement à ce qu’elle appréhendait. Il lui avait fait subir ça aussi. Mourir de honte. Elle revoit chaque instant des rapports sexuels entre tous et chacun. Son sexe flambe. Incongrument à ce qui lui semble.
Émile s’éveille, l’aperçoit assise sur le tapis. Elle a pleuré.
Gabriella?
Cela va aller… Puis-je… venir à côté de toi?
En tout bien tout honneur.
Elle se love entre les bras affectueux. Il la réchauffe de son corps calorifère.
Tu lui ressembles tellement!
Je l’aime… Je ne suis pas une menace pour votre amour.
… Cela m’a pris du temps à le comprendre… Aglaé vous a expliqué n’est-ce pas? Enfin… que… Je n’ai jamais de mon plein gré fait l’amour avec un homme… Tu lui ressembles tellement… Émile… je…
Sans résister davantage à son impulsion elle pose ses lèvres sur les siennes. Le baiser inattendu s’étire tout léger. Émile caresse chaque centimètre de ce corps de femme qui s’épanouit sous ses doigts aériens. Met à profit les leçons de son professeur es sensualité. Gabriella vibre en harmonie de ses notes digitales. Émile tente de controler ses propres élans. Intuitive, elle se saisit de la verge serrée tout contre sa cuisse. Un écrin de velours pour un organe qui ne demande bientot plus que cela. Elle le renverse sur le dos. Le bras d’Émile heurte l’épaule d’Armand qui se réveille.
Gabriella chevauche le conjoint gémissant. Armand effleure la hanche d’Aglaé qui se redresse à demi pour atteindre son cou d’un baiser lequel n’arrive jamais à destination. Les deux ébahis contemple le couple insolite. Flambée du désir. Armand fait passer sa femme sous lui. La pénètre. Elle s’ouvre en fleur à son ardeur. Il accorde sa cadence à celle de l’amazone. Les quatre dégagent une main pour s’unir plus étroitement. Se rejoignent et s’attendent. Un seul orgasme déferle sur le quatuor. L’amour abat les frontières parfois.
J’ose t’avouer après ces quelques jours et nuitées torrides que j’apprécie fort le retour au calme sinon à la normalité dans notre vie de couple très homosexuel. Nuit de rêve à dormir avec mon conjoint vrombissant à mes côtés!
« Dormir »?
Mmm… Après.
Cela commençait à me manquer nos moments d’intimité nocturne…
Moi aussi mon amour. Dormir tout contre toi sans moteur pétaradant… J’ai fait, refait et referai l’amour avec ton jumeau… Et tu ne sembles en concevoir aucune jalousie,pourquoi?
Parce que ceci te rend heureuse… Et j’en profite par ricochet… Et franchement je n’ai jamais vraiment compris et a fortiori ressenti ce genre d’émotions qui fait perdre le sens de la mesure.
C’est raide envoyé!
L’amour que j’éprouve pour toi est. Point. Une relation se batit mais pas l’amour. Il est lié à ce que tu es et non à ce que tu fais. Ce qui me ferait souffrir c’est que tu ne veuilles plus oeuvrer à la peaufiner cette relation.
Je crois que c’est la première fois que je comprends vraiment ce que tu veux me communiquer depuis si longtemps…
Parce que tu as péché avec mon frère! J’ose t’avouer ma femme que cela m’excite de te voir forniquer avec mon jumeau… et d’en jouir! C’est un amant merveilleux n’est-ce pas?
… Oui… Armand aussi pour toi?
Tout autant qu’Émile mais sur un autre mode. Avec mon frère je me sens davantage femme que femelle. Avec Armand c’est l’inverse. Quoique parfois c’est le contraire qui se produit.
J’ose t’avouer ma femme que cela m’excite de te voir forniquer pour la bonne cause avec tes amants… et d’en jouir!
Ella mon plus cher désir est que tu sois aussi tenace qu’un castor…
Je t’aime Aglaé. Toute ma vie pour le faire.
Et toute la mienne également.
Pourquoi ne pas téléphoner tout simplement!
… Je ne sais pas… Pour respecter son indépendance sans doute… C’est un bon restaurant c’est normal qu’on y retourne!
Et s’il se pointe avec le plus magnifique mâle de la planète?
Ce serait étonnant : nous sommes les plus beaux! Enfin moi,surtout…
Disons. Ceci uniquement pour ménager ta susceptibilité et par respect pour ton âge vénérable… Mais s’il est accompagné?
Je ne suis pas vieux! On se transforme en caméléons…
D’accord mon vieux beau je me rends!
Tu ajoutes l’insulte à l’injure!
Viens soupe au lait : j’ai faim!
Je le savais!
= Quoi?
Que l’essayer c’est l’adopter… Je parle du restaurant évidemment! Quelle heureuse surprise!
Nous craignions de perturber ta tranquillité… ou de tomber sur une conquête…
Vous serez toujours les bienvenus en ces lieux… Et je n’y invite pas de relations… Des gens que j’aime seulement… Je ne me sens pas agressé par votre sollicitude surtout touché.
Anthony frissonne sous le regard aimant. La caresse des yeux sombres frole l’âme. La chaleur de l’autre englobe…
Après l’antipasto le grand Chef en personne apporte ses choix : escalope de veau parmigiana, fettucine sauce arabiata et légumes sautés pour Armand, suprême de poulet grillé, linguine sauce rosée et truffes pour Émile, cannelloni de veau aux trois sauces (épinards, crème et tomate) pour Anthony. Ils conviennent de l’excellence des mets et des sélections arrosés des vins appropriés.
Toujours spaghetti?
Quelques jours capellini mais ensuite macaroni, après ravioli et maintenant comme mon plat.
J’adore tes savoureuses comparaisons alimentaires!
Giovanni ressent mes états d’âme. C’en est hallucinant!
Il t’aime beaucoup.
C’est mon père choisi… Au début il ne m’apportait que des spaghettis alla bolognese. J’avais faim. J’engloutissais. Jamais de facture ni de questions. Quand j’avais de l’argent je laissais le compte approximatif sur la table. Un refuge : la cuisine de Giovanni comme un phare dans ma nuit délinquante. Cela et l’accueil inconditionnel très italien de Luigi.
Es-tu né en Italie ?
Non ici. Ma mère était Québécoise de souche. Mon père était originaire de la Toscane. Je ne suis jamais allé en Europe. En réalité je n’ai jamais voyagé. J’aimerais bien mais pas seul…
Nous pourrions peut-être planifier un mois estival de dolce vita et de farniente?
C’est tentant…
Avec vous deux ce serait merveilleux… Je souhaite…
À la fin d’un repas louangé à Giovanni et les espressos devant eux Anthony reprend le fil de ses paroles comme s’il ne s’était pas longuement interrompu. À l’évidence ce qu’il a à leur confier s’avère difficile.
… Me rapprocher davantage de vous… Quels regards messieurs! Enfin je veux dire physiquement… Euh… Ce n’est pas le terme approprié… Enfin ça aussi… Chez moi tantot? Tout un programme. Armand aide-moi.
Tu veux graviter non loin de nous à proximité disons matérielle… Mais tout en conservant ta liberté de vivre comme tu l’entends?
Oui… Verriez-vous un inconvénient à ce que j’habite le même immeuble que vous? De fait le condo du vingt-deuxième celui immédiatement en dessous de chez vous est à vendre… Il est super… et…
Nous avions songé à t’en parler ce soir…
Ce qui veut dire que…
= Oui.
… J’ai peur en même temps… Encore un peu du moins… Je me suis rendu compte que jusqu’à maintenant j’ai fui systématiquement tout lien qui semblait vouloir s’épanouir en dehors des cloisons étanches que j’y avais élevées ou qui s’érigeaient du fait des circonstances.
Régine et Michel?
Oui. J’ai pu m’impliquer davantage avec eux… parce que je savais leur fin prochaine… On ne pourrait pas dire que je me sentais merveilleusement bien dans ma peau quand j’ai pris conscience de cela… Armand ton amour brasse fort ma cage… Tu es comme un puissant aimant qui m’attire irrésistiblement dans ton champ d’attraction magnétique… Et… Émile…
Tu as succombé à son charme ravageur. Et lui au tien qui l’est tout autant. Vous vous aimez aussi je l’ai compris… Ne te méprends pas ce n’est pas une défection et je n’en souffre pas. J’en suis heureux parce que je vous aime tous les deux… Même si votre chair est outrageusement faible… Et que j’en voie de toutes les nuances…
C’est compliqué.
Mais si intenses, si vivants ces noeuds multiples qui se nouent en doubles et triple.
Et qui s’approfondissent au fil du temps.
Armand, Émile…
= Et Anthony.
Les yeux d’Anthony s’écarquillent lorsque Luigi dépose devant eux un tiramisu « offert par la maison » agrémenté de trois batonnets aux flammèches pétillantes dans toutes les directions…
Apparemment ton autre père aussi a compris…
Les agapes terminées Anthony s’empare de l’addition.
Vous êtes mes invités… Pas de protestations; cela me fait plaisir… Et une fois n’est pas coutume…
J’ai une proposition à vous faire…
= Laquelle?
Dans ton futur immeuble Anthony tu pourras utiliser un sauna, des bains tourbillons et une piscine… le tout fort peu fréquenté à cette heure indue…
Pourrais-tu préciser ce qui suit les points de suspension?
Mais pour étuver puis nous plonger dans l’eau glaciale avant de nager quelques brasses bien entendu : que peut-on faire d’autre en ces lieux que ce pour quoi ils ont été conçus?
Émile il a l’air sérieux!
Il l’est… Il a juste omis de préciser ce qui se passe après cette merveilleuse détente…
Aussi bien me l’apprendre je n’ose plus rien avancer!
C’est simple, on dort… Après avoir fait l’amour langoureusement et languissamment sur un nuage de volupté sensuelle…
Ils rentrent après une bonne heure de marche errante main dans la main (« mais oui madame on est des tapettes… et on s’aime », « si cela vous offusque monsieur ne regardez pas et passez votre chemin : la gaieté c’est contagieux »). Armand un peu coincé au début se laisse aller, embrasse Émile, puis Anthony, les enserre à la taille (« mais oui les amoureux pour nous c’est pareil »). L’amour s’éclate parfois.
Les oiseaux éprouvent du mal à suivre scrupuleusement les prescriptions de l’oiseleur : leurs mains s’égarent sur les nudités en étalage. Armand veille au grain et se métamorphose en garde-chiourme de la vertu : regarder tant qu’on veut mais ne pas toucher telle est la consigne. C’est toutefois lui qui est pris en flagrant délit d’enfreindre ses propres règles lorsqu’il caresse furtivement les « jolis culs ». Il est condamné à nager deux longueurs supplémentaires. Le récidiviste (« bas les pattes! ») s’exécute sans rechigner l’offense en valant la peine. Ils rentrent les jambes en coton parfaitement détendus.
Ils étalent leur peau dans le grand lit. Anthony appuyé sur un coude caresse du regard les corps aimés. Les pénis bandent de concert. Saisi d’une envie irrépressible d’être possédé il fait quart de tour s’offrant ainsi à Émile. Il geint sous le joug sodomite. L’autre aussi sous celui d’Armand. Le double va-et-vient décuple le désir d’Anthony. Quand Émile jouit de lui en criant et le libérant du fait, n’y tenant plus il enjambe ses amants. Sa verge s’incruste au-dedans d’Armand. L’orgasme impossible le fait hurler. L’autre se répand au même moment au tréfonds de son conjoint. « Je vous aime » murmure Anthony avant de les rejoindre dans les bras de Morphée.
Tu fumes!
Occasionnellement. Je dénote une intonation réprobatrice dans ce plat constat.
Je t’annonce que je suis enceinte et tu allumes une cigarette! C’est nocif pour notre enfant!
Mettons les choses au net tout de suite. Mon conjoint et ton frère est également fumeur. Nous avons équipé notre demeure du système de filtration d’air le plus sophistiqué sur le marché. Alors ne viens pas réglementer nos façons de vivre. Je te concède que je vais essayer, et Émile aussi je m’en porte garant, de s’y adonner le moins possible en ta présence. Mais écrase là-dessus. Mais je suis persuadé que ma Grâce adorée peut trouver quelque moyen pour que je boucane moins quand elle gravite à proximité…
Si tu n’étais pas un homo en deuil temporaire de conjoint je penserais que ceci ressemble à une invite explicite à des jeux très… physiques!
Ça l’est.
… Mais…
Pour l’amour est-ce vraiment essentiel que cela lève à tout coup?
Non… Pardonne-moi. L’autre fois j’ai été déroutée et je me rends compte que je t’ai blessé… C’est aussi réduire l’amour à un acte de pénétration… Pourtant avec Ella ce n’est pas comme ça et c’est complet… Non c’est plutot que ton manque de désir m’a refroidie… Ce n’était plus réciproque.
Certaines situations que je ne peux pas contrôler. Mais j’ai sacrément envie de te faire taire par mes baisers.
Ce qu’il fait. Sans qu’elle sache trop comment, elle se retrouve sous lui dévêtue et entre ses bras leurs corps en étroit contact. Sa langue fourre sa bouche. Elle aime comme il embrasse. Son haleine au tabac blond aussi. Il reporte son enthousiasme sur sa poitrine.
Doucement mes seins sont devenus hypersensibles.
Il s’adapte. Suce délicatement les mamelons érigés. Le plaisir se répercute au sexe. Elle tressaille. Frémit lorsqu’il s’attaque au nombril. Ses mains écartent les cuisses et ses doigts mettent en exergue un organe de plaisir très sensible. Il le lèche longuement avec la régularité d’un métronome ainsi qu’avec un savoir-faire et une douceur inattendus qui la font geindre de plaisir puis de jouissance. En alternant les frottements directs et périphériques il la fait jouir en cascade ruisselante.
Elle enjambe sa tête, se laisse choir sur le sol, s’agenouille entre ses jambes. Son va-et-vient buccal le fait bander… mollement. Elle s’efforce de se rappeler comment Émile procède. En vain. (Un rire dans sa tête. Tes pensées débordent ma soeur… D’un naturel obligeant je vais illustrer sur le fils ce qui excite au plus haut point le père et le met en forme pour la suite… Le souper attendra.). Pierre Alban tout dévoué à son étude n’a d’abord pas conscience des manoeuvres localisées de son amant. Une exclamation d’étonnement franchit ses lèvres quand il constate son dénuement partiel. L’attaque surprise le stimule à n’en point douter. La fellation d’Émile prodiguée d’inhabituelle manière et avec un brio inégalé jusqu’alors le fait crier. Centuple son envie de le posséder tout de suite. Émile dénude son postérieur. Pierre Alban glisse derrière lui. Armand se love au long du dos d’Aglaé. Le mâle prend possession de sa femelle. Laquelle transmet son plaisir puis son paroxysme. Émile se masturbant l’atteint en même temps qu’elle et son amant. Armand la sodomise ensuite. La vague de sa jouissance l’emporte encore et ils se rejoignent. Sur le sol ils s’enlacent le souffle moribond et la gorge entravée. L’amour secoue parfois.
Gabriella à la recherche de sa moitié « absente pour seulement dix-quinze minutes au plus » mais il y a une heure de cela pointe un minois curieux dans l’embrasure, après avoir dument frappé à la porte sans obtenir de réponse intelligible.
Ciel! Ma femme!
Un flagrant délit… Elle est déjà enceinte…
Trippant de faire l’amour à une femme dans sa condition… Curieusement cela améliore sa façon de baiser!
… En tout cas vous être très beaux dans la détente d’après baise… et tentants… Mais la pizza refroidit.
Je te rejoins aussitôt toilettée et rhabillée.
Armand?
J’ai rendez-vous avec mon voisin du dessous. Merci quand même.
… Émile revient bientôt?
Demain soir… Tu changes d’allégeance?
Non! Mais il a promis de m’aider pour préparer du sucre à la crème : Adam adore mais je le rate la plupart du temps même en suivant scrupuleusement la recette! … Quoique maintenant que j’y réfléchis peut-être!
Piquée Aglaé se redresse. Ella pouffe.
Sensibles les femmes enceintes!
Ella!
Ladite s’esquive rieuse.
Salut… mon père… vénéré…
Je te dérange? Tu sembles essoufflé. Un peu tôt pour baiser…
Non… Nous le reprenions justement… Toujours prêt quelle que soit l’heure…
… Mon petit-fils?
Il gambade partout : un vrai bolide! En visite avec Jolaine chez sa grand-mère.
Ton oiselle et mon ex?
Au beau fixe. Incroyable!
Tu en profites pour batifoler avec ton amant donc.
Et étudier quand il m’en laisse le temps…
Ça va, de ce côté?
Je planche dur. En fait la présence d’Émile est des plus bénéfique… Il me donne des ailes.
Thérapeutique, donc…
Euh… En quelque sorte.
Armand rit de l’embarras tangible de son fils.
… Veux-tu parler à ton conjoint ?
À ton amant en premier, retour à toi ensuite.
Armand?
Mon amour nous allons être pères!
Fantastique! Déjà!
C’est ce que ta jumelle m’a annoncé tantôt… Certainement la qualité de mon sperme…
Vraiment!
On devra penser à des prénoms… masculins…
Féminins!
Les deux alors… Je suis heureux!
Moi aussi… Veux-tu l’apprendre toi-même à ton fils?
Oui.
Alors c’est quoi cette grande nouvelle qui réjouit tant ton conjoint et mon amant?
Euh… Mon petit-fils va bientôt être nanti d’un oncle… ou d’une tante pour moitié.
… Tu veux dire que je vais avoir un frère ou une soeur en demie?
Mon conjoint et moi allons être pères.
Aglaé?
Et Gabriella.
Papas et mamans biologiques et virtuels… C’est intéressant.
C’est tout ce que tu trouves à dire?
Je suis plutot soufflé… Mais je comprends. Et cela fait chaud au coeur de te sentir si heureux.
Je ne m’attendais pas à réagir ainsi… Je suis conscient que cela peut paraitre bizarre…
Non traditionnel certainement. Mais la famille straight ne constitue pas toujours un gage de bonheur… Est-ce que je te repasse Émile?
Non. Dis-lui seulement qu’il est attendu avec impatience… Je t’aime Pierre Alban.
Moi aussi.
Anthony pointe un doigt accusateur.
Tu es en retard. Ça m’énerve!
Désolé. Je plaide coupable. Pardonne!
J’ai téléphoné pour repousser d’une heure nos réservations! Quant au concert autant l’oublier… C’était la dernière représentation!
… Si on dinait après?
J’ai faim!
Armand saisit le combiné.
Ella peux-tu en réchauffer pour nous le reste de pizza? On va entendre l’OSM dans une heure et mon chum boulimique ne peut pas se priver de nourriture terrestre… On monte dans cinq minutes.
Je ne suis pas boulimique!
Plus soupe au lait que moi en tout cas! De toutes les manières c’était trop tôt!
Mais après, trop tard… Je me rends. Excuse-moi. Cette dispute est ridicule!
J’aurais dû prévenir… Je n’ai pas pensé plus loin que le bout de mon… pénis.
Tu baisais!
Je faisais l’amour à ma femme et de surcroit une future maman.
Aglaé est enceinte. Déjà!
Armand se rengorge, fier comme un paon.
La qualité de mon sperme sans doute…
Vraiment… Et cette pizza?
Moi aussi j’ai faim, viens.
Rassasiés et réconciliés c’est main dans la main qu’ils se dirigent vers l’ascenseur.
T’es beau.
C’est naturel chez moi… Mes oripeaux accentuent l’effet…
Ce n’est pourtant pas ce que m’a raconté ton conjoint…
Émile parle trop… Bien qu’il ait un gout très sur en matière vestimentaire je dois l’admettre.
Lorsqu’un couple monte pour le huitième le tressage de leurs doigts ne se défait pas. En fait ils n’y songent même pas.
Se reprennent par la main alors qu’ils rejoignent le grand hall où la foule de mélomanes s’est rassemblée en attente de l’ouverture des portes.
Vous vous faites remarquer les amoureux!
David quelle bonne surprise! Et Marie-Reine tout à fait radieuse! … Ciel mon ami tu as fondu!
L’amour… Euh… Tu me présentes à… euh…
Mon chum Anthony Bellomo… Mon ami David Ben Simon et Marie la reine de son coeur…
Poignées de mains échangées celle d’Anthony regagne son gite.
J’ai l’impression de vous avoir déjà vu quelque part…
Peut-être lors du procès d’Émile : j’étais dans l’assistance… Autrement je ne vois pas…
Sans doute… Aie! Armand tu écrases mon pied!
Toutes mes excuses!
Les portes salvatrices s’ouvrent.
On se retrouve à l’entracte.
Très coloré le responsable de la section des homicides du SPCUM…
Plutot… C’est mon seul ami. Anthony je voudrais bien…
Mais oui invite-les à se joindre à nous pour un souper tardif… Je ne suis pas si sauvage!
Je t’aime!
Moi aussi… Et j’adore ta déclaration publique…
Consterné Armand s’aperçoit que plusieurs retardataires observent leur couple gai. Il s’adresse à personne.
L’amour c’est ce qui compte!
Plusieurs hochent la tête en souriant. Armand prend son chum par la taille. Ils gagnent leurs sièges.
David et Marie-Reine acceptent leur invitation avec empressement. Va pour le Quelli Della Notte. Pendant qu’Anthony téléphone pour modifier encore une fois les réservations et que Marie-Reine « se refait une beauté » David s’informe histoire de préserver ses pieds.
C’est ton nouveau conjoint?
Non. Émile et moi sommes les chums d’Anthony… Tu l’as reconnu donc?
J’ai une excellente mémoire visuelle… C’est pour ça mon membre esquinté?
Oui. Il ne sait pas que tu le connais par bande vidéo interposée!
Une beauté de la tête aux pieds à ce que je me souviens… Ceci dit objectivement s’entend… Qu’est-ce qu’il fait dans la vie?
Il sème le bonheur… Je t’expliquerai à un autre moment : ta dulcinée revient… L’amour te réussit très bien… À elle aussi…
Je ne croyais pas une telle félicité possible!
Cela vous gêne-t-il qu’on s’affiche Marie-Reine?
Pas le moins du monde. De toutes les manières même à deux mètres de distance l’un de l’autre vos liens transparaissent…
Le repas est délicieux. L’atmosphère intime, malgré la somptuosité classique du décor. À la toute fin, Armand n’y tient plus.
Mes amis j’ai une grande nouvelle à vous annoncer : Émile et moi allons être papas!
Donc, Aglaé… et Gabriella est(sont) enceinte(s)…
Brillante déduction mon cher David! En fait Aglaé et moi sommes les géniteurs biologiques et nos conjoints respectifs les virtuels.
Original.
Je suis fou de joie!
L’important c’est l’amour qu’on donne.
Oui.
En passant, où se trouve ton conjoint ?
À Sherbrooke chez… mon fils.
J’avais donc bien deviné…
Quoi donc?
Ton hésitation. Plus quelques observations glanées lors du réveillon…
Effectivement Émile et Pierre Alban s’aiment aussi… Ne te méprends pas, je vis très bien avec ce facteur… maintenant.
Vous nagez dans les chassés-croisés amoureux.
Rien n’est facile ou couru d’avance. L’amour est mais une relation se batit au fil du temps semé d’embuches et d’obstacles. C’est aussi de vouloir construire quelque chose ensemble. Chacun des noeuds avec l’un ou avec les autres est unique et exclusif. Et le point de départ c’est d’accepter la personne qu’on aime telle qu’elle est et non comment on voudrait qu’elle soit.
En multipliant les liens vous vous dispersez.
Non. Le coeur se multiplie mais ne se divise pas. Chacun s’enrichit des relations que l’autre vit ailleurs. Et j’espère que la destinée nous sera clémente et nous permettra de converger ensemble notre existence durant. Le reste dépend de notre volonté à être heureux avec l’un ou les autres sans restriction aucune si ce n’est celle d’être honnête avec soi-même et avec les autres.
Tout un programme!
Oui. Sans limites, foisonnant, intense : comme la vie elle-même.
Pour Marie-Reine et moi c’est important que notre relation amoureuse demeure exclusive pour qu’elle puisse s’épanouir en toute liberté. Nous ne pourrions pas continuer ensemble sans cette confiance mutuelle.
C’est une question de degré aussi. Toi et moi par exemple : notre amitié s’approfondit au fil des années…
Tant qu’il n’y a rien de sexuel…
Je sais! Si cela peut te rassurer je n’éprouve pas la moindre parcelle d’attirance physique ou penchant affectif pour ta personne en dépit de sa nette amélioration!
Ouf!
Ouais… Et pourtant je t’aime. Et c’est la même chose pour mes amours hormis l’absence de limites sexuelles.
Anthony?
Je partage la philosophie d’Armand. Totalement. Avec lui et Émile j’ai découvert que le bonheur existe aussi pour moi…
C’est la même chose pour moi depuis que David est entré dans ma vie… Et vice-versa?
Oui ma reine.
Ce qui termine en beauté cette merveilleuse soirée.
Le froid mordant décourage la promenade. Deux taxis en maraude. Anthony se blottit contre son chum la tête sur son épaule. L’étreinte d’Armand fait tout chaud au coeur. Rentrés ils se dévêtent silencieusement, se couchent. Armand rompt leur tendre enlacement. S’étalant sur le ventre, il offre son corps, son coeur et son âme à son chum. Anthony le recouvre, le sodomise sans ménagement, jouit en criant, tout à l’intérieur de lui. Il se donne ensuite et Armand prend ce qui lui est offert : le corps, le coeur et l’âme de son chum. Il éjacule au fond de lui en râlant, souffle « je t’aime ». L’écho l’atteint là où c’est vital.
La crème ne convient pas : elle est trop claire, on doit prendre la champêtre… Et la cassonade est brune, pas dorée… Et le sucre n’est pas assez raffiné!
Mais la recette ne précisait pas…
C’est pour ça que le Chef est là!
D’accord maitre on fait avec ta matière… Je suis ton humble marmitonne.
C’est mieux. On passe à côté : j’ai tout ce qui est nécessaire… Sauf le beurre : ma tête de linotte de conjoint a encore oublié d’en acheter! Et je songe sérieusement et pour cette raison à divorcer!
J’en ai toujours… Tu n’as qu’à venir en chercher, j’en achèterai quelques briques en sus.
Tu viens de rescaper notre union du naufrage ma douce.
Et tes relations incestueuses ont bien failli causer le nôtre!
Ne nous juge pas Ella… Ce serait destructeur pour tous que de mettre des balises à cet amour.
J’ai appris à nuancer… Et à accepter… Depuis…que certaines barrières sont tombées… c’est drolement plus facile. De s’attacher à toi aussi.
On le fait ce sucre à la crème?
Elle acquiesce. Son sourire lumineux le remercie de la perche tendue. Son aveu involontaire le touche. Se rend compte que lui aussi.
Ils déménagent leurs pénates chez lui. Émile prépare avec une précision méticuleuse tout ce qui leur est nécessaire.
Apprêter du sucre à la crème ma douce c’est comme faire l’amour…
Je vois mal le rapport.
Je t’explique. Tu mélanges délicatement quantités égales de sucre fin et de cassonade dorée pour que chaque grain s’enlace. Encore plus doucement tu ajoutes la même proportion de crème épaisse que celle des deux autres ingrédients réunis. Les trois se transforment en mélange encore un peu granuleux. Goute. Elle fait, tente d’émettre un commentaire mais il prend sa bouche et enroule sa langue à la sienne.
Façon imagée d’illustrer texture et gout!
Tu places le thermomètre bien au centre de la préparation. Le feu doit être moyen mais pas trop. Tu surveilles du coin de l’oeil jusqu’à 235oF environ.
Si je poursuis la comparaison cela veut dire que…
Non. Que tu as le temps de te détendre sous les caresses prodiguées par ton amant.
Il l’enserre par derrière. Elle sent le pénis en érection entre ses fesses. Elle réussit à contrôler son mouvement de panique. Il couvre sa nuque de baisers légers. En même temps il insinue ses mains sous le chandail et caresse la poitrine opulente. La pointe de ses mamelons se dresse sous les affleurements digitaux. Elle rejette sa tête vers lui, tend les lèvres. Il les suce, brièvement.
Non. Tu surveilles la température.
C’est la mienne qui grimpe!
Il relève la longue jupe par devant. Elle est nue dessous. Il caresse son ventre bombé, sa toison luxuriante et invitante à la luxure. De la pression de ses doigts il fait saillir son clitoris, le frotte légèrement et rythmiquement. Ella se laisse aller contre lui, s’abandonne au plaisir, puis à la jouissance.
L’ébullition obtenue le feu doit être vif maintenant mais pas tout à fait au maximum. On se guide olfactivement. Au moment précis où l’odeur se modifie tu retires de la chaleur.
Il relève sa jupe par derrière cette fois saisit à pleines mains ses fesses charnues. Il a envie de la pénétrer séance tenante mais s’y refuse. Ses doigts la fouillent partout ou c’est possible, son index heurte le bouton d’amour. C’est pourtant lui qui retire la casserole à l’instant prévu alors que Gabriella jouit en criant.
Ajoute beurre et vanille… On doit laisser la préparation refroidir le temps que ton amant te prenne…
Il l’entraine sur le carrelage. Gabriella panique. A peur de le laisser prendre le contrôle. Réfrène : Émile ne la violera pas, elle n’a qu’à dire non et il s’arrêtera. D’en être convaincue la rassure. La confiance. À ses mouvements elle capte qu’il libère son sexe.
Ella?
Oui.
Son pénis au-dedans d’elle. Instinctivement elle resserre les parois de son vagin tout autour. Émile geint. Il la fourre lentement. Tout leur être se concentre sur ce va-et-vient copulatif… excitant puis obsédant.
Donne-toi.
Elle accentue la cambrure approfondissant la pénétration. Son accueil galvanise son mâle. Ils se rejoignent dans l’irrépressible rut puis dans l’orgasme qui les secoue. Émus. Ils font toilette et se rajustent.
Maintenant tu remues, doucement. Dès que la texture commence à changer, tu verses prestement dans les deux assiettes creuses préalablement enduites de beurre. Et le tour est joué.
Émile…
Il l’enlace, dépose un baiser sur ses lèvres.
Je t’aime aussi… Et Aglaé comprend… Et ne doute aucunement de ton amour pour elle.
Salut à l’homme de ma vie. Où étais-tu?
Avec mon voisin du dessous. On a travaillé sur l’histoire de Régine. C’est bon, très émouvant. Juste quelques détails à préciser. Ceci après avoir fait la grasse matinée et pris un petit déjeuner au lit. Ce qui a terminé en beauté notre merveilleuse soirée au concert, un repas tardif avec David et compagnie ainsi qu’un début de nuit très chaud. Et toi tu viens d’arriver?
Cela fait plusieurs heures… J’ai préparé du sucre à la crème avec Gabriella…
… À ton air de matou repu vous avez certainement fait plus que cela… Puis-je gouter?
Comment résister au plaisir d’entendre tes éloges?
… Alors?
… C’est bizarre… Ça goute un peu… salé…
Alarmé Émile fourrage dans l’armoire à provisions.
Pourtant, c’est bien du sucre!
… Non… C’est juste marqué « sucre »…
Émile ouvre le contenant et pose quelques grains sur sa langue. Grimace.
Explications immédiates.
La boite de sel était endommagée… Celle de sucre était judicieusement vide… J’ai omis de te faire part de la substitution… Désolé…
Sans répliquer Émile passe au séjour, téléphone chez sa voisine et explique. Revient à la cuisine, modifie « sucre » pour « sel », jette le « sel à la crème » aux ordures. A envie de vidanger le conjoint avec. Se dirige vers la porte. Enfile paletot, bottes et prend sa canne. Armand observe ses préparatifs.
Où vas-tu?
Acheter ce qui manque.
La porte claque.
Émile est de retour trente minutes plus tard. S’active à la cuisine. Armand assiste immobile et silencieux à la préparation méticuleuse. Émile ignore son existence. Armand se mord les lèvres, ne sait que faire pour que son conjoint pardonne sa dernière gaffe impardonnable. Surtout qu’il se rappelle avoir oublié d’acheter du beurre en sus. Le tout terminé Émile s’empare d’une des deux assiette et sort.
Il revient, quelques minutes plus tard. Réfrigère ce qui reste. Se ravise. Coupe un morceau.
Goute! … Alors?
… C’est sublime! Je peux en avoir encore quelques-uns?
… Si tu prépares le souper.
Tout ce que tu veux pour me faire rentrer en grâce… Spaghettis à l’huile et à l’ail, avec des olives et des tomates séchées, si j’en trouve?
Misère! … D’accord… J’ai mal à la jambe.
Un « Traitement de faveur » au préalable?
Gratuit entièrement. Et remboursant toutes les dettes antérieures?
Je suis ruiné! … Ai-je le choix?
Non.
Et tu ne vas pas divorcer?
… Probablement pas… si je suis satisfait du service…
Déshabillez-vous mon cher monsieur…
Le client obtempère pendant que le praticien effectue les préparatifs. Le massage si habilement exécuté évacue la tension, apaise la colère.
Émile s’excuse de sa réaction démesurée alors qu’Armand s’apprête à entamer la partie la plus agréable.
Que souhaites-tu, mes doigts ou mes lèvres?
Suce-moi.
Ce qu’il fait arrachant des gémissements à son amour jusqu’à ce que le sperme envahisse sa bouche et les cris de plaisir ses oreilles.
Je vais te sodomiser.
Émile se tourne sur le côté en donnant son assentiment. Se retourne à demi pour que leurs regards conjuguent également. Je t’aime disent leurs âmes, leurs coeurs et leurs corps.